Qu'est ce que l'estimation du soi?

L’estime de soi en sociologie

Esquisse
“ La théorie sociologique doit progresser corrélativement sur les plans suivants : théories particulières portant sur des séries limitées de données, et élaboration d’un schéma conceptuel plus général pour consolider des ensembles théoriques particuliers. “
Robert K. Merton
( 1953. Social Theory and Social Structure, traduction Mendras in Eléments de théorie et de méthode sociologique ed Colin, p 15 )



Sommaire




Introduction générale



I. Qu’est-ce que l’estime de soi en sociologie?
A. L’estimation en vue du monde : buts permanents et buts préférentiels, p

II. Le “ sens “ de l’estime de soi
B. La corrélation entre le déploiement de l’action, le développement de soi, et son estimation, p
C. La permanence de l’estimation comme mise en valeur ( axios/logia : axiologie) orientant le développement de l’action, p
Conclusion, p


Chapitre 1: délimitation hypothético-déductive


I. L’estimation comme effort
A. But de l’effort, p

II. Estimation et désignation
B. Fonction de la représentation et universalisation de son activité sociale, p
C. Le contenu rationnel de l’estime de soi, p

III. Expérimentation introductive
D. L’ordonnancement de l’estime de soi comme effort de maîtrise, p


Chapitre 2 : Les contours gnoséologiques


I. Universalité et scientificité
A. Fonction, limite, processus, de l’action, p
B. Rationalité et scientificité, p
C. Objectivité et connaissance du soi, p
D. “Sens” de l’hominisation, p
E. Hominisation et Histoire, p

II. Spécificité de l’approche sociologique
F. L’ écueil unicausaliste ou surdéterministe, p
G. L’apport de la sociologie de l’action, p
H. En quoi le soi n’est pas un substrat externe à lui-même, p
I. Agent, acteur, et estimation conflictuelle de soi, p


Chapitre 3 : Analytique

I. Les trois dimensions matricielles de l’estime de soi : l’orientation la conscientisation et l’actualisation.
A. L’orientation nécessaire quoique faillible (positif) peut être altérée volontairement ( négatif ), p

II. Conscientisation-axiologisation
B. Les trois fonctions d’appréhension : limite téléologique ( but ) entéléchique ( forme ), eschatologique, ( justification ), p

III. Actualisation. Les quatre fonctions.
C. La fonction de conservation, p
D. La fonction d’affinement, p
E. La fonction de dispersion, p
F. La fonction de dissolution, p

IV. L’ordonnancement de l’estime de soi.
G. L’interaction entre fonctions d’appréhension ( orientation et
conscientisation ) et fonctions d’actualisation ( résultat ) dans l’ordonnancement de l’ estimation d’ensemble, p.
H. La manipulation altérée des fonctions comme preuve compensatoire du manque d’appréhension et d’actualisation dans l’ordonnancement d’ensemble, p


Chapitre 4 : expérimentation imaginaire

I. Introduction, p
II. Cadre protocolaire, p


Chapitre 5 : Le corpus épistémologique

Introduction, p
I. Signification fonctionnelle de l’action.
A. L’expérience fondamentale de Joseph Nuttin, p
B. La signification motivationnelle de l’action, p
C. Stades cognitifs et sens du conflit dans l’élaboration de l’action, p

II. Architechtonique institutionnelle et préférentielle de l’estime de soi.
D. Introduction, p
E. La fonction du concept et du langage chez Durkheim, p
F. Le concept comme matrice fonctionnelle, référentielle, préférentielle, multiforme de la mise en valeur des matériaux significatifs, p



Chapitre 6 : application


I. Elaboration d’un guide d’enquête.
A. Les questions, p
B. La mise au point des réponses types conformes à la théorie des sept fonctions d’estimation ou limites rationnelles, p



Conclusion générale, p


Bibliographie, p










“Pour la première fois les sociétés dites supérieures sont en train de vivre une seule et même histoire. Pour la première fois peut-être on peut parler de “ société humaine” “.
Raymond Aron.
1961. L’aube de l’histoire universelle in “Dimensions de la conscience historique”, chap VII, ed Plon coll Agora, p 225.





Introduction générale





-I-



Qu’est ce que l’estime de soi en sociologie ?


A


L’estimation en vue du monde : buts permanents et buts préférentiels


Partons de cette définition extraite d’un manuel diffusé en France :

“ Le sentiment de l’estime de soi. Ce sentiment peut être défini comme la valeur qu’un sujet attribue à sa personne propre. Il est un facteur déterminant du système de régulation du comportement. “
( Raymond Chapuis, “ Que sais-je “ n°2287 in “ La psychologie des relations humaines “ 3ème édition corrigée 1992, p 50 ).

Demandons-nous déjà comment, d’un point de vue sociologique, un “ sujet “ attribue-t-il à sa “ personne propre “ quelque chose comme une “ valeur “ dont le “ sentiment de l’estime de soi “ découlerait et agirait comme “ facteur déterminant du système de régulation du comportement “ ?

Une partie de la réponse peut être trouvée dans un autre manuel qui traite, lui, des “ attitudes” ( “Que Sais-je” n°2091 ed 1983, p 55, Raymond Thomas et Daniel Alaphilippe ) :

“ (...) Marx aussi bien que Durkheim ont parfaitement saisi le point faible de leurs théories respectives. L’un comme l’autre ont laissé de côté le problème de la modalité de cette détermination des attitudes individuelles par l’environnement social. Quels sont, en effet, les mécanismes en jeu dans la tête de l’individu entre la pression sociale ou économique et la manifestation des attitudes? C’est une des questions qui ont suscité les premiers travaux proprement psychologiques et on peut considérer qu’elle pose l’un des problèmes majeurs de la réflexion dans ce domaine.
Un des premiers à apporter un élément de réponse fut l’Américain Musafer Sherif dès l’année 1934. Ses travaux sur la normalisation constituent, encore aujourd’hui, une avancée théorique importante. Il part de l’idée selon laquelle les individus ont recours pour décripter le réel à des cadres de référence auxquels ils rapportent les événements qui interviennent dans leur entourage, afin de les évaluer, de les comprendre et d’agir en conséquence. Ces cadres de référence peuvent prendre aussi bien la forme d’un système de normes qui permet l’évaluation d’un phénomène, que celle d’un répertoire de réactions possibles face à une situation donnée. Il s’agit alors de véritables “ modes caractéristiques de prédispositions à réagir “ selon les termes mêmes de l’auteur. “


Nous verrons ici que la saisie du réel, et donc également de soi-même, c'est-à-dire cette intrication individu cadres de référence interagissant dans un environnement géosociohistorique donné par le biais, cependant, de tel ou tel " groupe de référence " (Merton, op. cit., chap. VII, théorie du groupe de référence, p 206) ou “ centre d’action " (Baechler, 1985 démocraties ed Calmann Lévy, p 62), passe, nécessairement, par tout ce processus constant d’élaboration et d’estimation qui ne met pas seulement en jeu des normes mais des
valeurs c’est-à-dire ce que Boudon avec Weber nomme des
“ raisons fortes “ (1990, 1995, 1999, “ le sens des valeurs “ ed Quadrige p 172) qui par leur conviction mise en forme dans les cadres de référence coextensifs aux dimensions permanentes de l’activité humaine et médiatisés par les groupes de référence historiquement situés orientent le soi (nous en reparlerons plus loin section II partie B ainsi que chapitre I et surtout chapitre V lorsque nous aborderons l’acception durkheimienne du concept).


