"Les meurtriers de l'Homme, esquisse d'une sociologie "


Etude critique de certains textes de Bataille, Blanchot, Foucault, Derrida, Lyotard, Deleuze, Baudrillard, Sartre...





•" (..( Conversation avec Pierre Klossowski ) "

( Bernard-Henri Lévy, " Les aventures de la liberté " ed Grasset, 1991, pp 168-172 )

" (...) Croyez-vous qu'il y ait eu, quelque nom qu'on lui donne, une tentation fasciste chez Bataille?
- Ce n'est pas du fascisme, non. Cela dit, je me souviens de son retour d'Italie par exemple. Il me parle de l'allure d'un officier fasciste la cape flottant au vent. Et il voit cela comme quelque chose de solaire. " C'était solaire ", voilà ce qu'il dit à son retour, par opposition à la mortelle impuissance du marxisme d'alors.

/ ( ndla : il convient de rapprocher ce terme de " solaire " à l'expression décrite par François Bourricaud ( "Le retour de la droite". 1986. Ed Calman-Lévy pp 214-215) à propos de Brasillach : "Brasillach est fasciné par la " stupéfiante féerie ", la " cathédrale de lumière ", le " silence surnaturel et minéral " qui précède le discours d'Hitler. ". Nous verrons par la suite que cette approche " solaire " est à connecter avec l'idée de sacrifice telle que l'a interprété Bataille en commentant la conception "solaire" du sacrifice chez les Aztèques ( in " La part maudite " pp 84 et suivantes ) /

- Donc, pas de fascisme. Mais des propos troublants?
- C'est ça, oui. Et je ne suis pas le seul à les avoir notés.
- D'autres exemples?
- Non. Enfin oui. Il lui arrivait de ne pas modérer ses propos. Je me souviens d'un jour par exemple. Au moment de Contre-Attaque. On était, comme souvent, au Café de la Régence. On faisait la " permanence ". Et je le revois me dire : " bon! ça va! les nazis ont cassé la gueule à quelques juifs! à quelques juifs...! " Ensuite, il fallait le voir quand les documents ont commencé à sortir. Je veux dire à la fin de la guerre, quand les Américains et les Russes ont révélé à la face du monde l'horreur des camps de concentration. (...)”

“ (...) Chez Bataille, comme chez tant d’autres, la haine du bourgeois constitue la passion mère (...) ce qu’il a dans sa ligne de mire n’est autre que la tradition des Lumières, prolongée de l’optimisme du XIXe siècle, Condorcet et Marx tout ensemble. A la “ conception géométrique de l’avenir “, il veut substituer la force dynamique du désespoir : “ L’avenir ne repose pas sur les efforts minuscules de quelques rassembleurs d’un optimisme incorrigible; il dépend tout entier de la désorientation générale. “ (...)Tout sépare (...) Bataille de l’antifascisme, qu’il considère comme une entreprise vaine et privée de substance historique, liée à une philosophie creuse du progrès. Les antifascistes sont des “ sorciers luttant contre des orages”, alors que seuls les “ orages “ peuvent faire trembler le socle mort de la société bourgeoise. (...). Quant au fascisme, auquel Bataille consacre une étude particulière (...) il incarne par opposition à l’Etat bourgeois, agent de la société de masse et soumis à elle, l’hétérogénéité du pouvoir, le retour de son élément sacral. (...) ses écrits valent moins pour leur rigueur, inexistante, ou leur talent, médiocre, que pour cette froide violence de mort qui les anime, (...)”

( François Furet, le passé d’une illusion,1995, ed Robert Laffont-Calmann-Lévy pp 359-361 )







L

Présentation




Malgré quelques traits d’esprits et autres formules saillantes savamment coulées dans les canons littéraires du séculaire spleen parisien ( inauguré peut-être par Rousseau.), il est clair que du point de vue d’une certaine hauteur de pensée, celle par exemple qui, depuis Descartes, tente de comprendre le sens de la liberté de l’esprit,
-cette liberté qui se concrétise dans le conflit entre principes fondateurs et modification/enrichissement de leur application en fonction des changements de situation-,
à l’opposé donc de ceci qui se trouve particulièrement en sustentation dans la philosophie de Hegel, et dans sa critique marxienne, surtout lorsque Marx reproche à Hegel de négliger par trop ce que ce mouvement entraîne comme changement socio-politique concret ,
ce qui s’agite par contre chez Bataille, et Blanchot, (et ce placé volontairement en dehors, en effet, de cet effort séculaire du penser ),et quand bien même comprennent-ils cet aspect, là, de l’histoire humaine, ce qui est mis en jeu chez eux s’avère être une alternative forcenée de destruction du visible ;
un appel démesuré à la mort, la mort non pas comme réponse négative à la vie, comme refus, suicide, voire négation constructiviste d’ un soi solipsiste, mais la mort comme mode d’être exclusivement négation-iste,

“ (...) Qui séjourne auprès de la négation ne peut se servir d'elle (...) "( Blanchot, l’espace littéraire, ed Gallimard p 125 ).

négation acharnée du vivant désincarné, vidé de tout sens social, civilisationnel, et uniquement impulsé par une volonté de tuer, tuer le tout, tout tuer, y compris l’idée même de mort ;

“ (...) Qui veut mourir, ne meurt pas, perd la volonté de mourir, entre dans la fascination nocturne où il meurt dans une passion sans volonté. Etrange entreprise, contradictoire (...) Epreuve qui semble rendre la mort superficielle en faisant d'elle un acte pareil à n'importe quel acte, une chose à faire, mais qui donne aussi l'impression de transfigurer l'action, comme si abaisser la mort à la forme d'un projet, c'était une chance unique d'élever le projet vers ce qui le dépasse. Une folie, mais dont nous ne pourrions être exclus sans l'être de notre condition ( une humanité qui ne pourrait plus se tuer, perdrait comme son équilibre, cesserait d'être normale ) ; un droit absolu, le seul qui ne soit pas l'envers d'un devoir, et pourtant un droit que ne double, ne fortifie pas un pouvoir véritable, qui s'élance comme une passerelle infinie laquelle au moment décisif s'interromprait, deviendrait aussi irréelle qu'un songe sur lequel il faut pourtant passer réellement, (...) " ( ibidem pp 128-129 ) ;

et la vie, externe, nourrit alors cette non-mort nichée dans le vivant, l’infiltrant, le suçant, mort- ombre, mort-vampire, Baal, ou Moloch se nourrissant de sang frais, mise à mort se maquillant en offrande,

" (...) " Sois toujours mort en Eurydice, afin d'être vivant en Orphée. " ( ibidem p 329 ),

car

“(...) Il ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus. (...)” ( ibidem p 284 ),

et ce en vue d’une mise à mort réelle, quoique effectuée d’abord dans le monde de l’esprit ; là où la destruction de tout cadre de référence, de tout centre, permet l’errance erratique de la diff-errance permanente.
C’est-à-dire sans autre but qu’une répétition un piétinement en une espèce de piété inversée qui recherche l'immobilité du pieux ( dans tous les sens de ce terme), pour atteindre le vertige du cheminement dans l'entre-deux, ( moi/monde ) sans fin ;(fichtéo-jacobinien au fond ). Mais ce, et c’est là la spécificité de ce nihilisme, non pas seulement dans l’Idée mais dans la réalité sociale elle- même.
Le tout légitimé en ce sens chez Blanchot par le coup d'état bolchevik et ce qu'il a lu de Trotsky :

" (...) ( Note 1) : Je voudrais citer ce texte d'Alexandre Blok, le grand poète des Douze, que la Révolution d'Octobre cependant effrayait : " Les bolcheviks n'empêchent pas d'écrire des vers, mais ils empêchent de se sentir comme un maître; est un maître celui qui porte en soi le pôle de son inspiration, de sa création et détient le rythme. "
La révolution bolchevique d'abord déplace le pôle qui semble désormais sous la maîtrise du parti. Puis la révolution communiste s'efforce, en restituant la maîtrise à la communauté sans différence, de situer le pôle dans le mouvement et l'indifférence de l'ensemble. Reste une étape, et peut-être la plus surprenante : quand le centre doit coïncider avec l'absence de tout centre. Je voudrais encore citer ce passage de Trotski : " Avec la Révolution, la vie est devenue un bivouac. La vie privée, les institutions, les méthodes, les pensées, les sentiments, tout est devenu inhabituel, temporaire, transitoire, tout se sent précaire. Ce perpétuel bivouac, caractère épisodique de la vie, comporte en soi un élément d'accidentel, et l'accidentel porte le sceau de l'insignifiance. Prise dans la diversité de ses épisodes, la Révolution apparaît soudain dénuée de signification. Où est donc la Révolution? Voilà la difficulté. " Texte plus énigmatique qu'il ne semble, et la question qu'il pose, je crois qu'elle ne se pose pas moins aux manifestations les plus assurées de la littérature et de l'art. " ( Blanchot, l’Amitié, pp 85,86, ed Gallimard ).

Ainsi nous retiendrons que la virulence du faisceau Bataille-Blanchot consiste à déployer non seulement une vision morbide détruisant avec fureur et la hauteur de vue atteint jusqu’à présent par la pensée humaine et la furie même de l’histoire, elle dissémine non seulement des états de sensibilité, de tension purulente, ce faisceau propage, matriciellement, au coeur même de l’esprit, dans l’intimité du penser lorsque celui-ci cherche à lier et délier un jugement, une espèce de volonté suintant de destruction barbare. Sauf qu’il s’agit non seulement d’ une barbarie non grecque, autre, mais totalement autre, au delà de l’homme, de son pas, totalement inhumaine, celle qui pose la guerre le meurtre comme fin dernière, solution finale; celle qui attaque toute vie non par défi, mais préférence, tournure d’esprit, mode d’être, expérience permanente,

“ (...) Conversation avec Blanchot. Je lui dis : l'expérience intérieure n'a ni but, ni autorité, qui la justifient. Si je fais sauter, éclater le souci d'un but, d'une autorité, du moins substitue-t-il un vide.
Blanchot me rappelle que but, autorité sont des exigences de la pensée discursive; j'insiste, décrivant l'expérience sous la forme donnée en dernier lieu, lui demandant comment il croit cela possible sans autorité ni rien. Il me dit que l'expérience elle-même est l'autorité. Il ajoute au sujet de cette autorité qu'elle doit être expiée.
(...) J’abouti à cette notion : que sujet, objet, sont des perspectives de l’être au moment de l’ inertie. (...) “
( Bataille. L'expérience intérieure, ed Gallimard, TEL, pp 67,68 ),

car, rappelons-le, il ne s’agit pas de

“ (...) peindre le meurtre de César, il faut être Brutus. (...) Il suffit de rappeler ce qu'a écrit Hölderlin, dont il ne serait pas assez de dire que son sort fut lié au destin poétique, car il n'eut d'existence que dans la poésie et pour elle. Et pourtant, en 1799, à propos de la Révolution qu'il voyait mise en péril il écrivit à son frère : " Et si le royaume des ténèbres fait tout de même irruption de vive force, alors jetons nos plumes sous la table et rendons-nous à l'appel de Dieu, là où la menace sera la plus grande et notre présence la plus utile. " ". ( Blanchot "l'espace littéraire", ed Gallimard p 284 ).

Telle est donc cette expérience permanente, celle du devenir Brutus, dont tel propos ou telle action historique comme “ la révolution bolchevique" avec son "bivouac" peuvent être des éléments de justification, des sédiments sacrés, éléments sacrificiels d’ une sorte de religion du crime posée comme recherche ultime, élévation, car ce qui est en jeu ce n’est plus la mort, qui n’est qu’un moyen du vivant, mais la mise à mort comme seul mode d’être du social, guerre permanente, sang supérieur à la recherche de victimes pour se prouver son existence empirique; comment ne pas voir là la métaphysique même du nazisme innervé par le léninisme pour maquiller le processus, par exemple sous forme d'art :

“ (...). Et tout se passe comme si, en désobéissant à la loi, en regardant Eurydice, Orphée n'avait fait qu'obéir à l'exigence profonde de l'oeuvre, comme si, par ce mouvement inspiré, il avait bien ravi aux Enfers l'ombre obscure, l'avait à son insu, ramenée dans le grand jour de l'oeuvre.
Regarder Eurydice, sans souci du chant, dans l'impatience et l'imprudence du désir qui oublie la loi, c'est cela même, l'inspiration. L'inspiration transformerait donc la beauté de la nuit en l'irréalité du vide, ferait d'Eurydice une ombre et d'Orphée l'infiniment mort ? L'inspiration serait donc ce moment problématique où l'essence de la nuit devient l'inessentiel, et l'intimité acceuillante de la première nuit, le piège trompeur de l'autre nuit ? Il n'en est pas autrement. De l'inspiration, nous ne pressentons que l'échec, nous ne ne reconnaissons que la violence égarée. Mais si l'inspiration dit l'échec d'Orphée et Eurydice deux fois perdue, dit l'insignifiance et le vide de la nuit, l'inspiration, vers cet échec et vers cette insignifiance, tourne et force Orphée par un mouvement irrésistible, comme si renoncer à échouer était beaucoup plus grave que renoncer à réussir, comme si ce que nous appelons l'insignifiant, l'inessentiel, l'erreur, pouvait, à celui qui en accepte le risque et s'y livre sans retenue, se révéler comme la source de toute authenticité. "( ibidem p 230 ).

"Comme si renoncer à échouer était beaucoup plus grave que renoncer à réussir ".
On le voit bien: il ne s’agit plus de tout de critique , même radicale, ( telle la fameuse critique de la critique critique...) et qui serait toute treissée de transgression pro-vocante en vue de soupeser le problème de la loi et de sa limite. Puisqu’il ne s’agit pas seulement de tuer pour tuer, même si c’est cette impression qui surnage. Non. Il n’est pas seulement question de folie, de patho(s)/logie, ordinaire, commune, crime exutoire non méditée. Il s’agit ici de pré-méditation. Il s’agit de tuer en vue de devenir dieu : Brutus en tuant devient non pas un autre César mais “Orphée”.
Seulement comme il faut bien revenir sur Terre, Orphée s'incarne bien en quelque Reich, quelque Révolution en acte, ce qui implique que Brutus-Orphée ne voit en autrui, (Eurydice), qu’un moyen permettant cette fin.
Ce qui est alors intéressant de remarquer c’est cette façon qu’ont et Blanchot et Bataille de trouver en la révolution bolchevique une incarnation possible de leur méditation du meurtre.
L’on comprend mieux dans ce cas ce propos de Foucault cité plus haut :

" (...) Je sais très bien pourquoi j'ai lu Nietzsche : j'ai lu Nietzsche à cause de Bataille et j'ai lu Bataille à cause de Blanchot (...) ( Dits et écrits, T.IV. p 437. entretien )
" (...) L'intérêt pour Nietzsche et Bataille n'était pas une manière de nous éloigner du marxisme ou du communisme. C'était la seule voie d'accès vers ce que nous attendions du communisme. (...) " ( Dits et écrits, 1980, T.IV, p 50, entretien ).

