'Une nouvelle méthode pour l'estimation du soi en sociologie'

A. Constitutif.

B. Cognitif.

C. Référentiel Institutionnel.

D. Contextuel.

Résumé


L
'objectif sociologique visé ici aura quatre angles directeurs.

Il s'agira d'étudier tout d'abord pourquoi la sociologie a besoin d'un point de vue général à même d'estimer les conditions permanentes d'émergence de toute action humaine. Ensuite il faudra observer comment une telle évaluation peut être effectuée sur et par un soi déterminé (individu, institution, entreprise).

Puis il s'agira d'observer en quoi les structures institutionnelles et collectives qui assistent la structuration de l'action s'avèrent être en réalité des preuves exprimant l'existence effective d'une telle évaluation. Enfin il faudra se demander si les évolutions actuelles du contexte social historique, marqué par l'accentuation d'une mondialisation et d'une globalisation multiformes, interfèrent sur les conditions permanentes d'estimation du soi (individu, entreprise, institution) sur le plan sociologique. C'est-à-dire du point de vue d'une évaluation du sens de son action (1) dans le monde ici et maintenant.

Cette recherche, de type généraliste (2), n'entamera cependant pas une telle réflexion au hasard.
Elle s'appuiera nécessairement sur des conclusions préalables dont il s'agira de démontrer cependant le cheminement mais que l'on peut d'ors et déjà présenter.

( Une esquisse de fondement est aussi visible sur ce site...)



A. Constitutif.

L'estimation de l'action humaine se déduit de la notion de développement, elle-même constituée de quatre éléments fonctionnels fondamentaux.

Une évaluation générale des conditions de possibilités de l'action humaine intéresse "la" sociologie. Du moins celle qui se veut anthropologique (3) et donc considère qu'il existe de manière sous-jacente à toutes les actions humaines dans n'importe quel groupe de par le monde et à travers toute l'histoire de l'humanité, une unicité qui la détermine : celle du besoin (4) de développement.
Nous avancerons que ce besoin est composé d'au moins quatre éléments fonctionnels (5) : liberté d'entreprendre et de penser, respect de soi et d'autrui.
Ces éléments forment la structure (6) de tout soi (individu, entreprise, institution) comme le prouve l'Histoire de l'Humanité dans de multiples exemples qui mettent en permanence en jeu ces quatre éléments fonctionnels.

La dynamique d'un tel développement doit être cependant appréhendée globalement (7) car c'est le déploiement d'ensemble de ces quatre éléments en interaction permanente qui fonde le développement et prouve au soi, historiquement situé, la réalité de son existence.
Il n'y a pas en effet de développement sans liberté d'entreprendre qui elle-même est impossible ou diminuée sans liberté de penser. Ces deux libertés prouvent au soi qu'il se respecte et est respecté, respect qu'il ne peut interdire à autrui, sous peine de basculer dans un type négatif de développement que nous verrons dans un instant.

