Le terme " libéralisme " affublé ces temps-ci de " néo " complémentaire à " ultra " pour désigner, en plus de son côté "sauvage", son aspect "global" cest-à-dire coordonné, centralisé, à léchelle mondiale, semble avoir remplacé le terme " capitalisme " dans la vindicte et la diatribe. Certains, à lextrême gauche, se réclament toujours de"lanticapitalisme", mais la formule "antilibérale " a plus le vent en poupe. Et, au PC, au PS, chez les Verts, à la LCR, daucuns aimeraient se regrouper et sintituler " Gauche anti-libérale ".
Pourquoi ? Parce que le capitalisme, cest-à-dire lappropriation privée des moyens de production selon le vocabulaire marxiste, apparaît de nos jours plutôt comme la conséquence dune philosophie politique qui déborde la seule idée de propriété ", celle du " laisser faire, laisser passer " traduit par ses opposants en " laisser entrer le renard libre dans le poulailler libre ".
Or, pour ses détracteurs daujourdhui, cette façon de penser est à la base de lesprit de compétition, du désir den avoir, den vouloir, toujours plus. Avec comme conséquences " la création des inégalités et de leur accroissement ", "lexploitation de lhomme par lhomme ", la "destruction de la planète", "la faim dans le monde". Ce qui engendre et entretient " le conflit " entre les hommes. Les exemples sont légion, Enron, Elf, Air Lib pour les derniers en date.
Conclusion : il sagit non seulement de détruire le capitalisme, mais son esprit, donc le libéralisme. Cette destruction " radicale " aura comme résultat, déliminer progressivement ces divers maux dont le conflit, de créer une société sans inégalité, sans esprit de convoitise, ce qui ne veut pas dire quil ny aura jamais de problèmes parce que lhomme a acquis des habitudes difficiles à supprimer, et que ses "pulsions " sont aussi issues de son vécu affectif. Il faudra lui apprendre à consommer moins, à devenir "frugal ", sil veut "préserver ", "sauver " la planète et arrêter le "pillage " du tiers-monde.
Tout ce vocabulaire, issu directement des années 60, reliftant celui du 19ème siècle, et que lon croyait sinon éteint du moins remis en cause avec la chute du mur de Berlin en 1989 est réapparu avec plus de vigueur en France après les affaires du Crédit Lyonnais, du sang contaminé, de la vache folle, et, dans le monde, avec cette impression de plus en plus tenace que le Nord "exploite" le Sud, veut lui imposer une façon de vivre, en lui confisquant déjà ses matières premières, jusquaux graines remplacées par des OGM.
Face à un tel catalogue dont la cause serait uniquement liée au libéralisme et à son influence, le contester vous range immédiatement du côté des "dominants", et vouloir seulement lamender fera de vous un "réformiste" qui veut continuer à vivre aux dépens dautrui en y mettant les formes avec quelques miettes saupoudrées ici et là.
Les tenants dun tel discours oublient pourtant de préciser que leur diagnostic et leurs solutions vont à lopposé de ce quil serait réellement nécessaire pour atteindre le but affiché : celui de lémancipation du genre humain. Car cest delle dont il sagit au fond du fond (Marx ajoutait : ce sera luvre des travailleurs eux-mêmes). Cest-à-dire le fait que les hommes subissent de moins en moins les contraintes de causes naturelles ou dinégalités dues à la naissance.
Les libéraux partagent complètement cet objectif. Et cest précisément celui-là qui nous permet daffirmer que la majorité des " anti-libéraux qui se réclame certes de cette émancipation", -(à la différence de la minorité dite "radicale ", celle qui casse à chaque fois, parce quelle pense que toute émancipation est illusoire et préfère plutôt combattre "lordre " en général, ce quon appelait autrefois le " système ", puis la "machine " et maintenant la "matrice ", en référence au film Matrix
)-, elle avance cependant des analyses erronées et de fausses solutions en montrant du doigt le libéralisme comme cause de tous les maux sur Terre.
Prenons par exemple lidée de " lexploitation de lhomme par lhomme ".
Il nest pas vrai que le libéralisme, le capitalisme, en soient lorigine.
