Les Trois Rôles des Dirigeants d'un Pays Développé (8 juin 2002)

I.

Pour un Dirigeant sincère, l'augmentation du Bien Public passe obligatoirement par le Développement Économique.
Or, on le sait, celui-ci ne peut se produire qu'à certaines conditions: des Investissements de diverse nature, mais toujours coûteux, doivent toujours être réalisés, donc facilités, et non pas découragés, ou combattus.

Le Dirigeant doit donc avoir le courage de s'affirmer favorable à l'Épargne et à l'Esprit d'entreprise, et donc, finalement, à l'Entreprise, quelle que soit sa taille, petite, moyenne ou grande, et quels que soient ses détenteurs.

II.

Mais, on le sait aussi, le plus réussi des Développements génère automatiquement des changements, des inégalités, quelquefois des bouleversements dans la société, et en compromettent la Cohésion Nationale.

Le second objectif des dirigeants doit donc être d'entretenir la cohésion nationale.
Ce n'est pas qu'une question de filets de sécurité, ou de redistribution de richesses.
C'est aussi enrichir le contenu de la citoyenneté, rappeler sans cesse la nécessité pour une Nation d'entretenir sa cohésion, et surtout, s'interdire toute politique qui dresse les catégories de gens les uns contre les autres.

Un moyen consisterait à proposer des buts, à moyen ou long terme, suffisamment concrets pour que chacun imagine quel rôle, même modeste, il peut jouer.

III.

Mais, si ces deux premières nécessités s&Mac226;imposent, ( investir, non seulement dans les biens de production, mais aussi dans la cohésion nationale), une troisième apparaît désormais, Jouer un rôle volontaire dans le fonctionnement du Monde.

Aucun pays ne peut plus se contenter de traiter exclusivement les problèmes survenant dans son pré carré, (qui pour nous, est d'ailleurs un hexagone). Les transports et les communications planétaires sont devenues si rapides, que, finalement, chacun, sur la planète, risque de venir en contact avec tout le monde. N&Mac226;importe quel produit, fabriqué quelque part dans le monde, peut aller n'importe où, et y créer une perturbation, imprévisible, soudaine, peut-être catastrophique.

Le Dirigeant doit donc être en permanence sur la dunette de son navire, observer le Monde, y situer son Pays, l'y faire progresser, et permettre à d'autres, moins habiles, ou moins fortunés que nous, de profiter des excellences que notre pays a su développer.

Aux dernières nouvelles, tout n'est pas encore parfait partout dans le Monde. Pour le Dirigeant d'un Pays très Développé, quelle ambition exaltante ce serait de faire partager au peuple le bonheur de participer à son amélioration.

*


Un obstacle au Développement des Pays pauvres: L'effet Cuillère dans un pot de Miel.

(Le 25 Mars 2002 corrigée le 2 Mai 2002).

Chacun a observé que, lorsqu'on trempe une cuillère dans un pot de miel, il est impossible de la retirer sans qu'elle s'en trouve enduite d'une couche très adhérente. Tout se passe comme si les molécules de miel, venues au contact de la cuillère, voulaient, avec opiniâtreté, sortir du pot.

En réalité, il ne s'agit pas, bien sûr, d'une volonté consciente de ces braves molécules, mais d'un simple problème de physique. Cependant, à voir la difficulté à faire redescendre le miel, on est vraiment tenté de penser qu'il y met de la mauvaise volonté.

Nous observons un phénomène analogue lorsque nous pénétrons dans un Pays pauvre, ce que beaucoup de Français, touristes ou gens d'affaires, ont désormais le loisir de faire.

Autour d'eux, des nuées de gens souriants les assaillent, et leur offrent leurs marchandises ou leurs services, de toute nature. La densité de l&Mac226;essaim est telle que les touristes, ou les professionnels des affaires, peuvent effectuer tout leur séjour sans s&Mac226;écarter d&Mac226;une sorte de couloir, préparé pour eux, bordé par deux haies véritablement isolantes, faites d&Mac226;„habiles‰qui leur épargnent la vue et l&Mac226;observation des réalités les plus terribles.

Tous ces gens, qui ont réussi à se placer au contact des visiteurs, cherchent avant tout à attraper quelques bribes de notre richesse, supposée ou réelle, et ainsi rapprocher, un tant soit peu, leur condition de la nôtre. Ils se comportent comme ces molécules de miel, qui semblent vouloir s'extraire du misérable pot dans lequel elles sont nées, en collant à la cuillère. Tous leurs efforts tendent à réussir un changement de modèle: ils veulent quitter celui dans lequel ils sont nés, pour adopter le nôtre.


De ce phénomène de la physique humaine découlent deux conséquences qui nuisent toutes deux au déclenchement d'un profond mouvement de Développement dans les pays pauvres.

Sauf exception rarissime, les habiles ne s'occupent que de leur cas personnel, et pas du tout de celui de leurs compatriotes, moins bien exposés à ces contacts internationaux.

