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Une étrange polémique senvenime au sein de lEducation Nationale sur la manière de transmettre la philosophie. Rappelons les faits qui risquent de dégénérer puisque certains opposants menacent dopérer une rétention de notes du bac et doivent se réunir en AG avant la fin du mois de juin.
Plusieurs associations denseignants en philosophie sinsurgent contre lintroduction depuis juillet 2001 dune nouvelle manière daborder un certain nombre de notions clés. Celle-ci dite réforme Renaut- consiste à ne plus se satisfaire dexposer une trentaine de notions et une liste dauteurs tel que cela se fait depuis 1973 laissant libre choix à lenseignant de les traiter comme il lentend, mais de coupler certaines notions entre-elles, tout en indiquant les points de repères sur lhistoire de la philosophie et tout en désignant des questions dites dapprofondissement.
Cette réforme a pour objet selon ses partisans de réduire les inégalités en matière daccès au savoir philosophique puisquen indiquant avec quelles orientations doivent être étudiées ces notions dans leur programme national, cette réforme permet aux élèves de sy retrouver et dêtre mieux armés pour passer le bac, surtout au vu des résultats passés montrant que huit candidats sur dix ne dépassaient pas 10 de moyenne.
Cette réforme a néanmoins suscité de vives oppositions. Elle a été suspendue par Jack Lang cette année et celui-ci avait nommé Michel Fichant pour faire en sorte de revenir à la situation dantan.
Il savère que les propositions de ce dernier ont été repoussé par deux organismes consultatifs importants, le CNP (Conseil national des programmes) et le CSE (Conseil supérieur de léducation) qui regroupent des syndicats enseignants des associations de parents et de lycéens. Or les enseignants opposés à la réforme Renaut leur dénient toute légitimité et somment le ministre de ne pas suivre leur indication en avançant quil faut laisser aux enseignants la totale liberté de philosopher "consubstantielle" selon eux « à la philosophie elle-même » (Libération du 13 juin 2002, p. 16).
Cette polémique est révélatrice sur deux plans au moins.
Déjà parce que pour certains la notion de « liberté » doit être totale dans certains domaines, par exemple lenseignement et les murs, mais doit être limitée voire contrainte absolument en matière économique et politique. Ensuite parce que la notion même de service public semble être mise de côté, ou alors identifiée à la liberté individuelle dinterprétation.
Entamons la réflexion uniquement sur ce second point.
Que de manière générale la liberté de penser, et, plus précisément, que la liberté de philosopher soit garantie et encouragée dans la société et pour chacun, cest lévidence, surtout en régime démocratique, et même si cela na pas été toujours le cas et quil fallut se battre pour lobtenir.
Mais lorsquil sagit de lenseigner, surtout au sein dun cadre public ou conventionné, le fait de sappuyer sur le seul droit constitutionnel de « la » liberté ne suffit pas puisque celui-ci ne sapplique pas ici dans un domaine privé mais public ou conventionné.
Ce qui implique que le droit à la liberté de penser la philosophie ne peut pas entrer en contradiction avec un autre droit tout aussi légitime, celui denseigner quelque chose en noubliant pas certains angles jugés indispensables pour former lesprit public de la citoyenneté.
La notion de service public signifie en effet, semble-t-il, quil existe un certain nombre de données à apprendre et à comprendre sous des angles nécessaires, y compris lorsquil ne sagit pas seulement des sciences de la matière et de la vie mais des sciences de la société et de lesprit.
Il serait dailleurs curieux que lon admette que lenseignement de laddition ne peut se faire sans celle de la soustraction, et négliger le fait que létude du positif doit se coupler avec létude du négatif, le bien avec celui du mal, tout en considérant que ces études sinscrivent dans des problématiques, des polémiques, des courants de pensées.
Si la notion de respect nest pas articulée à son contraire lirrespect, si la civilité nest pas étudiée avec lincivilité, si une analyse du surgissement de ces notions et de ce quelles recouvrent ne voit pas le jour, quelque chose se perd, se relativise, et le contenu des notions risque de disparaître dans linterprétation nécessaire mais point suffisante. Par exemple lorsquelle néglige daborder certains points de passages obligés, garant de la cohésion sociale du point de vue de la notion de Service Public, telles les notions de limite, de maîtrise de soi, de sanction.
Le problème nest donc pas de se dire que de toute façon les enseignants vont nécessairement aborder tous les angles, il ne sagit pas de mettre en doute leurs capacités, mais de garantir que lesprit du service public soit également respecté partout. Ce qui permet daborder de manière équitable la matière à enseigner, tout en noubliant pas quil sagit de préserver la société, ce qui implique certes denseigner les moyens cognitifs à même de la critiquer, mais aussi de la défendre, tout en pensant à en affiner les rouages.
Or il semblerait que sur ce point, comme sur dautres dailleurs, il nest pas possible de sapproprier sine die la notion de service public. Ou alors il sagit daller jusquau bout de son désir absolu de liberté : en créant sa propre entreprise denseignement.
Certes il est délicat dy arriver lorsque lon dénie toute liberté dentreprendre, ou en réduisant la liberté à la seule gymnastique de lesprit. Mais ce nest pas une raison pour se rabattre dans ce cas sur le seul service public denseignement en sarrogeant le droit de permettre et dinterdire ce quil faut ou non enseigner. Ce point de vue ne peut être admis, du moins en régime démocratique.
Voilà pourquoi le débat doit samorcer sur la place publique. Tout en espérant que le Ministre ne cède pas au chantage des prérogatives de spécialistes, comme sil fallait laisser aux militaires le soin de décider politiquement de la guerre. Or il sagit de lavenir de la chose publique (res publica) et la plus grande parmi toutes : celle denseigner et de former sans déformer, les générations futures. Même si celles-ci nen font, ensuite, quà leur tête... Mais ceci est une autre histoire.
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