Comme lécrivait Max Weber (cf., voir plus haut) cela existait bien avant, y compris à lépoque de la propriété collective des tribus, lorsque durant une guerre les vaincus étaient réduits à létat desclaves. Et sans remonter à lexploitation des pucerons par les fourmis, voire des lionnes par leurs mâles, ce genre de situation relève plutôt de la domination du plus fort. Autrement dit, selon le rapport de forces, vous aurez des situations où cela prévaut, plus ou moins. Lhomme est un loup pour lhomme disait Hobbes. Et là où il y a du pouvoir, il faut toujours du contre-pouvoir formulait Montesquieu.
Ce qui signifie que la volonté de puissance débridée existe partout, elle nest pas le fait de telle ou telle société. Des savants ont montré (Mauss, Baechler) que même dans les sociétés dites premières, le conflit est permanent. Et dans les sociétés Maori, au large de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi chez les amérindiens, les tribus organisaient de grandes fêtes pour se défier sur la durée des festivités, la qualité des mets, des danses, des bijoux, des joutes guerrières.
Le fait donc que dans telle entreprise, les salariés aient le sentiment dêtre " exploités " (la fameuse " plus-value " ou " surtravail " de Marx) ne veut pas dire que cest le cas partout mais seulement là où les relations sociales sont conflictuelles, le patron sans scrupule, ou criblé de dettes, poussé par les créanciers. Comment comprendre sinon les hauts revenus de certains salariés, (créatifs, chefs de projets, chefs de vente), ils ne sont pas PDG (dAir Lib ou de Vivendi). Cest bien en fonction de leur contribution à la production des richesses que leur rémunération est calculée. Si le surtravail était une constante, si le patron doublait la journée de travail sans payer ou en accroissant la productivité sans contrepartie, ce qui existe, les plus compétents iraient vendre leur savoir-faire ailleurs. (Cest dailleurs là tout le dilemme et la nécessité de la formation).
Mais est-ce que le libéralisme, en tant quéperon si lon veut, accentue ce phénomène ?
Non, puisque lappât du gain, le rapport de forces lui préexistent. Le libéralisme (nous en parlerons historiquement dans le second article) naiguise pas nécessairement cela, autrement dit le capitalisme met plutôt en forme historiquement lappétit de pouvoir qui par exemple sous le féodalisme se décline en luttes sourdes pour semparer dofficines et de marchés octroyés par lEtat, tout en laissant le réglage des détails au Tiers-Etat.
En fait, et ce sera la conclusion de ce premier volet, pour bien comprendre la diatribe anti-libérale, soulignons quil sagit dune coalition de réactions nayant pas toutes la même origine.
Certaines dentre-elles, comme il a été dit plus haut, vont croire, par naïveté que linégalité entre les hommes vient de la propriété comme le disait Rousseau, voire du désir de plaire ajoutait-il. Sauf quelle nest pas seulement issue de là mais, aussi, de ce que lon pourrait appeler la violence dêtre au sens shakespearien, cest-à-dire le fait de vouloir jusquau bout de sa nature, de repousser ses limites par appétit de vivre, sensation dexister par le renouvellement des émotions fortes etc.
Dautres réactions vont combattre en fait la société moderne, cest-à-dire cette capacité, depuis la naissance de la Ville, de choisir ses liens internes et externes dappartenance, en un mot saffranchir des tutelles, se sentir précisément libre, ce que refusent tous ceux qui veulent perpétuer les obligations les charges qui tissent le quotidien des relations féodales et tribales. Cest le cas de lintégrisme religieux, pendant de lintégrisme politique fasciste ou communiste qui prétendent tous nous faire sortir de la modernité pour revivre un supposé Age dOr
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Mais est-ce que le fait de sentir libre et parfois jusquau vertige ne renforce pas plutôt lémiettement des relations humaines ? Autrement dit, si aucune autre obligation que la contrainte de la loi ne vient limiter le désir individuel, où celui-ci sarrête-t-il et nest-ce pas, là, le reproche le plus subtil que lon puisse opposer au libéralisme ? Nous verrons, la prochaine fois, que cette question est au cur des libéralismes dont lhistoire est coextensive à celle de la France depuis 1789.
A suivre.