Ainsi avançons pour le moment qu'une telle spécificité anthropologique fait que le soi humain ne reproduit pas uniquement le gène, ou le mécanisme de type Stimulus-Réponse induit par telle habituation, mais résiste, innove, (se) transforme (dans) le monde.
Dans ces conditions c'est le contenu en développement des quatre éléments qui détermine l'évaluation et le classement du résultat de l'action.
Ce qui implique que ce contenu en développement se déduit en étudiant dans l'action et son résultat ce qui renforce ou amoindrit les libertés d'entreprendre et de penser, le respect de soi et d'autrui.
Mais comment observer ce qui renforce et ce qui amoindrit ceux-ci ?
De la manière suivante :
Selon que les éléments fondamentaux universaux de ce contenu, comme les libertés de penser et d'entreprendre, le respect de soi et d'autrui, s'avèrent renforcés ou amoindris, l'expérience historique et aussi scientifique (8) nous montrent que le potentiel de chaque soi est plus ou moins à même de se développer.
Ce qui implique que ce contenu est bel et bien une mesure jaugeant partout la réalité du développement indépendamment de son existence spécifique historiquement située.
Aussi nous savons, et de plus en plus maintenant à l'aube du troisième millénaire de l'ère chrétienne, que toute spécificité ne peut se soustraire à la réalité objective de cet universel du développement.
Ce qui implique alors qu'aucune particularité politique, culturelle, y compris en Chine, en Iran, au Vatican, y compris pour cette jeune fille Turque acculée au suicide parce que sa jupe trop seyante la faisait montrer du doigt et qu'en la portant elle incarnait une forme interdite (9) , ne peut passer outre à cette objectivation d'un tel contenu universel.
C'est d'ailleurs l'effet politique positif de ce que l'on nomme aujourd'hui la mondialisation et qui hier s'appelait le choc des civilisations.
Aussi le problème, lorsqu'il s'agit d'estimer, ne sera pas de lier en causalité le contenu du développement à la forme qu'il acquiert à un moment historique donné, mais de voir en quoi celle-ci favorise ou pas les libertés d'entreprendre et de penser, le respect de soi et d'autrui, d'une part.
D'autre part, s'il s'avère qu'une forme soit meilleure qu'une autre du point de vue de ce contenu, par contre, il n'en reste pas moins que plusieurs formes, bien distinctes pourtant, peuvent posséder un contenu en développement équivalent.
Ce qui implique donc de ne pas juger uniquement une forme à partir d'une autre forme mais seulement à partir de leur contenu en développement.
Observons quelques exemples sur cet aspect de la relation entre contenu de développement et forme car il est sujet à malentendus et à crispations qui interdisent de reconnaître le contenu universel du développement. Alors que ce dernier peut fort bien être exprimé de manière multiforme.

Les actions exprimant les libertés de penser et d'entreprendre et s'effectuant sous des formes multiples se déclinant en attitudes, objets, institutions, peuvent être évaluées en les comparant à d'autres formes, si et seulement si ceci s'effectue à partir de justifications fondant le comparatif sur un contenu objectif en développement.
Ainsi dire que "porter une robe seyante n'est pas convenable en tant que tel" renvoie à un jugement de valeur qui doit se justifier et en tout cas peut fort bien être émis mais ne pourrait être légitime, même s'il en appelait à la loi locale pour durcir son propos, car il n'effectue pas son jugement de manière suffisamment objective.
C'est-à-dire en rapport exclusif avec son contenu en développement qui immédiatement demanderait en quoi le fait de porter une robe seyante renforce ou amoindrit le soi selon les quatre éléments fondamentaux.
Ce qui empiriquement impliquerait ceci :
La liberté de penser et d'entreprendre le port de tel ou tel vêtement seyant peut renforcer un certain respect de soi, en particulier le chatoiement de son image plastique. À l'opposé il n'est pas sûr que porter une robe suggestive lors de funérailles, ou de se balader en petite tenue à une réception officielle, serait susceptible de renforcer l'un des éléments du contenu de développement comme le respect d'autrui.
Voilà pourquoi, (comme nous le verrons plus loin en B) il est nécessaire de préciser d'une part comment tel contenu en développement peut être objectivement déployé, et, d'autre part, comment son estimation peut être faite de telle manière que l'on soit sûr que ce qui est mesuré n'est pas la forme spécifique, historique, de l'action mais ce qu'elle apporte anthropologiquement comme contenu objectif.

