L'étoile, la croix, le verset, et la laïcité.

Détenteur d'une croix chrétienne autour du cou, bien qu'étant d'origine kabyle (tous les originaires d'Afrique du Nord ne sont pas musulmans et cela ne date pas de la colonisation...voyez St Augustin, de mère et de père berbère...), je me vois mal la retirer à l'entrée d'une école si je viens y donner ou recevoir un cours.

Si je la porte ce n'est pas, nécessairement, pour me réfugier dans une identité d'emprunt, mais parce qu'elle est, pour moi, une sorte de mémoire externe, un souvenir fort, qui me rappelle que mes racines spirituelles sont aussi religieuses, même si ces dernières ont été récemment effacées de la mémoire européenne, dans leur appelation même, par certains adeptes du rétrécissement de l'Histoire, par exemple Chirac et Jospin en France.

Il serait en fait plus judicieux de ne pas confondre les signes, discrets, d'appartenance et les signes ostentatoires. Que la croix proéminente de 20 cm de long, le voile et la kippa soient proscrits, cela peut se plaider, mais que l'étoile de David et la croix chrétienne, soient considérées comme étant aussi ostentatoire que le voile, cette proposition du député Yves Jego, membre du Haut Conseil à l'Intégration, est exagérée tant elle passe d'un extrême à l'autre.

Or le voile peut être aisément remplacé par le pendentif représentant le premier verset du Coran, l'étoile et la croix de petite dimension ne posant pas de problèmes ostentatoires.

Concédons, néanmoins, que cela reste à l'évidence guère suffisant pour signifier l'idée de laïcité qui m'est aussi chère que mon appartenance au Christ. Non pas parce que j'ai été entre 17 et 25 ans marxien tendance gaullo-luxembourgiste (blague mise à part, Rosa Luxembourg fut cependant la seule des théoriciens marxistes à ne pas considérer la liberté de penser comme un droit formel bourgeois mais un acquis imprescriptible...). Mais bien parce que la laïcité c'est l'esprit démocratique pensé dans sa forme républicaine, celle qui permet de vivre ensemble tout en se singularisant selon ses penchants et ses désirs.

Seulement celle-ci ne doit pas se manifester en basculant tout de go de la versatilité au raidissement.

Une proposition, positive, constructive, pourrait être trouvée qui ferait une pierre deux coups: d'une part signifier à chacun que le lieu d'instruction n'est pas la rue, qu'il existe bien une distinction à faire entre le dehors et le dedans; d'autre part signifier qu'il existe une égalité de droit entre tous les élèves et que ceux-ci ne doivent pas afficher plus qu'il ne faut leur appartenance sociale, idéologique, et religieuse. Quelle proposition serait susceptible d'avoir autant de fonctionnalité ?

J'ai pensé un moment au retour vers une une espèce de vêtement, une blouse, une chemise, qui soulignerait, voire renforcerait le sentiment d'appartenance, chaque établissement aurait ses motifs, chacune et chacun se le procurerait pour qu'il soit à sa taille...

Les consultations autour de moi, ont été négatives, Mai 68 a eu raison de la blouse 3ème République, et l'argument fort qui m'a fait changer d'avis consiste à faire remarquer que l'élève, l'étudiant, va tous les jours s'instruire, qu'il s'expose à la vue d'autrui, qu'il a besoin de se sentir à l'aise dans une identité qui ne le terrasse pas, ne le dépouille pas de sa singularité, mais l'accompagne dans son développement personnel.

Il m'a été également rétorqué que porter la laïcité c'est précisément rester discret sur ses accointances privées, puisqu'elle se porte à l'intérieur de soi, dans l'esprit, et, si elle est forte, elle n'a pas besoin de se redoubler dans un signe distinctif pour le rappeler.

Ces deux arguments sont décisifs et je les partage en fin de compte, mais doivent-ils pour autant aller jusqu'à prohiber tout signe d'appartenance sous le seul prétexte que la laïcité ne doit pas en avoir besoin pour s'exprimer ? Je n'en suis pas si sûr parce que nous ne raisonnons pas sur le même plan: la laïcité est la condition nécessaire pour tous, mais est-elle suffisante ? Non parce qu'il ne s'agit en fin de compte que d'une sorte de Code de la route qui n'apprend pas en même temps comment conduire, tenir un volant, changer de vitesse. L'instruction doit remplir ce rôle. En particulier une instruction civique renforcée qui expliquerait bien plus qu'aujourd'hui ce qu'est l'esprit laïque. S'agit-il pour autant d'effacer ce que nous sommes avant d'entrer à l'école, surtout lorsque notre sensibilité diffère de celle d'autrui et nécessite des réconforts concrets?

Si l'affirmation de soi se fait de façon provocante, il est clair qu'il faut au moins suspendre celle-ci à l'entrée de l'école. Par contre lorsque cela reste discret, comme peut l'être un pendentif, le vivre ensemble ne doit pas être ablatif.

La laïcité, si l'on veut que cela marche, ne peut pas en effet être vécue comme une contrainte, un garde fou, mais une limite qui permet, tel un trait dessiné, qu'un visage, celui de la démocratie républicaine, puisse surgir pour le bien de toutes et de tous.

Marianne n'est pas une geôlière mais une proue, celle de l'espérance en la nécessité d'un être ensemble permettant, par son existence limpide, de s'affranchir des flots tumultueux internes et externes sans cesse à l'affût pour nous arracher l'être raisonné, cette flamme de l'universel qui nous évite de rester avec nos seuls tourments en nous permettant de sortir de nous-mêmes pour les observer plus objectivement, dans l'absolu, en, et au-delà du religieux, invitant ainsi les athées et les agnostiques à la Grande Interrogation.

Telle serait aussi la fonction, émancipatrice, de la laïcité qui permet de choisir son mode d'appartenance symbolique, plutôt que de se le voir imposer ou effacer.

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