Ainsi il est devenu aujourd’hui trivial de dire que l’estimation de soi dans le réel met donc en effet en jeu l’intrication ci-dessus entre un je donne des cadres et groupes de référence dans un environnement historiquement situé.

Et tout ce processus peut se déployer malgré des conditions qui certes peuvent en ralentir le rythme et en modifier l’allure lorsqu’elles sont inégales mais ne sont pas à même d’en susciter, mécaniquement, le cheminement vers le réel.
Sauf que ceci, dit ainsi, ne semble pas, par contre, avoir atteint la banalisation adéquate... Aussi faut-il peut-être éclaircir les points qui peuvent achopper en commençant déjà par ce qui caractérise la spécificité de l’espèce humaine parmi toutes les autres espèces vivantes :

“ Il est impossible de nier qu’un “ accord de base “ (a basic fit), entre l’être vivant et son milieu, est indispensable au fonctionnement. L’être vivant doit être sensible à l’action de l’environnement et l’environnement, à son tour, doit se prêter à l’action de l’individu. C’est le point de départ théorique de la notion même d’adaptation.
On reconnaît généralement que l’être vivant commence par essayer de capter et d’assimiler la réalité donnée à l’aide de ses structures fonctionnelles déjà existantes. Dans la mesure où cela ne réussit pas, il s’accommode en changeant sa propre manière de fonctionner. Le processus d’adaptation se déroule ainsi en deux phases qui aboutissent au rétablissement de l’accord entre l’être vivant et le milieu.
Toutefois, cette image de l’adaptation s’applique difficilement à certaines formes de la motivation humaine qui ont pour but, non pas d’adapter ou de conformer le fonctionnement du sujet à la réalité existante, mais de la changer carrément en créant quelque chose de nouveau.
C’est ainsi qu’à chaque instant la personne humaine agit sur l’état des choses qui existe dans son milieu pour le rendre plus conforme à ses propres buts et projets.
De cette manière, l’être humain a changé la nature en culture et devient cause de progrès, ce qui ne correspond pas à l’image de l’adaptation de l’homme à son milieu. “

( Joseph Nuttin, 1980, théorie de la motivation humaine, seconde édition 1984, 3ème ed PUF 1991, coll psychologie aujourd’hui, p 31).


Retenons donc que l’espèce humaine se caractérise par le fait de
“ Changer carrément “ la réalité existante afin de la rendre conforme à
“ ses propres buts et projets “ ; ce qui ne va pas sans conflit et déjà confusion puisque d’aucuns ont considéré que cette capacité de changer le monde, pour le meilleur comme pour le pire, était seulement une donnée de l’Histoire alors qu’il s’agit, déjà, d’une donnée intrinsèque au développement même de l’espèce vivante nommée humaine et qui prend cependant en effet forme selon les circonstances traversées par l’intrication du soi (je cadres groupes-- de référence environnement).

Nous en reparlerons plus loin (chapitre II section II parties D et E. Section III partie F).


Avançons pour l’instant maintenant qu’il nous semble bien qu’au sein de ces buts et projets dont parle Nuttin s’inscrivent deux principaux types de buts intricablement liés quoiqu’ étant tout à fait distinguables et qui semblent bien être au fondement même du développement du soi.

Les premiers sont des buts dont la mise en valeur est permanente car il s’agit de raisons sine qua non permettant le développement même du vivant et de l’humain tels que le fait de préférer être aimé que détester, reconnu que méprisé, ( Nuttin , ibid pp 15-16, p 116 note 1, ), le fait de préférer plutôt la paix à la guerre, la liberté à la servitude, la justice à l’injustice, le courage à la lâcheté, le fait de préférer entreprendre que de rester passif ( ce que Nuttin nomme le “ plaisir d’être cause”, voir ici l’analyse de l’expérimentation qui a permis d’aboutir à ce concept chapitre 5 section I partie A ).
Enfin le fait de posséder, ne serait-ce que quelques biens, est lui aussi coextensif au désir de se prolonger de manière autre et de s’en servir pour mieux asseoir son développement ( Baechler, op cit pp 72 et 316 ).

Les seconds sont des buts mis en valeur de façon préférentielle tels que le fait de chercher à acquérir, selon les possibilités et les traditions historiques, du pouvoir du prestige et des richesses ( Baechler, op cit, p 39 ).
Ils s’avèrent être également des moyens permettant et justifiant la réalisation des buts permanents.
Tandis que la mise en valeur de ces buts préférentiels peut être aussi poursuivis seulement pour elle-même ( ibidem p 30 ) telle que celle mise en forme par les recherches artistiques, religieuses et scientifiques et ce au-delà du statut dont celles-ci permettent l’accès mais dont elles ne peuvent pas être réduits puisque ce ne sont pas les raisons instrumentales de celui-ci qui valent mais d’autres raisons plus fortes dont certaines peuvent même être sacralisés telles les vertus les commandements religieux les lois politiques fondamentales et la déontologie.


Retenons pour le moment que cette préférence dans les fins ou buts poursuivis ne peut se réduire à un simple utilitarisme ( Boudon ibid p 81 et suivantes ) ; ce qui désigne déjà pourquoi l’individu imprime justement au sein de son propre soi une préférence motivationnelle singulière quant à à la mise en valeur de cette intrication des buts permanents et préférentiels maillant son développement dans le monde.