S'agissant maintenant d'un autre exemple, il existe à l'évidence plusieurs formes de démocratie politique et leur spécificité à chaque fois est, bien entendu, souveraine. Mais du point de vue du développement, cette souveraineté peut être légitimement remise en cause à partir du moment cependant où les éléments fondamentaux du développement ne sont pas respectés.
D'autres exemples sont également possibles.
Il existe de plus en plus de multiples formes de musiques dont l'une, la musique dite religieuse puis classique, a été, en Occident, à l'origine plutôt celle des élites. Aujourd'hui elle se démocratise massivement du fait même qu'elle a progressivement été jugée non plus à partir d'une ostentation sociale mais d'un contenu en harmonie qui exprime formellement le développement en soi d'un diapason.
Mais si l'on compare "la" musique classique avec "la" musique dite populaire et issue de folklores multiformes, en particulier ceux des esclaves noirs américains et des fermiers irlandais expatriés qui a donné un mélange disparate de rythmes divers dont sont issus la country le blues et le jazz puis la soul et le rock, il est impossible que l'on puisse avancer que "la" musique dite classique est meilleure que celles-là du seul point de vue formel.
Leur opposition en fait n'a pas de sens.
Car expliquer que telle symphonie est "meilleure" que tel air de bossa nova ou de rythmen blues est hors de propos. Ce qui implique que même une classification strictement analogique et descriptive ne peut que les ranger dans des cases distinctes.

Par contre si l'on enrichit cette classification par le point de vue du développement, il est alors possible de les comparer dans ce qu'elles sensibilisent en termes d'émotions et de sentiments. Car c'est dans la manière qu'elles ont d'éveiller les sens du développement que l'on peut les différencier et même les classifier en les observant agir selon divers objectifs d'action.

Nous savons également qu'il peut exister plusieurs formes distinctes d'économie de l'échange. Or, du point de vue anthropologique, il s'agit de les évaluer non pas les unes par rapport aux autres, même si on peut bien sûr les comparer, mais en fonction des quatre éléments du contenu en développement.
Ainsi, pour s'en tenir à l'économie du don, l'échange exprimé par le potlatch s'établit, comme l'a montré Marcel Mauss (10), pour prouver quel clan se trouve en meilleure forme -littéralement, dans la lutte, le jeu, les bijoux, la danse.
Ce qui lui permet d'être le mieux à même de porter les masques ancestraux.
Observons alors que cette manière de faire met bel et bien en forme les quatre éléments constituant le contenu du développement.
Mais opposer la forme du don et du contre don Maori et la forme du capitalisme en stipulant que la première serait meilleure que la seconde parce que ce genre de don permettrait non pas de mesurer la meilleure manière d'être digne des masques ancestraux mais plutôt de réguler la puissance entre les clans alors que le capitalisme ne fait que l'aviver, cette façon d'opposer est absurde. Mais est bien en effet un ethnocentrisme habillé d'universel.
Car le capitalisme connaît lui aussi des formes de régulation comme les crises et les conflits exprimant l'aspiration des sociétés à économie capitaliste à débattre de façon durable sur la manière de mettre en forme les éléments indispensables au développement.
Or c'est précisément à partir d'un tel contenu que le désir de vouloir comparer ces deux formes d'économie de l'échange est par contre possible. Et d'autant plus que c'est de toute façon ce qui se passe au quotidien puisque nous savons que lorsque des formations sociales confrontent leur manière de mettre en forme les libertés d'entreprendre et de penser, le respect de soi et d'autrui, elles peuvent ne pas en sortir indemnes.
C'est d'ailleurs là tout le tragique de la mondialisation depuis Rome et surtout Christophe Colomb.
Car si certaines formations peuvent intégrer le fait que certains soi s'emparent du contenu objectif de développement, inséré cependant dans telle forme importée, d'autres formations n'y arrivent pas, ou le refusent, comme l'extension aux femmes des formes modernes de la liberté de penser et d'entreprendre, du respect de soi et d'autrui.

Mais nous savons aussi qu'il ne suffit pas d'affirmer les éléments constitutifs du développement. Il faut aussi vérifier si la manière d'en mettre en forme le contenu est adéquate aux principes de ces éléments, et ce en observant si elle renforce ou amoindrit le soi considéré.
Comment ? C'est ce qu'il nous faut préciser maintenant.

