"Le sens sociologique des mouvements du corps"


Introduction

Partons de la situation suivante pour visualiser l'hypothèse du sujet abordé ici : deux personnes se parlent. Elles accompagnent leurs propos de gestes. A partir d'un certain temps d'observation on peut isoler certains d'entre-eux qui ne sont plus seulement là pour accompagner le dire, mais qui expriment aussi ce que le contenu déclenche comme attitudes. Par exemple des toux peuvent se manifester. Des jambes se croiser et se décroiser, des attouchements du visage, des picotements effacés par des gestes de la main et des gratouillis vont s'instituer.

Des émotions vont donc apparaître de diverses manières selon la droite et la gauche du corps qui vont s'établir et se modifier non seulement selon l'interaction existante entre les deux personnes. Mais aussi selon leur propre cheminement interne. Et les connexions environnantes.

En suivant maintenant les hypothèses dominantes de la neurologie, nous dirons que la gauche du corps est sous l'emprise de l'hémisphère cérébral droit. Ce qui représente pour nous la capacité émotionnelle d'être en même temps en phase avec l'hémisphère gauche et de traduire son interaction avec le moment vécu par tel ou tel maintien. L'hémisphère gauche exprime la volonté d'une logique affirmant ses délimitations de l'action par le langage ; il l'exprime aussi par tout un déploiement des émotions émis par l'hémisphère droit.

Observons par exemple une personne assise jambes croisées. Lorsque sa jambe gauche est bien croisée sur sa jambe droite, nous dirons que son équilibre émotionnel ( côté gauche du corps sous emprise de l'hémisphère droit ) s'appuie fermement sur l'organisation logique décidée ( côté droit du corps sous emprise de l'hémisphère gauche ).

Observons ensuite un décroisement de jambes.

Ainsi,lorsque l'on observe bien, il peut être tout d'abord perçu que les mains gauches et droites de chacune des deux personnes mais aussi de toutes les autres personnes situées dans leur horizon immédiat vont venir toucher, ou gratter, diverses parties du visage comme le nez les yeux les sourcils, mais aussi le front les cheveux, les coudes. Comme si les corps se parlaient et se répondaient à l'insu de l'attention du moment ! Parfois il n'y a cependant aucun geste. Juste des souffles, des mouvements d'épaule, des brillances qui s'établissent autour de certains bijoux portés. Cependant des attitudes vont être peu à peu perceptibles et des rôles vont émerger et se distribuer entre les personnes concernées.

Nous ferons tout d'abord l'hypothèse que cette intelligence émotionnelle là va exprimer des interrogations à la recherche de réponses en terme d'attitudes émotionnelles liées à des rôles de compréhension et de gestion de l'action qui sont distribuées de manière kinesthésique à gauche et à droite du corps.


Décrivons la situation suivante pour bien illustrer le propos :

La personne A parle. Nommons son propos A1. Admettons que la personne B sourit. Nommons son sourire B1. La connexion entre A1 et B1 semble évidente et bien connue. Observons maintenant que lorsque A parle (A1), B ne sourit plus mais tousse. Nommons cette toux B2. La connexion entre A1 et B2 est aussi plausible quoique non évidente. Mais après tout la relation entre le propos et le sourire pouvait elle aussi ne pas être certaine. Aussi il n'est pas rare que A demande à B la raison de son sourire ou de sa toux si l'évidence ne semble pas plausible. Jusque là rien de très inédit.

Observons alors les séries de gestes suivantes dont les corrélations ne sont pas évidentes :

La difficulté première consistera déjà à différencier une hypothétique approche sociologique des mouvements du corps, des aspects psychologiques et neurobiologiques qui y étudient l'un et l'autre la signification, et le cheminement, local, singulier, y compris cérébral, de leur déclenchement.

La seconde difficulté posera d'emblée la pertinence même d'une telle hypothèse. Surtout lorsque en amont, dans les confins épistémologiques, il existe des présupposés portés par certains courants de recherche en sociologie qui n'opèrent déjà pas de distinction entre sociologie et ethnologie et donc seront d'emblée enclins à lire le sujet traité en y cherchant par exemple plutôt et seulement l'empreinte, multiforme, du groupe à un moment historique donné.

Or la force d'une telle hypothèse spécifiant l'existence d'une approche sociologique distincte autant de l'ethnologie que de la psychologie et de la neurobiologie, fonde précisément sa pertinence dans le fait qu'il existe dans le déclenchement du plus petit geste, ne serait-ce qu'un souffle ou un pas, la traduction singulière d'une appartenance à un rôle dans le monde.

Le pas n'est donc pas seulement un geste aisément classifiable dans ce qu'il imprime comme automatismes phyiologiques et cognitifs décalquant psychologiquement des attitudes et mimétiquement l'expérience du groupe. La résonnance du pas exprime aussi un besoin de prendre place, de développer une appartenance. Ce qui implique de faire jouer un rôle à un flux donné de pensées et de gestes qui vont décliner leurs jugements et leurs sentiments dans un rythme donné et sa mesure.

Ainsi le pas, mais aussi le souffle d'une toux, le malaise, de même que le regard comme nous le savons de mieux en mieux maintenant, ne sont pas seulement des réponses physiologiques à des stimulis ou à des connexions logiques émises par diverses interactions. Ils peuvent révéler une mise en interrogation du sens de l'appartenance au groupe. Mais celle-ci s'exprimera selon la gauche ou la droite du corps. Et emploiera tel réseau de jugement validé par tel système et groupe de référence.