Cette singularité, ce “ je “, c’est ce que Reuchlin nomme le “ conatif “ :


(...) il se trouve que chaque individu manifeste dans certains au moins de ses choix un certain degré de stabilité temporelle à court terme et une certaine cohérence d’une situation à une autre, constats qui interdisent de considérer ces choix comme des aspects aléatoires de la conduite. Il en est peut-être ainsi, plus fondamentalement, en ce qui concerne des aspects communs à des choix se manifestant à des âges différents et à propose de conduites différentes. On pourrait mentionner, à titre d’hypothèses, un mode de fonctionnement plutôt global ou plutôt analytique, une orientation préférentielle vers les personnes ou vers les choses, une acceptation ou un refus du risque, une priorité accordée au recueil d’information ou à l’émission de réponses, etc. (...).
Il fallait étiqueter d’un mot cet objet. Nous avons choisi le terme conation, mais nous aurions sans doute du mal à justifier ce choix de façon tout à fait convaincante...si une justification convaincante était nécessaire en matière d’étiquetage, surtout dans un domaine où la terminologie est d’une extrême fluidité. Essayons cependant de donner nos raisons.
Si le mot “ conation “ s’applique à la manifestation active d’une tendance, il peut, nous semble-t-il, être utilisé pour désigner l’orientation des conduites. Le terme dénote aussi un effort exigé par cette manifestation. Cette dénotation est acceptable ici : la mise en oeuvre de façon suffisamment durable et cohérente, sur un matériel et dans une direction déterminés, de la machine cognitive suppose bien qu’une certaine difficulté adaptative existe dans la situation considérée et que le sujet agisse pour la vaincre. (...) “

( M. Reuchlin, 1990, les différences individuelles dans le développement conatif de l’enfant, ed PUF, pp 10-11 ).

Et pour développer sa préférence motivationnelle ou conative nous verrons amplement ici qu’estimer aurait précisément pour le soi la fonction ou rôle de s’auto évaluer agissant.

C’est-à-dire de s’apprécier, de s’estimer, ce qui implique d’observer ce que vaut cette mise en valeur, dans tous les sens du terme, ( d’où les divers italique ), malgré les conditions et la diversité des formes qui l’actualisent.






***



-II-


Le “ sens “ de l’estime de soi


B


La corrélation entre déploiement de l’action développement de soi et estimation



Nous commençons à dégager peu à peu que l’effectivité de l’interaction au sein du soi entre je conatif-cadres et groupes de référence-environnement, -quand bien même serait-elle pour une part implicite c’est-à-dire
fonctionnerait de manière “ métaconsciente “, ( Boudon in “ l’art de se persuader...” ed 1991, ed Point/Fayard p 110 )-, est donc, et en premier lieu, motivée par le développement de soi comme d’ailleurs l’analyse de façon décisive Nuttin -
( analyse dont Reuchlin se dit “proche”, op cit 1990, p 11 )- dans sa “ théorie de la motivation humaine “, ( op cit, ici chapitre 5 ) .

Et nous verrons plus loin ( chapitre 5 ) que cette motivation s’avère être un besoin non pas appréhendé comme manque ( sauf s’il en est empêché )
mais nécessité fonctionnelle ( chapitre 2 section I partie A ) qui peut être saisiexpérimentalement, par le fait que le soi se développe d’autant mieux qu’il y associe le “ plaisir d’être cause “ ( causality pleasure ) ( Nuttin ibid pp 154-161 , ici chapitre 5, section I partie A ) le plaisir de se sentir actif et qui ainsi prouve que l’on ne vit pas pour la seule réitération génétique.

Ce qui implique que ce besoin de développement est un “ plaisir d’être cause” car il ne fait pas que reproduire l’espèce tout en s’accommodant au monde mais transforme celui-ci en le mettant en valeur c’est-à-dire en le développantet en hiérarchisant les significations.

Ainsi le besoin de développement en tant que plaisir à créer de la valeur non réductible à la reproduction biologique serait sans doute comme la pierre angulaire voire même la clé de voûte du développement du vivant arrivé à son optimum dans l’ humain.

C’est pour ainsi dire le sommet de l’évolution du vivant c’est-à-dire la signification ultime du vivre qui trouve sa pleine compréhension dans l’humanité historiquement située.


Seulement cette motivation, dernière, du développement du soi qui se traduit en buts permanents et préférentiels, nous l’avons énoncé, ( voir chapitres 1 et 5 ) doit, pour être possible, déployer l’action.

Le déploiement de l’action, qui actualise le plaisir d’être cause propre au développement du soi par le biais de la mise en valeur de buts permanents et buts préférentiels, s’effectue au sein de divers cadres et groupes de références coextensifs aux dimensions permanentes de l’activité humaine, nous l’avons dit-ce que Baechler nomme les ordres sociaux ( 1985, p 63 ) - comme le juridique le religieux l’éthique le logique le technique le politique l’économique le médical...

Ces cadres et groupes de référence sont structurés dans une tradition historique multiforme et une division donnée du travail qui, selon l’efficience de l’ actualisation suscitée par l’interaction entre l’estimation et l’environnement, permet alors d’atteindre, au delà de sa forme historiquement située, un développement du soi qui permet son déploiement nécessaire malgré les erreurs ( positif ) et les accidents
( pathologie ) qui peuvent être cependant altérés volontairement ( négatif ).


Nous verrons alors ici que l’estimation du développement peut être objectivement classé selon la façon dont il oriente la conservation, l’affinement, la dispersion , la dissolution du soi ; les deux premières caractéristiques déployant le soi tandis que les deux secondes lui permettent de temporiser et de changer, du moins lorsqu’elles ne sont pas altérées.

Nous arriverons alors à la conclusion suivante :

L’ objectivité d’une telle estimation du développement et de son altération
accidentelle et volontaire s’étend non seulement dans l’évaluation des comportements et des objets choisis mais aussi dans l’appréciation des cadres et des groupes de référence qui en permettent l’effectuation.

En un mot cette objectivation apparaît comme une nécessité incontournable qui sous-tend en permanence le déploiement de l’action et donc conditionne le développement du soi.

Ce qui implique ceci qu’il nous faudra démontrer :

Plus l’estime de soi, lorsqu’elle n’est pas altérée, se conserve et s’ affine en maîtrisant les processus de dispersion et de dissolution plus l’action se déploie au mieux, malgré le pire, ce qui permet au soi de développer non seulement le maximum instrumentalisable ( conservation ) mais aussi de viser l’optimum.
C’ est-à-dire affiner dans l’ensemble des aspects propres aux buts permanents et préférentiels certains éléments qui seront visés au delà de leur dimensionnement statutaire et qui de ce fait permettront de développer ce que vise le soi sans qu’il soit astreint à des compromis tenant uniquement compte des rapports de force ( conventionnalisme ) et qui peuvent altérer sa motivation et surtout son résultat.

Ainsi l’ optimum n’est pas seulement posé au sens de maximisation mais aussi, et surtout, au sens de déploiement de l’action et du soi dans leur pleine dimension ( ou “déhiscence” ) ce qui explique pourquoi nous verrons que l’affinement est une fonction d’actualisation du développement qui dépasse la seule conservation.