B.Cognitif.

Les critères d'estimation, au nombre de quatre, sont les indicateurs de développement des quatre éléments le constituant.

Nous avancerons ceci comme principe de toute estimation de l'action du point de vue du développement :
Le contenu d'une action donnée est perceptible objectivement selon qu'il renforce ou amoindrit les quatre éléments fondamentaux permettant le développement soi considéré, au-delà du fait que ceux-ci soient formellement et historiquement situés.
Mais de quelle manière tel choix d'attitudes et d'objets renforce ou amoindrit ? Car ces deux derniers termes sont généraux, or il s'agit aussi d'entrer dans le détail afin de préciser l'estimation de l'action.
Cette précision s'établira de la façon suivante :
Nous dirons qu'une action, un choix, amoindrit ou renforce ces quatre éléments fondamentaux que sont les libertés de penser et d'entreprendre, le respect de soi et d'autrui à partir de sa capacité à les conserver affiner disperser dissoudre.
Pourquoi ces quatre notions et pas d'autres ? Pourquoi quatre ? En quoi se trouvent-elles parties prenantes du développement ?
Avançons tout d'abord qu'elles semblent bien être présentes en permanence dans certaines édifications de l'action.
Par exemple le fait de conserver une continuité, d'en affiner le possible, d'en disperser les éléments sous plusieurs formes, d'en dissoudre certains.
Certains soi peuvent même privilégier comme attitude générale systématique ce à quoi renvoie chacun de ces quatre indicateurs de développement.
Ainsi tel soi sera plutôt conservateur ici, dissolu là. Bien sûr il faudrait en préciser l'orientation car être conservateur en vue de renforcer le développement ne veut pas dire la même chose lorsqu'il s'agit de l'amenuiser. Comme par exemple se fermer à autrui (individu), fabriquer dans n'importe quelle condition (entreprise), encadrer de manière totalitaire (institution) être donc en conservation négative, qui, à terme, fragilise le soi agissant ainsi.
Observons alors que ces notions, qui existent donc déjà communément comme types d'attitudes dans le développement de l'action, peuvent être également des espèces de points de passages obligés lorsque l'on s'aperçoit que la probabilité de leur présence se vérifie à chaque fois qu'il faille agir.
Ces points de passage obligé ou points nodaux peuvent être alors estimés interagissant entre eux ou agissant de façon autonome.
Ainsi par exemple lorsqu'il s'agit de (se) renforcer, le soi donné (individu, entreprise, institution), conserve une continuité dans l'action tout en restant ouvert car l'action a besoin d'un effort pérenne et réceptif aux changements.
Le soi considéré peut également :
- Affiner la réalisation s'il veut avoir un bon résultat.
- Disperser ses efforts afin de bien avoir prise sur la chose et de varier la tension par des plages de détente et d'activités différentes (11) .
- Dissoudre les éléments non indispensables ou qui font obstacle, et faire donc des choix discriminants.

Si l'on prend maintenant l'amenuisement, qu'il soit directement volontaire, agrégatif, accidentel, il s'estimera dans le contraire suivant, antinomique au renforcement et donc conflictuel :
- Affaiblissement de la continuité donc de la conservation, ce qui peut impliquer de déformer drastiquement les quatre éléments fondamentaux et déboucher sur une conservation négative orientant par exemple les libertés d'entreprendre et de penser vers le non respect de soi et d'autrui.
-Limitation des possibilités de la dynamique globale à mobiliser de l'énergie pour affiner l'action. Ce qui peut impliquer une déperdition de toute l'énergie dans une dispersion et une dissolution négative. Ce qui a comme conséquence de la diriger uniquement vers un affinement négatif puisque se disperser et se dissoudre négativement signifient dissiper en permanence les libertés de penser et d'entreprendre, le respect de soi et d'autrui, dans des actions précisément non développantes. Comme par exemple des pratiques de vie et d'activité qui privilégient plutôt une croissance négative basée sur la négation non pas critique mais destructrice, telles des promesses (politiques, sentimentales) non tenues, des dettes à répétition, des investissements non respectueux du respect de soi et d'autrui.

