Le pétrole irakien n’est pas l’enjeu

Il est lassant de lire à longueur d’articles des insatiables commentaires sur les non-dits des intérêts américains, mais les mêmes ne dissertent guère sur les objectifs des Saddam et autres Ben Laden. Comme si ces derniers étaient inexistants ou purement artificiels.
Et les commentaires sont si intarissables sur les besoins en pétrole des USA, de l’Occident, quoique que peu diserts quant au reste, qu'il serait néanmoins tentant de les prendre au mot.
Si en effet il ne s’agit que de pétrole, il fallait dans ce cas laisser l’Irak envahir le Koweït puis l’Arabie Saoudite en 1991. Il en aurait résulté un prix unifié du baril saoudi-koweïto-irakien, et donc un moindre coût d’extraction à terme par effet d’échelle. Pourquoi les Américains n’y ont-il pas pensé ?

Par ailleurs, il suffirait que ceux-là acceptent que les sanctions contre l’Irak soient levées pour que, à terme, Saddam vende le pétrole aux compagnies pétrolières américaines et britanniques. Pourquoi les Américains ne le font pas ?
Parce qu’il n’y a pas que le problème de la maîtrise des ressources en politique, surtout en matière géostratégique.

Il existe des faits, réels, et non pas spéculatifs, et ils ont trait à la volonté de puissance de certains dirigeants arabes qui préfèrent une logique de guerre pour effacer le retard économique et technologique de plus en plus grand pris par leurs pays. Or le temps presse. Le déploiement mondial des désirs de plus en plus individualisés que des techniques de plus en plus sophistiquées tentent de satisfaire, craquèlent de plus en plus les sociétés fermées qui, telles les espèces les entreprises les institutions incapables de muter, glissent imperceptiblement vers la disparition.
C’est là l’enjeu principal. Soit les dirigeants de ces pays arabes font leur aggiornamento et vont franchement vers la démocratie, soit ces dirigeants enfoncent de plus en plus leurs pays dans la gabegie et le sous-développement. Or la politique suicidaire d’Hussein et de Ben Laden n’en fait qu’accélérer les termes puisque, en retour, la seule issue à leur montée aux extrêmes résidera dans leur destruction absolue et irréversible. Hitler et Hiro-Hito n’avaient rien voulu savoir. À qui le tour ?
Mais loin de ces considérations nos doctes stratèges expliqueront que les Américains étaient seulement venus mourir sur les plages de Normandie pour arracher le marché européen des griffes du concurrent nazi. Ce n'est pas si sûr. Hitler n’était pas, du tout, contre l’existence d’un capitalisme européen dominé par l’Allemagne. Les USA auraient même trouvé un marché unique avant la lettre permettant d’écouler plus massivement leurs marchandises.
Hitler n'avait pas l'argent comme but.
Quand cessera-t-on de penser que seul l’argent mène le monde alors que les soifs de pouvoir et de prestige sont tout aussi enivrantes ? Saddam et Ben Laden ont l’argent. Ils leur manquent le pouvoir.
Comment peut-on encore s’obstiner à penser que la volonté de dominer ne peut être qu’occidentale ? Comment ne pas observer que pour maintenir sous le joug et dans l’ignorance les femmes et les jeunes qui ruent dans les brancards certains dirigeants arabes sont prêts à jeter leurs peuples dans leur néant ?

Pourquoi en Europe, et particulièrement en Allemagne et en France, des intellectuels et des politiques s’obstinent à tromper l’opinion en ne voyant le mal que d’un seul côté : l’Amérique ?
N’est-ce pas précisément ce que l’on reproche à celle-là ? Ne voit-on pas qu’en persistant à noircir les raisons américaines et britanniques et à blanchir les raisons d’Hussein et de Ben Laden, l’on persiste dans le simplisme qui ne réussira à calmer ni les uns ni les autres ? La misère et la faim dans le monde sont bien plus les résultats des dictatures que des démocraties.

Comment se fait-il par exemple que les Kurdes en Irak, qui bénéficient du programme « pétrole contre nourriture », commencent non seulement à survivre, mais se développent tandis que les irakiens restant sous le joug de Saddam s’appauvrissent ? Pourquoi? N’est-ce pas parce que les Kurdes utilisent l’argent du pétrole à bon escient et non à des fins obscures et aventuristes ?

Mais au fond à quoi bon argumenter quand le désir de (se) tromper est le plus fort et, surtout, reste un bon moyen pour défendre des positions de pouvoir et de prestige, deux biens si prisés... en France et en Allemagne.