En conclusion c’ est la saisie même de cette circularité, -plus l’estime de soi se développe de manière non altérée plus l’action s’actualise pleinement plus le développement du soi se déploie au mieux-, c’est elle que nous viserons comme loi nécessaire du développement du soi que la mise en valeur permanente de l’estimation oriente de manière historiquement située lorsqu’elle n’est pas altérée.

Ainsi cette corrélation entre loi du développement et mise en valeur conjugue, comme dans la locution “ vraie “, une estimation objective qui retient une régularité de fonctions nécessaires ( jugement de fait ou loi ) et une actualisation choisie ( jugement de valeur ) dont la forme varie selon les préférences motivationnelles et les circonstances historiquement situées mais pas le fond dont une part bascule en principes inamovibles, tels les buts permanents, et en valeurs sacrées, tels les vertus, car il s’agit de déployer objectivement et donc pleinement le devoir être et non pas de l’altérer.

Ce qui implique que si l’apparence du soi évolue puisque la “ valeur “ qui le met en forme est sans cesse critiquée et donc contestée/affinée en tenant compte de ce qui est reconnaissable ou compris comme certain, il n’en reste pas moins que le “reste” est écarté, en effet, dans les “ poubelles de
l’Histoire “lorsque précisément loin d’en renforcer l’être il en altère le mouvement....




*



C



La permanence de l’estimation comme mise en valeur ( axios/logia : axiologie) orientant le développement de l’action


Nous considérons donc qu’il existe tout d’abord dans une action humaine quelque chose comme une régularité de tâches préliminaires à remplir et à réussir, -du moins si l’action veut, au minimum, arriver déjà à émergence.

C’est ce que nous nommerons lois de l’actualisation des buts permanents et préférentiels du développement telles que :

le but de l’action, la forme et les moyens mises en oeuvre pour réaliser ce but et aussi la justification de ce but car l’action en tant qu’humaine n’émerge pas sans tenir compte d’autrui au sens institutionnel y compris
( Bourricaud 1977 ).

Cette trilogie, but, forme, justification doit être mise en “valeur “

Ce qui exige un effort non négligeable d’estimation afin de trier en vue d’ordonnancer de hiérarchiser cette mise en valeur au sein des cadres de références spécialisés pour ce faire car la “ propre “ mise en valeur effectuée par chaque soi doit se confronter avec ce qui est conseillé par l’expérience des autres soi comme étant objectivement le mieux, du moins si l’on admet que la mise en valeur proposée n’est pas le résultat arbitraire d’une convention mais bien l’ensemble des solutions historiquement situées dont une part peuvent concerner tous les hommes tant elles atteignent une dimension nécessaire universelle pour le développement.

Il ne s’agit donc pas de suivre une tradition par réitération mais bien parce qu’elle a prouvée son efficience jusqu’à ce qu’une autre tradition plus à même de développer certaines hiérarchisations de valeurs la supplante
( chapitre 2 section II ).


Avançons maintenant qu’à la différence des autres espèces dont la liberté d’estimation est assez minime malgré quelques variations éthologiques le développement au niveau humain ne se déploit pas uniquement mécaniquement mais selon, au moins, trois dimensions matricielles qui permettent de l’ orienter, le conscientiser, l’ actualiser.

Ainsi nous verrons que par leur biais et au sein bien entendu des cadres et des groupes de référence qui lui permettent de l’aider à estimer selon certains stades d’apprentissage et de maturation ( chapitre 5 section I partie C ) le soi peut apprendre à connaître en premier lieu :

- l’angle nécessaire ( positif ) ou altéré (négatif ) qui oriente dès le départ tout développement.

Le positif s’apparente au développement objectif nécessaire ( chapitre 2 section I partie A ) des buts permanents et préférentiels dont les accidents
( pathologie ) et les erreurs font parties ( le “ faillible “ baechlerien, 1994 ) car tout n’est pas prévisible ou n’est pas conscientisé mécaniquement et sur le champ comme il “faut” .

Le négatif exprimerait surtout les altérations ou les dysfonctionnements volontaires qui ont pour objet tout ce qui peut nuire au développement nécessaire et dont les raisons pour une part sans doute conatives ne peuvent pas être seulement réduites aux circonstances qui les phénoménalisent.

En second lieu le soi déploie :

- l’ acte de conscientiser ou axiologie ( Weber-Boudon in Boudon 1995, 1999, axios : “ qui vaut “ et logie/logique : logia : “ théorie “, de logos “ discours “ in petit Robert )
d’ une perception appropriée selon qu’elle se déploie sous l’angle nécessaire ( positif ) ou altéré ( négatif ) afin de définir comment les buts permanents et préférentiels vont émerger et se justifier ( nous le nommerons aussi “ conscientisation “ ).

Enfin en troisième lieu le soi effectue :

- l’actualisation c’est-à-dire le résultat effectif atteint qui peut être saisi selon qu’il conserve affine disperse dissout le soi de façon nécessaire ( positif) ou altérée ( négatif ) .



Ces trois dimensions matricielles ( orienter, conscientiser, actualiser ) de l’estime de soi s’intriquant interagissant rétroagissant l’une l’autre vont se déployer sous la forme au moins de sept relations requises à même de permettre l’émergence effective de toute action et par là de développer le soi en ses buts permanents et préférentiels.

Ces sept relations seront également nommées ici fonctions d’estimation agissant comme limites rationnelles car c’est bien parce qu’elles fonctionnent en permanence en vue, en raison, de l’action qu’elles lui donnent une signification dont la mise en valeur ou conscientisation orientée en positif ou altérée et ordonnancée par l’estimation de soi permet l’actualisation donnée du développement tout en étant élaborée au sein de cadres et de groupes de références historiquement situés.

Précisons ce que nous entendons par fonction et raison nous présenterons ensuite succinctement ces sept fonctions d’estimation ou limites rationnelles permettant l’action et partant le développement du soi.


La “fonction” est entendu ici au sens de nécessité permanente et conditionnelle qui forment processus irréductible à la somme de leurs éléments constitutifs puisqu’il lui donne un sens qu’aucun des éléments pris séparément ne détient seul ( chapitre 2 section I partie A ).

La “raison” sera appréhendée au sens d’ensemble instrumental et significatif ( Weber, 1922, Boudon, 1995, 1999, Terré, 1998 ) c’est-à-dire corrélant des fins des moyens et des justifications (ici chapitre 1 section II partie C et chapitre 3 section section I partie A ) qui ne sont pas nécessairement “ raisonnables “ ou seulement instrumentalisables puisqu’ il est d’abord question de signification qui mettent en jeu des valeurs non directement déductibles en intérêts immédiats car elles ont plutôt une fonction d’organisation en ce sens qu’elles mettent en forme l’ orientation la conscientisation et l‘actualisation du développement c’est-à-dire permettent l’estime que l’on élabore du soi comme conservation et comme affinement tout en maîtrisant sa dispersion et sa dissolution, nous le verrons amplement.