En résumé, conserver affiner disperser dissiper dans le sens du renforcement (positif) ou de l'amenuisement (négatif) sont dans un premier temps d'ors et déjà repérables comme types de développement condensant des attitudes données.
Mais ils sont aussi repérables comme points nodaux, points de passage obligés pour l'érection de l'action.
Ce sont alors des indicateurs cognitifs de développement qu'il est possible d'estimer -et c'est justement tout l'enjeu ici, au sein de tel et tel résultat de l'action en observant si leur contenu agit ou non comme renforcement ou désintégration des quatre éléments (libertés de penser et d'entreprendre, respect de soi et d'autrui) permettant le développement du soi considéré.

Nous allons voir maintenant qu'il en est de même pour les structures institutionnelles ou collectives encadrant toute structuration de l'action en vue du développement. Elles se verront en effet estimées et classées selon que leurs jugements renforcent ou amoindrissent le soi considéré lorsqu'il développe les quatre éléments fondamentaux.


C. Référentiel Institutionnel.

Les structures institutionnelles et collectives de l'action sont les preuves sociologiques de l'existence des quatre éléments du développement et des quatre critères d'estimation.

La preuve sociologique de l'existence de ces quatre critères agissant comme indicateurs cognitifs du renforcement ou de l'amenuisement des quatre éléments constituant le développement s'observe dans l'existence de structures institutionnelles et collectives.

En effet, celles-ci, par le biais de cadres et de groupes de références historiquement situés comme institutions et structures d'action, se chargent de mettre en forme, pour le meilleur ou pour le pire, dans l'affirmation ou la destruction, ces indicateurs d'estimation des fonctions de développement.
Pourquoi ?
Revenons à l'action.
L'action, humaine, se distingue du réflexe et du mécanisme et existe pour réaliser les quatre éléments du développement.
Et afin de s'affirmer dans le sens par exemple du renforcement, l'action a besoin, répétons le, de se conserver, car l'action a besoin d'un effort pérenne, de s'affiner afin d'atteindre le meilleur résultat, de disperser les efforts (de varier la tension), de dissoudre ce qui n'est pas nécessaire pour faire des choix discriminants.

Il faut ajouter maintenant que l'action, en tant que telle, a besoin pour exister de trois éléments spécifiques communément admis et étudiés de manière séculaire dans des structures institutionnelles et collectives.
Il s'agit des éléments, but/fin, moyen/intermédiaire, limitation/justification.
Car l'action, humaine, distincte du réflexe et du mécanisme, pose en permanence des buts, des finalités, utilise des moyens, mobilise des intermédiaires, se réfère à des expériences, justifie le passage à l'acte.

Ainsi pour commencer par l'élément but/finalité celui-ci définit un objet qui va mobiliser toute l'attention du développement. Selon l'objet, cette attention se doit d'être conservée, voire affinée, tandis que tout ce qui pourrait la dissiper serait dispersé et même dissous. Ce qui implique que cette insistance à se maintenir en direction du but va déployer le développement sous un angle final, dernier, tant que le but n'est pas atteint. Nous emprunterons le terme "eschatologie" afin de forger la notion de limite eschatologique qui exprime ce mouvement de mise en priorité absolue de tel but posée comme fin.
Certes les termes de "fin" et d'"eschatologie" peuvent sembler un peu trop amples pour viser n'importe quel but. Il n'empêche qu'il peut exister certains buts dont l'importance à être réalisés déclenche un mouvement engageant, motivant, tout le soi. Ils ont donc une dimension eschatologique car ils vont se poser comme finalité incontournable, chose nécessaire à faire, même s'il ne s'agit pas de choses sacrées au sens religieux comme le terme même peut le laisser croire. Mais nous l'employons parce que précisément cela veut aussi dire qu'il existe dans certaines recherches une dimension quasi "sacrale". C'est-à-dire s'imposant comme un impératif catégorique qui dépasse la notion de nécessité conditionnelle pour atteindre celle d'obligation impérieuse.
Par exemple le fait de tenir une promesse. Même minime. Or elle revêt une dimension finale car elle exige de tout interrompre pour la réaliser.

