Interactivité et art contemporain

Jean-Marie Dallet

Opus

A travers l’interactivité, une
écriture nouvelle se cherche, qui associe aussi bien le texte, l’image, le son que le langage programmatique. La question, qui, en filigrane se
pose dans notre investigation est celle de savoir si ce langage nouveau utilise un système de figure pour organiser son discours.

Nous avons choisi les arts interactifs comme domaine de recherche pour plusieurs raisons.

La première d’entre elles est qu’il fallait circonscrire celui-ci à un ensemble bien identifiable,tant au plan formel qu’au niveau, notamment, de l’invention des formes : en effet, nous
aurions très bien pu partir des jeux vidéo qui sont l’autre lieu d’invention important du langage interactif.

Ce choix du domaine de l’art s’imposait ensuite naturellement à nous parce qu’il est la matière que nous connaissons sans doute le mieux; en tant qu’artiste tout d’abord, créateur d’installations interactives, en tant qu’enseignant
en arts, mais aussi en tant que visiteur et donc critique d’expositions.

A la recherche des figures interactives, nous essayons de procéder, comme dans toute recherche, de manière logique. Nous tentons de dresser un “portrait-robot” de la figure. Nous nous intéressons aux différents sens du mot depuis son origine grecque sous les traits de la Figura.

A travers ses divers emplois sémantiques se dégagent des points communs qui, reliés entre eux forment une sorte d’identité du mot : la figure est une forme, imprimée par le modeleur, qui est
une trace faite dans la matière.

Cette identité de la figure s’applique à la rhétorique, à la littérature, au
cinéma, au son et à la danse.

Nous pouvons ainsi mettre en évidence, à l’aide de nombreux exemples que la matière scripturale, visuelle, sonore et spatiale est bien organisée suivant des systèmes de figures qui définissent des langages.
Cette image de la figure est un modèle valide pour organiser des formes de discours. Il nous permet d'interroger l’idée d’interactivité. Nous devons, en
effet, nous assurer que là aussi, la notion de figure peut être appliquée suivant la définition qui nous a servi précédemment de point de repère.

Nous posons comme hypothèse que
l’interactivité est une relation et que comme toute relation, elle est indépendante de ses termes. C’est ce qui nous permet de définir l’interactivité
comme une image virtuelle, comme le
diagramme qui représente l’ensemble des
interactions possibles et que l’interactivité, en fait, est leur
mise en forme.

Ce qui précède nous amène à définir une
figure de l’interactivité comme le modèle d’une forme de relations spécifiques. Les figures sont repérées, isolées, prises, fabriquées par observation du réel ou par construction spéculative. La figure de l’interactivité va donc être élaborée par
analogie avec un modèle d’interaction existant ailleurs.

Les figures que nous considérons, comme
les figures littéraires, cinématographiques,sonores, gestuelles, apparaissent par conséquent, elles aussi, comme des formes d’une matière
spécifique, à savoir l’interactivité.
A partir de ce constat, il nous est
possible de dresser, dans le troisième chapitre, un inventaire des figures. Nous pouvons en décrire une quarantaine, en veillant à mettre en évidence leurs mécanismes internes.

Les figures nommées
et listées peuvent faire l’objet d’une description
détaillée à partir des œuvres interactives dans lesquelles on les repère. Généralement, nous nous
efforçons de les aborder sous différents
points de vue afin de mettre en évidence les diverses formes sous lesquelles on pouvait les rencontrer et donc les analyser.

Pour mener à terme notre investigation, il nous faut descendre au plus près des figures, là où le sens s’incarne dans une forme. Nous pouvons partir de notre travail d’installations artistiques afin de montrer comment à partir d’une
idée d’image-relations, des images, des sons, des textes et des programmes peuvent être organisés dans l’invention de figures expérimentales de l’interactivité.

On constate finalement que l’objectif fixé,qui consiste à démontrer la validité de la notion de figure, notamment à travers l’étude des œuvres
d’art interactives, est bien atteint. Néanmoins, et parce que l’exercice est nouveau, nous ne sommes pas tenté de classer ces figures comme le ferait une typologie même si, malgré tout, nous pouvons parfois constater l’apparition de lignes directrices qui forcent le passage, accrochent des ensembles.

C’est dans l’établissement d’une telle typologie et dans la confirmation des figures que doit maintenant s’orienter le travail de recherche.

Ce travail de recherche serait d’une grande portée pour développer le langage de l’interactivité car il permettrait d’en élaborer une syntaxe plus riche.

D’un point de vue pédagogique,il nous permettrait dans l’enseignement de
l’interactivité de disposer d’un ensemble d’outils théoriques et pratiques, apte à donner aux étudiants les bases nécessaires à la compréhension
des principes qui sous-tendent l’interactivité et son esthétique, sinon son art.