Si nous insérons maintenant ces deux termes dans l’analyse de l’organisation propre à l’estime du soi nous observerons ici en premier lieu le fait que les orientations nécessaires ( positif ), ou altérées ( négatif ), ont un fonctionnement incompatible puisque l’une développe alors que l’autre détruit.

C’est que leurs raisons se trouvent antinomique l’une vis à vis de l’autre.

En effet autant le positif est rationnel c’est-à-dire corrèle de façon compréhensible des fins des moyens et des justifications non réductibles à leur instrumentalisation, -ce qui ne se fait pas sans erreur et accident dans l’estimation de ce qui est objectivement nécessaire-, autant le négatif est irrationnel voire antirationnel en ce sens que pour le premier terme
( irrationnel ) l’un des trois éléments de la corrélation ( fin moyen justification ) peut être non pas inadéquat ou erroné qui font partie des tâtonnements de la recherche rationnelle mais volontairement faux ; et le second terme ( antirationnel ) en accentue les données jusqu’à même avoir comme unique souci la volonté du faux et du détruire visée pour elle-même (ici chapitre 1 section II partie C ).


Observerons ensuite ce que nous nommons les sept fonctions d’estimation qui permettent la mise en valeur et donc l’ordonnancement et l’estimation du soi selon que le développement se déploie nécessairement ou se trouve altéré.

Trois de ces sept relations requises conscientisent ( “axiologisent” ) l’action orientée nécessairement ou altéré en posant un fond ( but ) en le mettant en forme ( émergence ) et en le justifiant ( signification et hiérarchisation de la valorisation ) tandis que les quatre autres actualisent cette orientation et cette conscientisation en permettant que le développement se conserve s’affine en priorité et aussi se disperse se dissolve selon les conditions d’émergence .

Voyons les successivement.


A/ Les trois relations qui conscientisent l’action orientée ont des domaines de définition qui traversent l’ensemble des activités humaines tout en étant déclinées par cadres et groupes de référence historiquement situés et donc ayant un contenu évolutif :

Il s’agit pour le but de la limite téléologique puisqu’il faut bien penser ce que définir tel but mobilise comme moyens ou instruments divers.

Quant à la mise en forme même du but nous nommerons cette nécessité la limite entéléchique car il s’agit d’évaluer tout un processus de mise à disposition et de procédure en vue du but projeté.

Enfin pour la justification la limite sera dite eschatologique en ce sens qu’il faille bien reposer le déclenchement même de l’action, et donc tout l’effort qui en résulte, sur un principe et/ou un axiome dernier, quand bien même celui-ci serait-il nié, et dont la signification ne repose pas seulement sur son utilisation comme norme d’action mais surtout comme mise en valeur, c’est-à-dire qui confirme la hierarchisation, l’ordonnancement, de l’orientation et la conscientisation du développement s’actualisant .

Nous les nommerons, au sein des sept fonctions d’estimation déployant les trois dimensions de l’estime de soi, fonctions d’appréhension.


B/ Les quatre autres fonctions déterminent, elles, le résultat ou l’actualisation effective atteinte à l’intérieur ( orientation et conscientisation ) et à l’extérieur ( comportement et objet ) du soi.

Nous les nommerons fonctions d’actualisation.

Ce seront elles que nous étudierons pour l’essentiel car il s’ agit pour nous ici de saisir du point de vue sociologique non pas seulement comment l’action s’élabore et se met en valeur mais aussi, et surtout ici, ce qu’il en résulte comme actualisation conceptuelle et comportementale susceptible de créer de la réalité à même de déployer ou pas le développement du soi .

C’est-à-dire à même de le conserver, l’affiner, le disperser, le dissoudre selon le nécessaire ( positif ) et malgré l’altéré ( négatif ) tout en sachant que les deux premières fonctions caractérisant l’actualisation, à savoir l’affinement et la conservation, matricent l’ensemble alors que les deux autres en sont les auxiliaires.

Développons quelque peu puisque c’est ceci que nous étudierons ici essentiellement.

Nous avons en effet supposé et démontrerons que le développement de soi, et déjà par définition, se déploie, de fait, en continu, c’est-à-dire, de fait, en positif malgré les écueils accidentels, les erreurs ; tandis que les décisions négatives, elles, brisent à terme la continuité ou s’en emparent volontairement pour se dissimuler de façon vicariante tout en nous persuadant, absolument, du contraire en affichant parfois un visage d’ange
( l’ange de Pascal...).

Ce développement en continu a pour fonction de mémoriser et donc de valoriser ( axios/logia ) c’est-à-dire de discriminer, de filtrer, trier, en chaque interaction, tout ce qui, d’une part, renforce quantitativement la cohérence et le déploiement de l’action, et, partant le développement du soi en ses buts permanents et préférentiels ( fonction de conservation ) se distribuant à l’intérieur comme à l’extérieur du soi dont la distinction n’est que fonctionnelle puisque le soi est une sorte d’interface qui s’active qu’en tant qu’elle se déploie au sein d’institutions et d’un environnement donné.

D’ autre part le développement de soi se déploie qualitativement par la mise en valeur de certaines appréhensions plutôt que d’autres, car elles en permettent un niveau donné d’ optimisation, la mise en valeur s’effectuant jusqu’à mémorialiser la mémorisation c’est-à-dire la ritualiser, l’allégoriser, l’institutionnaliser ( fonction d’ affinement ).

Ce continu connaît néanmoins sous forme de fonction auxiliaire le discontinu puisqu’il ne peut d’une part se déployer tel quel ce qui nécessite des stratégies et des tactiques de contournement et de suspension ; d’autre part du fait que le soi n’est pas unidimensionnel ceci implique la nécessité de développer également ses autres aspects, ( fonction de dispersion ).

Mais cette discontinuité n’est qu’un moment qui peut cependant basculer en vecteur majeur de changement ( fonction de dissolution ) selon la nécessité appréhendée par telle ou telle conscientisation et plus profondément par telle ou telle estimation d’ensemble du soi qui coordonne ou ordonnance le tout.

Ces quatre fonctions se déploient en un soi humain ce qui implique qu’elles ne doivent pas être lues de façon linéaire allant seulement d’un niveau plus vers un niveau moins ou le contraire comme il est tentant de le faire lorsque l’on emploie le terme “ fonction “ de façon analogique aux fonctions organiques ou mécaniques ( c’est pourquoi nous en préciserons encore plus l’emploi ici plus loin, chapitre 2 section I partie A ) .

Ainsi nous nous sommes aperçus, au fur et à mesure que nous élaborions cette contribution qu ‘il n’est pas vrai que la meilleure serait, mécaniquement, l’affinement et la plus mauvaise la dissolution.