Dans ces conditions il est alors aisé d'observer que l'existence d'une telle exigence va trouver les moyens de sa réalisation et sa légitimité dans tel cadre de référence, au sein de tel groupe de référence, sous le regard de telle institution historiquement située.
Et lorsque l'on entre dans le détail, le soi considéré va alors chercher comme référence et légitimation, au sein d'un groupe et/ou d'une institution, ce qui lui permettra de renforcer ou d'amenuiser l'action déclenchée. C'est-à-dire de conserver affiner disperser dissoudre dans un sens positif ou négatif.

Il en est de même pour les deux autres éléments de l'action.

Ainsi si un but pour se réaliser a besoin de certitude, de motivation dernière, il aussi besoin de moyens, techniques, tactiques, stratégiques, spécifiques à son objet.
Nous nommerons cette dimension la limite téléologique afin de souligner une corrélation étroite entre un but et ses moyens de réalisation. Et identiquement à la limite eschatologique, la limite téléologique va chercher ses cadres de références et ses justifications dans les groupes et les institutions adéquats à son projet historiquement situé.

Enfin, si un soi a donc besoin de sacraliser sa motivation (eschatologie) et de trouver les moyens adéquats (téléologie), il doit aussi réaliser le but dans une forme conforme précisément à ce qu'il attend et à ce qu'il croit être. C'est la problématique du style, de la manière d'être présent au monde.
Nous nommerons ce geste mettant en accord le soi et le monde la limite entéléchique. Dans ces conditions le soi va également chercher dans les groupes et les institutions ce qui va l'aider à (se) mettre en forme.

L'estimation de l'action va alors observer et classer les groupes et les institutions choisis par le soi pour assister son développement, et ce selon qu'ils renforcent ou amenuisent, la conservation l'affinement la dispersion la dissolution des libertés d'entreprendre et de penser, le respect de soi et d'autrui.

Bien entendu, ce processus d'estimation va toujours interagir avec un contexte socioculturel historiquement situé.
C'est ce qu'il nous faut voir en dernier lieu maintenant.



D. Contextuel.

Le contexte social historique n'est pas un obstacle à une estimation pérenne

Le contexte social historique n'est en effet pas un obstacle à l'estimation du processus décrit plus haut si et seulement si néanmoins on prend toujours en compte, dans la spécificité du contexte donné, d'une part le fait que les formes émergentes doivent être d'abord jugées par rapport à leur contenu en développement et non en les comparant seulement à d'autres formes déjà là.
D'autre part il s'agit d'observer en quoi les rétroactions de certains des éléments spécifiques au contexte social historique influent sur le contenu permanent du développement. Afin d'estimer s'ils renforcent ou en amenuisent les quatre éléments fonctionnels constitutifs.
Ainsi par exemple l'impact de la technique, de la mondialisation, de la globalisation, de l'urbain, se caractérisant par la multiplicité des attitudes et des objets à disposition et la multiplicité des structures institutionnelles et collectives qui les justifient ou les critiquent, ne peut pas ne pas influer non seulement sur la forme contextuelle du développement mais aussi sur la structure de ses éléments constitutifs permanents.
Dans ces conditions il s'agit de prendre un par un ces éléments contextuels et d'observer en quoi leur interaction avec les quatre éléments constitutifs du développement renforce ou amenuise celui-ci.
Par exemple en estimant précisément comment les trois limites nécessaires à l'action se conservent s'affinent se dispersent et se dissolvent dans un sens positif ou négatif.
Ainsi si l'on prend l'image mobile de plus en plus présente il faut observer en quoi déjà son existence comme médium peut orienter, mais aussi renforcer ou amoindrir ne serait-ce que le déclenchement du désir d'action.
Puis en quoi la présentation de cadres de références et de groupes par le biais du médium intervient dans l'organisation même des trois limites constituant l'action.
Enfin en quoi cette intervention conserve affine disperse dissout les libertés d'entreprendre et de penser, le respect de soi et d'autrui.
L'estimation de l'action de tel soi consistera alors à définir en quoi telle interaction avec le médium, qu'il s'agisse de sa présence seule, ou de ce qu'il véhicule, renforce ou amoindrit les trois limites de l'action en observant comment il conserve affine disperse et dissout le développement des quatre éléments constitutifs.
Cette méthode d'estimation testant ainsi le déploiement contextuel du contenu en développement devra s'effectuer pour chaque interaction engageant chaque soi. C'est ainsi que l'on pourra observer le plus objectivement qui soit en quoi et comment le contexte social historique renforce ou amenuise.

