Lipietz and co ou la pratique de l’amalgame

Partons du propos lipietzien réagissant au 11 septembre : « De quel terreau est née cette forme de fanatisme? Ne nous aveuglons pas: combien de femmes et d'hommes de par le monde, avant de songer à la commune humanité qui les unit aux victimes, ont réprimé un mouvement de satisfaction... « ( Libération du 29-30 septembre 2001, rubrique « rebonds»).
Certes Alain Lipietz a d’autres phrases plus lyriques condamnant l’attentat, tout en le comparant néanmoins avec un quelque chose qui n’a rien à y voir : le tremblement de terre de Mexico c’est-à-dire un évènement indépendant de la volonté des hommes .

Ce qui n’est pas le cas pour le 11 septembre.

Or Lipietz affirme juste une solidarité minimaliste devant toutes les victimes tout en signalant en même temps qu’il a pu existé dans le monde « un mouvement de satisfaction... ». Ne tournons donc pas autour du pot : Lipietz fait peu ou prou partie de ces gens qui pensent que les Américains « récoltent ce qu’ils ont semés » -(alors que ce sont plutôt les Saoudiens qui ont semé...)- comme le soutient d’ailleurs également l’entourage du politicien Jean Pierre Chevènement en France -sans ce que celui-ci le décourage, -le candidat vert s’est seulement ajouté à la liste.

Sauf qu’en pensant ainsi ils nient tous qu’un Ben Laden puisse avoir sa propre stratégie qui n’est pas seulement réactive mais offensive.
Il est de bon ton de cacher son ethnocentrisme latent -et au fond de dire tout bas ce que Berlusconi dit tout haut- en réduisant Ben Laden à l’état de « jouet » ou de « fruit » ayant poussé dans tel « terreau ».

Il est ainsi confortable d’écarter le fait qu’au Sud certains acteurs politiques puissent ne pas seulement vouloir incarner les victimes éternelles du capitalisme conquérant mais aussi et surtout avoir leurs propres raisons. Comme si la monstruosité ne pouvait qu’être issue du Nord !

Certes Lipietz en parle mais seulement d’une phrase : « Les criminels agissent pour leur compte: provoquer une guerre qui leur permette de s'ériger en «guides suprêmes» » pour aller où? Lipietz est muet là dessus. Par contre il peut écrire : « Désormais, les pires criminels, comme hier Saddam Hussein, peuvent passer pour des héros aux yeux des multitudes déshéritées, dès lors qu'ils attaquent les symboles de la mondialisation libérale et de la superpuissance qui l'encadre. »

Or cette dernière assertion est également fausse.

Mettre en avant les victimes de l’embargo onuséen contre L’Irak, -comme le fait aussi Chevènement, sans parler de Le Pen-, ne sert à rien si l’on ne comprend pas que ces victimes sont d’abord celles de Saddam Hussein qui refuse de mettre à bas ses menaces en matière d’armement chimique et nucléaire.

De ce fait la volonté du dictateur irakien n’est pas le simple produit réactif d’une émotion libératrice visant à détruire le joug occidental, mais le résultat d’une stratégie visant d’une part à conquérir la suprématie dans la région, -( la guerre Iran-Irack, qu’il a déclenché, a fait bien plus de morts que ce que les amis de Chevènement et Le Pen attribuent à l’embargo)-, puis d’autre part dans tout le monde arabomusulman. Son attaque du Koweït en 1991 ne s’explique pas autrement.

C’est ce que vise aussi Ben Laden qui est, comme Hussein, le résultat de sa propre décision se nourrissant, bien entendu, des tensions et des incohérences du moment historique, - tel que le soutien américain aux pays de l’islamisme extrême et le refus français de recevoir le feu Commandant Massoud. Mais il est faux d’affirmer que Ben Laden est le « produit » des circonstances, et/ou de la CIA, lorsqu'il fomente ses actes prémédités.

Certes l'on peut admettre qu'un individu, poussé à bout puisse servir de jouet aux "artistes" dont parle Stockhausen en fonçant par exemple avec un bus dans une foule israélienne. Mais il n'est guère crédible de laisser croire que la colère et la haine soient des motifs suffisants pour réaliser le passage à l'acte du 11 septembre 2001 planifié sur des mois. Seule une motivation supérieure peut accompagner, supporter, tout le long de l’effort, ce type d’action.

Quelle motivation ?

Pour Ben Laden et ses amis la domination mondiale d'un système crypto-religieux dans lequel les femmes sont effacées, évincées du jeu social, les homosexuels tués, les danses interdites, les cafés, la diversité de l’habillement, la télévision, l’image, la musique, de même que les applaudissements aux évènements sportifs. L'enfermement comme raison. Les « Talibans » - le terme signifiant « étudiants », ne sont pas une spécificité afghane mais l’avant garde mondiale de ce que désirent toute cette mouvance totalitaire se servant de la religion comme justification et propagande.

