Pt Descartes/1

A quoi sert le doute ? A définir la pensée? Mais pourquoi y distinguer une âme? Est-ce que parce que l'âme en tant que certitude s'opposerait au corps trop lié aux erreurs sensibles, comme les défauts de perspective nous le montre?

Pour répondre à ces questions, ou, du moins le tenter, nous partirons, dans cette première fiche, d'extraits des Principes 7,8, 9 et 11 de l'oeuvre de Descartes intitulée précisément " Principes" (Paris, Vrin, 1971, pp. 26 et 27).

Nous interviendrons parfois pour les commenter, au sein même du texte, dans des parenthèses:

Principe 7 : (titre): " Que nous ne saurions douter sans être, et que cela est la première connaissance certaine qu'on peut acquérir.

(texte):" Pendant que nous rejettons en cette sorte tout ce dont nous pouvons douter(...)nous supposons facilement qu'il n'y a point de Dieu, ni de ciel, ni de terre..., et que nous n'avons point de corps; mais nous ne saurons supposer de même, que nous ne sommes point, pendant que nous doutons de la vérité de toutes ces choses:

(observez que Descartes exclut du doute le fait de ne pas exister lorsque nous doutons, ce qui suppose que douter et donc penser que l'on doute, prouve que l'on est)

car nous avons tant de répugnance à concevoir que ce qui pense n'est pas véritablement en même temps qu'il pense, que, nonobstant toutes les plus extravagantes suppositions, nous ne saurions nous empêcher de croire que cette conclusion: JE PENSE, DONC JE SUIS, ne soit vraie, et par conséquent la première et la plus certaine, qui se présente à celui qui conduit les pensées par ordre."

Passons maintenant au Principe 8 : (titre): "Qu'on connaît aussi ensuite la distinction entre l'âme et le corps"
(Texte): " Il me semble aussi que ce biais est tout le meilleur que nous puissions choisir pour connaître la nature de l'âme, et qu'elle est une substance entièrement distincte du corps :

(
Observez que lorsque Descartes s'emploie à s'appuyer sur l'existence certaine de la pensée pour "connaître la nature de l'âme", il utilise le terme "distincte" et non pas "opposée", ce qui implique, semble-t-il, qu'il établit une différenciation entre l'âme et le corps sans que l'on puisse dire qu'elle soit exclusive l'une de l'autre, nous le verrons d'ailleurs encore mieux dans le principe 9)

car, examinant ce que nous sommes, nous qui pensons maintenant qu'il n'y a rien hors de notre pensée qui soit véritablement ou qui existe, nous connaissons manifestement que, pour notre être, nous n'avons pas besoin d'extension, de figure, d'être en aucun lieu,n'y d'aucune autre telle chose qu'on peut attribuer au corps,

(
Soulignons que les notions d'extension, de figure, de présence spatiale, sont des attributs du corps, dont "notre être" c'est-à-dire la "pensée" n'a pas "besoin", pour "connaître la nature de l'âme.")

et que nous sommes par cela seul que nous pensons; et par conséquent, que la notion que nous avons de notre âme ou de notre pensée précède celle que nous avons du corps,

(
Ici deux choses: d'une part Descartes emploie la conjonction "ou" entre "notre âme" et " de notre pensée" comme s'il établissait une équivalence entre "âme" et "pensée"; d'autre part Descartes ne parle plus de "distinction" mais emploie le terme "précède" lorsqu'il compare la notion que "nous avons de notre âme ou de notre pensée" et "celle que nous avons du corps".

Notez cependant qu'il ne dit pas que l'âme ou la pensée précède le corps mais bien que "la notion que nous avons de notre âme ou de notre pensée précède celle que nous avons du corp", Descartes parle de "notion", c'est celle-là, cette "notion " que nous aurions " de notre âme ou de notre pensée" qui précéderait la notion "que nous avons du corps", le tout étant de définir ce qu'est cette "notion"...)

et qu'elle est plus certaine, vu que nous doutons encore qu'il y ait au monde aucun corps, et que nous savons certainement que nous pensons."

Ainsi la "notion " que nous avons de la pensée ou de l'âme précède celle que nous avons du corps car étant donné qu'elle ne peut être mise en doute au moment du doute puisqu'il faut bien s'apercevoir que l'on doute et exister pour cela, elle en est que plus "certaine".

Il serait néanmoins possible d'objecter qu'il s'agit d' un cercle vicieux, une tautologie, puisque Descartes veut démontrer que puisque nous doutons de tout, le corps ne peut exister ce qui semble aller de soi.
Seulement le doute ne vise pas pour Descartes à douter de l'existence du corps, mais de trouver ce qui permettrait d'être certain de quelque chose au moment où, pourtant, nous doutons de tout. Douter du corps n'est qu'un moyen pour y arriver, non un but.

Le doute vise donc seulement à montrer que le fait même de douter ne peut pas être mis en doute, autrement ce ne serait plus du doute. Ce qui, ce faisant, confirme que la chose la plus certaine désignerait la faculté qui permet d'observer que l'on doute, c'est-à-dire cette "notion" que "nous avons de l'âme ou de notre pensée".

Passons au Principe 9 : (titre): " Ce qu'est que penser".
(texte): " Par le mot penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes...; c'est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser.

(
Notons que Descartes intègre le terme "sentir" au fait de "penser" . Qu'est-ce à dire ? nous le verrons en N°2).