Partons de la mondialisation actuelle. On en comprendrait sans doute mieux les pourtours s'il était par exemple admis que les migrations s'effectuent précisément parce que certaines formations sociales, mais aussi certaines structures symboliques institutionnalisées ou seulement civiles, deviennent attractives parce qu'elles apparaissent comme étant des formes à même de renforcer le contenu du développement.
Ainsi il existe une corrélation forte entre développement du soi, le développement de l'action, et la recherche de la meilleure forme, formation, sociale, politique, locale, nationale, internationale.
D'ailleurs au vu de ce qui se passe aujourd'hui au niveau mondial pour trouver les meilleures régulations et institutions, cet effort de mise en forme en vue d'un développement durable est bien l'une des preuves de ce besoin d'approfondir objectivement les conditions d'élaboration de l'action.

Voilà pourquoi il semble bien qu'une méthode d'estimation capable d'en analyser objectivement les linéaments et d'aider à la décision est nécessaire. Surtout si elle est saisissable en tant que telle. C'est-à-dire se déployant comme technique applicable à toute action au delà des spécificités formelles historiquement situées. Car ce qui est en jeu c'est précisément le développement même du soi, c'est sa vie, sa vitalité (12) capable de (se) mettre en forme et dont il cherche toujours l'estimation objective, même s'il choisit le pire au meilleur, même s'il n'est pas d'accord, puisque son action nécessairement trouvera sa limite de développement et donc sa classification objective.
C'est tout le propos de cette méthode d'estimation proposée ici.


Notes :

1. Max Weber. 1922. Économie et société, les catégories de la sociologie, les concepts fondamentaux de la sociologie. Ed Agora Plon, tome 1, chapitre premier, paragraphe 5, p 28.

2. Robert K. Merton : “ La théorie sociologique doit progresser corrélativement sur les plans suivants : théories particulières portant sur des séries limitées de données, et élaboration d’un schéma conceptuel plus général pour consolider des ensembles théoriques particuliers. “ 1953. Social Theory and Social Structure, traduction Mendras, dans Eléments de théorie et de méthode sociologique. Ed Colin, p 15.

3. Dans le sens que lui a donné E.E. Evans-Pritchard : "l'étude de l'homme dans son ensemble ". (1950. Ed 1969, Anthropologie sociale. P.B. Payot, p 9).

4.Joseph Nuttin, psychologue de "l'auto-développement" et dont le psychologue de la conduite Maurice Reuchlin se sent proche (1990 pp 10-11) observe ceci à propos du besoin : " Au lieu de dériver d’un stimulus externe, ou d’un déficit, le besoin est inhérent au fonctionnement sur la base de la complémentarité qui caractérise les pôles de l’unité fonctionnelle Individu-Environnement (I-E). Les relations interactionnelles qui constituent le fonctionnement de l’individu ne sont pas de simples données de fait ; ce sont des “ exigences “ fonctionnelles. Ainsi le besoin se définit comme une relation “ requise “ entre l’individu et le monde, ou plus précisément le besoin est cette relation en tant que requise pour le fonctionnement ( optimal ) de l’individu. (...). (1980, théorie de la motivation humaine, seconde édition 1984, 3ème ed PUF 1991, p 105).