Et cette “ seule voie d’accès “, lié à ce commentaire cité plus haut de Blanchot réagissant aux propos de Trotski quand à la symétrie entre révolution bivouac et absence de tout centre, est également lié à ce que pense Bataille du bolchevisme,

" (...) Le mépris résolu de l'intérêt individuel, de la pensée, des convenances et des droits personnels, a été dès l'origine le fait de la révolution bolchevik. A cet égard la politique de Staline accuse les traits de celle de Lénine, mais n'innove rien. La " fermeté bolchevik " s'oppose au " libéralisme pourri ". (...)
En vérité, un merveilleux chaos mental procède de l'action du bolchevisme dans le monde, et de la passivité, de l'inexistence morale, qu'il a rencontrées. Mais l'histoire est peut-être seule susceptible d'y mettre fin, par quelque décision militaire. Nous ne pouvons nous proposer que de chercher la nature de cette action, qui dérange sous nos yeux l'ordre établi, bien plus profondément que ne sut faire Hitler. ( La part maudite. Ed de Minuit, pp 183,185 ),
interprétation qui est non pas le produit d’ " approximations conjoncturelles " comme le prétend Derrida
( in De l'économie...partie 9 de L'écriture et la différence, ed Seuil, p 397, note 1 ) mais le droit fil qui sous-tend ce que cherchait surtout Bataille dans cet “ impérial-socialisme “,
" (...)
- Restons-en à l'avant-guerre. Quel était le but de Bataille à ce moment-là? Qu'est-ce qu'il voulait?
- Créer une religion, voilà ce qu'il voulait. Une religion sans dieu.
(...) “ ( in Bernard-Henri Lévy, " Les aventures de la liberté " ed Grasset, 1991, pp 168-172, conversation avec Pierre Klossowski ) .

Plus exactement une déification du politique dont l’Auguste serait l’unique dieu, dictature du visible, destruction de l’invisible, des arrières-monde.
Ce qui alors permet, ce faisant, d’être le cours même du monde, le seul.
C'est-à-dire, du point de vue du social concret et de la sociologie politique, celui de se produire socialement en lieu et place de ce qui est détruit ; d’être donc implicitement l’arrière-monde, unique. Et au moment même où l’on déclare le dé(cons)truire. Ou comment devenir, de fait, le seul cadre de référence du penser à chaque jugement, clé unique de toute partition et
serrure : code ; tout en clamant officiellement l’absence de toute mélodie, ordre, réussite, respect de la parole donnée. Voilà ce qu’il nous faut observer dans cet idéalisme dégénéré se servant ainsi de la dialectique pour justifier tout et son contraire.


En fait le renversement de toutes les valeurs nietzschéen a échoué dans la reproduction, et jusqu'à l'immonde, de la séculaire opposition entre nature/culture alors que cette dernière loin de corseter la nature la cisèle et ce quand bien même les tendances néo-platoniciennes aient pu dans le christianisme promouvoir quelque renoncement.
Il n'en reste pas moins, et il suffit de lire St Thomas d'Aquin pour ce faire ( La Somme, T. 2 ), que l'appétition loin d'être niée est élevée vers l’affinement de l’homme qui n'est pas, seulement, la vertu, car celle-ci en est la mesure, ou encore le moyen, mais celui la béatitude. Du moins est-ce là l’Image, ce Principe nécessaire dit Descartes dont l’âme tire la vie le mouvement et l’ être écrit St Augustin ( in La Trinité, seconde partie, les images, VIII,III,5, ed Desclée de Brouwer, 1955, p 37 )....
Or c'est ce diapason ( apollinien pourtant ) que le Nietzsche de Turin n'a plus guère trouvé que dans la pseudo-extase, éphémère, du démantèlement de soi, confondant alors le lâche soulagement avec la jouissance d'être (au) (le) diapason du monde, à la pointe ultime de sa déhiscence là où Michel Ange a placé le contact, le grave, entre ces deux doigts, là, où ils ne peuvent se toucher, mais dont l'interaction, à distance, permet pourtant l'affinité élective comme l'ont bien vu et Newton et Goethe...
Mais observons pour le moment que chez Bataille-Blanchot s'accomplit donc une sorte d'hyper-nietzschéisme à savoir la destruction des anciens forts ( les bourgeois ) et des nouveaux faibles ( les ouvriers qui refusent la militarisation du travail, les communistes d'opposition, bref, les Eurydice... ) en matériaux de la nouvelle "race", ou " caste des guerriers " de Nietzsche ou l'Etat militaire ...celui également de Trotsky par exemple, avec " l'homme-outil, le nécessiteux " de Blanchot ( l'amitié p 110 ) comme emblème hypocrite.
" Race forte " donc, celle qui anime
" (...) La Révolution d'Octobre ( qui) n'est plus seulement l'épiphanie du logos philosophique, son apothéose ou son apocalypse. Elle est sa réalisation qui le détruit, (...) " ( Maurice Blanchot, ibid pp102- 103 ).
Bref, " l'impérial-socialisme "( Bataille, " la part maudite ", p 185 ), doit bien s'incarner quelque part...et, précisément, chez ceux qui disent le contraire de ce qu'ils sont en réalité.
A savoir transis de fascination envers la force que donne le pouvoir d'être le principe premier, surtout lorqu’il est sacralisé. Car il n'a pas besoin de démonstration pour exister. Il fonde l'indivise du dernier " moteur " au delà duquel aucun autre axiome n'existe. Ce qui est cohérent avec la doctrine léniniste posant le particulier comme général, l'unité comme provisoire et la lutte entre contraires comme absolue ( in les Cahiers sur Hegel, ed sociales, pp 215, 341 ).
Ainsi cet espèce de négativisme exacerbé dont nous parlons ici amende et enrichit l'impulsion première du léninisme par le nietzschéisme de la race forte en ajoutant une manipulation de la dialectique hégelienne en ce sens que les contraires peuvent co-exister fonctionnellement dans le cadre du
" non savoir ": " le non savoir ne supprime pas les connaissances particulières, mais leur sens, leur enlève tout sens " ( Bataille, l'expérience...p 67 )
puisque ce qui compte c'est le mouvement qui les distribuera comme " sujet, objet " au moment de " l'inertie " ( ibidem p 68 ) mais ce, tout en veillant, rectifie Blanchot, au fait qu' il s'agit de mourir en Eurydice et vivre en Orphée, ce qui donne la formule suivante :
le devenir mort ( Eurydice ) vivant ( Orphée ) = mort-vivant =zombi= Brutus=automatisme= race forte...
mais voilée...ce qui par ailleurs peut fort bien se connecter à l'extrémisme culturaliste à la mode actuellement parmi les ex membres du socialisme baassiste, junte militaire algérienne incluse, les tueurs pseudo-islam en étant la sécrétion monstrueuse.

Tout ceci parachève le léninisme en tant que théorisation généralisée du crime posé comme mode d'être permanent dans le monde ( Besançon 1977, op cit ), et donc plus du tout cantonné à l'extermination radicale d'une classe mais étendue à toute l'humanité.
Avec, d'un côté, chez Bataille, son cadre de justification officiel de type entropiste, celui de la " consumation " ( appelé dionysiaque ) touchant également le nouveau fort via la " dépense " ( Bataille in " la part maudite " ), car il se doit de rester dans le mouvement entre les contraires ( objet et sujet n'étant que " les perspectives de l'être au moment de l'inertie " ; Bataille : "l'expérience intérieure", p 68 ),
puisqu' être nietzschéen consiste à ne pas s'encroûter.
Il s'agit en effet de rester automatique comme une mitraillette...surréaliste... que Foucault par la suite éleva au rang de " jeu de vérité " via son acception du " fou " et la notion sadienne du crime ( nous le verrons plus loin ).
Idem chez Deleuze, avec son " il faut oublier son moi "( in " l'Anti-Oedipe "), sans parler de Derrida qui commente, applique et complexifie, très très minutieusement, le principe blanchotien de la mise à mort ( du sens ) pour ne pas devenir meurtrier ( du “ système “ ) :

" (...) si vous ne me tuez pas, vous êtes un meurtrier (...) " ( Parages, ed Galilée, p 161 et suivantes, voir analyse plus loin ) .

Car le nihilisme dont nous parlons ici a besoin de maquiller sa stratégie, comme il l’a appris chez Lénine. Il se sert donc tactiquement de la moindre difficulté, effets pervers, mensonge, faux, paradoxe, laideur, horreur... Mais aussi du vrai, de l'exact, du minitieusement exact, fin, afin de se propulser comme art mort-vivant, flèche zénonienne du mal immobilisant de plus en plus la face du bien au fur et à mesure qu'elle vient s'enfoncer dans la demeure du meurtre.

Tout ceci donne d'ailleurs une sorte d'hyper(sur)réalisme cubiste ( version Picasso-Breton-Aragon ) accompli.
C’ est-à-dire dans lequel le seul réel désormais c'est l'oeuvre monstrueuse, et à n dimensions, de destruction par laquelle il s'agit non seulement de l'action achevée ou la mort, mais d'imiter également l'industrie capitaliste à grande échelle qui exprime ainsi cette manière de transformer le réel en absorbant le moment de l'art,
celui du prototype, celui de la manipulation expérimentale de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques ( Vinci ).
La plastique post-surréaliste-nietzschéo-léniniste veut faire pareil.
Elle perçoit bien ce mouvement de la modernité qui pose l'action comme oeuvre entéléchique, c'est-à-dire acte à même de s'élever comme être objectif, résultat, qui fait l'Histoire.
Mais le léninisto-nietzschéisme français restreint l'action de transformation à sa seule dimension sacrilège, et donc pose celle-ci comme seul réel possible.
Il exacerbe alors la façon absolutiste léniniste qui ne voit dans l'extension et sa domination que le seul moment de son déploiement qu'il s'agit pour les meurtriers français élevés au biberon empoisonné des Bataille-Blanchot de mettre à mort afin de s'en éblouir dans la nuit des sens mise sous " intensité ".
Car en fait il s'agit moins d'idéalisme esthétique que d'hyper matérialisme ou physicalisme grossier qui pose le sens de l'homme comme une donnée uniquement posée comme “ énergie “. Evacuant ainsi toute la spécificité du psychologique et du sociologique; préférant alors jouer seulement avec des pièces sans enjeu ; toute une gestuelle méticuleusement vide qui d'ailleurs dégénéra au niveau strictement représentatif dans un redoublement de l'académisme en pis et qui donna le réalisme socialiste d'un côté, et donna le voir sans regard, l'art dit conceptuel, celui du nietzschéisme néoléniniste avide de vide, sans oublier une acception salissante et/ou hygiénique du sexe dans lequel tout érotisme, tout plaisir, harmonieux, est banni .


Notons donc que cette méthode de mise à mort et du maquillage pour en effacer les traces est au fond identique en ce sens au 1984 d'Orwell.
Ou comment oeuvrer dans le vrai pour fabriquer du faux que l'on somme à devenir plus vrai que le vrai.

Tout ceci est en fait également très semblable, à ce que Pasolini a pu nous montré de l'érotisme fasciste dans " Sâlo ou les 120 jours de Sodome ". C’est l'adoration de la force, surtout lorsqu'elle bifurque brusquement ou émet des impulsions paradoxales, ce qui permet de s'y effondrer, comme le vampire s'effondre sur sa proie.
Et c'est là, l'apport programmatique fondamental de Blanchot, dont s’est emparé Derrida ( and Cie ) puisqu'il s'agit non pas d'être mais de faire le mort.
C’est-à-dire d’ être en sur vie en l’esprit même d' autrui, tel un parasite. Car c'est autrui ( Eurydice ), César, qui meurt, pas Orphée, ni Brutus ( Blanchot, l'espace littéraire p 284 ).

En ce sens Blanchot théorise, systématise les larges promesses de capacités destructrices du léninisme, couplé au nieztschéisme vulgaire, c'est-à-dire un retour à la loi du plus fort à la fois généralisé ( au delà des classes et des races ) et immanent ( dans chaque souffle ).

Ainsi donc, dans l'interaction même, existe toujours un fort ( Orphée ) et un faible ( Eurydice ) et ce au moment même où Orphée est pourtant censée sauver Eurydice, ( ibid "l'espace littéraire" p 231 ).
A l'instar donc du bolchevik qui est censé sauver l'ouvrier alors qu'il le tue au moment même où celui-ci accepte non seulement qu'on parle en son nom mais, par exemple, qu'on le tue, réellement, en son nom ( pendant que sa famille rembourse la balle du meurtre ).

Il s'agit donc dans cette vaste entreprise criminelle de destruction amorcée par le léninisme, ( Bataille, la part maudite : " (...) le mépris résolu de l'intérêt individuel, de la pensée..." p 183 ), de l'extinction non seulement du sujet en tant qu'acteur politique libre mais aussi, et surtout, de l'extinction du sujet en tant que sujet qui n'a plus besoin d'être Juif, bourgeois, koulak, pour se faire dé(cons)truire, exterminer, et en son propre nom.
Ce que les nazis eux-mêmes ne pouvaient faire.
En effet ils ne tuaient pas au nom des Juifs. Des gitans. Des homosexuels.
D’ où leur piètre chance de survie.
Les léninistes eux, réalisent cette prouesse avec la bénédiction des peuples soumis pourtant à l'extorsion, l'extraction, le détournement, l'expiation, dans la " matière " même, de son surgeon vital, c'est-à-dire dont "l'économie", celle de ses émotions de ses sentiments de ses passions, doit être dépensée, annihilée :
2 et 2 doivent faire 5, à l’instar de
" (...) la passerelle infinie laquelle au moment décisif s'interromprait, deviendrait aussi irréelle qu'un songe sur lequel il faut pourtant passer réellement, " Blanchot, l'espace littéraire, p 129 ).
Et ce non pas seulement à partir d'un ordre extérieur comme dans le totalitarisme classique, mais, aussi, de l'intérieur, telle une auto-expérimentation, à la Mengele, à la O'Brien, en l'intérieur même : A partir d'une "expérience intérieure" ( Bataille ).
Au sens non pas mystique mais vulgairement scientiste et émergeant d'une science devenue folle : ou auto-sado-masochisme, du moins pour la victime volontaire
( Eurydice ) qui est sommée de faire de son "je" ( ipse ) un jeu, celui du maître et de l' esclave, es/clave, si l'on peut dire, comme si le "je" était une sorte de clavier fou pour une musique sans notes, celle du crépitement des émotions et des conséquences, étouffées, vomies :
ipse : i, rouge ( Rimbaud ), supprimé, et de pis en pis.
Ou l'angoisse auto-stimulée cherchant et la force et sa décadence, ou son déclin pour mieux rebondir en permanence ( comme la révolution du même no(m) n(!) ) :

" Tant que l'ipse persévère dans sa volonté de savoir et d'être ipse dure l'angoisse, mais si l'ipse s'abandonne et le savoir avec soi-même, s'il se donne au non-savoir dans cet abandon, le ravissement commence " ( Bataille, l'expérience..., pp 67-68 ).

