Bali n’est pas un attentat terroriste


C’est une tuerie totalitaire. Nuance. L’attentat terroriste, dans la majorité des cas, est une réaction, un acte désespéré qui, tout en restant odieux, est aussi nommé tel selon le point de vue où l’on se place. L’attentat totalitaire n’est pas un point de vue. Puisqu’il veut tout. Être le réel, le commander au fond des pensées et des passions.

Le totalitarisme qui a frappé à Bali a eu deux ancêtres. Le léninisme, cette déviation du marxisme, qui a engendré bien plus de misères, d’injustices et de morts que le capitalisme. D’autre part le nazisme qui prétexta le retour vers une pureté perdue et entraîna le monde dans une boucherie également titanesque.

Le léninisme et le nazisme tuèrent ainsi au nom de la race et de la classe pour imposer totalement leur idée d’un homme nouveau au moi dominé par une caste supérieure de néo-aristocrates au goût barbare.

Le troisième visage du totalitarisme, celui du 11 septembre, et maintenant du 13 octobre, détruit des discothèques à Tel Aviv et à Bali, mais ce n’est pas l’Occident qui est visé, ni même la libération de la Palestine, mais le monde moderne de la ville et de la liberté de penser et de vivre sa vie. C’est cela l’ennemi pour un Ben Laden, mais aussi un Garaudy et autres auxiliaires totalitaires passés avec armes et bagages dans le nouveau Camp de la Mort.

Il ne faut donc pas se tromper. A Bali, les prétextes justifiant le 11 septembre sonnent faux. A Bali, comme en Palestine, une discothèque 100% autochtone aurait subi le même sort. Car ce qui est en jeu c’est cette flamme de la liberté d’être que même Dieu n’osa pas enlever lorsque Adam et Eve mangèrent le fruit défendu. Ben Laden et consorts les auraient tués, bien sûr, tant pour eux, Dieu n’est qu’un levier pour asseoir une vision totale où ils seraient la seule image, le seul espace et le seul temps, et où nous serions réduits à n’être que des matériaux saisis par eux pour se mouvoir et s’émouvoir.

D’un autre côté, et contrairement aux idées reçues, le nihilisme ambiant qui se pare de rose bonbon pour se donner l’impression d’exister par une surenchère dans les excitations sulfureuses, forge bien plus les bases haineuses et racistes de ce totalitarisme illuministe que ne le font les diverses exactions et autres affairismes des volontés de puissance débridées confondant économie et casino.

La lutte contre ce troisième totalitarisme, l’écrasement, sans trembler, de la nouvelle bête immonde, ne sera pas possible si son hydre se trouve placée sous double perfusion nihiliste et affairiste.

Il faudra donc réapprendre à se battre sur plusieurs fronts, affronter pied à pied, pensée après pensée, les ennemis du sens et de la démocratie, pour que puisse être préservées et développées les lueurs de la société ouverte dans laquelle la justice et le souci de l’autre sont les points de plus en plus obligés pour l’affinement de soi. Tel est le défi. Que les danseurs et les danseuses de Bali restent enfouis à jamais dans nos souvenirs comme symboles les plus sacrés de l’ivresse de vie. Sans que des gardes chiourmes viennent vous sommer de la dépenser sans penser, sans compter, sans conter.