Esquisse d'une lecture de quelques signes urbains et humains

La promenade urbaine est une galerie, un écran gigantesque, les rues sont des films, les bars des théâtres, d'où l'on peut se reconstituer un imaginaire autrefois représenté par l'Art qui a pour une part disparu aujourd'hui tant il a été happé, figé, pillé par une certaine industrie affairiste mais aussi par les adeptes de l'anti-art.

Ils ont tous fait main basse sur lui. Et ils s'emparent de plus en plus de sa source, celle des fantasmes, ils colonisent les émotions, ils rongent les sentiments, pour ne voir qu'un corps-meccano assemblé avec frénésie par les désirs codifiés dans la mode du moment.

Mais le mot ment parfois. Du moins lorsqu'il n'est pas lesté. Amusons-nous dans ce cas à laisser de côté les prismes désuets et destructeurs pour tenter de déchiffrer sans flétrir les signes au-delà des apparences programmées afin d'y dégager les semences "urbano-humaines" par une analyse capable de nous protéger de cette manipulation des apparences et des sens.

Ce sont des blocs d'interaction entre l'humain et l'urbain qu'il s'agit de glaner ici et là dans le ressac des travaux et des jours en leur donnant un zest de sens, mais pas plus, puisqu'il n'est pas possible, bien entendu ici, de faire autre chose que d'esquisser une impression, en aucun cas affirmer une systématique .

Tiens ? Ici une jeune fille dévoile son nombril, cercle ensorcelant qui attire pour mieux repousser, montrer son désir d'appartenance sincère et entière, désir d'être enceinte de soi-même enfantant le monde, enceinte du désir d'être encore plus envoûtante que l'affiche et la vidéo, le corps fait ainsi son cinéma pour montrer qu'il est aussi son propre média, et sera donc toujours plus attractif qu'une image uniquement virtuelle, la rue ( the Street ) a toujours un coup d'avance, heureusement.

Le nombril aspire et respire la beauté urbaine, suc des signes en sustentation soudaine. Il dit toute sa sensualité d'image fatale, sonnerie urbaine, passage délicat dans une dimension sournoise, espiègle, monde des BD et des grandes couettes, grands bols multicolores, amour grenadine certes, mais aussi vache, vagues de sens à la recherche du vaisseau amiral, du radeau de la Méduse, cisaillant parfois tous ces matelots mâles urbains qui ne comprennent pas qu'il ne faut pas toucher, à peine regarder, oublier qu'une chair, juste, prend son envol vers l'intérieur de leurs désirs et qu'il est de leur devoir de la séduire et, lui, le Nombril, de leur résister. Du moins tant que répulsion reste supérieure à l'attraction.

Dans le cas contraire, l'heureux élu aura su montrer que son nombril est lui aussi la porte de la Caverne, celle d'Ali-Baba, de Platon, cercle d'un tourbillon de sens dont le vertige amène vers la lumière ou son aveuglement.

Et là ? ce diamant dans la narine gauche ? Un point d'ancrage du cerveau droit et ses émotions rampantes bombant leurs torses d'espaces-sens. Le diamant dit : dorénavant plus personne n'écrira sur ces espaces autre chose que moi, ancre, je le déciderai, je jette donc l'ancre et je veux que tout le monde le voit.

Sourcil droit ? L'hémisphère gauche a du mal dans la prise de décision, il ne se rappelle plus sur quel pied danser, le percing à cet endroit est un point de fixation dans tous les sens du terme.

Marqué ainsi le corps concède qu'il est un fleuve, un moment flottant d'images en continu dans la fondue enchaînée permanente urbaine, peut-être, mais par ces diamants il marque qu'ici une conscience existe aussi, pas seulement un enchaînement de pulsions. Dorénavant la narine gauche saura mémoriser les odeurs hostiles, les suintements hâtifs, les sécrétions stridentes des machines désirantes de plus en plus déglinguées sans mécaniciens, morts, elles font trop errer leurs crocs droit devant. Se casseront-ils sur la pureté du diamant ?

Mais la langue percée ? Justement. Le juste ment, disait Arthur R. Du moins s'il ne s'en tient qu'au principe et surtout ne l'applique pas, c'est ainsi que percée, transpercée de bons sentiments, la langue montre le résultat : sa béance de sens, trou noir des perceptions percées d'où s'échappe une lumière désespérement à la recherche de sa constante, celle de la promesse et de sa réalisation.

Cette constante est difficile à trouver.