Or les reportages sur la fabrication des « martyrs » au Liban montrent tous que ce qui est d’abord rejeté ce sont les mutations qu’apportent la civilisation moderne.
L'attentat à la discothèque de Tel Aviv par exemple n'était pas seulement l'expression exacerbée de désespérés plus ou moins manipulés pour certains d'entre-eux mais aussi et surtout le signe d'un totalitarisme en marche qui interdirait toute discothèque, même palestinienne.

Dans ces conditions stratégiques l’attentat multiple aux USA du 11 septembre 2001 n’intervient pas contre la politique de soutien à Israël, même s’il s’en nourrit, mais contre la société moderne dont les USA sont l’emblème.

Ce n’est donc pas un acte « terroriste » qui suppose des revendications non satisfaites, voire un extrémum d’exaspérations poussées à bout. C’est un acte de guerre effectué par ceux-là mêmes qui veulent pas venger les « dominés » mais imposer leur système totalitaire.

A moins de penser que quelqu’un de non occidental serait incapable d’une telle visés stratégique ?

Mais y aurait-il deux poids et deux mesures disent les mêmes en montrant du doigt les « crimes » du Nord, du « capitalisme », du « sionisme « que personne ne pleure ? A cette question, duplice, une réponse, objective, doit être cependant donnée.

Il ne faut pas confondre acte intentionnel, prémédité, et acte de représailles, certes regrettable et que l’on a vu maintes fois en Inde, en Afrique, en Amérique lors de la colonisation, mais qui peut s'expliquer de la manière suivante, en prenant l’exemple du conflit israélo-palestinien : contrairement à ce que prétend l'aile "dure" palestinienne qui veut faire capoter à chaque fois les cesser le feu proposé par Arafat, il ne s'agit pas pour elle de "résister" sur des territoires, gagnés en 1967 par Israël à un contre trois, et que le plan Barack voulait rendre à 95%, il s'agit de s'en servir comme première étape, base arrière, pour détruire ensuite Israël. Puis s'emparer de la Jordanie de l'Egypte, aller vers l'Arabie Saoudite parce que son pétrole s'avère nécessaire pour acheter les armes fatales qui apporteront enfin la domination mondiale que prépare l'attentat du 11 septembre.

D'un côté donc le meurtre prémédité se veut fondateur, c'est la règle. De l'autre il reste réactif, et c'est l'exception. C'est toute la différence entre les démocraties et les régimes totalitaires.

Mettre alors sur le même plan, comme le font les totalitaires et leurs alliés, les massacres d’Amérindiens, la Shoah, les bombardements, classiques, de Dresde, nucléaires, d’Hiroshima et de Naguasaki, au napalm du Vietnam, et certains massacres de Palestiniens au Liban, c’est confondre crimes de guerre, crimes expansionnistes, certes inexcusables, mais qui n’ont pas pour objet la destruction systématique d’un peuple ou d’une classe, en tant que tel, et précisément les crimes contre l’Humanité qui puisent leur existence dans cette réalisation même.

Les nazis avaient par exemple comme projet, fondateur, de détruire tout Juif. Pour tuer le capitalisme et la civilisation moderne en même temps comme le disait Léo Strauss .

Le problème n’est pas d’accuser, d’excuser, compter les morts, mais de laisser croire qu’il existe une similitude entre des crimes de guerre circonstanciés et des crimes totalitaires qui se fondent sur la destruction même de l’autre en tant qu’autre, race et/ou classe.

Les attentats du réseau Ben Laden et du réseau intégriste palestinien relèvent de ce dernier schéma. Ils ne dépendent donc pas d’une réaction d’une partie exacerbée du Sud contre « l’Empire américain » mais se servent des incohérences du développement mondial, -en particulier l’oppression militaro-mafieuse maintenant les populations du Sud dans la pauvreté et la disette, comme ingrédients pour nourrir leur stratégie de conquète mondiale. Il ne faut pas la sous-estimer. Le groupe d’Hitler se comptait en poignées dans les années 20.

Ainsi s’il est vrai que pour la contrecarrer il faille aussi réduire les foyers de tension qui peuvent l’alimenter , il ne faut pas oublier que celle-ci se servira toujours du moindre défaut, injustice, comme justification. Comme le faisait, en son temps de gloire, le mouvement léniniste.
Lipietz est bien loin visiblement de ce genre d’analyse. Il n’est pas le seul. A oeuvrer dans l’ignoble. Il suffit de lire les pages de débats des quotidiens français pour s'en rendre compte.