L'Europe, la nouvelle Venise

La tâche de l'Europe, comme il est de plus en plus admis maintenant, du moins parmi les gens généreux, consiste à donner l'exemple de l'équilibre entre le défi du risque permanent et le confort des acquis. Ils ne sont certes pas systématiquement contradictoires.

Mais la volonté de dépassement, de porter haut l'assise européenne comme exemple au monde, signifie d'un côté distinguer la notion de service public de son application qui peut être privée ; de l'autre côté il s'agira également de distinguer Nations et les Etats, les seconds, unique et unifié, étant au service des premières, multiples.

Ceci implique l'existence d'un Parlement des Nations Régionales Européennes (PNRE) qui siègerait aux côtés des parlements nationaux et du Parlement Européen et pourrait jouer le rôle d'un Sénat freinant les applications lorsque celles-ci ne sont pas conformes politiquement aux intérêts des nations. Ce PNRE serait ainsi consulté par ce dernier en cas de violation des droits régionaux par les parlements nationaux.

L'Irlande du Nord, par exemple, peut être fort bien représentée par une aile protestante et une aile catholique dans ce Parlement des nations régionales.

Peut-être qu'en agissant ainsi les partisans d'en découdre à jamais tenteront de dépasser les conflits de prestige, telle la dérive identitaire des protestants d'Irlande du Nord ?

Peut-être qu'en apportant une puissance symbolique supplémentaire qui nourrit l'orgueil des nations y aura-t-il un déclic ? Il en est de même au Proche Orient. Mais aussi en Turquie avec les Kurdes. En Afrique du Nord avec les Berbères. En Indonésie, au Népal...

L'Etat, lui, garantirait la puissance des nations dont il est l'outil synthétique non plus des rapports de forces comme le pensait Poulantzas mais du fond commun nécessaire à toutes les identités, qu'elles soient nationales et individuelles. Il ne peut y avoir dans ce cas un Etat Corse, Breton, Basque, mais un seul Etat qui conforte leurs droits de nations, et cet Etat c'est la France qui lui-même délègue une part de ses prérogatives dans un Etat synthétique plus fort : l'Union Européenne.

Ainsi L'Etat ne serait plus vu comme une synthèse broyant les spécificités au profit d'une seule identité ; ce fut le cas dans l'Histoire. Il n'est pas obligé de réduire le devenir de l'Etat à ce seul aspect. Une autre fondation est possible. Celle qui concilierait diversité et synthèse, protection des droits et des acquis, mais aussi effort de réformes pour mieux servir le public.

Tel le serait le nouveau pari vénitien : faire en sorte que l'Europe fasse le lien entre les nations et l'Etat, l'acquis et la réforme, le droit et le devoir, l'universel le particulier et le singulier en se donnant, en donnant au monde, les institutions que l'émancipation permanente du monde demande, ou comment continuer à s'affranchir du joug de la souffrance contrainte, des inégalités d'origine : tel est le défi : perpétuel et à chaque fois idéal, unique, féerique lorsque la promesse s'accomplit et tisse la nouvelle étoffe de l'Esprit.