Intervention divine,Créance de sang, Le pianiste.

Intervention divine est bien plus étonnant que prévu: ce n'est pas seulement un opus partisan sur le dur ennui des âmes sous occupation israélienne. C'est aussi, et surtout -heureusement! une amorce de pensum sur leur côté obscur au quotidien sous l'emprise permanente de la bêtise et de la lâcheté.

Certes, l'israélien apparaît en priorité borné et agressif et encore et toujours l'illustre inconnu sinon méprisé du moins ignoré. Mais certains travers palestiniens sont bien caricaturés comme ce voisin se plaignant auprès de sa voisine lorsqu'elle lui renvoie les sacs poubelles qu'il a pourtant lancé en premier dans son jardin. Ou encore lorsque se distille cette sourde et lancinante impression de croiser des corrompus en grosses voitures ne vivant donc pas si mal que cela le "joug sioniste".

Et puis ce qui reste attachant réside dans ce souci de montrer une relation amoureuse sous l'angle de la modernité, lorsqu'il est possible de voir des doigts s'emmêler au-dessus d'un levier de vitesse, ou effleurer une demie-cuisse de femme palestinienne en mini-jupe et donc, automatiquement, sans voile.

C'est frais, émouvant, surtout lorsqu'il est entrevu que leur difficulté à se voir tient moins au fait qu'ils habitent dans des villes différentes, séparées par des checks points israéliens, qu'à l'impossibilité, désespérée, d'une telle rencontre; puisque l'on se doute bien qu'en cas d'instauration d'un Etat palestinien, puissamment endoctriné par le nouveau totalitarisme illuministe prétendant parler au nom de la troisième religion du Livre, une telle liaison est tout à fait improbable, elle sera durement pourchassée avec effet de mort.

Aussi lorsque la dernière scène montre la jeune femme se transformer en kamikaze un peu "effet spécialisé" en ninja volant tigre et dragon, le malaise prend le dessus, malgré l'humour d'un ballon rose à l'effigie d'Arafat, s'élevant au-dessus d'un check point interloqué, belle occasion pour ridiculiser une dernière fois "l'envahisseur" à défaut de le comprendre.

*

Créance de sang

Clint ne rend pas hommage à l'art d'être grand père, mais à la série B, à son imaginaire bétonné dans le quotidien des néons suintant la lassitude des solitudes noyées dans l'artifice des rêves urbains, lorsque les innombrables corps croisés et uniquement saisis par l'oeil alimentent encore plus un onirisme étrange bien observé par Simmel lorsqu'il décrit la spécificité d'une ville comme Venise où il n'existe plus aucun autre animal que l'homme.

Il est donc difficile d'en comprendre les rêveries, tragiques, sans avoir été sous perfusion B, malgré des efforts surhumains d'en approcher les rivages à coup de cures polars, "fleuve noir" aux eaux lourdement surdosées par le recyclage punky-gaucho s'apercevant soudain au bout du hublot que quelque chose comme du réel surnage sous les néons urbains.

Certes, il fut de bon ton, dans les années 80, lorsqu'ils leur semblaient -aux critiques- que l'inspecteur Harry donnait tout de même l'impression de prendre parti pour les "petits" contre les "gros" dominant le monde kafkaïen de l'Etat et de la Ville, il fut de bon ton, à l'heure du polar sous perfusion cocaïnée, de reconnaître la série B comme genre à part entière.

Mais entre se rapprocher, voire simuler une compréhension, et saisir, réellement, cet univers, il y a un pas de deux impossible à réaliser pour les clercs ou qui se prétendent tels : d'où leur rejet, poli, du dernier film de Clint qui dévore pourtant miami vice en vrai. Leur compréhension de la ville, de ses méandres mouillées de trouille au carrefour des sourires fatigués mais espérant encore du goutte à goutte du temps, s'arrête sans doute au carrelage spermatique-spasmodique des Particules élémentaires, voire aux hoquets besogneux de Le Dantec, ou le degré zéro d'une chimie politique, c'est peu dire, d'une gravitation symbolique, c'est sûr.

*

Le pianiste est certainement le film qui m'a fait le plus comprendre, dans le moindre de ses détails, percutants, et si bien dessinés (enfin!) -semblable en cela au cinéma américain de naguère (avant que celui-là soit dévoré par "l'effet spécial"), que le nazisme n'avait rien à voir avec la modernité mais, au contraire, fut le mouvement le plus anti-moderne qui soit.

