La réforme française des retraites vue de Rio

A Rio le président Lula veut faire la même chose que le gouvernement Raffarin (soutenu, sur ce point, par Rocard et Delors) : aligner les retraites du public sur celles du privé. Pourquoi ? Parce qu'il a besoin d'argent public pour financer ses programmes sociaux de lutte contre la faim, l'analphabétisme, la vétusté de l'habitat et des transports. Vu de Paris cette volonté-là est aisément compréhensible: Lula ne peut pas augmenter les impôts, spécialement sur le capital, parce qu'il verrait les investisseurs étrangers s'enfuir tandis qu'à l'intérieur du pays peu de gens aisés se risqueraient dès lors à entreprendre.

Dans ces conditions, et toujours vu de Paris, le refus de syndicats brésiliens et des "amis" de Lula d'entériner cette réforme apparaît bien pour ce qu'il est : un déni corporatiste de l'intérêt général puisque l'argent public économisé devrait plutôt servir à aider les plus démunis.

Car pérorer sur le fait de taxer plutôt les "riches" ne tient pas compte de la réalité des rapports de force et de surcroît apparaît anti-économique puisque déjà l'argent "taxé" ne sert à rien s'il n'est pas immédiatement investi pour renforcer le service public au lieu de seulement arrondir les revenus des fonctionnaires; ensuite il est clair que ce n'est pas en alourdissant les charges que l'on incite à l'investissement. De toute façon lorsque tous les riches seront plumés (comme ce fut le cas en URSS dans les années 1920 soit dit en passant) la classe moyenne y passera à son tour... Lula n'est donc pas devenu tout d'un coup un affreux "néo-libéral" comme tentent de le faire croire certains au Brésil...mais aussi en France.

A Paris la réforme du gouvernement Raffarin a paru opaque parce qu'elle a été mal expliqué et que le contexte marqué par les scandales de Messier, de Air Lib, de ELf, des gaspillages innombrables relevés (inutilement) par la Cour des Comptes s'y prêtait mal, ce qui a rendu la perception de ses mesures encore plus rude (c'est d'ailleurs ce que révèlent les sondages).

Mais lorsque l'on voit cette réforme de Rio, on s'aperçoit que le gouvernement français veut économiser de l'argent public, déjà pour ne pas alourdir une dette de plus en plus faramineuse (la totalité des impôts sur le revenu sert uniquement à en payer les intérêts!), ensuite pour l'investir à bon escient. Autrement dit, la tentative de réforme en France s'éclaire mieux lorsque l'on cherche à comprendre, et sans parti pris, pourquoi quelqu'un avec le passé du président brésilien cherche à faire la même chose... Peut-on dans ce cas et décemment accuser Lula d'être "vendu au capital" ? Bien sûr que non ! Par contre en France, Raffarin, (qui n'est certes pas aidé par ses "raffarinades"...) passera pour un immonde réactionnaire.

Que faire ? Et la colère des intermittents n'est pas là pour arranger les choses. Il manque semble-t-il en France un débat sur l'avenir du service public, et de l'argent public en général. Voilà ce qui manque. Surtout en cette période où l'on voit certaines grandes entreprises publiques creuser les déficits. Qu'est-ce que donc que le service public ? Où s'arrête-t-il ?

Si l'Etat ne peut pas s'occuper de tout comme l'a souligné le Président de la République le 14 juillet, est-ce qu'un moins d'Etat signifierait moins d'engagement collectif ou plutôt mieux d'Etat comme le prônait Rocard en s'appuyant sur les analyses du sociologue Michel Crozier ? S'il s'agit d'un mieux d'Etat, comment celui-ci doit-il se concrétiser? Est-ce que cela veut dire moins d'intervention mais plus de régulation ? Plus d'inspecteurs du travail et moins de hauts fonctionnaires interchangeables à la tête des entreprises publiques ? Et celles-ci, ne vaut-il pas mieux qu'elles deviennent plus bénéficiaires et donc imposables ce qui permettrait de renflouer les caisses et donc aider les plus démunis, récompenser les plus actifs ? Mais dans cas qu'en serait-il de la notion même de service public ? Et est-ce que l'école et la santé doivent être "rentables" ?

A ces deux redoutables questions qui séparent, dans chaque camp, une "gauche" et une "droite", suggérons d'une part que la notion de service public doit être distinguée des entreprises qui sont censées y subvenir. Autrement dit le service public est un droit qui doit être pris en charge par tout le monde, public et privé; l'exemple à suivre serait cette entente public-privé pour que dorénavant aucune zone du territoire ne soit inatteignable par le téléphone portable.

D'autre part et concernant l'école et la santé, rien n'empêche à ce que la première puisse articuler des fonds publics et des fonds privés sous contrôle d'une instance protégeant le caractère national des diplômes et la non rentabilité comptable de certains enseignements (comme le grec ancien), tandis que la seconde puisse établir un partenariat entre sécurité sociale, mutuelles et assurances, ce qui permettrait déjà de voir des éléments comme les lunettes et les prothèses dentaires mieux remboursés, sans parler d'une amélioration possible dans la qualité des soins.

Au total il apparaît de plus en plus vu de Rio que l'échange peu amène de noms d'oiseaux allègrement saupoudrés en France sans oublier la diabolisation réciproque, devient l'arbre qui cache la forêt ou comment noyer son chien en prétextant qu'il a la rage, autrement dit comment sauter comme un cabri en criant le mot " réforme, réforme, réforme" pour mieux cacher que l'on ne veut pas en entendre parler pour préserver des intérêts privés petits et grands au détriment de toute politique ambitieuse visant à satisfaire le plus grand nombre.

Il se trouve, néanmoins, que vu de Paris, Rio est en train de suivre son plus mauvais exemple, soit l'immobilisme tout en faisant mine de se mouvoir, et c'est bien dommage.

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