Pt Keynes/1

Nous partirons de l'extrait d'un guide intitulé " La pensée économique moderne" (Snowdon, Vane, Wynarozyk, Paris, Ediscience international, 1997) :

" C'est en analysant comment les objectifs de politique économique sont interdépendants et comment les différents économistes conçoivent le rôle et l'efficacité des marchés dans la coordination de l'activité économique que l'on découvre que la question fondamentale qui sous-tend leurs désaccords concernant les problèmes de politique économique porte sur la nature du rôle joué par le gouvernement dans l'économie.

L'importance et les modalités de l'intervention de l'État dans l'économie faisaient déjà partie des préoccupations majeures d'Adam Smith (1776) dans la Richesse des Nations et de même, Keynes justifie longuement son rejet du laissez-faire débridé.
En 1934, il fit une conférence radiophonique intitulée : «Pauvreté et abondance : le système économique s'ajuste-t-il tout seul ? », dans laquelle il établit une distinction entre ces deux factions opposées d'économistes :

"
D'un côté il y a ceux qui croient qu'à long terme, le système économique s'ajuste tout seul, non sans grincements, gémissements et saccades, ni sans être interrompu par des contretemps, des interférences extérieures et des erreurs...

De l'autre, il y a ceux qui rejettent l'idée que le système économique puisse sérieusement s'ajuster tout seul. L'école de rajustement automatique doit son influence au soutien qu'elle a reçu de la quasi-totalité du corps constitué de la pensée économique au cours des cent dernières années...

Ainsi, si les hérétiques de l'autre côté du golfe veulent démolir les forces de l'orthodoxie du dix-neuvième siècle... ils doivent les attaquer dans leur citadelle... En ce qui me concerne, je suis du côté des hérétiques". (Keynes, 1973, Vol. XIII, pp. 485-92).

En dépit du développement de techniques plus sophistiquées et quantitativement puissantes durant la deuxième moitié de ce siècle, ces deux conceptions fondamentales, identifiées par Keynes, demeurent. Les commentaires introductifs de Stanley Fischer dans une synthèse récente des développements de la macroéconomie en témoignent :

«
Une première optique, l'école de pensée se réclamant de Keynes - keynésiens et néo-keynésiens- considère que l'économie privée est sujette à des défaillances de coordination qui peuvent engendrer des niveaux de chômage excessifs et des fluctuations exagérées de l'activité réelle.

L'autre optique, attribuée aux économistes classiques, et revendiquée tant par les monétaristes que par les théoriciens du cycle économique réel, est que l'économie privée atteint le meilleur des équilibres possibles, étant donné la politique mise en œuvre par le gouvernement (Fischer, 1988, p. 294). »

Il est clair que les débats modernes ressemblent étrangement à ceux qui se déroulaient dans les années 1930 entre Keynes et ses adversaires, un exemple très net de «retour vers le futur ».

Commentaire N°1 :

Observons tout d'abord que si, d'un côté, le "laisser faire" n'est pas évident et en fait existe rarement puisque des lois viennent toujours encadrer le marché, sauf en cas de triche comme avec Enron, il s'avère de l'autre côté que l'idée d'un "ajustement" qui serait suscité par l'Etat n'est pas non plus évidente.

Pourquoi ?

Supposons que l'Etat introduise des données externes au cycle de production, comme des aides, des subventions, des soutiens, cela fait du bien un moment, mais comme il ne s'agit pas d'une production se développant à partir d'un marché réel, l'arrêt, à terme, de la manne entraînera un affaissement de la production faute de débouchés.

L'Etat aura donc envoyé de fausses informations qui peuvent soulager pendant un temps puisqu'elles donnent l'illusion d'un redémarrage alors que celui-ci repose en majorité sur une injection massive de capitaux issus de l'impôt. Or celui-là serait bien plus utile s'il était investi dans l'aménagement du territoire, la formation, la justice.

L'actuelle stagnation japonaise montre bien que malgré une politique massive de déficits publics pour soutenir la croissance, celle-là ne démarre pas s'il n'y a pas un marché global suffisamment porteur.

En fait l'idée dépassant les problématiques du laisser faire et de l'interventionnisme serait celle de la régulation. Pour l'instant une seule sorte de régulations existe. Celle qui oeuvre exclusivement par la manipulation des taux d'intérêts comme le fait la FED américaine et la BCE européenne. Mais elle semble insuffisante pour sortir de la stagnation.

Une autre régulation serait envisageable.
Elle consisterait à admettre l'idée d'une coordination de politiques économiques du point de vue de l'aménagement du bien commun. Ce serait en gros l'idée, ancienne, du "Plan" à la française qui tracerait une perspective d'ensemble, tout en en discutant avec tous les acteurs, enincitant à des expérimentations, sans pour autant aller plus loin s'il n'y a pas l'amorce d'un marché réel.

Autrement dit, autant l'idée de susciter par exemple une installation ADSL gratuite chez les particuliers en permettant des dégrèvements de charge, pourrait s'inscrire dans les cordes de l'Etat -puisque ce faisant il inciterait à une accélération et un élargissement des échanges et des transactions sur Internet, autant néanmoins le fait que l'Etat intervienne directement en voulant créer un marché de toutes pièces comme il a tenté de le faire en vendant aux enchères les licences UMTS, pourrait fausser la donne. Pourquoi?
Parce qu'il s'agit moins de créer que d'accompagner puisque l'Etat ne peut pas agir comme une entreprise et qu' il a d'autres obligations.

Nous verrons tout cela.

Concluons provisoirement d'une part sur le fait qu' il s'avère préférable pour l'Etat, et donc la collectivité, que les entreprises marchent du mieux qui soit et lui apportent ainsi de l'impôt, plutôt que le contraire.

Admettons en effet qu'elles appartiennent à l'Etat. Il n'est pas sûr que les entreprises ne
se diraient pas à un moment donné qu'elles ont de toute façon l'Etat derrière elles. Ce qui pourrait les inciter à moins investir, par exemple dans la recherche, et donc à se contenter des marchés captifs que sont les marchés publics, ce qui les inciterait à demander des aides, des subventions, des soutiens...Tout un cercle vicieux qui va introduire dans les circuits de la stimulation artificielle.

Il suffit de comparer le rôle de l'Etat à Air France, à la SNCF, et à France Télécom pour comprendre en quoi une alliance privé/public peut être préférable à une gestion prioritairement étatique.

Concluons provisoirement sur Keynes d'autre part en suggérant que sa conception sur l'intervention de l'Etat est peut être plus complexe qu'une politique de relance de la demande.

Nous verrons pourquoi.