Pourtant, l'angoisse, exprime, plutôt, et dit succinctement, l'émotion en inquiétude absolue, du moins semble-t-il.
"S'abandonner", signifie alors ne plus tenir compte du sens de cette émotion pour privilégier uniquement son intensité qui devient le tout du possible et en même temps sa mort dans la brillance d’un flash.
Et ce que Bataille prend pour du " ravissement ", s’apparente plutôt à une bouée qui se dégonfle, à un lâche qui respire de soulagement, à un condamné qui sent qu’il ne souffrira plus. Le tout doublé de ce fameux rire automatique et grinçant du dernier Nietzsche, celui de Turin.
Plus strictement ce “ ravissement “ s’apparente à ce que Janet nomme respectivement " la béatitude épileptique " et " le rire asthénique " ( 1926 in " de l'angoisse à l'extase, ed 1975, T.2, pp 296 et 357 ).
A savoir le fait d'une part de rester
" figés dans une attitude béate avec un demi sourire, la tête basse, les épaules tombantes, les bras ballants, les genoux écartés "( p 357 ),
et, d'autre part, pour le rire, celui, hébété, du dément précoce : " rires bizarres qui ne durent qu'un moment et qui amènent quelquefois sur la figure une expression de joie également très passagère. (...)le propre du rire asthénique est qu'il ne correspond à rien de drôle dans l'esprit du sujet. " ( p 296 ).
Ou encore le rire, inquiétant, du criminel psychotique qui n'a plus de regard, sauf celui, unique, de l'état second, et qui a en fait franchi la passerelle
" infinie laquelle au moment décisif s'interromprait, deviendrait aussi irréelle qu'un songe sur lequel il faut pourtant passer réellement, "( Blanchot, l'espace littéraire, p 129 )
pour devenir " Brutus " ( ibid p 284 ), pour faire comme
"Arria, voyant hésiter son mari, Caecina Poetus, s'enfonce un poignard dans la poitrine, le retire et le lui offre en disant : " cela ne fait pas mal ", cette fermeté, cette raideur nous impressionne. (...) " ( ibid p 121 ).

Et " s'abandonner " c'est aussi un automatisme passif déclenché par ce " lâche soulagement " ( De Gaulle. Mémoires de guerre, l'appel, la chute, ed Plon p 90 ) devant ce qui était de toute façon hors de portée et dont le renoncement, y compris par la mort, apparaît toujours à l'organisme comme une solution qui soulage jusqu'au vertige puisque la tension, celle de l'effort, s'estompe et s'estompera définitivement via la mise en irréalité de soi et du monde. ( voir Baechler in " les suicides" 1975 ).

De Gaulle note également dans ses " mémoires " :

" (...) Le 10 juin fut une journée d'agonie. Le gouvernement devait quitter Paris le soir. Le recul du front s'accélérait. L'Italie déclarait la guerre. Désormais, l'évidence de de l'effondrement s'imposait à tous les esprits. Mais, au sommet de l'Etat, la tragédie se jouait comme dans un rêve. Même, à de certains moments, on eût pu croire qu'une sorte d'humour terrible pimentait la chute de la France roulant du haut de l'Histoire jusqu'au plus profond de l'abîme.
C'est ainsi que, dans la matinée, l'ambassadeur d'Italie, M. Guariglia, vint faire, rue Saint-Dominique, une visite assez étrange. Il fut reçu par Baudouin qui rapportait comme suit les propos du diplomate : " Vous verrez que la déclaration de guerre va finalement éclaircir les relations entre nos deux pays ! Elle crée une situation dont, au bout du compte, il sortira un grand bien... "
( Mémoires de guerre, l'appel, la chute, ed Plon, pp 49, 50 ).

Chez Bataille-Blanchot il s'agit de cet abandon dans l'acte final ( la fameuse passerelle qui " deviendrait aussi irréelle qu'un songe sur lequel il faut pourtant passer réellement, " op cit, p 129 ) qui,en tuant ( Eurydice, César ), libère, et par là se soulage, se grise, grâce à l' “énergie” dégagée :

" (...) Cette fois, le conflit -qui n'éclata jamais- portait sur la possibilité de conjuguer et de lâcher des énergies à partir de la mise à mort rituelle d'une victime humaine consentante. L'attitude de Bataille sur ce point était aussi exaspérée que la définition donnée par Breton de l'acte surréaliste le plus simple : descendre dans la rue un revolver à la main et tirer au hasard sur les passants. " ( Caillois, op cit, le collège de sociologie, ed Gallimard pp 585-586 )

En ce sens il faut également lire de cette manière la pseudo littérature érotique de Bataille dans ce cadre là de détournement émotionnel car il ne s'agit pas d'érotisme comme d'aucuns ont pu le faire accroire en maquillant ainsi cette stratégie politique puisque celle-ci a en vue de meurtrir, de détruire, de salir, tout en préservant
l 'automatique de la pulsion comme demeure.

Le résultat en est peut-être incommunicable, mais point la stratégie puisqu'il appert qu'elle est bel et bien écrite, transcrite, commenté : contamination oblige...
mais aussi constitution d'un statut social, et application d'une fonction d'ordre spirituel, c'est-à-dire de direction d'action. Ce qui ne peut pas ne pas se propager, armer les " Orphée " les Brutus et autres morts-vivants,
(“mourir en Eurydice, vivre en Orphée”, Blanchot, l'espace littéraire p 329 ).
Bref produire de plus en plus de zombis sans autre loi que "l'automatisme" de "l'attaque" comme nous le verrons dans le détail en étudiant par exemple comment Derrida s'arme de Blanchot en vue de se mettre à l'oeuvre. Ou comment Foucault conçoit le " fou " dans son inégale absence...non pas d'oeuvre, mais....de regard.





M


Méthode bataillienne de destruction du penser


Françoise Thom : " (...) le système communiste a méthodiquement monté en épingle et cultivé les passions et les actions les plus basses, l'envie, la trahison, la fausseté, l'hypocrisie, la rapacité, la lâcheté.(...) " ( 1994, Les fins du communisme, ed Critérion, p 142 )
Bataille : " (...) Dans ce naufrage de la raison, l'angoisse, la déchéance solitaire, la lâcheté, le mauvais aloi trouvaient leur compte : la fête un peu plus loin recommençait. (...) " ( l'expérience... p 46 ).

Que cherchons-nous ? Il ne s’agit pas de construire un Bataille possible, une interprétation choisie. Mais la matrice même.
Seulement la tâche est ardue car l’objectif bataillien est voilée, y compris au sens tordu de ce terme. De ce fait, avant d’aborder le coeur de sa virulence, peut-être conviendrait-il de montrer d’abord en quoi la méthode de Bataille relève non pas de l’expérimentation, ni même de la “ théorétique “ mais d’une tentative de falsification maquillée sous des dehors oscillant entre le sérieux le pathétique et le provocant.
Prenons par exemple son explication “ sérieuse “ prétendant justifier sa conception de la dilapidation de la dépense en allant puiser le modèle dans les analyses maussiennes du “ potlach “ mélanésiens et amérindiens.

L’idée de Bataille au départ consiste à démontrer que l’énergie de toute façon est entropique ( La part maudite. Ed de minuit ). Tout concourt, s’échappe, court vers son trop plein et donc vers sa destruction. Et il en est de l’énergie cosmique comme de l’énergie humaine.
Seulement celle-ci peut aller plus loin encore, vu sa plus grande capacité d’orienter sa mobilité, en concentrant son énergie vers la destruction, en visant dans l’action le seul moment qui vaut, celui de l’ascension ultime en vue du détruire, seul acte du réussir qui permet alors d’échouer, de se suspendre dans une extase qui se perçoit mourir, spectacle, apothéose, de la perte, feu d’artifice par excellence.
Peu importe. Le fait est que Bataille tente de légitimer “ épistémologiquement " si l’on peut dire, en puisant son cadre de référence dans l’anthropologie. Du moins est-ce là le premier Bataille encore à la lisière d’un Marx non encore prisonnier d’une lecture nietzschéenne cherchant plutôt à sortir de l’Histoire qu’à la réaliser.
Mais se faisant Bataille va alors plaquer ce qu’il veut démontrer, à savoir le fait de voir en cette destruction de biens sociaux qui caractérise le potlach le souci d’échapper à l’accumulation, à la puissance terrestre, à son immobilité stratifiée.
Ainsi dans l'acception bataillienne du potlach ( par ex, la Part maudite, ed de minuit, p 33, 34, 35 ) il n'est question que de
" (...) richesses offertes ostensiblement dans le but d'humilier, de défier et d'obliger un rival. La valeur d'échange du don résulte du fait que le donataire, pour effacer l'humiliation et relever le défi, doit satisfaire à l'obligation, contractée par lui lors de l'acceptation, de répondre ultérieurement par un don plus important, c'est-à-dire de rendre avec usure. Mais le don n'est pas la seule forme du potlach ; il est également possible de défier des rivaux par des destructions spectaculaires de richesse. C'est par l'intermédiaire de cette dernière forme que le potlach rejoint le sacrifice religieux, les destructions étant théoriquement offertes à des ancêtres mythiques des donataires. (...).
(...) C'est la constitution d'une propriété positive de la perte - de laquelle découlent la noblesse, l'honneur, le rang dans la hiérarchie- qui donne à cette institution sa valeur significative. Le don doit être considéré comme une perte et ainsi comme une destruction partielle : le désir de détruire étant reporté en partie sur le donataire. Dans les formes inconscientes, telles que la psychanalyse les décrit, il symbolise l'excrétion qui elle-même est liée à la mort conformément à la connexion fondamentale de l'érotisme anal et du sadisme. Le symbolisme excrémentiel des cuivres blasonnés, qui constituent sur la côte nord ouest des objets de don par excellence est basé sur une mythologie très riche. En Mélanésie, le donateur désigne les magnifiques cadeaux qu'il dépose au pied du chef rival comme ses déchets. (...)
(...) la richesse apparaît comme acquisition en tant qu'un pouvoir est acquis par l'homme riche mais elle est entièrement dirigée vers la perte en ce sens que ce pouvoir est caractérisé comme pouvoir de perdre. C'est seulement par la perte que la gloire et l'honneur lui sont liés (...). "

Cette acception introduit en fait subrepticement dans l’objet d’étude ce qu’elle voudrait démontrer.
Elle réduit le potlach a n'être qu'une forme de défi, en vue de la " destruction spectaculaire " alors que le potlach existe, comme l’a montré Mauss, en vue d’asseoir le prestige et donc le pouvoir d’un clan sur un autre.
Dans la mesure où celui-ci prouve ainsi qu’il est le mieux à même d’incarner la filiation aux ancêtres, ce qui n’est pas sans conséquences bénéfiques pour la psyche du groupe .
La pseudo explication de Bataille, elle, est donc avancée non pas pour comprendre sa fonction sociale, mais uniquement dans l'objectif d’une “manip” idéologique tentant de justifier, de trouver, formater en quelque sorte le cadre pseudo-anthropologique adéquat pour fonder sa problématique quantitativiste d'entropie quasi-cosmo-orgasmique parfumée de concepts pseudofreudiens pour faire scientifique ( ce que Blanchot Foucault et Derrida effectuent également ).
C’est sinon au nom, du moins par le seul biais de la doctrine du psychisme en vogue à l’époque, à savoir le freudisme, que Bataille va tenter d’expliquer, de comprendre, un phénomène social qui nécessite une approche multiforme et ce non pas seulement parce qu’il est extérieur à la culture occidentale. Ainsi au lieu de faire très attention à une forme d’apriorisation qui vient uniquement chercher dans le réel la preuve de sa théorisation, Bataille va alors très tranquillement plaquer la doctrine freudienne et parler comme nous le lisons dans l'extrait d' " excrétion " ( p 34 ) elle-même
" liée à la mort conformément à la connexion fondamentale de l'érotisme anal et du sadisme. " ( ibid ).
Autrement dit la dite “ perte “ dûe au potlach est sans autre forme de procès assimilée à une "mort" qui est supposée également exprimer celle de " l'énergie excédante " ( p 50 ), celle de " l'effervescence de la vie " ( ibid ) dont la " mort " serait ainsi le " luxe " ( p 72 ). La “mort “ frapperait alors la vie au coeur de son exubérance, et sa "destruction" permettrait d'en dégager, de façon " aigüe ", via l'humanité,( p 73 ) comme la structure, le langage, efflorescent, du latent..
Ce qui, maquillé ainsi, laisse transparaître le potlach, au delà de la consumation exutoire, comme étant beaucoup plus une corrélation entre création et déchet, excrétion.
Le potlach serait seulement un moyen de conjurer la corruption du vivre par sa mise à mort luxieuse, spectaculaire, et que l’on mettrait en scène par le bouc émissaire d'autrui.
Celui-ci apparaît alors comme un moyen non pas d’émulation permettant d’évaluer qui est le mieux à même de soutenir le défi du potlach, mais seulement un moyen d’assumer une complicité de meurtre.
Autrui, cet outil de mort, sert uniquement comme " liaison, unité ",provisoire, "relative", dirait le Lénine des Cahiers sur Hegel ( ed sociales pp 215, 344 ), qui permet de détruire et donc de retourner à l'indétermination d'une idée contemplative dont l'automouvement, celle de la dépense pour elle-même, serait posée comme seul réel, seule détermination, possible : envisage able. La mort comme solution, et non pas dissolution, du problème vital, et dont autrui serait le marteau.