Car selon que celles-ci soient visées positivement c’est-à-dire en fait objectivement même si ceci n’est pas toujours atteint, ou négativement c’est- volontairement destructif, il s’avère, par exemple, que l’affinement en tant que fonction exprimant une grande maîtrise et optimisation des sept relations requises pour déployer l’ estimation peut êtreutilisée de façon volontairement négative et donc basculer en sophistique et casuistique tandis que l’aspect pathologique du positif pourrait se percevoir dans la méticulosité tournant à vide.

A l’opposé la fonction de dissolution qui détient d’emblée une connotation négative peut être pourtant un moment positif nécessaire pour se séparer de ce qui est estimé comme sinon nuisible du moins “inutile” ( au sens large) par exemple lorsque le soi décide de se métamorphoser et donc de se ré-ordonnancer.

De même la fonction de dispersion peut s’avérer positivement nécessaire tactiquement ne serait-ce que le fait tout simple de penser à autre chose ou de se détendre alors que d’emblée le terme peut faire penser à son aspect négatif tel que le refus volontaire de s’organiser, d’arrêter une détermination, ou, pour l’aspect accidentel du positif, le fait de de s’empêtrer pathologiquement dans l’éparpillement de l’action en empêchant alors la
“ synthèse “ ( Janet 1889, “l’automatisme psychologique”, pp 473, 478, bibliothèque de la
Sorbonne ).


*


Il s’agira donc ici de concevoir ces trois dimensions matricielles ( orientation conscientisation actualisation ) se distribuant en sept fonctions d’estimation
( trois d’appréhension et quatre d’actualisation ) ou limites rationnelles, c’est-à-dire dont les aspects instrumentaux et significatifs en terme de mise en valeur sont compréhensibles, comme étant sans cesse intriquées à chaque pas de l’action interne et externe.

Et c’est précisément le rôle de l’ ordonnancement d’ensemble de l’ estime de soi que de juger comment ces dimensions et leurs fonctions ou limites se
mettent en valeur afin que le soi se déploie .

Mais ce rôle d’ordonnancement ne doit pas être vu à la façon du fameux cocher qui maintient d’une main les sens et de l’autre la raison pensée uniquement comme coercition.

Car nous verrons ici ( en particulier chapitre 5 section I partie B ) qu’ il n’y a pas d’un côté une énergie plus ou moins consciente et/ou sauvagement l’affût, et, de l’autre côté, des “ valeurs “ qui “l’encadrent” pour la “ raisonner “ afin de lui faire uniquement “ la morale “, de peur qu’elle ne déborde.

En fait le soi ne peut s’actualiser dans le cadre d’une société donnée qu’en s’appuyant sur des estimations dont la mise en valeur donnée et élaborée est à même ou pas d’orienter le soi afin d’ atteindre effectivement le nécessaire malgré l’erreur ( positif ) ou d’aller contre lui en mettant en valeur plutôt l’altéré ( négatif ).
Mais ce ou/ou ne peut cependant être mis en équivalence. Car le développement, s’il veut atteindre son optimum, ne peut s’altérer sous peine de se subordonner et donc là en effet d’être “ encadré “ au sens servile du terme.



Ainsi sept fonctions/limites rationnelles ou relations requises distribuent donc les trois dimensions matricielles de l’estime de soi ( orienter conscientiser actualiser ) sous forme de trois limites d’appréhension
( but/téléologie, forme/entéléchie, Justification/eschatologie ) et de quatre fonctions d’actualisation évaluant un résultat et ce qui en est déductible pour le développement du soi en conservation affinement ( continu ) dispersion dissipation ( discontinu ) nécessaire c’est-à-dire non altéré.

Nous en aborderons l’aspect “ rationnel “ chapitre 1,
“ fonctionnel/nécessaire” chapitre 2, développerons certaines nous concernant ici chapitre 3, nous les expérimenterons chapitre 4 et les justifierons épistémologiquement chapitre 5 tout en les présentant sous forme d’un questionnaire chapitre 6.



*









Conclusion



En résumé nous montrerons donc ici que l’objectif ou encore la raison d’une estime de soi, au sens sociologique, s’avère être l’ appréhension de ce qui permet d’ élaborer, de déclencher, d’ ériger, de mettre en valeur, effectivement, l’action et également ce qu’il en résulte comme contenu de développement que l’on peut alors classer .

Seulement l’ estimation du soi au quotidien ne fonctionne pas pour le seul plaisir “ archéologique “ de la classification et/ou la nécessité “ morale “ de juger les résultats de l’action, surtout lorsque leur lettre ne correspond pas formellement avec ce qui est conservé-mémorisé, mais bien parce que l’action se déploie, déjà, en vue de l’autodéveloppement et que celui-ci n’a pas seulement comme raison forte le fait de se reproduire mais aussi d’être créateur de valeurs qui donnent un sens à l’effort du devoir être c’est-à-dire le déploiement non altéré du soi que l’on peut alors saisir dans son résultat en évaluant si celui-ci renforce ou altère le développement.

Car si le développement du soi est cette “ tendance au déploiement et à l’actualisation de ses potentialités latentes “ ( Nuttin, op cit, p 165 ) pour le meilleur ( positif ) comme pour le pire ( négatif ) le meilleur s’avère être préférable au pire puisqu’il permet le développement effectif dont l’orientation la conscientisation et l’actualisation ne peuvent être réduites à leur utilité statutaire.


Ainsi il s’agira donc ici d’ évaluer l’écart existant entre l’optimum possible de ces sept fonctions ou lois nécessaires mises en valeur en vue du déploiement effectif de l’action, et, par récurrence, en vue du développement non altéré du soi, avec ce qu’il en résulte lorsqu’elles sont actualisées, par les groupes et tout un chacun, dans des comportements et des possessions d’objets puisque en analysant ceux-ci l’on peut observer si le soi est conservé affiné dispersé dissout en positif ou altéré (négatif).

Ceci implique alors qu’une fondation objective et scientifique de l’estime de soi est possible, c’est-à-dire dont la vérité est déduite universellement, et ce malgré les applications contingentes et les localisations historiques singulièrement situées. C’ est ce que nous allons maintenant approfondir de plus en plus.


Nous présenterons la problématique au chapitre 1, dessinerons son importance gnoséologique au chapitre 2, détaillerons son architectonique chapitre 3, l ‘expérimenterons chapitre 4, la contextualiserons épistémologiquement chapitre 5, et nous la formulerons sous forme d’un questionnaire chapitre 6.


