Démocratiser lIrak
Le peuple irakien a bon dos. Veut-on le libérer du joug de Saddam Hussein ? Cest, après trois décennies doppression, deux guerres du golfe et douze ans dembargo, par des bombardements. Veut-on lui éviter la guerre ? Cest par la mise en uvre dun désarmement pacifique dont rien nindique quil suffise à créer les conditions de la démocratie.
Il y a pourtant dautres moyens daction et dintervention à envisager. Lenvironnement international sy prête. Les manifestations du 15 février et les retournements diplomatiques qui les ont accompagnées en témoignent, sinon lexigent : Un autre monde est possible, une autre façon dy résoudre les conflits aussi
De fait, si lobjectif de la communauté internationale nest pas seulement dobtenir de lIrak son désarmement mais sa démocratisation, une extension du mandat des Nations unies simpose. Lenjeu : « prendre au piège » de la recherche dune solution politique aussi bien Saddam Hussein que Georges W.
Dans la logique des propositions franco-allemandes visant au renforcement du dispositif dinspection, linstallation en Irak dune importante présence internationale, non armée, pourrait changer la configuration du conflit. Bagdad, en effet, a accepté la présence dinspecteurs chargés de vérifier son désarmement. Pourquoi ne pas leur associer des représentants des Nations unies chargés dagir en faveur de la démocratie et du respect des droits humains ? Le déploiement de Casques bleus est improbable, mais des volontaires désarmés ne sapparentent ni à une déclaration de guerre ni à une force doccupation . Et lIrak peut difficilement sopposer à la présence, sur son territoire, dune force dintervention civile lui offrant la garantie de ne pas subir de frappes
En plus de la commission denquête des inspecteurs, lONU pourrait alors piloter différentes missions détudes, dans tout le pays. Dabord sur des thèmes consensuels, comme le niveau sanitaire de la population ; puis sur des sujets plus sensibles, comme le droit des minorités et la situation générale des droits humains. Ce travail ouvrirait la voie à lidentification des organisations irakiennes uvrant en faveur de changements sociaux non-violents.
Aux activistes les plus menacés et à leur demande, un accompagnement physique visible et sans équivoque serait assuré, afin de sécuriser lespace politique nécessaire à leur action. Les volontaires onusiens pourraient ensuite prendre linitiative dune vaste campagne de consultations, de forums, de débats publics, sur lavenir de la région. De tels états généraux inviteraient les forces vives irakiennes mouvements de défense des droits humains, organisations de travailleurs, communautés religieuses, étudiants, associations de femmes
- à recouvrer leur liberté de parole et à saffranchir de la peur de la répression. La popularité du régime se lirait sans doute mieux, à laune des doléances des Irakiens en matière de droit, de justice, de liberté dexpression.
Une telle stratégie reviendrait à créer, autant que possible, un terrain favorable à léclosion dun appareil institutionnel remettant au cur de la société irakienne une gouvernance civile et politique, représentative, et démocratique. Plutôt que dexhorter, de façon irresponsable, la population à renverser son tyran pour ensuite labandonner à elle-même, il sagirait cette fois de lui en donner les moyens les moyens concrets et, qui plus est, pacifiques. Renforcer la capacité dun peuple à sorganiser en société civile, cest aussi prévenir les risques dépuration incontrôlés le jour où le régime bascule. En ce sens, cest moins entre le régime irakien et les forces américaines quun déploiement de « boucliers humains » se justifie, quentre la population irakienne et les services de sécurités inféodés à leur chef
La stabilisation durable du golfe Persique doit impliquer toutes les composantes de la population et non focaliser, comme cest le cas avec laction armée, sur des interlocuteurs militarisés dont lorganisation est nécessairement hiérarchisée, le fonctionnement secret et la sociologie masculine. La démocratie, pas plus que la paix, ne simporte ni ne se parachute.
Les expériences dintervention civile en font la démonstration dans de nombreuses régions du monde : il est possible dagir sans arme pour la paix. Par la mise en uvre de missions dobservation, dinterposition, de protection, de médiation ou dinformation, des volontaires, formés et entraînés, peuvent être utiles à la diminution des menaces qui pèsent sur les populations et encourager des processus de résolution politique des conflits. Des missions civiles onusiennes ont été organisées à plusieurs reprises au demeurant, comme au Salvador en 1991 (ONUSAL), au Cambodge en 1992 (APRONUC), en Haïti en 1993 (MICIVIH), dans le cadre dopérations de surveillance daccords de cessez-le-feu et dobservation des droits humains. Depuis plus de 20 ans, par ailleurs, des ONG comme les Brigades de Paix Internationales (Peace Brigades International / PBI) mènent, avec succès, des actions daccompagnement protecteur. Aujourdhui présentes en Colombie, au Mexique, au Guatemala et en Indonésie, les équipes de PBI sappuient sur un réseau de vigilance et dalerte international.
Les conditions dune intervention civile dans le golfe persique sont-elles réunies ? Avant de se résigner à la guerre, les experts appropriés pourraient au moins mettre la question à lordre du jour dun prochain conseil de sécurité, en lien avec les ONG actives en matière de protection des droits humains dans des zones de conflit ou de forte répression. Cela permettrait une nouvelle lecture du rapport de force engagé avec lIrak, et une réévaluation des risques que la communauté internationale est prête à affronter pour sauvegarder la paix et la sécurité du monde .
Il y a, avec la crise irakienne, lopportunité dun changement de cap dans les relations internationales. En 1991, loption militaire na pas permis dexercer sur le régime irakien la pression nécessaire à son désarmement et à sa démocratisation. Il faut en tirer les leçons et oser proposer une solution alternative viable. Compte tenu du tout militaire états-unien, lEurope en particulier a un rôle crucial à jouer.
Lenjeu en vaut la peine. Au Moyen-Orient, sortir des logiques dingérence exclusivement militaire nintéressera pas que les Irakiens
Puisse la diplomatie française, sans attendre et forte de sa spectaculaire résurrection, sintéresser enfin au conflit israélo-palestinien la véritable urgence dans la région.
David Berrué