Chez Mauss, cette notion de potlach est analysé ( Sociologie et anthropologie. Essai sur le don. Ed quadridge, pp 204-212) de façon beaucoup moins manipulatoire :

" (...) le potlach est bien plus qu'un phénomène juridique : il est un de ceux que nous proposons d'appeler " totaux ". Il est religieux, mythologique et shamanistique, puisque les chefs qui s'y engagent y représentent, y incarnent les ancêtres et les dieux, dont ils portent le nom, dont ils dansent les danses et dont les esprits les possèdent. Il est économique et il faut mesurer la valeur, l'importance, les raisons et les effets de ces transactions énormes, même actuellement, quand on les chiffre en valeurs européennes. Le potlach est aussi un phénomène de morphologie sociale : la réunion des tribus, des clans et des familles, même celle des nations y produit une nervosité, une excitation remarquables : on fraternise et cependant on reste étranger ; on communique et on s'oppose dans un gigantesque commerce et un constant tournoi. Nous passons sur les phénomènes esthétiques qui sont extrêmement nombreux. Enfin, même au point de vue juridique, en plus de ce qu'on a déjà dégagé de la forme de ces contrats, en plus du statut juridique des contractants ( clans, familles, rangs et épousailles ), il faut ajouter ceci : les objets matériels des contrats, les choses qui y sont échangées, ont, elles aussi, une vertu spéciale, qui fait qu'on les donne et surtout qu'on les rend. (...) .
(...) L'obligation de donner est l'essence du potlach. Un chef doit donner des potlach, pour lui-même, pour son fils, son gendre ou sa fille, pour ses morts. Il ne conserve son autorité sur sa tribu et sur son village, voire sur sa famille, il ne maintient son rang entre chefs ( Note 1 : (...) L'un des titres de chefs les plus importants chez les Kwakiutl ( Lewikilaq ) est celui de Dabend qui, avant le potlach, a un nom qui veut dire " incapable de tenir la fin " et après le potlach prend ce nom qui veut dire " capable de tenir la fin "), -nationalement et internationalement- que s'il prouve qu'il est hanté et favorisé des esprits et de la fortune
( note 2. Un chef kwakiutl dit : ceci est ma vanité ; les noms, les racines de ma famille, tous mes ancêtres ont été des...( et ici il décline son nom qui est à la fois un titre et un nom commun) " donateurs de maxwa" (grand potlach) qu'il est possédé par elle et qu'il l'a possède ; ( note 3. Un chef kwakiutl dit : " je suis couvert de propriétés. Je suis riche de propriétés. Je suis compteur de propriétés ") et il ne peut prouver cette fortune qu'en la dépensant, en la distribuant, en humiliant les autres, en les mettant " à l'ombre de son nom ".

Ainsi contrairement à ce qu’énonce en substance Bataille plus haut,

“ (...) Mais le don n'est pas la seule forme du potlach ; il est également possible de défier des rivaux par des destructions spectaculaires de richesse. C'est par l'intermédiaire de cette dernière forme que le potlach rejoint le sacrifice religieux, les destructions étant théoriquement offertes à des ancêtres mythiques des donataires.(...)”

le but du potlach qu’il soit de l’ordre du don ou de l’ordre de la destruction des richesses n’est pas de l’ordre du simple défi. Il ne “rejoint” pas le “sacrifice religieux”, et les “ destructions” ne sont pas “ théoriquement offertes à des ancêtres mytiques des donataires “. Le potach est cette fonction structurante qui a pour objet de montrer quel est le meilleur clan qui est à même de réussir à prouver tout le sens dernier de sa culture, qui peut être alors susceptible de basculer comme imitation, légende.
La “ perte” n’est qu’un moyen et non une fin.
Ce que par contre inverse un Bataille tout fébrile à l’idée de pouvoir justifier son propos erronné par un grossier contre-sens.



N

Comment Bataille manipule à la suite de Lénine la dialectique de Hegel.


Nous allons examiner maintenant un autre exemple d’utilisation tronquée d’un modèle de pensée afin de s’en servir de faire-valoir.
Il n’ est d’ailleurs guère étonnant de voir en quoi Bataille, -et également ses suivants Foucault, Deleuze, Derrida ou son alter-ego Blanchot-, ont tant besoin, dans leur anti-rationalité, de justifications, de démonstrations logiques...
C'est que leur recherche d’explication, ne serait-ce le fait qu’ils écrivent, utilisent du langage, sert tactiquement à amadouer les porteurs d'eau et autres passeurs de second rang afin de les éblouir par quelques paradoxes logiques que “la” raison se cacherait cependant à elle-même de peur de sombrer dans le côté obscur alors qu’ils sont connus au moins depuis les Grecs ( tel le paradoxe dit du Crétois ou du menteur ), tout en étant remis au goût du jour par la logique moderne, tels que les “ ensembles paradoxaux “ ( Roger Caratini, Bordas encyclopédie, 50/51, mathématiques, 512.1, f, p 24 ).
Une pensée radicale se doit alors de les dénicher...
Mais pourquoi faire ? Elargir les bases de la logique vers la notion de raison comme l'ont fait Descartes, Kant et Hegel, ou la détruire pour empêcher qu'elle s'exerce, et donc se substituer à elle comme seule raison ( au sens de principe ) possible ?
Telle est la duplicité, l’horizon même, de cette vaste tentative de sape.
Ainsi par exemple il semble bien que Bataille utilise la façon de faire de Lénine pour se servir du principe de négation comme moyen en vue non pas de poser l’analyse de l’objet dans ses éléments structurants, mais en vue à la fois d’y substituer une analyse extérieure à l’objet comme nous l’avons vu avec sa manip du potlach, et à la fois de se servir de la négation comme moyen mensonger et meurtrier permanent.
Par exemple en se permettant de dire tout et son contraire tout en cassant toute forme de linéarité, parfois implicite, entre un dire et ce à quoi il renvoie, ce qui vide le sens et des mots et des attitudes.

Il en est par exemple ainsi du terme de “ péché”.
Bataille utilise en effet toute l’énergie de ce terme en vue à la fois de s’en servir comme cadre de référence et en même temps de tremplin pour se laver de tout soupçon.

Observons pour commencer l’analyse de cet exemple, Lénine dans ses " Cahiers " :

D'une part ceci :

" L'unité ( coïncidence, identité, équivalence ) des contraires est conditionnelle, temporaire, transitoire, relative. La lutte entre contraires s'excluant mutuellement est absolue, comme sont absolus le développement et le mouvement " ( p 344 in Cahiers philosophiques. Editions Sociales. ).

D'autre part :

" (...) Ce n'est pas la négation pure et simple, pas la négation gratuite, pas la négation sceptique, l'hésitation, le doute qui sont caractéristiques et essentiels dans la dialectique, -qui contient indubitablement en elle l'élément de la négation, et même comme son élément le plus important, -non, mais la négation en tant que moment de la liaison, en tant que moment du développement, avec conservation du positif, c'est-à-dire sans aucune hésitation, sans aucun éclectisme.
La dialectique en général consiste en la négation d'une première thèse, en son remplacement par une seconde ( en le passage de la première dans la seconde, en l'indication de la liaison de la première et de la seconde, etc ). On peut faire de la seconde le prédicat de la première -( Lénine cite Hegel : ) " par exemple le fini est infini, un est beaucoup, l'individuel est l'universel " (341) (...). Par rapport aux affirmations, thèses, etc, positives, simples et initiales, " premières ", le " moment dialectique ", c'est-à-dire l'examen scientifique, exige l'indication d'une différence, d'une liaison, d'un passage. Sans cela, la simple affirmation positive est incomplète, inerte, sans vie. Par rapport à la " seconde " thèse, la thèse négative, le " moment dialectique " exige l'indication de " l'unité ", c'est-à-dire de la liaison entre le négatif et le positif, de la présence de ce positif dans le négatif. De l'affirmation à la négation, de la négation à l' "unité " avec l'affirmé, -sans cela la dialectique devient pure négation, jeu ou scepticisme. " (, ibid, pp 214-215 ).

Relisons : "la négation en tant que moment de la liaison",
et :
" le " moment dialectique " exige l'indication de " l'unité ", c'est-à-dire de la liaison entre le négatif et le positif, de la présence de ce positif dans le négatif. De l'affirmation à la négation, de la négation à l' "unité " avec l'affirmé, -sans cela la dialectique devient pure négation, jeu ou scepticisme ".

De ce fait ce qui est conservé ou nié comme positif ce n'est pas une détermination donnée mise de côté suspendue ou élevée dans une synthèse comme chez Hegel ou Marx mais c'est seulement la nécessité de se lier à un contraire, c'est le moment de " l'unité " en vue ensuite de lutter avec lui et de l'exclure absolument. Ce qui est conservé c'est seulement le " moment de la liaison ", celle-ci sert uniquement à déclencher le mouvement, en vue de l'automouvement solipsiste qui broie tout autour de lui en le posant uniquement comme “ néant “ puisque dit Lénine c'est la " négativité qui est la pulsation interne de l'automouvement et de la vie. " ( idem p 135 ) alors que chez Hegel nous l’avons vu plus haut il ne s’agit que d’un moment logique, abstrait, et non pas en vue de le réaliser effectivement ; autrement c’est une “ tromperie “ ( Hegel, l’être, livre premier, section 1, qualité, ed Aubier-Montaigne, pp 62 et 64 ).
Chez Lénine, et c’est en sens qu’il n’a absolument rien à voir avec Marx, il s’agit de subjectivisme absolu, dégénéré en idéalisme nihiliste à la Bakounine-Blanqui, qui évite tactiquement la " pure négation ",
-( et donc la déconstruction totale réalisée, elle, à la façon aristocratique dégénérée lasse de son ennui, par les Blanchot, Bataille, Foucault, Derrida. C’est en ce sens qu’ils vont plus loin que Lénine... )-,
parce que Lénine veut, lui, le pouvoir absolu non plus dans les coulisses mais tout à fait officiellement. Il veut être le principe vivant qui crée le réel adéquat. Sans le vêtement sacral, néanmoins que Staline et Mao s’empressèrent par contre de revêtir.

Ainsi ce n’est pas par sursaut " rationnel " que Lénine cherche le “ moment de la liaison “, qu’il veut “ l’unité des contraires “ mais bien par nécessité logique interne pratique qui s' impose de réussir une altérité :
parce que pour garder le pouvoir il faut entrer en guerre permanente, et il faut bien le faire contre quelqu’un de réel.
Car la guerre, permanente, ( ou “ révolution permanente “ chez Trotsky qu’affectionne Blanchot... ), surtout lorsque léviathan est détruit, la guerre devient le seul moyen politique qu’admet Lénine en une espèce d’aristocratisme dégénéré. Lénine qui est, à lui tout seul, le marxisme, la science, le prolétariat, la révolution, le socialisme, le réel, tout entier.
La liaison avec autrui sert dans ce cas uniquement d’outil afin de le détruire puisqu’il s’agit de pouvoir dissocier cette unité provisoirement atteinte en contraires qui s’excluent mutuellement. Ou plus strictement qui permet au “contraire “ gagnant non pas de dépasser la situation vers une position qui transformerait les deux contraires en un autre possible aux dimensions ontologiques plus élevées quant à l’affinement civilisationnel propre à l’émancipation de tout le genre humain, cet angle clé des Lumières repris chez Hegel mais déformé par Marx, non, chez Lénine il n’en est pas question puisque le contraire gagnant se sert uniquement d’autrui pour affirmer son propre pouvoir solipsiste qui n’a seulement que son propre mouvement comme réel effectif, ce qui nous renvoie à l’époque barbare des dieux vivants mangeurs d’hommes.
Et Bataille accomplit ce programme et, en même temps, son aspect " sceptique " en ce sens que c'est la pure négation de tout, qui devient, à elle-même, sa propre unité décelée, ou " non savoir " :
celui de " l'autre " nuit, ce long sommeil, volontaire, que donne la mort blanchotienne lorsqu'elle s'active, tel Brutus se prenant pour une oeuvre d'art.

Mais pour ce faire il faut savoir maquiller en s’emparant par exemple de la notion de “ péché “...
Observons comment.



Le 5 mars 1944 ( soit près de trois mois avant le débarquement ) se déroulait une discussion sur la conception du " péché " selon Bataille.
( Oeuvres complètes, T VI, annexe 5, ed Gallimard pp 314 et suivantes ).
Etaient réunis : " MM Adamov, Blanchot, Bolin, Mlle de Beauvoir, MM Bruno, Burgelin, Camus, Couturier, R.P. Daniélou, R.P Dubarle, MM de Gandillac, Hyppolite, Klossovski, Lahaye, Leiris, Lescure, Madaule, Marcel, Massignon, R.P Maydieu, MM. Merleau-Ponty, Moré, Mounir Hafez, Paulhan, Prévost, Sartre, etc " ( p 316 ).

A la lecture de cette table ronde il apparaît, pour commencer, que Sartre, dans ce rapport avec Bataille, a dû sans doute sauter sur son “être-néant” chaise, lorsque, à sa question, demandant à Bataille, ( ibidem p 339 ) :

- Ce qui m'apparaît surtout, c'est que vous dites qu'il y a un au-delà de l'être qui est le néant. Mais c'est vous qui le baptisez tel.
Si vous le baptisez tel, c'est que vous avez en vous-même la possibilité de faire apparaître la chose comme néant.
D'où vient cette possibilité? Si vous êtes plein, vous ne portez pas le néant en vous-mêmes, sans quoi vous ne pourriez pas le nommer comme tel ".
Sartre entend alors la réponse de Bataille :

"- Je porte le néant en moi-même comme négation. ( p 339 )"

Réagissant alors, peut-être, au fait que Bataille marche, quelque part, sur ses plates bandes, Sartre demande dans ce cas à Bataille s'il ne cherche pas plutôt l'être que le néant, ce qui est précisément la position de Sartre... qui semble bien se demander de plus en plus s'il n'est pas plagié...( p 339 ) :

- (...) on pourrait dire que vous recherchez l'être et non pas le néant et que l'extase est une perte dans l'être et non pas dans le néant. C'est une position qu'il faudrait examiner. Ce sont les deux positions possibles : ou nous sommes des plénitudes et ce que nous recherchons, c'est le néant, ou nous sommes vides et ce que nous recherchons, c'est l'être.
G.Bataille :
-A vrai dire, je suis amené à revenir, jusqu'à un certain point, sur ce que j'ai avancé en premier lieu. Il me semble, que, dans la dialectique de mon exposé, le mouvement que vous indiquez est assez nettement impliqué. Tout d'abord, l'être qui recherche un au-delà de lui-même ne prend pas pour objet expressément le néant mais un autre être. Seulement cet autre être, il me semblait qu'il ne pouvait être atteint qu'à travers le néant, et le néant, à ce moment là, doit coïncider jusqu'à un certain point avec une sorte de dévalorisation de l'être qui désire, avec une sorte d'anéantissement de l'être qui désire puisque cet être qui désire est représenté comme l'ennui, et que dans l'ennui il y a déjà la perception d'un vide. (...) " ( p 340 ).