***

“ (...) le dynamisme dirige des phénomènes qu’il ne produit pas, tandis que les agents physiques produisent des phénomènes qu’ils ne dirigent point. “
Claude Bernard
( cité par Joseph Nuttin Théorie de la motivation humaine ed puf, p 143 )






Chapitre 1


Délimitation de l’estime de soi



-I-


L’ estimation comme effort


A

But de l’effort


La notion même d’estimation et donc d’évaluation de la mise en valeur
nécessite au préalable un tel travail d’élaboration, un tel “ effort “ comme le remarquait Pierre Janet ( 1926, de l’angoisse à l’extase, ed 1975, TII, pp 110-127 ) en s’appuyant sur Maine de Biran ( 1811 le fait primitif du sens intime in la vie intérieure, ed Payot, p 53 ) que Biran note Janet disait que le “ sentiment de la liberté et le sentiment même de l’existence ne peuvent pas être mis en question au moment de l’effort moteur “
( Janet, op cit, p 111 ) .

Or pour arriver ainsi à ne pas remettre en question de tels sentiments
“au moment de l’effort moteur “ il faut être à même d’écarter toute sous-estimation et rester tout autant sourd aux tentations pathologiques qui peuvent résulter d’une compensation paradoxale ( comme le fait de s’auto-punir d’avoir trop souffert dans telle ou telle élaboration et donc échouer au dernier effort... ) qu’aux raisonnements altérés comme par exemple ceux du nihilisme du XXème siècle soucieux d’abattre tout effort, hors du sien, tel celui que nous avons étudiés dans notre thèse de Doctorat ( 1997 bibliothèque de la Sorbonne ) et qui considère que “manquer l’échec est plus grave que manquer de réussir” ou qu’il faille “ échouer de manquer l’échec “...

Si donc il n’est pas rien d’amorcer un tel travail d’estimation demandons-nous à nouveau quel en est le but.

En quoi la nécessité d’un tel effort se justifie-t-elle en effet quand bien même serait-elle possible fonctionnellement ?

En un mot pourquoi l’effort existe-t-il, se déclenche-t-il, pourquoi vient-il par exemple puiser dans certains cadres de référence, et, plus profondément encore, pourquoi s’estimer ?

Le sociologue peut confirmer les données psychologiques expérimentalement déduites que nous analyserons plus loin ( chapitre V ) en soulignant qu’au delà des contextes socioculturels qui lui donne cependant le matériel historique de signification nécessaire pour en dessiner la contingence, toute cette élaboration est activée en vue de mettre continuellement en forme buts permanents et buts préférentiels.

C’ est ce que Max Weber, semble-t-il, nomme les “ motivations “ ( 1922 in économie et société, ed Agora-Plon, tome 1, les catégories de la sociologie, chapitre premier, les concepts fondamentaux de la sociologie, paragraphe 5, p 34 ) dont il s’agit pour lui de “comprendre”
( p 34 )le “ sens “ ( p 28 ) comme “ ensemble significatif “ ( p 38 ).

C’est-à-dire comme “ motif “ ou encore “ raison” :

“ Nous appelons “ motif “ un ensemble significatif qui semble constituer aux yeux de l’agent ou de l’observateur la “ raison “ significative d’un comportement “. ( ibid para. 7 p 38 ).


La psychologie scientifique la plus récente qu’elle soit cognitiviste ou
“neuro-éthologique” ( J. Paillard in Reuchlin 1995 “ totalités, éléments, structures “ ed puf p 240 ) semble également se poser ce même genre d’interrogation.

C’est-à-dire intégrer la problématique morphologique propre à la locution
“ en vue de “ que nous avons rencontré ici à plusieurs reprises et déjà lorsque nous avons indiqué que la permanence de l’interaction je conatif-cadres et groupes de référence-environnement était motivée en vue du développement donné de soi .

Ainsi le psychologue de la conduite Maurice Reuchlin cite ( ibid, p 240 ) d’une part le neuropsychologue Paillard lorsque celui-ci souligne que :

“ (...) si nous aspirons à comprendre le comportement naturel du système total, nous devons entreprendre son analyse fonctionnelle en terme d’interaction des sous-systèmes qui le composent en précisant le rôle de chacun d’eux. Toute interprétation du rôle d’un sous-système suppose référence à l’opération du système global ( but assigné à l’action ) et à la signification biologique que cette opération revêt pour l’organisme ( approche éthologique). (...).
L’implication d’un tel point de vue pour le neurobiologiste (...) est qu’il doit être disposé à adopter une position téléologique et à accorder une attention prioritaire à l’identification du répertoire comportemental habituel des espèces qu’il étudie et des stimulations naturelles auxquelles ces espèces sont normalement sensibles “ ( J.Paillard, 1978, p 161 ) “.

D’autre part Reuchlin signale ( ibid, p 246 ) la manière dont les collaborateurs de Jean Piaget poursuivent sa recherche, en particulier Bärbel Inhelder, en citant les propos de celle-ci et de l’un de ses collègues ( D. de Caprona ) :

“ (...) Le sujet psychologique nous intéresse en tant que sujet connaissant, mais avec ses intentions et ses valeurs. Nous sommes conduits à donner une part importante aux dimensions téléonomique et axiologique de l’activité cognitive, c’est-à-dire aux finalités et aux évaluations produites par le sujet lui-même. Il s’agit donc d’envisager le sujet avec les fins qu’il se donne et les valeurs qu’il s’attribue “ ( B.Inhelder et D. de Caprona, 1992, p 22)...
Le sujet en examen “ doit éprouver le besoin de réussir “, la tâche qui lui est proposée “ doit avoir pour lui un sens “ ( p 25 ). “

Cette recherche de “ sens “ cette importance accordée à une position
“téléologique “ ( Paillard, 1978, p 161 in Reuchlin op cit p 240 ) c’est-à-dire en fait à la locution “ en vue de “ ainsi qu’ aux “ dimensions téléonomique et axiologique de l’activité cognitive, c’est-à-dire aux finalités et aux évaluations produites par le sujet lui-même” ( ci-dessus ), ce qui n’a rien à voir avec un fixisme puisque la finalité peut ne pas être actualisée, explique pourquoi Reuchlin insiste dans le même ouvrage ( p 258 ), et ce jusqu’à reprendre ce qu’il avait déjà formulé identiquement dans un ouvrage précédent ( 1980, différences individuelles dans le développement conatif , ed puf, pp 16-17 ), sur le fait que les processus cognitifs mis en évidence ne se déclenchent pas pour eux-mêmes mais en vue de réaliser des “ fonctions propres aux êtres vivants “ :