Plus encore même que le marxisme-léninisme soviétique, qui le fut, lui aussi, mais, par dépit, c'est-à-dire en génération spontanée, par défaut, Lénine en brûla même son hémisphère droit tant il n'arrivait à ne plus rien imaginer, à l'exception d'un plus de traîtres et de bourgeois à tuer;le nazisme avait, lui, programmé, minutieusement, avec beaucoup de ruses, bien décrites par le film de Polanski, la purification ethnique.

Seulement, lorsqu'il s'agit de quitter les rivages immédiats du film, pour comprendre leurs linéaments souterrains, les explications dites "postmodernes" rétorquant qu'il y aurait, tout de même, un lien entre "modernité et Holocauste", parce que les Allemands ont utilisé ("outilisé") la technique et l'industrie pour programmer la "solution finale", reviendraient à faire croire que Ben Laden est la pointe ultime de la modernité parce qu'il a utilisé des avions et spécule en Bourse pour s'acheter de quoi faire sa future bombe "sale".

Les Allemands étaient anti-modernes parce qu'ils ne voulaient pas du temps, politique, imposée par la modernité, c'est-à-dire une démocratie dominée par la constitution d'un Etat central aux dirigeants élus et par l'émergence d'une société civile urbaine moins basée sur les Métiers et bien plus sur la mobilité que le conflit social et une concurrence mondiale venaient cependant de plus en plus fragiliser comme ce fut le cas dans les années 20 du 20ème siècle.

Hitler leur donna l'Etat central, assura la mobilité au sein du Parti-Etat, et voulut détruire toute concurrence extérieure, mais aussi intérieure, c'est-à-dire les Juifs, afin que les Allemands restent supérieurs.

Les Allemands se sont en effet toujours pensés supérieurs -il suffit de lire les Discours à la Nation allemande de Fichte.

Les nazis, eux, considéraient que la seule "race" qui leur faisait de l'ombre était les Juifs puisque les Anglais et les Français avaient succombés en s'avachissant dans le douçâtre du commerce sans âme et dans la trahison des idéaux de grandeur si violemment dénoncée par Nietzsche et Jünger.

Quel rapport dans ce cas avec la modernité ? Les "postmodernes" réduisent celle-là à la science et à la technique, comme le faisait, soit dit en passant, ceux-là mêmes qu'ils étaient censés combattre, je veux parler du scientisme et du positivisme, et écartent la liberté de penser et d'entreprendre comme horizon même de la modernité, puisque le courant dont ils sont en majorité issus -le marxisme léninisme, a toujours récusé cette double face de la liberté.

Certes, il est possible de plaider qu'au sein de la modernité des courants puissants privilégient la gestion sur le sentiment et préfèrent les joies hallucinantes de l'argent aux joies futures des lendemains qui chantent.

Est-ce pourtant une raison pour que les "postmodernes", dans un relativisme culturel inquiétant, fassent tacitement alliance avec ceux-là mêmes qui refusent toute mobilité, tout changement autre que technique, préférant plutôt une société figée aux corps pétrifiés par la soumission à la tradition ?

Il serait bien plus intéressant pourtant d'approfondir plutôt la modernité en construisant des processus de contre-pouvoir à l'échelle mondiale qui permettraient de plus en plus à la qualité et à la solidarité d'avoir leur mot à dire.

Voilà d'ailleurs pourquoi je proposerai dorénavant le concept de néomodernité.

Le suffixe "néo" stipulera le fait de prendre en compte la nécessité d'affiner la modernité au lieu de la rejeter comme le font certains adeptes d'une nouvelle frugalité agitant "l'extrême droite" et la "globalisation" comme stades suprêmes de la technique produisant-détruisant les corps devenus fétiches d'eux-mêmes et marchandises pour les autres, alors que cet état de fait, certes réel, n'est pas fatal s'il reste circonscrit à une dimension donnée, très limitée, du développement, c'est-à-dire ne l'exprime pas en tant que tel.

Le film de Polanski est, heureusement, aux antipodes de cette instrumentalisation, même si, néanmoins, il y montre seulement la force brute en action : il ne l'explique pas.