Seulement Sartre ne répond pas, du moins dans le compte rendu. Mais interviendra plus loin pour demander à Bataille le sens de son utilisation du " péché " puisque Bataille, en corrélation avec ce qu'il vient d'énoncer sur le néant comme " dévalorisation " comme " anéantissement de l'être qui désire" pose alors ( p 340 ) que
" le passage à travers le néant est exactement le péché. Cela peut être le péché d'un double point de vue; le fait de rechercher son néant au-delà de soi-même est déjà un péché.
J. Hyppolite : Rechercher son néant !
G. Bataille : Son propre néant. C'est déjà le mouvement de la chute qui est décrit par ce mouvement. En même temps, l'être autre qui est absorbé par le désir et qui peut être perçu à travers le néant doit, pour être ainsi perçu, atteint dans son intégrité, doit être en quelque sorte en communication avec son propre néant.
(...) "
M. de Gandillac donne par la suite l'occasion à Bataille de préciser sa conception du péché posée comme le fait de " chercher son néant au-delà de soi-même " par la question suivante :

" (...) il semble que vous voyiez dans le péché un moyen tout à fait essentiel pour l'être d'échapper à un certain embourgeoisement, à un certain durcissement, à une certaine satisfaction de soi, à une suffisance en soi-même et dans son ennui. Or ce péché libérateur, est-ce pour vous le péché en tant que péché, c'est-à-dire essentiellement le refus d'un don offert, ou bien l'envisagez-vous plutôt comme une série d'actes par lesquels s'expriment la vie, le goût de l'aventure, le goût du risque?
G. Bataille : Je n'ai pas prétendu parlé du péché en soi, ni parler du péché tel que l'Eglise catholique le décrit dans un sens tout à fait précis et général; j'ai voulu partir d'une notion pas tellement simple, d'ailleurs, qui associait le crime et la sensualité. C'est dans ces représentations de crime et de sensualité que j'ai cherché à situer ce que j'appelle le péché.
(...)
J. Hyppolite : (...) ce que vous valorisez aussi bien que le péché dans le fait de se nier soi-même, c'est le fait d'arriver à nier cette fermeture sur soi que vous valorisez soit sous la forme de péché, soit sous la forme de l'extase ; et vous opposez par là cette sortie de soi, cette négation de soi, à une morale que vous envisagez sur le plan niezschéen comme une sorte d'avarice, comme le résultat d'une décadence, d'une déficience vitale par quoi nous essayons de prévoir et d'accumuler.
G. Bataille : C'est cela.
J. Hyppolite : Vous opposez donc à une morale qui est tout entière axée sur la préservation de son propre être, un acte qui est la sortie de soi.
G. Bataille : C'est cela.
(...).
J.P. Sartre : Je voudrais savoir pourquoi Bataille se sert du mot " péché " et s'il ne pourrait pas soutenir les mêmes idées sans la notion de péché qui me paraît se référer à des valeurs que, par ailleurs, il rejette.
G. Bataille : Il m'a semblé pouvoir m'en servir pour simplifier et en même temps donner une accentuation au débat.
(...)
J.P Sartre : Le péché, chez vous, a une valeur dialectique, c'est-à-dire qu'il s'évanouit de lui-même; il a le rôle de vous pousser vers un état où vous ne pouvez plus le reconnaître comme péché.
G.Bataille : Naturellement.
J.P. Sartre : Tandis que chez le chrétien, au contraire, même s'il échappe, le péché reste ce qu'il est. Par conséquent, ce n'est pas du tout la même notion. C'est quelque chose qui apparaît à un moment donné, qui sert d'adjuvant, qui vous amène à une sorte de scandale, d'où ensuite vous arrivez, par la contestation, à un état qui est celui que vous cherchez. A ce moment-là, vous ne pouvez plus le prendre comme péché.
G. Bataille : Comme dans toute dialectique, il y a dépassement et non pas suppression. Là, je me réfère à la dialectique hégélienne, je ne fais pas mystère de ce fait que je suis plus que tout autre chose et sans l'être de bout à bout, hégélien.
La notion de péché liée à l'action, vous la reconnaîtrez facilement; c'est la négativité hégélienne, la négativité qui est l'action.
J. Hyppolite : Chez Hegel, je ne suis pas sûr qu'elle ne perde pas ce caractère de péché. Est-ce le péché qui se ramène à la négation ou la négation au péché?
G. Bataille : Il semble que la négativité qui est l'action est toujours destructrice.
J. Hyppolite : Il y a, comme le disait Sartre, dans votre discours, un langage chrétien et une ambiguïté chrétienne; c'est peut-être hégélien ausi. En aviez-vous besoin pour votre éthique humaine?
G.Bataille : J'en avais besoin pour cette discussion, pour que le débat actuel soit facilité.
(...)
A. Adamov : En tous cas, au lieu de " péché ", vous pourriez dire " faute ".
G. Bataille : L'ambiguïté resterait.
J. Hyppolite : La faute, ce n'est pas la même chose; la faute se situe dans la morale du déclin, elle n'est pas du même ordre que le péché. Vous avez besoin de ce qu'il y a d'infini dans le péché.
G. Bataille : Cette notion me paraît commode parce qu'elle se réfère à des états vécus avec une grande intensité, tandis que, si je parle de faute, je fais intervenir l'abstraction. (...) "

( Bataille, Oeuvres complètes, T VI, ed Gallimard, pp 341-348 )


Ainsi, hommage du vice à la vertu, le "péché" existe bel et bien, il est bel et bien reconnu mais bien entendu circonscrit à sa réalité dynamique, énergie négative, ou ce réservoir en émotions fortes, dont le lâche soulagement n'est pas la moindre tant il permet d'articuler, de tresser joie et angoisse dans une espèce de vertige et d'irréalité, chiasme du miasme,

" (...) Dans le halo de la mort, et là seulement, le moi fonde son empire; là se fait jour la pureté d'une exigence sans espoir; là se réalise l'espoir du moi=qui=meurt ( espoir vertigineux, brûlant de fièvre, où la limite du rêve est reculée ) " ( l'expérience intérieure, p 86 ),

Dieu n' étant qu'un moment ( de Bataille ) :

" (...) Quand je suis Dieu, je le nie jusqu'au fond de la négation. Si je ne suis que moi, je l'ignore. Dans la mesure où subsiste en moi la connaissance claire, je le nomme sans le connaître : je l'ignore. Je tente de le connaître : aussitôt me voici non-savoir, me voici Dieu, ignorance inconnue, inconnaissable. " ( l'expérience...p 152 ).

Ainsi lorsque le tout cesse de bouger, comme la roue de la fortune, un numéro, un réel, à détruire, apparaît.
Ou à l'inverse lorsque seul un point reste fixe, le tout tournoie et c'est le vertige et son calme hypnotique précédant le conditionnement en vue de la mise à mort :

" Je fixe un point devant moi et je me représente ce point comme le lieu géométrique de toute existence et de toute unité, de toute séparation et de toute angoisse, de tout désir inassouvi et de toute mort possibles. J'adhère à ce point et un profond amour de ce qui est en ce point me brûle jusqu'à refuser d'être en vie pour autre autre chose que ce qui est là, pour ce point qui, étant ensemble vie et mort d'un être aimé, a un éclat de cataracte. Et en même temps il est nécessaire de dénuder ce qui est là de ses représentations extérieures, jusqu'à ce que ce ne soit plus qu'intériorité pure, chute purement intérieure dans un vide : ce point absorbant sans fin cette chute dans ce qui est en lui néant, c'est-à-dire " passé " et, dans ce même mouvement, prostituant sans fin son apparition furtive, mais fulgurante, à l'amour. " ( ibid, pp 141,142 )

Il s'agit donc d' enfiler, par l'extrême de la sympathie et de l'empathie, tout ce qui est, peu importe son sens.
Car ce qui compte c’est la force de propulsion, sa brillance, du moment qu’elle peut accélérer la chute en une espèce d' auto-hypnose fétichiste contractée en un seul point, celui de l’idée fixe, celle de la fascination augmentant la dimension du but à atteindre tout en se miniaturisant comme résistance.
Puis, rebelote, il s'agit de se reconstituer, via la culpabilité, la honte, le péché donc. En vue de repartir, de redonner du sens au corps qui l’exige pour redémarrer.

Bataille applique donc, et à la lettre, dans sa grammaire même, la manipulation léniniste de la dialectique hégelienne, mais à la sauce nietzschéenne, bien entendu.
En ce sens que Bataille se met dans la peau d'un "pécheur" et de Dieu en même temps. Et c'est par le "crime " qu'ils " communiquent " ( oeuvres complètes, T VI, p 42), c'est là le moment de la négation.
Puis il y a la culpabilité, le tremblement, le lâche soulagement : celui de la négation de la négation qui propulse vers le dépassement, grâce à l'énergie émotionnelle détournée de la honte et de son pardon.
Et ainsi de suite : départ vers un autre " crime ", etc, ce que Bataille nomme, sans rire, ( ou du moins avec le rire de Nietzsche à Turin ) " communication ". Toute une circularité spiraloïdale qui n'a d'hégélienne que le mot non, tout en s'appuyant bien entendu, nous l'avons dit, sur le Hegel novalien et schillerien et non pas sur celui de la maturité c'est-à-dire de la philosophie du Droit, n’en déplaise à Marx.

C'est donc là le processus vicariant habituel ou comment s'approprier des noms illustres et s'en servir de paravents, de coupe-feu, de béliers, de paliers, de prête-noms (non).

Avec Bataille, " l'expérience intérieure ", vole donc assez bas malgré l'emphase extatique, cosmologique, et ne dépasse pas d'ailleurs le microcosme du bas-ventre comme l'on disait autrefois. Il est d’ailleurs incroyable en lisant les dialogues plus haut qu'un hégélien aussi averti qu'Hyppolite se fasse prendre au jeu.
Il n'y a guère que Sartre qui résiste un peu tout en ne percevant pas que Bataille a définitivement basculé, via Blanchot, dans le giron de " l'incommunicable ", là, où la discussion est seulement " une destruction mutuelle " ( ibidem p 358 ) une mise à mort, ( d' Eurydice ), là où la recherche d'une vérité n'est qu'un cas de figure parmi tant d'autres, un " point ", ou un " jeu de vérité " dira plus tard Foucault ; bref une source d'énergie, un simulacre quelconque :

" Le non-savoir atteint, le savoir absolu n'est plus qu'une connaissance entre autres " ( Bataille, "l'expérience intérieure ", p 69 ).
Et lorsque l'on sait ce que cette notion chez Hegel a de fondamental, d'ultime, et de complexe,
" l'esprit se sachant lui-même comme esprit ", ou
la "Science", en tant qu'il est le " Soi se concevant soi-même "
( Phénoménologie de l'esprit, ed Aubier-Montaigne, T2, p 302, et 312 ),
la grande décontraction avec laquelle Bataille opère est non seulement confondante mais dénote bien le degré proprement léniniste de manipulation absolutiste qui débouche en fait sur un naturalisme énergétique à la sauce du dernier Nietzsche.
Ou la création de facto d'une " race forte " celle des bolcheviks, de leur " merveilleux chaos mental " ( La part maudite, p 186 ), et de leur " mépris résolu de l'intérêt individuel, de la pensée, des convenances et des droits personnels " ( ibid, p 183 ) qui est là, très strictement, ou alors plus personne ne sait plus ce que parler veut dire, l'ontologie réalisée du nazisme, poussé plus loin encore : vers cet " impérial-socialisme "( ibid, p 185) qu’est le léninisme,- alors que le nazisme n’ est qu’un “ national “ socialisme, ironise Bataille ( ibid )- ,et pour lequel les individus et les peuples sont non seulement des " masses ", à savoir de l'abstract d'abstract, mais aussi ce que l'on peut même détruire en leur propre nom. .


O.

Erreur de Sartre sur Bataille

Nous avons vu plus haut pourquoi Sartre ne perçoit pas dans quel but Bataille utilise les notions de " néant " et de " péché ". Observons rapidement comment dans sa critique de " l'expérience intérieure " Sartre ne perçoit pas non plus où veut en venir Bataille, qu'il relègue à un quelconque nihilisme tout en lui suggérant de se faire " psychanalyser " du moins : " (...) je ne pense pas ici aux méthodes grossières et suspectes de Freud, d'Adler ou de Jung; il est d'autres psychanalyses " ( Situations I, Un nouveau mystique, p 229 ).
Sartre se proposait-il donc à analyser Bataille via sa "psychanalyse existentielle" de " l'être et le néant " ( p 628 et suivantes, ed Gallimard ) ?
Il est vrai que pour elle " l'homme est une totalité et non une collection ", qu'il " s'exprime tout entier dans la plus insignifiante et la plus superficielle des conduites " ( p 628 ).
Car la “ psychanalyse “ sartrienne " ne connaît rien avant le surgissement originel de la liberté humaine " ( p 629 ).
Elle " rejette le postulat de l'inconscient "( p 630 ) car le " fait psychique est, pour elle, coextensif à la conscience " ( ibid )
Mais la " réflexion " doit être aidée lorsqu'elle est " privée des moyens qui permettent ordinairement l'analyse et la conceptualisation " ( p 631 ), bref, tout ceci aurait pu s'avérer non quelconque.
Seulement il n'en reste pas moins que si, en effet, l'on ne puisse pas faire l'économie d'une " compréhension préontologique " ( p 628 ), ce n'est toujours pas cette psychanalyse, là, qui nous l'explique. Surtout lorsqu'elle voit seulement dans le choix et sa contingence, " l'envers de sa liberté ", c'est-à-dire un " manque "( p 632 ).
Or le choix, n'a de contingence que formelle.
Autrement dit, bien qu'il peut être appréhendé comme une relation requise (Nuttin 1991, pp 105-106 ) tout choix ne se fonde pas sur un "manque d'être , conçu comme caractère fondamental de l'être " ( Sartre, ibid, p 632 ).
Le choix, est, semble-t-il, l'assomption syllogistique d'un jugement, d’une limite, articulant une séquence moyens-fins permettant l’autodéveloppement du Soi à un ordonnancement non seulement cognitif mais rationnel ( Baechler 1985, Boudon 1990, Nuttin 1991).
En ce sens que tout choix est en même temps traversé par de l’ eschatologique ( apodictique ), de l’axiologique ( éthique ) , du téléologique ( assertorique ), de l’entéléchique ( esthétique du plastique qui en résulte ) le tout situé dans un degré, une condition, une contrainte donnée...( nous le détaillerons dans notre prochain travail consacré à l’estime de soi ).