“ Un cognitiviste représentatif, D. A. Norman, en vient à considérer ( 1982 ) que les processus intercalés entre stimulus et réponses constituent d’abord un “ système régulateur “ chargé d’assumer les fonctions propres aux êtres vivants, et donc absents chez les ordinateurs : survivre, trouver de la nourriture, se protéger contre les agressions, former des familles et des sociétés, se reproduire, protéger et éduquer les jeunes, etc. Le “ système purement cognitif “ n’est pour Norman que l’auxiliaire de ce système régulateur, même si cet auxiliaire est devenu capable dans une certaine mesure d’un fonctionnement autonome. La position de Norman n’est qu’un exemple de l’évolution de l’attitude de certains cognitivistes. On en trouvera plusieurs autres dans M. Reuchlin, 1990a, chap.I, et d’autres encore après cette date. Dans un ouvrage publié sous la direction de R.G. Lister et H.J. Weingartner (1991) sur les perspectives de la neuroscience cognitive, un chapitre est consacré à la “ modulation de la cognition “ sous l’effet, par exemple, du stress, de l’anxiété ou de l’émotion. “

Cette prise en compte du sens et donc de la fonction de la cognition comme moyen en vue d’une actualisation permanente et préférentielle dans le monde ( et qui peut avoir l’étude de la cognition, au sens boudonien, 1995, 1999, comme but ) est la suite en fait de ce que Paul Fraisse nomme l’introduction de la variable P ( personnalité ) entre S ( stimulus ) et R ( réponse ) ( in la psychologie expérimentale ed que sais je n°1207 pp 18-21 ed 1979 ) après que Woodworth ( 1925 ) ajoute Fraisse ait introduit la variable O ( organisme ) et Tolman ( 1932 ) la notion de “ variables intermédiaires “ entre S et R comme “ la motivation et le but “.
Ce qui prolonge les études de Claparède ( 1917 ) qui dit Piaget (1967, la psychologie de l’intelligence, ed Colin, p 11 ) considérait que “ les sentiments assignent un but à la conduite, tandis que l’intelligence se borne à fournir les moyens ( la “ technique “). “
Sauf que Piaget ajoute : “ Mais il existe une compréhension des buts comme des moyens, et elle modifie même sans cesse la finalité de l’action. Dans la mesure où le sentiment dirige la conduite en attribuant une valeur à ses fins, il faut donc se borner à dire qu’il fournit les énergies nécessaires à l’action, alors que la connaissance lui imprime une structure. “

Mais précisément pourquoi cette dernière “ imprime”-t-elle l’action par de la
“ connaissance” dont par ailleurs la “ finalité” peut être sans cesse modifiée par une “ compréhension “ donnée ?

Soulignons seulement pour le moment que toute “structure” en tant qu’organisation au sens large relève d’une “ genèse “ et n’échappe pas à la notion de “ fonction “ ( Piaget 1968, le structuralisme, que sais-je n° 1311 p 122 ).

Ceci alors implique que si “la connaissance imprime une structure” ( supra ) à l’action elle l’effectue d’une certaine façon et en vue de quelque chose , ne serait-ce déjà qu’elle réussisse et soit conforme à la “ compréhension “ qui la justifie.
Or une “structure” nous dit par ailleurs Boudon résulte d’une “ théorie “ ( 1968 in à quoi sert la notion de “ structure “? ed gallimard, p 214 ) à savoir, remarque Bourricaud en citant Parsons, un “ cadre de référence “ ( 1977 “ l’ individualisme institutionnel”, ed puf, p 9 ) qui peut donner un” sens” ( Weber op cit, p 28 ) à l’action et donc sa justification.
C’est-à-dire y compris jusqu’à lui donner une autre “ compréhension” comme le remarque Piaget à la suite de Weber en fait. C’est ce que Boudon nomme
“ l’art de se persuader “ ( 1986, 1990,1992 ).

Ainsi ce n’est pas le contenu final en tant que tel de l’action qui change sans cesse, un meurtre reste un meurtre, mais la signification qu’on lui donne et la “ légitimation “ référentielle qui la justifie.
C’est-à-dire “ l’exemplarité “ et “ l’obligation “ selon Weber ( ibid, §5, concept de l’ordre légitime, p 65 ) qui peut alors rendre sinon “normal” ce meurtre du moins
“ compréhensible “ s’il est conçu comme sacrifice et référencé comme tel.

Nuttin dans son ouvrage fondamental “ théorie de la motivation humaine “ auquel Reuchlin se refère avons-nous déjà dit ( op cit in “ les différences...p 11, voir ici chapitre 5 ) remarque sur la signification ( pp 49-50 ) :

“ (...) même pour les besoins organiques, les sensations fournissent à l’individu des informations, informations qui sont interprétées dans le contexte d’autres informations arrivant de sources diverses. Ainsi, dans le cas où je sais qu’une impression de faim est l’effet trompeur d’un médicament, ou si j’ai fait le projet de participer à une grève de la faim, les mêmes sensations auront des effets comportementaux tout autres que dans le cas où je crois devoir manger beaucoup pour vaincre une menace de maladie. En un mot, c’est la “ signification “ de la situation dans son ensemble qui entre dans la détermination d’un comportement ; le stimulus du besoin éprouvé est un des éléments d’information et s’interprète dans un contexte cognitif et motivationnel global. “


C’est ce qui faisait déjà dire à Husserl au début du siècle que la perception bien qu’étant un “ acte déterminant la signification “ n’est pas un “ acte contenant la signification “ ( 1901, recherches logiques, recherche VI, volume 3, ed puf coll épiméthée, p 34 ).
Ce qui implique qu’il faille selon lui diriger l’attention vers “ l’intention “ qui
“ remplit “ et “ unifie “ par des “ actes de pensées “ ou “ jugement “ la perception
( p 36 ).
Seulement Husserl va plus loin car en se demandant ce qui “ unifie ces actes “ il souligne qu’il ne s’agit plus seulement de “ signifier “ mais aussi de
“ connaître “ ce qui implique que les “ actes de pensées “ deviennent également des “ actes de classifications “ ( p 39 ) :

“ (...) L’objet perçu est reconnu comme encrier et, en tant que l’expression signifiante ne fait qu’un, d’une manière patrticulièrement intime, avec l’acte de classification, et que celui-ci à son tour, en tant que connaissance de l’objet perçu, ne fait qu’un avec l’acte de perception, l’expression apparaît en quelque sorte comme étant posée sur la chose, comme si elle était son vêtement. “

Et c’ est précisément cette possibilité d’estimer ainsi le sens donné à l’action c’est-à-dire d’articuler signification et classification, ou connaissance réelle telle que, semble-t-il, Baechler et Boudon la conçoivent dans leurs travaux, c’est cette nécessité d’estimer la mise en valeur du point de vue du développement non altéré du soi qui nous permet d’ intervenir dans ce débat afin de contribuer à l’édification d’une connaissance du sens effectif de son devoir être.