La réforme impossible, lalternance interdite
Par Jean-Louis Caccomo*
Lémission de France 2 diffusée hier et à loccasion de laquelle le ministre Ferry était invité pour expliquer sa démarche montre à quel point le débat est piégé au pays du collège unique quand il nest pas tout simplement saboté par les intermittents du spectacle qui sont amenés à rejoindre les permanents de la contestation.
Collègue unique, pensée unique, le tout contrôlé par un univers médiatique aux ordres du politiquement correct qui choisit clairement son camp et dicte ses critères de légitimité politique.
Ainsi, en fin de soirée, M. Jack Lang arrive majestueusement sur fond de musique et dovation pour achever le procès du ministre Ferry. Monsieur Lang va donner le ton, assenant les bons points et corrigeant le ministre.
Cette parodie démission politique nest quun avatar supplémentaire de la télévision spectacle qui nest pas destinée à nous faire réfléchir mais à éliminer le mauvais candidat. Au moins quand elle est commerciale, elle avance à visage découvert à la demande des clients qui payent pour se divertir.
Mais avec la télé publique qui se veut sérieuse et éducative, la télévision spectacle est beaucoup plus insidieuse car elle se décline sur le registre de la propagande. Elle ne veut pas nous divertir ou nous informer, elle veut penser à notre place et nous dire ce quil faut penser tout en sen défendant.
Pour déployer le registre émotionnel et démagogique, M. Lang est très fort. Il constate que les entreprises ferment. Mais les différents gouvernements qui ont rendu lactivité économique de plus en plus intenable dans ce pays sont-ils innocents ?
Ils brisent dun côté les entreprises à force dempiler règlements, directives et prélèvements ; ils détournent les jeunes du marché du travail à force de mettre dans leurs esprits une image diabolique du monde de lentreprise et de léconomie. Tout le monde rêve de devenir linstit justicier du social ou madame la proviseur
mais qui veut innover ou créer son entreprise Monsieur Lang. Mais que vient-il faire là, au fait ? Est-il consacré ministre à vie de la culture et de léducation ? Mais si son bilan avait été si brillant, on nen serait pas là aujourdhui.
Ceux qui sont toujours les premiers à vitupérer le marché, lentreprise ou le secteur privé et ils étaient majoritaires parmi les professeurs invités à cette émission comme par hasard devraient avoir le courage dadmettre que lécole en France est au main de lEtat depuis quasiment un siècle. Ce monopole finit par être contre-productif et quasiment destructeur dans un monde dynamique, changeant et ouvert.
Les dysfonctionnements que lon ne peut plus nier en ce domaine (violence, illettrisme, démotivation, chômage) ne sont pas une fatalité. Ils ne sont pas non plus imputables aux forces du marché qui sont quasiment étouffées en France. Ce sont bien les défaillances de laction publique et de ladministration centralisée qui sont en cause dans cette affaire. Mais cest un sujet trop tabou pour être débattu.
On parle des pères fondateurs de lécole comme sils avaient le même statut historique que les pères fondateurs de la constitution des Etats-Unis. On sacrifie une jeunesse sur lautel dune nouvelle religion, dune nouvelle idole : le collège unique et tous ses enseignants engagés dans une grande croisade contre les inégalités. Mais lon demande aux enseignants de transmettre des connaissances aux enfants avant tout, non pas de réduire les inégalités. Quil y ait égalité des chances, cest une noble cause. Mais elle nimpliquera jamais égalité des résultats. Surtout si lon cherche à imposer un moule unique à un monde nécessairement divers et mouvant. Ces messieurs ont en tête une utopie et ils veulent violer la réalité pour la forcer à se rapprocher à leur modèle.
Ah, les séries télévisées de nos chaînes publiques (linstit, madame le proviseur) ne nous font-elles pas rêver ? Mais tout cela est artificiel, il y a des scénarii, on rêve et on fabrique une réalité télévisuelle à laide des subventions de M. Lang. La boucle est bouclée.
En attendant, dehors, dans le monde réel, les entreprises manquent cruellement de personnel, qualifié ou pas tandis que nous avons des étudiants à vie, des chômeurs bardés de diplômes, des faux étudiants qui nont pas lintention de travailler, et des jeunes très qualifiés ou très motivés qui quittent la France. Et comme toujours, on sécoute parler : nous avons le plus beau système du monde. Chacun y va de sa solution, sans plus aucune courtoisie pour son ministre. Le ministre, il est là pour en prendre plein la vue !
Et comment sétonner après de tels spectacles de la perte de lautorité. Les professeurs vivent de lEtat mais ne respectent rien de lEtat. Ils parlent sans cesse de solidarité et de générosité mais ne sont pas prêts à travailler plus pour sauver le système quils prétendent pourtant défendre. Les fonctionnaires nont jamais signé de contrat avec lEtat. Sortez-moi votre contrat de travail madame linstitutrice !
Non, vous êtes à la merci de nimporte quel ministre qui viendra changer les lois selon les circonstances. Cest cela la gestion étatique. Et cest le même phénomène avec la sécurité sociale. Il ny a jamais eu de contrat passé entre les cotisants (les assujettis !) sociaux et les caisses. Si, madame linstitutrice, vous êtes choquée et en désaccord avec lEtat-Employeur, ayez le courage de démissionner. Il ny a que dans le secteur privé et dans un contexte dEtat de droit, que les relations contractuelles se traduisent par des contrats signés.
Alors vous dérapez en reprochant au ministre davoir laisser « crever les vieux cet été ». On ne me fera pas croire au dérapage. Tout cela est orchestré par un journaliste qui se met au même niveau quun animateur de Star Académy. On sélectionne soigneusement les invités, on donne la parole aux plus vindicatifs et le ministre, piégé, sur la défensive, doit répondre. Et le public attend : comment va-t-il se sortir de là ?
Cest pitoyable et jen appelle au remboursement de la redevance si cest cela le service public de linformation. La télévision publique est un instrument de propagande. Cest clair sauf pour les ignorants que nous finissons par devenir avec la complicité active du collègue unique (duquel nous sortons tous) et des médias complaisants qui ne tolèrent la critique dans un sens déjà bien pré-établi. Si la France se réduit à lEtat, alors même que toutes les missions que nous avons confié à la gestion publique sont en crise, alors la France est morte.
Pour finir, laissez-moi confirmer les propos alarmistes entendus dans cette émission mais minimisés par la langue de bois syndicale. Je suis responsable pédagogique à luniversité, au niveau licence. Je constate que les étudiants, en effet, ne savent pas lire. Certes, ils savent lire techniquement parlant bien quils ont grand mal à ne pas buter sur certains mots. Ils voient rarement la ponctuation. Mais ils récitent un texte sans comprendre le sens. Je nose plus leur demander de rédiger une dissertation. Les langues vivantes : ils trouvent langlais difficile et peu utile ! Les mathématiques : cest désastreux. Mais, ils savent manifester dans la rue dès que lUNEF claque des doigts et réciter des slogans vaseux (aujourdhui, sur mon campus, un étudiant comparait Raffarin à Goebbels ; je veux rappeler à ces hordes diplômées mais ignorantes que Goebbels était un ministre socialiste, national-socialiste).
Tout cela nest pas un échec du système éducation. Le système est très efficace car il vaut mieux endoctriner les masses plutôt quéveiller les consciences individuelles quand on veut se maintenir au pouvoir et rendre lalternance définitivement interdite. Après tout, Ferry la admis lui-même : il ne fait que reprendre la politique de ses prédécesseurs tout en endossant leurs erreurs !
Perpignan, le mardi 9 septembre 2003,
*Maître de conférence en sciences économiques
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