De la même façon autrui n'est pas seulement cette "liberté néantisante", ou, lorsqu'il regarde, seulement cet “être-vu-par-lui "( ibidem p 303 ) et dans lequel l'on se " perd " à l'instar d'une encre absorbée par un " buvard "...Ce qui est là voir seulement en autrui la loi, et donc poser seulement celui-ci comme simple vecteur d'une masse qui le dépasse et le noie :
" (...) l'homme étant condamné à être libre, porte le poids du monde entier sur ses épaules : il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d'être (...)".

Comment est-ce possible, sinon en se prenant par quelques biais pour " le monde " ( voire Dieu ) lui-même? Et ce non pas dans l'imaginaire, et “ l’aperception apprésentée “ ( Husserl, 1929 in Méditations cartésiennes, ed Vrin, 54, pp 99-100 ) mais dans la kinesthésie de chaque geste, chaque regard. Ce qui est là une espèce d'hypocondrie mégalo-ontico-ontologique digne de la monarchie absolue puissance mille : non plus l'Etat c'est moi... mais Dieu, Atlas et l’Univers tout entier c'est moi, seulement moi....
Ce qui permet toutes ces hystéries posant chaque souffrance comme leur propre souffrance qui ainsi englobent la souffrance même du genre humain dans son ensemble et qui exigent de tout arrêter, de stopper la planète, et tout de suite, tant que le pleurs de cet homme, là, n'est pas, non pas soulagé, ce qui se conçoit, mais solutionné, et définitivement, dans son " manque “ dû à sa condition humaine prisonnière du monde rationnel propre au “logocentrisme” occidental.
Sauf que, si l'on prend le cas de Bataille, et de ses pleurs, l'on ne voit guère en quoi ces derniers seraient dûs au " monde " ou au “ logocentrisme “ alors qu'il s'agit d'un calcul " préontologique " visant à sa destruction totale, et déjà intérieure pour commencer, amorcer, le " merveilleux chaos mental " ( Bataille, op cit, la part maudite ).

Et pour en revenir à la critique de Bataille faite par Sartre ( Situations 1, p 228 ) , observons comment celui-ci ne comprend toujours pas où veut en venir Bataille :

" (...) Mais quand bien même il mettrait une méthode rigoureuse à notre disposition pour obtenir à volonté ces ravissements, nous serions fondés à lui demander : et puis après? L'expérience intérieure, nous dit-on, est le contraire du projet. Mais nous sommes projet, en dépit de notre auteur. Non par lâcheté ni pour fuir une angoisse : mais projet d'abord. Si donc un semblable état doit être recherché, c'est qu'il sert à fonder de nouveaux projets. Le mysticisme chrétien est projet : c'est la vie éternelle qui est en cause. Mais les joies auxquelles nous convie M. Bataille, si elles ne doivent renvoyez qu'à elles-mêmes, si elles ne doivent pas s'insérer dans la trame de nouvelles entreprises, contribuer à former une humanité neuve qui se dépassera vers de nouveaux buts, ne valent pas plus que le plaisir de boire un verre d'alcool ou de se chauffer au soleil sur une plage. (...) "

Elles valent bien moins au contraire...
Mais Sartre non seulement donc ne voit pas à quoi servent ces " joies " mais se situe encore, et ce à l'instar du marxisme non léniniste en fait, dans une sorte " d'être ensemble " pour lequel le philosophe, porteur en acte de l'étape supérieure, du passage de la préhistoire vers l'Histoire, se doit d'éclairer la route, de permettre une nouvelle "praxis commune" etc.
Or Bataille ne cherche pas à créer une nouvelle " unité ",
ou de " déconstruire " des " présupposés " comme parfois ces disciples le formulent aux journalistes à la mode en se posant alors en épistémologues sérieux ( agitant en sus comme argument d’autorité quelque doctorat honoris clausa ).mais tend précisément à détruire tout autre présupposé que le sien tout en voilant cette volonté de pouvoir absolu ( Foucault, Deleuze, Derrida n'on fait qu'accomplir ce programme... ).
En fait cette dernière posture est la position de la double prise ou paradoxe du menteur doublé de ce que l'on appelle une fourchette aux échecs.
C'est-à-dire avec n prises : ou comment tenir des positions parfaitement contradictoires en même temps... Procédé classique du léninisme pour lequel le mensonge est élevé au rang d'un supra verum.
C’est ce que ne voit pas Sartre.
Mais l'on comprend mieux cette incompréhension, si l'on observe que Sartre étudie Bataille à partir de ce qu'il pense, lui, du " projet " et non pas à partir de ce qu'en dépense réellement Bataille, tout en réduisant l’action de celui-ci à une sorte de nihilisme juvénile.
Ainsi, autant peut-il dire que Bataille ne le fait pas " rire " ( p 207 ); ou qu'il relève dans l'écrit même de " l'expérience intérieure " ( Bataille, ibid, p 87 ) des perles du genre :

"(...) le moi grandit jusqu'à l'impératif pur : cet impératif...se formule : " meurs comme un chien. " ( également dans Situations 1, p 195 ),

autant se méprend-t-il en écrivant :

" (...) Ce goût de se perdre est rigoureusement daté; qu'on se rappelle les mille expériences des jeunes gens de 1925 : les toxiques, l'érotisme, et toutes ces vies jouées à pile ou face par haine du projet. Mais l'ivresse nietzschéenne vient mettre son cachet sur cette détermination sombre. Ce sacrifice inutile et douloureux de soi-même, M. Bataille y voit l'extrême de la générosité : c'est un don gratuit. Et, précisément parce qu'il est gratuit, il ne saurait s'accomplir à froid; il apparaît au bout d'une ivresse bachique. La Sociologie, une fois de plus, peut fournir son imagerie : ce qu'on entrevoit sous les exhortations glacées de ce solitaire, c'est la nostalgie d'une de ces fêtes primitives où toute une tribu s'enivre, rit et danse et s'accouple au hasard, d'une de ces fêtes qui sont consommation et consomption et où chacun, dans la frénésie de l'amok, dans la joie, se lacère et se mutile, détruit gaîment toute une année de richesses patiemment amassées et se perd enfin, se déchire comme une étoffe, se donne la mort en chantant, sans Dieu, sans espoir, porté par le vin et les cris et le rut à l'extrême de la générosité, se tue pour rien. (...)
( Situations 1 pp 211-212 )

Seulement et comme nous l'avons plus haut, ce n'est pas " pour rien " que ceci s'effectue ni pour cette " tribu " ni pour " M. Bataille " car concernant ce dernier, toute cette ambiance est nécessaire car on ne peut commencer à ( se) détruire " à froid " ( in “l'expérience intérieure “, p 35, Situations 1, p 212 ). Il faut bien un moyen, une stratégie de mise en condition.

Sartre au fond pense que Bataille, en cherchant une sorte de lien avec le divin via le péché et l'excès n'est autre qu'un " chrétien honteux " ( p 217 ), bref, n'assume pas cette dépendance.
Or c'est là, précisément, l'erreur même d'interprétation de Sartre sur la stratégie bataillienne .
Car cette étiquette de " chrétien honteux " c'est ce que dénie pourtant Bataille dans les faits puisque s’il se sert du christianisme à la fois comme combustible par le péché et sa rédemption, et à la fois comme légitimation par sa conception du "sacrifice", telle que la cruxificion, il n’en reste pas moins qu’en même temps Bataille se sent.
plus proche du sacrifice pré-chrétien , car le christianisme en fait, n' "assume" pas ce genre de mise à mort
( Bataille, in “la part maudite” et ci-dessous oeuvres complètes, T VI, ed gallimard p 329 ) :

"(...) Lorsque le sacrificateur qui s'approchait de la victime n'avait pas la possibilité, sinon par des comédies assez grossières et qui, par conséquent, ne réservaient rien, n'avait pas la possibilité d'échapper au sentiment de culpabilité qu'il mettait en avant du fait que la hache tombait sur la tête de la victime, il me semble que le sacrifice antique était plus entier, était le même que serait le sacrifice assumé par un chrétien qui s'enfoncerait volontairement dans le péché et penserait ne pas pouvoir éviter de descendre dans l'abîme pour que la rédemption s'accomplisse. Celui-là éviterait, me semble-t-il, ce qui me paraît l'achoppement essentiel du Christianisme. (...) "

Sartre, n'imagine sans doute pas que Bataille applique ainsi jusqu'au bout les conséquences de la perte que Sartre a par ailleurs lui-même mis en oeuvre dans " l'être et le néant " en se servant d'autrui, par exemple de son " regard ", comme moyen, outil, permettant à la fois de se perdre et de se ressaisir.
Or Sartre se persuade, mordicus, que Bataille ( p 218, Situations 1 ), en fait, cherche Dieu :

" (...) M. Bataille, lui, est un chrétien honteux. Il s'est jeté lui-même dans ce qu'il nomme un cul-de-sac. Il est au pied du mur. Il fait lui-même le bilan : " Le ciel est vide. Le sol manquera sous mes pieds. Je mourrai dans des conditions hideuses...Je sollicite tout ce qu'un homme riant peut recevoir de mauvais. " Pourtant cet homme acculé, aux abois, ne fera pas l'aveu qu'on attend de lui : il ne voudra pas reconnaître qu'il n'y a pas de transcendance. Il préférera jouer sur les mots de " il n'y a pas " et de " transcendance ". Nous le tenons et il ne songe qu'à s'échapper. Il demeure, en dépit de tout, ce que Nietzshe appelait : un halluciné de l'arrière-monde. Du coup, l'ouvrage qu'il nous offre prend son véritable sens : l'humanisme nietzschéen n'était qu'une étape. Le vrai renversement est un peu plus loin. Nous avions cru qu'il s'agissait de trouver l'homme au sein de sa misère. Mais non : c'est Dieu, c'est bien Dieu qu'il s'agit de retrouver.(...) "

Seulement Bataille ne cherche pas à retrouver Dieu mais à le devenir ( in l'expérience...p 152 )
Du moins comme moment et moyen de propulsion dans le vide qu’est devenu l'univers par le monde crucifié .
Autrement dit, après la " mort de Dieu " ( Nietzsche ) il s'agit d'entamer la mort du monde, ( prélude à celle de l'univers ( Blanchot ) et déjà du soleil ( Lyotard ).
Car c’est par c'est par ce sacrifice, cette " béance ", que Dieu et l'homme " communiquent " ( Bataille, Oeuvres complètes, t VI, p 43 ).
Mise à mort, elle-même mise en oeuvre, en tant que solution finale, par cette " apothéose " de la raison occidentale que clôt l’ "apocalypse " de la " révolution d'octobre " ( Blanchot, l'Amitié, op cit ).
Il s’agit alors de poursuivre cette mise à mort, cette clôture, qui est déjà de toute façon en oeuvre dans le capitalisme, en la généralisant, en l’accélérant, afin de ne pas se faire doubler par lui dans la domination du monde et la création de la race forte qui le commandera.
Pour ce faire il faut accentuer les contradictions, les disfonctionnements, il faut mettre à mort la nostalgie de l'unité qui sous-tend l’homme social en détruisant tout sens réflexif et critique afin devenir le plus vite possible l’unique sens, caché, de la vérité du monde, son secret.
A l’ombre des pyramides modernes étendant leur emprise sur le tout du devenir dont l’unité peut néanmoins subsister comme miroir afin de mieux encore rebondir, re(de)venir sous apparence humaine, tel le vampire, pour donner artificiellement de la signification, du sens à la force destructrice ( plus de sang ) afin de dévaster encore plus profondément encore tout ce qui n’est pas soi :

" Dans la mesure où tu opposes un obstacle à des forces débordantes, tu es voué à la douleur, réduit à l'inquiétude. Mais il t'es loisible encore d'apercevoir le sens de cette angoisse en toi ; de quelle façon l'obstacle que tu es doit se nier lui-même et se vouloir détruit, du fait qu'il est partie des forces qui le brisent. Ce n'est possible qu'à cette condition : que ta déchirure n'empêche pas ta réflexion d'avoir lieu, ce qui demande qu'un glissement se produise ( que la déchirure soit seulement reflétée, et laisse pour un temps le miroir intact ). (...) " .( "l' expérience intérieure" ( p 113 ):

Bref, Foucault, Deleuze et Derrida ont, d'une part, très strictement, et à la lettre, dans sa grammaire même, appliqué ce programme “ d’apothéose “ c’est-à-dire " communiste " de destruction, les guillemets étant ceux de Blanchot, -(in " L'Amitié ", p 101)- car le " communisme ", dit-il, ne se laisse pas "désigner"... sauf par Blanchot..., ce qui fit dire à Foucault, nous l'avons déjà cité :

" (...) L'intérêt pour Nietzsche et Bataille n'était pas une manière de nous éloigner du marxisme ou du communisme. C'était la seule voie d'accès vers ce que nous attendions du communisme. (...) " ( Dits et écrits, 1980, T.IV, p 50, entretien ).

" (...) Je sais très bien pourquoi j'ai lu Nietzsche : j'ai lu Nietzsche à cause de Bataille et j'ai lu Bataille à cause de Blanchot (...) ( Dits et écrits, T.IV. p 437. entretien ).