Il y a là d'ailleurs comme une donnée générale : plus le corps réagit, s'active, plus il s'approprie la ville et n'a pas besoin de marques extérieures. Par contre plus il s'abime, en fuite du monde tout en s'y cognant au trop de lumière, plus l'âme fuit d'une chair percée de partout, perdant de son épaisseur, se maintenant en première et en seconde dimension seulement, celles de l'élastique, et plus il faut colmater les trous de l'âme en tenant de la fixer par les marques des totems et des mémorandums que sont devenus les bijoux et les tatouages, offrandes au corps-autel à la recherche d'une adéquation perdue entre le mot et la chose.

L'autre signe probant du bloc d'interaction humain-urbain s'observe dans toute cette fluidité vive que tisse le public des glisseurs, patineurs et plancheurs. Cette glisse tente, semble-t-il, de s'approprier le dynamisme de la vie en ville en y ressentant plus intimement la vitesse interne. Celle qui s'aperçoit dans les matrices des flux d'informations multiformes, des blocs électro-plastiques auto mobiles, des tracés et autres fulgurances médiatiques. Mais aussi celle qui se décèle au coeur des sentiments et des émotions mis de plus en plus à l'épreuve dans le chaudron urbain.

La vitesse d'ébullition de ce dernier est aussi un autre signe à déchiffrer.

Sa température est telle que le jugement, qui règle le conflit permanent entre l'émotion et le sentiment, a d'autant plus de difficultés à filtrer le bombardement incessant des incitations qu'il doit trancher ce qui est bon ou mauvais dans l'instant du phénomène humain-urbain. C'est-à-dire dans cette immédiateté intersecticielle d'espoirs et de destinées, d'opportunités et de fatalités, instant-tourbillon donnant l'impression parfois que tous les chemins de la réalité et de l'imaginaire mènent tous à la même Rome.

L'impression s'y tricote alors des apparences sur mesure, pensant qu'il suffit de changer de réel comme l'on brise un rêve, ou que l'on enfile une nouvelle veste. L'instant humain-urbain donne le sentiment que tous les possibles peuvent se tisser dans l'innocence anonyme émanant de la coexistence en apparence pacifique entre tous les instants d'instant : ici mari, là amant, là-bas menteur, ici politique, plus loin, dans l'obscur, mafieux, pervers, perdu, perdant, malgré son corps imitant les affiches aux visages d'anges et/ou de démons bien sûr puisque le diable était le premier des anges faut-il le rappeler.

But who's care ? Le sentiment de rêver sa vie donne parfois le sentiment de n'être qu'une image parmi d'autres, série tv avec unique spectateur, bobine de chair défilant son fil dans les méandres, tout cela forme vitesse certes, mais négative, celle d'une machine emballée mais sans frein.

Il s'agit de lui échapper. Et donc esquiver ses tampons avides et vides, en se battant pour l'appropriation du contact seul, dans le corps à corps à la recherche d'une essence vive, d'où la glisse, essence émanant des signes forts, constructeurs.

Par exemple à Paris toute cette magie des ponts métalliques et anciens, tout le musc des monuments, et la présence tranquille malgré son tumulte, de la Seine, où l'on refroidit enfin sa chair urbaine jusqu'à ce qu'elle nous cristallise finalement en la goutte ultime de sens, perle secrête au creux de l'eau interne du coeur qui bat.

Cet éclat chuchote alors dans le murmure des flots ceci : si les flux et les berges changent, la puissance de maîtrise est sans cesse potentiellement là comme un firmament au-dessus de l'orage. C'est de ce firmament au creux de son silence au bout de l'univers à la pointe du dernier cri, crissement de sens, qu'il faut puiser,épuiser la vitesse. Car il s'agit d' atteindre le ralenti nécessaire qui disloque le bloc d'interaction human-urbain, pour voir ce qui s'y cache, cloche, pour étudier les tintements et autres tentations, tentures, teintures.

Pourquoi d'ailleurs, à propos de teinture, tant de cheveux blonds et de crinières blondes s'affichent sur les noirs, noires, beurs, beures, tous ainsi en artifice, en fantasme ambulant parfois ? Peut-être un désir en propre de doubler, tribler, la férocité glacée de la société techno urbaine et ses images en majorité uniquement blanches.

Les gens de couleur n'échappent pas une double contrainte. La première concerne en fait tout le monde et elle pose la question de savoir si on peut aller plus vite que la vitesse d'attraction des médias pour s'en protéger, pour maîtriser la passivité de la seule consommation.

La seconde contrainte informe qu'ici, en France l'on ne naît pas Citoyen mais on le devient. Car il faut déjà le devenir me semble-t-il pour prétendre s'occuper des affaires françaises.

Mais cela ne signifie-t-il pas également que l'accession pourrait aussi se percevoir dans l'image médiatique ? On devrait enfin comprendre que nous sommes passés à la couleur depuis longtemps maintenant.