Dans le meilleur des cas, ils peuvent se donner bonne conscience, en affirmant que, de ce qu'ils captent, quelque chose finit bien par retomber sur l'ensemble de leur collectivité nationale. Une sorte de retombée en pluie fine, en somme.

Hélas, nombreux sont ces cas de détournement pur et simple, (si l'on peut dire!), du flux d'argent de l'aide institutionnelle, qui n'arrose, le mot n'est hélas pas trop fort, qu'une toute petite minorité, les moins scrupuleux de ces habiles.

L'autre conséquence est que les meilleurs de ces habiles finissent, en toute bonne foi, par ne plus percevoir eux-mêmes l'extrême misère de leurs concitoyens. Non seulement ils les perdent de vue, ne les rencontrant jamais dans leurs habituels circuits internationaux, mais encore ils finissent par ne plus les comprendre.

Acharnés à vouloir adhérer à notre modèle, dont les repères sont devenus tellement différents, ils en oublient les réalités du triste modèle réel, celui dans lequel se débattent leurs misérables concitoyens.
Du coup, même ces bons habiles ne sont plus de bons ambassadeurs de leur peuples. On les voit, à longueur de colloques ou de publications, se perdre en conjectures plus ou moins fumeuses, les unes, récriminatrices, les autres, fatalistes.

Lorsque le Président Wade a été élu à la tête du Sénégal, il a dit aux Occidentaux: Vous voulez nous aider? Ne nous envoyez pas d'argent, envoyez nous des outils, de vieux outils, dont vous n'avez plus besoin. Je voudrais que dans chaque village, il y ait une Case à outils.

Un tel appel n'a reçu, à ma connaissance, aucun écho, ni en Occident, ni au Sénégal. Tout se passe comme si personne n'avait compris, ou n'avait pas trouvé l'intérêt personnel qu&Mac226;il pouvait avoir à comprendre.


Il faudrait pourtant bien que quelqu'un s&Mac226;occupe de voir les choses de près, comprenne quelles sont les priorités absolues de ces peuples, et cesse de croire que c'est en apportant des fragments de notre modèle actuel que nous pouvons les aider à moderniser le leur.

Un exemple de contresens courant : nous sommes tous persuadés que les deux choses les plus importantes à faire sont les instruire et les soigner. Cela semble s'imposer, car pour nous, en effet, les priorités sont la Santé et le Savoir.

Mais la vérité, c'est malheureusement que ces malheureux ne produisent tout simplement pas assez de nourriture, et, inversement, produisent trop d'enfants. Si bien qu'ils n'arrivent pas à se dégager de la spirale de l'appauvrissement. Leurs deux priorités sont donc, produire plus de nourriture, et produire moins d'enfants. Elles sont encore plus prioritaires, si je peux dire, que la Santé et le Savoir.

Et comme, de notre côté, nous sommes délivrés depuis longtemps de ce qui fait leur tragédie, nous n'y pensons même plus, et nous n'arrivons pas à imaginer que deux milliards d'individus sont encore loin d'y parvenir.

La réponse classique, c&Mac226;est que tout est affaire de scolarisation et dŒinfrastructures, et que tout ira mieux quand il y aura plus de diplômés, en tout cas, moins d&Mac226;illettrés.

Si l'on accepte cette conception, combien d'années faudra-t-il ? Doit-on vraiment attendre que ces pays aient un système éducatif aussi dense que le nôtre, pour que, tout naturellement alors, les gros problèmes se résolvent ? Après tout, nos propres ancêtres au XVIII éme siècle étaient illettrés, eux aussi, et pourtant, ils ont pu progresser.

C'est par ce genre de réflexion que je suis arrivé au concept de VEDA, qui n'est d'ailleurs pas entièrement nouveau, mais qui reste insuffisant, et qu'il faudrait développer, et probablement, institutionnaliser.

Il s'agirait de trouver des moniteurs capables de vivre sur le terrain, au milieu des gens, chargés de leur enseigner patiemment, et longtemps, comment résoudre peu à peu ces deux énormes difficultés. (Je les appelle des Volontaires Européens pour le Développement de l'Afrique, des VEDA).

On voit bien que la question-clé est : Comment trouver des hommes? et non pas, comment trouver un nouveau gisement fiscal, qu'on pourrait taxer pour trouver de l'argent ?

Avec ou sans VEDA, ces problèmes se règleront bien un jour, mais au bout de combien de siècles, et comment ?

A mon avis, vouloir accélérer la résolution pourrait être une ambition européenne, qu'on pourrait ajouter à la liste des 20 Utopies à Réalisation Vérifiable, récemment proposées par Michel Albert, Jean Boissonnat, et Michel Camdessus.

*

Comme le dit Ahmadou Kourouma, l'Afrique n'est pas mal partie, elle n'est tout simplement pas partie du tout.