D'autre part, il s'agit, tout comme Bataille, d'exiber les traces du " crime ", de le prouver, jeu du chat et de la souris aussi.Une sorte de criminel métaphysique qui serait lui-même son propre détective; ce qui se justifie officiellement puisque c'est le "monde", "l'univers", "Dieu", le "prolétariat", le " désir ", la " mort " qui agit en eux et les forcent à tuer afin de rester souverain, absolument libre, tel Dieu, et non pas de devenir ces meurtriers du “ système “ et donc de simples êtres serviles dominés par la pensée “ discursive “.
Le double-jeu, ( la fourchette des échecs ), le double langage, consistera donc à signaler cette stratégie de constitution d’une race forte, de l'exposer, le déposer, ( l'imposer ), tout en le (dé)masquant.
Et tout en se servant de quelque tactique, quelque dénonciation d’effets pervers divers, nous l’avons vu.
Car il faut savoir aussi reculer. Donner le change.
Créer un trompe l'oeil. C'est par exemple ce que fit Foucault lorsqu'il retira la préface de 1961 à " l'histoire de la folie " lors des rééditions postérieures tant ses affirmations prétendant à " connaître " la " folie " en " elle-même " firent scandale à l'époque, ( mais nous verrons plus loin que cette préface n'était que la pointe immergée de l'iceberg ).
Derrida, par contre, ne subissant pas la même pression, pro-voque, se lâche, un peu plus. Par exemple dans un texte récent ( in "Résistances/ de la psychanalyse " ed Galilée 1996 ) il s'appuie sur la préface retirée par Foucault, et précisément sur les termes litigieux : " connaître " la folie " en elle-même ", puis s'auto-commente par auto-herméneutisme d’ un texte ancien ( 1963, repris in " l'écriture et la différence " 1967 ). L’objectif étant de rendre “ fou “ le lecteur ( Eurydice ) afin de le sculpter comme oeuvre d’art ( Orphée ). Par ce biais Derrida lâchera Bataille pour Blanchot, plus efficace, comme nous le verrons plus loin.



P


Baudrillard et Bataille


Observons maintenant que Baudrillard ne comprend également pas non plus pourquoi Bataille utilise à ce point la " transgression " comme moyen ; il y voit seulement une " erreur "d’appréciation de la part de Bataille.

Ainsi dans " l'échange symbolique et la mort " ( 1976 ed Gallimard ), et dans le chapitre intitulé " La mort chez Bataille ", Baudrillard s'interroge ( pp 236-242) sur " l'échange " entre la " vie et la mort " et confronte son acception à la conception bataillienne de la " conjonction luxueuse du sexe et de la mort " ( p 238 ).
Baudrillard note tout d’abord qu'il préfère somme toute l’acception de Bataille à celle de Freud, qui est, elle, plutôt une " vision par défaut " ( p 236 ) tant chez Freud, surtout lorsque celui-ci fait de la "mort et de la sexualité " des " principes antagonistes " ( p 237 ) " a manqué " ( p 238 ) le fait de ne pas
" voir dans la mort la courbure même de la vie, c'est d'en avoir manqué le vertige, l'excès, le retournement de toute économie de la vie qu'elle opère -c'est d'en avoir fait, sous forme de pulsion finale, une équation à retardement de la vie. C'est d'en avoir énoncé l'économie finale sous le signe de la répétition, et d'en avoir manqué le paroxysme. La mort n'est pas résolution ni involution, elle est réversion et défi symbolique. (...) "( p 239 ).

Plus haut dans le texte Baudrillard explicite tout d'abord tout ce qui le lie en fait à Bataille :

" Au lieu d'instituer la mort comme régulation des tensions et fonction d'équilibre, comme économie de pulsion, Bataille l'introduit à l'inverse comme paroxysme des échanges, surabondance et excès. " ( p 237 ).

Plus loin : " Il n'y a pas d'économie spécifique de l'une ni de l'autre : ce n'est que séparées que la vie et la mort tombent sous le coup d'une économie -confondues, elles passent ensemble au-delà de l'économie, dans la fête et la perte ( l'érotisme pour Bataille ) : " Pas de différence entre la mort et la sexualité. Elles ne sont que les moments aigus d'une fête que la nature célèbre avec la multitude inépuisable des êtres, l'une et l'autre ayant le sens du gaspillage illimité auquel la nature procède à l'encontre du désir de durer qui est le propre de chaque être " ". ( p 238 )

Plus loin encore ( ibid ) : " Il y a donc chez Bataille vision de la mort comme principe excessif, et comme anti-économie. D'où la métaphore du luxe, du caractère luxueux de la mort. Seule la dépense somptuaire et inutile a un sens -l'économie, elle, n'a pas de sens, elle n'est que résidu, dont on a fait la loi de la vie, alors que la richesse est dans l'échange luxueux de la mort : le sacrifice, la " part maudite ", celle qui échappe à l'investissement et aux équivalences, et qui ne peut être qu'anéantie. Si la vie n'est qu'un besoin de durer à tout prix, alors l'anéantissement est un luxe sans prix. Dans un système où la vie est régie par la valeur et l'utilité, la mort devient un luxe inutile, et la seule alternative. "

Seulement il semble bien que Baudrillard, par souci sans doute de se détâcher de l’acception physicaliste freudienne par trop enclin en effet à concevoir toute recherche luxuriante comme sublimation d’un manque énergético-sexuelle, ( voir à ce propos la critique de Freud effectué par Nuttin in Théorie de la motivation humaine, ed 1991 ed puf, pp 26, 34, 230,253, 276... ), Baudrillard projette en fait chez Bataille, -ce dernier faisant ainsi fonction de référent implicite de métaconscience posée en apriori cognitif pour parler comme Boudon commentant Simmel-, Baudrillard investit en Bataille sa propre acception du sens de la vie qui ne peut en effet être réduite à son économie, à sa reproduction
Car, où donc Baudrillard voit-il chez Bataille cette " conjonction luxueuse du sexe et de la mort " ?
Alors qu'il s'agit en fait d' une perception quantitativiste, degré zéro d'une économie naturaliste du luxe pensé uniquement comme déperdition du surplus en vue de laisser aller et venir précisément la force sans limites de la vie au moment même de la mise à mort, et non pas en vue de son affinement et cisèlement comme vie humaine, qui est tout de même l'être-là du luxe ou alors les mots n'ont plus aucun sens sinon celui de leur filigrane matériel, vulgaire.
Où donc Baudrillard perçoit-il un " luxe " non économiste chez Bataille ?
Dans les textes sordides de " Bleu du Ciel " et de " Histoire de l'oeil " mêlant saleté, laideur et sexualité afin de rabattre celle-ci à celles-là, réitérant alors l'acception séculaire des dogmes religieux montrant du doigt l’érotisme comme “économie” par excellence du mal et de sa violence ?

Par exemple : "

(...) Le chauffeur était renversé dans un halètement. J'allumai la lampe intérieure de la voiture. Edwarda, droite, à cheval sur le travailleur, la tête en arrière, sa chevelure pendait. Lui soutenant la nuque, je lui vis les yeux blancs. Elle se tendit sur la main qui la portait et la tension accrût son râle. Ses yeux se rétablirent, un instant même, elle parut s'apaiser. Elle me vit : de son regard, à ce moment-là, je sus qu'il revenait de l'impossible et je vis, au fond d'elle, une fixité vertigineuse. A la racine, la crue qui l'inonda rejaillit dans ses larmes : les larmes ruisselèrent des yeux. L'amour, dans ces yeux, était mort, un froid d'aurore en émanait, une transparence où je lisais la mort. Et tout était noué dans ce regard de rêve : les corps nus, les doigts qui ouvraient la chair, mon angoisse et le souvenir de la bave aux lèvres, il n'était rien qui ne contribuât à ce glissement aveugle dans la mort. (...)
(...). ( Continuer ? je le voulais mais je m'en moque. l'intérêt n'est pas là. Je dis ce qui m'oppresse au moment d'écrire : tout serait-il absurde ? ou y aurai-il un sens ? je me rends malade d'y penser. Je m'éveille le matin -de même que des millions- de filles et de garçons, de bébés, de vieillards, sommeils à jamais dissipés...Moi-même et ces millions, notre éveil aurait-il un sens ? Un sens caché? Evidemment caché! Mais si rien n'a de sens, j'ai beau faire : je reculerai, m'aidant de supercheries. Je devrai lâcher prise et me vendre au non-sens : pour moi, c'est le bourreau, qui me torture et qui me tue, pas une ombre d'espoir. Mais s'il est un sens ? Je l'ignore aujourd'hui. Demain ? Que sais-je ? Je ne puis concevoir de sens qui ne soit " mon " supplice, quant à cela je le sais bien. Et pour l'instant : non-sens! Monsieur Non-Sens écrit, il comprend qu'il est fou : c'est affreux. Mais sa folie, ce non-sens -comme il est, tout à coup, devenu " sérieux " : - serait-ce là justement " le sens " ? ( non, Hegel n'a rien à voir avec l' " apothéose " d'une folle...) Ma vie n'a de sens qu'à la condition que j'en manque; que je sois fou : comprenne qui peut, comprenne qui meurt...; ainsi l'être est là, ne sachant pourquoi, de froid demeuré tremblant...; l'immensité, la nuit l'environnent et, tout exprès, il est là pour... " ne pas savoir ". ( ...) "
( Bataille, 1941, ed 1956, Madame Edwarda, in "Histoire de l'oeil, ed 10/18, pp 50-53 ).

Retenons seulement quelques variables de son sens stratégique :

" Monsieur Non-Sens écrit, il comprend qu'il est fou : c'est affreux. Mais sa folie, ce non-sens -comme il est, tout à coup, devenu " sérieux " : - serait-ce là justement " le sens " ? "...

Observons comment Baudrillard cherche sa référentiation à Bataille qu’il cite ( p 238 ) :

" (...) " Que signifie l'érotisme des corps sinon une violence de l'être des partenaires?...Toute la mise en oeuvre érotique a pour principe une destruction de la structure de l'être fermé qu'est à l'état normal un partenaire du jeu. ".

Commentaire de Baudrillard sur cette citation de Bataille :

" La mise à nu érotique est égale à la mise à mort, dans la mesure où elle inaugure un état de communication, de perte d'identité et de fusion. "

Observons tout d’abord le texte de Bataille.

En quoi " l'érotisme des corps " serait-il une " violation de l'être des partenaires " sinon en posant que le jeu amoureux lorqu’il simule simultanément, alternativement, le conflit, la tension, la fusion, l'harmonie, entre les êtres, est, en tant que tel, une “ destruction “ alors qu’il s’agit plutôt d’une mise à l’épreuve visant à observer comment autrui décline-t-il ses réponses et par là à s’en extasier avant de s’en abreuver, au coeur même de sa déhiscence...

Chez Bataille se projette plutôt une haine apriori de la vie, de l’amour, humain, qui ne peut en effet se déclencher s’il n’est pas tissé de cette mise en jeu, au sens littéral, de la capacité à être, réellement et pleinement, là.
Or cette demande de félicité, de plénitude, ne peut s’identifier à une mise à mort. C’est-à-dire dans le langage hégelien manipulé par Bataille à la seule observation analytique en vue de l’instrumentalisation comme outil du jouir alors qu’il s’agit d’observer en autrui sa capacité à être pleinement du monde, l’érotisme déployé en étant l’interprétation choisie. Autrement se déploie une impossibilité pour les deux partis du jeu d’être au même niveau, dans le même regard, sur le même pied d’égalité, ce qui stoppe la réversibilité de l’échange symbolique et restreint le rapport à sa dimension en effet strictement économique et politique dans laquelle la force du rapport se perçoit uniquement comme rapport de force.

Il ne s’agit donc pas de confondre tout l'artifice, en effet, du jeu de la séduction, avec celui d' une mise à mort au sens " d'une perte d'identité et de fusion" .
Sauf, bien entendu, s’il s’agit d’une perte simulée, réversible, qui met seulement en jeu la possibilité de l’unité .
Car autrement si l’on conçoit uniquement le désir de “ fusion “ comme “ perte “, l’on ne comprendrait pas dans ce cas ce type de jeu amoureux qui veut, tout au contraire, chercher dans le plus de fusion un plus de liberté et par là veut transformer sa dite “perte “ en surcroît de force permettant alors de donner encore plus de sens au rapport puisque une telle fusion en libérant un plus de force peut susciter, encourager, une action encore plus prégnante dans l’interaction politico-sociale qui en retour viendra nourrir et affiner la fusion amoureuse.
En ce sens identifier fusion et perte c’est déployer une mécompréhension des rapports inter-humains.
Car cela reviendrait à ne seulement déceler dans toute obéissance, tout accord , acceptation,reconnaissance , dans le moindre bruissement de vie humaine à la fois autonome et débordant de fusion, qu’ une “ perte “, posée de surcroît comme expression par excellence de la liberté du diable moderne, c'est-à-dire de l'économie politique qui objectivise et restreint autrui.selon son propre intérêt, alors que c’est précisément en réduisant le jeu inter-humain à une destruction qu’on perçoit uniquement celui-ci comme quantité immanente de force utilisable pour son seul profit et non pas dans le cadre d’un échange qui privilégierait le partage et l’exploration.
Et pour en revenir à l'érotisme, cette objectivation d’autrui, dans le cadre d’une fusion, est d’autant plus réversible puisqu’ il s'agit seulement, du moins en moyenne, d'un jeu qui peut en effet aller jusqu’à simuler, dans l’efferverscence de la fusion, les postures plastiques sinon d'une obéissance absolue, du moins d’une offrande, d’un don volontaire de soi, qui ne peuvent s’apparenter à une spoliation de souveraineté.
De ce fait, et dans le cadre érotique d’une fusion préférant l’admiration réciproque à la fascination unilatérale, le don de soi, réversible, peut certes aller jusqu’à dessiner momentanément la fusion des corps en une même identité, un même souffle un même regard une même joie se donnant de surcroît l’illusion d’une communion avec la Création elle-même, mais ceci reste essentiellement un jeu. C’est-à-dire s’active dans certaines limites.
Car, d'un autre côté, le jeu amoureux, surtout dans son versant sexuel, surtout lorsqu'il se prolonge à l'excès, ne peut pas cependant échapper à l'ordre humain et donc politico-social, de sa signification comme rapport.
Ce qui implique alors que lorsque le jeu, par son insistance excessive sombre comme signe compulsif d'une surcompensation, objet-miroir d'une simulation se prenant à son propre jeu, séparation et scission totale, définitive, d'une individualité réduite à son seul silence, alors là oui, cette simulation s’élève au rang du bouc émissaire et peut être celle d’une réelle mise à mort, d’une expiation.
Et précisément chez Bataille c’est seulement dans ce dernier aspect qu’il réifie en quelque sorte l’érotisme et par là s’en sert comme moyen en vue du détruire, réel, son objectif final.
Il s'agit en fait chez lui d'exacerber un voir, isotrope, sans regard. Celui d'un contemplatif dégénéré. Et surtout horrifié de repérer dans le désir de vie, d’amour, une inégalité de fait.
En ce sens que la vie, surtout humaine, s'édifie comme concept en acte. Et donc perpétuellement en devenir. Sculpté en permanence. Et non pas seulement à la façon d’une puissance finie, comme dans la mort.
C’est en ce sens qu’ il n'y a pas d'équivalence entre la vie et la mort.
Car la vie s'autodéveloppe malgré le fini du possible, ne serait-ce que dans l’imaginaire ; et elle s’autodéveloppe malgré la fin, malgré la mort, terrestre, dont par ailleurs la similitude avec l’immobile ne renvoie pas à la fascination de la fin mais à la possession infinie qu’est l’espérance même de la fusion.
En ce sens la vie dépasse la mort ( du moins jusqu'à présent...).Surtout dans l'élévation vers ce qui l'efface comme moment. C’ est-à-dire précisément l'immortalité. Celle, déjà sur Terre, de l'Histoire humaine, ( du Logos ), qui va bien au delà de l'infinité et de son absolu, abstrait, car elle cherche à être de mieux en mieux dans le visible et l’invisible.

