L'ONU est-elle la solution pour l'Irak ?

A observer ce qui se passe en Afghanistan, la réponse n'est pas si évidente, même si les situations ne sont pas les mêmes. Mais quelque chose en Afghanistan et en Irak les rapproche et permet la comparaison, toutes proportions gardées: le fait que ces deux pays n'aient jamais connu une autre structure sociale que patriarcale et clanique. C'est d'ailleurs le même problème en Afrique.

Or qu'est-ce qui a permis l'existence de l'Etat moderne qui s'est ensuite exportée sous le nom de démocratie ? Le fait par exemple, en Angleterre et en France, que l'élite à la tête du pouvoir central ait décidée de relativiser (avec des difficultés et des rechutes) les intérêts de son propre milieu pour promouvoir au-dessus d'eux ceux de ce qui est devenue peu à peu la Nation, puis l'Etat-Nation. En France Louix XIII avec Richelieu, Louis XIV ensuite ont réduit le pouvoir des Grands au profit de l'Etat.Puis comme l'a bien vu Tocqueville, la Révolution française a parachevé cette oeuvre en légitimant légalement l'assise politique nouvelle. Il en a été de même, mais bien avant, en Angleterre, avec Cromwell.

Tout ceci pour dire que la création d'une instance capable de conjuger tous les intérêts vers leur bien commun ne va pas de soi. On le voit bien ces temps-ci avec la nouvelle Constitution européenne. Les notions de privé, de public, de pouvoir central, local, doivent être définies. Comment croire qu'en Irak et en Afghanistan, par un coup de bagette magique que même Napoléon n'a pu effectuer en Espagne ou en Russie, la démocratie, avec ses institutions et ses régulations, puisse surgir sous le seul fait de donner à l'ONU le pouvoir total ? C'est une illusion.

Pourquoi l'entretenir ? Pourquoi insinuer qu'il faille "rendre le pouvoir aux irakiens" sans se demander en même temps : quels irakiens ? Qui? Exactement ? Quand ? En un mois disait l'incroyable poète nommé de Villepin. Sans rire. Avant que Chirac ne rectifie le tir en concédant quelques mois supplémentaires. Sans se dire qu'il faut pour ce faire que s'organisent ceux qui parmi eux le veulent bien, et qu'il faut bien écrire une constitution, dresser des listes électorales, remettre en route le pays, martelé haineusement par "l'ami" nommé Saddam Hussein. L'exécutif français a-t-il par exemple invité à Paris l'actuel exécutif irakien reconnu par la Ligue Arabe et pas seulement par les USA ? Non. Que fait l'Europe ? Pas grand chose, hormis la position constructive de l'Espagne et de la Pologne, mis à part le Royaume Uni.

N'aurait-il pas été possible que la France enterre, la première, la hache de guerre, tout en ne se reniant pas nécessairement, (puisque les ADM n'ont pas encore été trouvées, même si des plans ont été dénichés et que les créatures de Saddam tentent de tuer les scientifiques qui osent en parler), et ce pas seulement en parole, mais en acte, en considérant par exemple qu'il s'agit moins d'agiter l'alternative ou les USA ou l'ONU, mais que les deux collaborent afin que les irakiens décident en effet, et à terme, de leur propre destin.

Quelle collaboration ? Qu'il y ait un Exécutif à trois, le gouverneur américain, le représentant de l'ONU et le Conseil provisoire irakien, chacun ayant un droit de véto. Cet Exécutif aurait trois tâches qu'il a déjà amorcé d'ailleurs : l'écriture d'une Constitution, la remise en route des infrastructures, et aussi, et de cela on n'en entend guère parler, la mise sur pied d'un Tribunal pour juger des crimes contre l'Humanité opérés par l'ancien tyran. Ce dernier point est essentiel. Parce qu'il montrerait ce qu'était réellement l'ancien pouvoir irakien si apprécié en France par les pro-nationalistes arabisants.

Ce Tribunal, qui a existé après la seconde guerre mondiale et s'est nommé Nuremberg, qui a existé à la Libération en France (qui a manqué en Russie après 1989), permettrait justement de signifier à tous les irakiens ce qu'est la démocratie en principe, c'est-à-dire comme cette option universelle qui peut servir chaque peuple puisqu'elle ancre sa forme singulière dans chacune des histoires particulières. La future démocratie irakienne n'a donc pas à se décalquer dans sa forme sur celles qui existent en Occident et qui sont précisément diverses.

Seuls les détracteurs de l'idée même de démocratie, qu'ils réduisent souvent à un processus électoral, agitent le fait que la notion même est occidentale. C'est par exemple la Chine, qui, avec la France, chicane au Conseil de sécurité, comme si la Chine savait, elle, et plus que tout le monde, ce que veut dire construire une démocratie dans un pays qui n'en a jamais connu alors que cela existe depuis des lustres chez elle, bien entendu... Sauf qu'elle a du mal à montrer le bout de son nez, hormis celui de l'affairisme débridé !

La forme de la démocratie est plurielle au sens non pas multipolaire mais oligopolaire,comme le dit Jean Baechler dans Esquisse d'une histoire universelle (Fayard), ce qui veut dire qu'un certain nombre d'éléments est indispensable pour que la vie ensemble devienne possible. C'est cela, ce vivre ensemble que la France pourrait aider à construire en Irak. Du moins si elle pouvait déjà montrer chez elle ce que cela veut dire aujourd'hui.

C'est d'ailleurs peut-être ce manque, le fait que la France n'accomplisse pas ce pourquoi elle s'est destinée depuis 1763, le fait d' innover dans la défense la liberté, des droits de l'homme, y compris sociaux, c'est peut-être cela qui manque, et fait par exemple que les intellectuels américains si amoureux de notre pays, si conscients que si celui-ci a perdu en 1939 ce n'était pas entièrement de sa faute, ne comprennent pas que les différents ne puissent pas être surmontés lorsque la situation l'exige, lorsqu'en Irak, mais en fait dans tous les pays non démocratiques, les forces les plus patriarcales et claniques freinent des quatre fers, se servent du religieux, de l'idéologie, pour empêcher que la transformation sociale apporte un mieux-être, malgré le pire qui est charrié en même temps, mais qu'il est possible de réguler.

Par exemple en renforçant les structures internationales. En faisant en sorte justement que l'ONU soit moins une structure d'assistanat qui distribue de la nourriture revendue au marché noir et concurrençant également la production locale, et plus une structure qui "apprenne à pêcher" comme l'on disait naguère dans les années 60, à l'époque où la mondialisation telle que nous la connaissons maintenant commençait à remplaçer la colonisation. Voilà ce que le monde entier, y compris les américains, surtout eux peut-être, attendent de la France. L'équipe actuellement au pouvoir est-elle à la hauteur de ces défis ? Rien n'est moins sûr. Surtout lorsqu'il se dit de plus en plus que la France tombe plutôt qu'elle n'élève.

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