Le Développement, dans lequel nous sommes habitués à vivre, nous les Occidentaux, ne s'est pas produit en un jour. Pour que s'enclenche ce processus cumulatif, il a fallu, il y a très longtemps, avoir le courage d'investir, c'est à dire renoncer à des satisfactions immédiates, pour acquérir des moyens, matériels ou intellectuels, de savoir mieux produire, plus tard. Cette habitude, une fois prise, est le ferment du Développement, mais elle n'existe pas encore suffisamment en Afrique.

La spirale du Développement s'est enclenchée, très lentement, chez nous, il y a des millénaires, puis s'est accélérée au 19ème siècle, puis a encore accéléré depuis 1950. Mais, il y a quatre siècles, le niveau de vie de nos paysans, (dont nous sommes tous, pratiquement, les descendants), était le même que celui des cinq cents millions de paysans africains, qui se battent encore quotidiennement avec la malnutrition, le manque d'eau, les maladies... (Évidemment, nous l'avons oublié!)

Aller dans un village africain de 2002, c'est, en somme, visiter nos ancêtres de 1602.

Comment épargner, et investir, au 21ème siècle, quand on a un niveau de vie cinquante fois inférieur à celui du Français moyen, et qu'on va s'endormir, l'estomac encore creux? Que faire, quand on a moins d'un Dollar par jour pour vivre?

Si les Africains sont à ce point indigents, qu'ils ne puissent pas financer eux mêmes leurs équipements, ne faut-il pas que quelqu'un d'autre le fasse?

Malgré les innombrables critiques et échecs qu'ont connu les différents dispositifs d'aide, il ne faut pas se décourager de chercher des solutions à ce problème.

Car si jusqu'à maintenant, ce qu'on a fait n'a pas été vraiment efficace, c'est principalement parce que les efforts n'ont pas été appliqués aux bons endroits.

Sauf exception, les subsides que nous accordons, pourtant avec la parcimonie d'Harpagon, touchent d'abord les élites locales, constituées, avant tout, de gens qui veulent vivre comme nous, les Occidentaux. Trop souvent, l'opportunité s'offre à eux, de se servir prioritairement. Si bien qu'il ne reste finalement rien pour le brave paysan planté dans sa brousse. Si ce n'est pas le cas général, c'est un cas fréquent.

Les deux problèmes prioritaires de ces cinq cents millions de gens sont: produire plus de nourriture, et produire moins d'enfants. (C'est le même problème que celui de nos ancêtres du 17ème siècle). Tant que ces problèmes ne sont pas résolus, effectivement, on peut redouter le pire.

Pour progresser dans ces deux directions, ce n'est pas tant d'une grande quantité d'argent dont on aurait besoin, mais d'une grande quantité d'hommes, et de femmes, prêts à jouer, sur place, dans les villages, le rôle de grand frère, capable de conseiller au long des jours sur les moyens d'améliorer les cultures, et d'avoir moins d'enfants. Pour traiter cinq cents millions de gens, un chiffre de 100000 paraît un minimum. 100000 volontaires pour le Développement de l"Afrique, sur le terrain à longueur d'année, décidés à faire parcourir, avec le maximum de raccourcis, l'itinéraire qui a conduit nos ancêtres sur le chemin où nous sommes aujourd'hui.

Nous n'arrivons pas à nous débarrasser de l'idée qu'il faudrait apporter d'abord de l'enseignement, des soins médicaux, des gros équipements d'infrastructure. Ces choses sont importantes, certes, mais je n'hésite pas à le dire, et au risque de choquer, elles sont moins urgentes que les deux autres. Elles nous paraissent s'imposer, du fait de nos ordres de priorités actuels, mais l'ordre de priorité qui s'impose à la moitié des Africains est différent! Aussi, ces choses sont plus faciles à accomplir pour nous, sans trop nous écarter de notre genre de vie, c'est peut-être aussi pourquoi nous les proposons.

Un tel projet, qui aurait finalement une ampleur comparable à celle des Peace Corps, de J.F.Kennedy, n'est probablement pas à la portée d'un seul pays. Et il faudrait le voir, non pas comme une opération coup de poing, mais comme un programme de longue durée. Il devrait évidemment être mis en place en accord avec les pays concernés, qui devraient, en particulier, fournir des relais à chaque VEDA, (Volontaire Européens pour le Développement de l'Afrique), de façon à prolonger ses actions.

On ne peut décemment croire que l'Europe, avec ses millions d'inactifs, et de démotivés, ne pourrait pas dégager un tel contingent, sans mettre en danger ses propres capacités de Développement.

Vous me direz peut-être, vous les quelques Français qui s'intéressent encore à l'Afrique, que des VEDA, on en trouve déjà, dans les ordres religieux, et dans les ONG. Certes il y en a, et qui accomplissent une oeuvre remarquable.

Sont-ils assez nombreux?

Appliquent-ils tous leur énergie aux problèmes les plus urgents?

Voici des questions auxquelles je ne crois pas que les réponses soient aujourd'hui satisfaisantes. D'où cette idée de VEDA.

Yves.Mahé3@wanadoo.fr