5. Émile Durkheim : " Le mot de fonction est employé de deux manières assez différentes. Tantôt il désigne un système de mouvements vitaux, abstraction faite de leurs conséquences, tantôt il exprime le rapport de correspondance qui existe entre ces mouvements et quelque besoin de l'organisme. (…). C'est dans cette seconde acception que nous entendons le mot. (…) " ( 1893, De la division du travail social, 10ème edition,1978, PUF, p 11). Chez Robert K.Merton, le terme est étudié longuement. Nous retiendrons deux énoncés : " Les fonctions sont, parmi les conséquences observées, celles qui contribuent à l'adaptation ou à l'ajustement d'un système donné et les dysfonctions, celles qui gênent l'adaptation ou l'ajustement du système " (…). "Toute analyse fonctionnelle entraîne une certaine conception, tacite ou exprimée, des exigences fonctionnelles du système observé." ( 1953, Eléments de théorie et de méthode sociologique, 1997, Armand Colin, p 98 § 3 et p 99 § 5).

6. La notion de structure signifie ici coordination de fonctions. Selon le soi considéré, celui-ci affiche son action par des traits singuliers, la coordination étant toujours cependant placée sous l'horizon de l'estimation. Voir Durkheim sur ce point précis lorsqu'il étudie la notion de "coordination " dans Formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie. Objet de la recherche. Ed Puf, 1985, colle Quadrige, pp 14-15.

7. Cette notion de globalité associée à celle de "dynamique" vient de Jean Piaget qui en prise avec la notion de "totalité" remarque ceci : "( ...) si la totalité varie moins que ses éléments et que ceux-ci sont entraînés en un flux continuel, il s’en déduit que cette totalité est le siège d’une "dynamique globale" en tant que pouvoir d’intégration et de direction." 1976, le comportement, moteur de l’évolution. Ed idées/gallimard, p88). C'est ce pouvoir d'intégration et de direction qui nous intéressera ici .

8. Les travaux et les expériences des psychologues Paul Fraisse (1966, ed 1979,pp89-90), Joseph Nuttin (1980, ed 1991, pp157-161) et Maurice Reuchlin (1990, pp 10-11)montrent tous que la motivation ou la conation détient une dimension spécifique, le plaisir d'être cause, qui ne se réduit ni à la biologie ni à la contextualité sociale.

9. International Herald Tribune, 4-5 Novembre 2000, p 2.

10. Marcel Mauss, Essai sur le don. Sociologie et anthropologie. Ed quadrige, pp 204-212.

11. D'où l'importance du jeu bien mis en évidence par Roger Caillois.

12. Joseph Nuttin, cité plus haut (note 4), dit également à propos du vitalisme : "(…) Note 1 : Le caractère inhérent du dynamisme au fonctionnement de l’être vivant n’implique pas que l’intensité d’une motivation soit fonction de la “ vitalité” biologique de l’individu. On constate que des personnes biologiquement affaiblies peuvent faire preuve d’un comportement fortement motivé. Les caractéristiques du fonctionnement physiologique ne se transposent pas, point par point, dans le domaine de l’activité psychologique. Chaque forme de fonctionnement suit sa propre courbe de développement et dépend de déterminants plus ou moins spécifiques. C’est ainsi que la détermination à affirmer et maintenir son identité idéologique peut rester intacte chez une personnalité physiologiquement affaiblie, de même que le fonctionnement intellectuel ne diminue pas nécessairement en fonction d’une détérioration physique (...)". ibid., p 107.

LSO