Chez Bataille, seul prévaut cette réduction de la vie à un substrat sommé d'entrer en ébullition afin de ne pas économiser et basculer dans l'humain trop humain, cette saleté, ou corruption.
Ce qui explique ce refus de la concevoir autre que débordante, luxuriante. Ce qui revient en fait à la percevoir seulement dans sa naturalité, sa virginité, celle de l'âge d'or, en-deçà de l'humain, d'une part.
D'autre part c'est trouver inconcevable que l'être humain dans sa vie en propre, soit, en fait, un être social autonome et non une entité informelle qui resterait comme à l'état de potentialité permanent.
Et qui n'aurait alors droit à la "survie" que dans le seul fait de se corseter à des cadres, des références et à des buts qui lui en limiteraient cependant et très négativement l'accès au vivre. Telles les acceptions religieuses d'autrefois (remises aujourd'hui à la mode par des ex-nihilistes ). C'est-à-dire non pas celles qui prétenderaient seulement dire, énoncer, éveiller, proposer, mais celles qui se substitueraient réellement au libre-arbitre, et qui le dénoncerait ; ce qui est bel et bien le propre des pensées idéocratiques qui, en fait, ne supportent que leur propre érection.


En fait Baudrillard, à la recherche sans doute d’un lien référentiel avec un au-delà de l’économie politique par trop restrictive, aimerait se poser comme continuateur, véritablement nietzschéen, d'un Bataille rectifié, d’un Bataille sauvé ( comme autrefois l’on tentait de sauver Marx de Lénine, ce qui n’est d’ailleurs pas un mal... ), d’un Bataille, enfin,sans " l' erreur " ( pp 240-242 ) qui mêle par trop "mort biologique" et mort " symbolique ".

Baudrillard cite par exemple Bataille :

" Le désir de produire à peu de frais est proprement humain. La nature, elle,prodigue sans compter, " sacrifie " allégrement. "

Commentaire du “ sauveur “ :

" Pourquoi chercher la caution d'une nature idéalement prodigue, contre celle des économistes, idéalement calculatrice ? Le luxe n'est pas plus " naturel " que l'économie. Le sacrifice et la dépense sacrificielle ne sont pas dans l'ordre des choses. Cette erreur amène même Bataille à mêler sexualité reproductrice et dépense érotique : " L'excès d'où la reproduction procède et celui qu'est la mort ne peuvent être compris que l'un à l'aide de l'autre. " Or la reproduction en tant que telle est sans excès.- même si elle implique la mort de l'individu, il s'agit encore d'une économie positive et d'une mort fonctionnelle - au profit de l'espèce. La mort sacrificielle, elle, est antiproductive et
antireproductive. Elle vise bien une continuité, comme dit Bataille, mais pas celle de l'espèce, qui n'est que continuité d'un ordre de la vie, alors que la continuité radicale, celle où le sujet s'abîme dans le sexe et la mort, signifie toujours la déperdition fabuleuse d'un ordre. (...).
(...) Contre une nature qui serait débauche d'énergies vives et orgie d'anéantissement, l' " être " se protège par des interdits, il résiste par tous les moyens à cette pulsion d'excès et de mort qui lui vient de la nature ( pourtant, sa résistance n'est jamais que provisoire, " jamais les hommes n'opposèrent à la violence et à la mort un non définitif " ). Ainsi s'installe chez Bataille, sur la base d'une définition naturelle de la dépense ( la nature comme modèle de prodigalité ) et d'une définition elle aussi substantielle et ontologique de l'économie ( c'est le sujet qui veut se maintenir dans son être - mais d'où lui vient ce désir fondamental? ) une sorte de dialectique subjective de l'interdit et de la transgression, où l'allégresse initiale du sacrifice et de la mort se perd dans les délices du christianisme et de la perversion -une sorte de dialectique objective entre continuité et discontinuité où le défi que lance la mort à l'organisation économique s'efface devant une grande alternance métaphysique. "

Or, en fait " d'erreur " perçue, si gentiment, si naïvement, Baudrillard effectue déjà ici la même confusion que Sartre quant à la finalité du dire de Bataille.
Baudrillard, tout comme Sartre, ne voit pas qu'il ne s'agit pas seulement chez Bataille de " tentation naturaliste " ( p 241 ) voire de " trangression " d'une " mystique fondamentalement chrétienne " ( p 242 ) mais, comme nous l'avons vu, de la nécessité tactique de se servir et de ce naturalisme et de cette transgression, légitimée par un anthropomorphisme économiste quantitativiste à la façon " matérialisme dialectique ", bref à la Lénine, en vue d'un but politique stratégique.
Celui qui consiste en une destruction, une extermination du soi. C’est-à-dire de la culture, de la raison, et donc du sens, y compris le symbolique, afin de laisser seulement venir comme finalité "l'exubérance des forces " ( Bataille in oeuvres complètes, t VI, p 42 ) celle de la " morale du sommet " ( ibid ). C’est-à-dire de la “ race forte “, composés de ces “ surhommes “ souverains absolus qui cependant ne perçoivent l’étendue de leur puissance que dans la destruction d’autrui ( Eurydice ), image exactement inverse du dieu créateur.

Et pour Bataille il ne s’agit pas seulement d’en parler, -de la même façon qu’il ne suffit pas de peindre le meurtre de César ( Blanchot, op cit ), car se serait là agir ( seulement ) dans la " morale du déclin " ( Bataille, ibid, p 345 ).
Il s’agit d’être Brutus et donc de mettre à mort, réellement, à la façon du quantitativisme léniniste et son acception pauvrette de la " matière " doublé d'une effervescence nietzschéenne ( surtout celle de Turin ) qui serait au fond plus proche de la brute que de l'esthète.

En ce sens cette mise à mort n'aurait de " merveilleux " ou plutôt d’effarant que l’ampleur du désastre ( des dizaines de millions de morts ) dû au " merveilleux chaos mental " ( in "la part maudite" ) bolchevik, dont Bataille en matérialiste, dégénéré, -et c'est sans doute seulement là que l'analyse de Baudrillard frôle le juste,- l'expose comme naturalité hyperréaliste, qu’hypostasie, ( ou désastre ), alors Blanchot avec Brutus et Orphée , et ensuite Genet avec son voyou, Foucault avec son fou, Deleuze et sa Vénus, Derrida bégayant les paradoxes labyrinthiens de Blanchot, Lyotard et son déchaînement de sens ( si p alors non p ), Bourdieu et sa perception de la “ classe “ comme “ espace “, matière donc, du “ quelque chose à faire “....

Répétons-le, cette destruction n'est visée en fait qu' en tant que moyen permettant d'accéder à la vision stratégique supérieure propre aux dieux de la “ race forte “ nietzschéenne.
Et tactiquement, la mise à mort bataillienne manipule l'énergie de "l'extase" la vision même de la vie dominant la mort, en la dirigeant non pas dans le " somptueux " mais dans " l'agonie " ( in " l'expérience intérieure..." ) afin que mille Eurydice puissent voir le jour : la mort pour elles, la survie pour les Orphée.





Q


Blanchot


Il s'agit pour Blanchot de ( du ) devenir automatique qui se conserve mort mais en silence dans " l'incommunicable "car seules les " Eurydice " ( les faibles sans le dire, ceux qui se sont fait piéger par l'amour, l'amitié, d'Orphée, de Brutus, ceux qui se font tuer en leur nom ), toutes les Eurydice, en puissance, meurent, en acte.
L'objectif en cette nouvelle forme de chasse à l'homme,
-( mais qu'attendre d'autre de quelqu'un comme Blanchot issu des rangs de l'ultra-réaction monarchiste dont l'anticapitalisme est d'abord est antidémocratisme ? )-,
est de désarçonner et de se déceler en la victime afin d'y lire ses propres réactions : littéralement : (se) dé-celer, comme désastre.
C'est-à-dire dont l’orbite ( du sens ) est déplacée, mis à mort, et, qui plus est, en son nom ou alors au nom de l'amitié, de la négation.
Tel est le mot d'ordre, posé, par Blanchot ( qui bégaye Nietzsche, mais c'est là aussi un genre d'automatisme... ). Sans, pour autant, s'appuyer, au départ, sur aucun autre nom que le non qui métamorphose chaque arrêt, de mort, en une arête qui ainsi dévie .
Il s'agit de s'appuyer sur aucun autre point pivot, aucune orbite, "unité", qu'il rejette ( suivant là Nietzsche ), à l'exception de l'expérience en cours, qu'il faudra cependant par la suite elle aussi " expier " dit-il à Bataille
( L'expérience...p 67 ) afin de redevenir " l'attaque " même ( Nietzsche, op cit, in XIV ) , l 'automatisme, toujours à la recherche, constante, d'une nouvelle Eurydice pour se saisir comme cette race forte qui se situe au-delà du divin judéo-chrétien.

Bref, Il est question de :

" (...) répudier aussi le principe dont le dieu n'est que le soutien et à tenter de sortir du cercle où, depuis toujours, sous sa garde comme sous la garde de l'humanisme, nous demeurons enfermés dans la fascination de l'unité (...) " ( in " L'amitié, ed, Gallimard, p 85, ).
Ou le devenir de l' émasculation spirituelle dernière, " acéphale " dirait Bataille. Telle celle d’une " femme sans tête ".
Et cette expression, -de Maurras, désignant ainsi la République sans roi nous dit Bourricaud ( 1986, le retour de la droite, p 156 )-, colle parfaitement à ce que dessine ici Blanchot. Car il connaît le nom de cette femme, elle s'appelle " l'unité ", elle se nomme aussi " Eurydice ".
Et face à cette “ unité “ il conseille de faire comme Orphée, de la regarder, et donc de la perdre, de la tuer, au moment même où l'on prétend pourtant la sauver, en son propre nom:

" Regarder Eurydice, sans souci du chant, dans l'impatience et l'imprudence du désir qui oublie la loi, c'est cela même, l'inspiration. (...) " ( L'espace littéraire p 231 ed Gallimard ),

ce qui permet, alors, de posséder l'expiration, ou le mourir en elle ( de rire...), et de sur vivre, confortablement, en Orphée :

" Sois toujours mort en Eurydice, afin d'être vivant en Orphée. " ( ibid p 329 ).

Blanchot, qui énonce rappelons-le :

" Il ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus. " ( ibid p 284 ).

Blanchot, ce :

" (...) disciple de Ch. Maurras",

nous dit Sartre, ( dans une note, Situations, I, 1947, p 150, ed, idées/Gallimard, 1975 ).

Cette information de Sartre est du plus haut intérêt, bien qu'elle ne nous soit pas nécessaire pour fonder le caractère foncièrement ultra-droite du faisceau néoléniniste Blanchot-Bataille; ( voir également le dictionnaire des intellectuels français de Julliard déjà cité plus haut dans lequel nous apprenons le passé d’extrême droite de Blanchot, monarchiste et antidémocrate ) :

" (...) Reste une étape, et peut-être la plus surprenante : quand le centre doit coïncider avec l'absence de tout centre (...) " ( Blanchot, l'Amitié, ed gallimard, p 85 ).

A ce stade, dans ce " communisme " tendance Blanchot, il faut alors l'autorité de Trotsky qui commente cette " absence de tout centre " :

" (...) Avec la Révolution, la vie est devenue un bivouac. La vie privée, les institutions, les méthodes, les pensées, les sentiments, tout est devenu inhabituel, temporaire, transitoire, tout se sent précaire. Ce perpétuel bivouac, caractère épisodique de la vie, comporte en soi un élément d'accidentel, et l'accidentel porte le sceau de l'insignifiance. Prise dans la diversité de ses épisodes, la Révolution apparaît soudain dénuée de signification. Où est donc la Révolution? Voilà la difficulté. " Texte plus énigmatique qu'il ne semble, et la question qu'il pose, je crois qu'elle ne se pose pas moins aux manifestations les plus assurées de la littérature et de l'art. " ( ibid, pp 85,86 )

Ou est " donc la Révolution ? ". Mais précisément dans cette " absence de tout centre ". Dans ce tourbillon, ce vertige de la vie posée comme bivouac
. Et c'est, là, très précisément, où agit le " communisme " tendance Blanchot. Ce " communisme " qui, précisément, ne peut être " désigné ", c'est du moins ce que Blanchot précise :
" ( note1) Communisme ici et nécessairement entre guillemets : on n'appartient pas au communisme, et le communisme ne se laisse pas désigner par ce qui le nomme. " ( ibid, p 101 ).

Et c'est de cette définition là d’où Foucault parle, il s’en réclame, nous l'avons lu :

" (...) L'intérêt pour Nietzsche et Bataille n'était pas une manière de nous éloigner du marxisme ou du communisme. C'était la seule voie d'accès vers ce que nous attendions du communisme. (...) " ( Michel Foucault. Dits et écrits, 1980, T.IV, p 50, entretien ).

" (...) Je sais très bien pourquoi j'ai lu Nietzsche : j'ai lu Nietzsche à cause de Bataille et j'ai lu Bataille à cause de Blanchot (...) ( Idem, Dits et écrits, T.IV. p 437. entretien )


R



Aux origines léninistes du blanchotisme


Agissant tel Brutus, Orphée, au sein de cette définition,
il s'agit alors d'oeuvrer comme la Révolution, façon Trotsky: en permanence. Facon Lénine : par la guerre, totale, ou le léviathan à dé(cons)truire.
C'est donc ainsi que Blanchot, aiguisant son léninisme par le trotskysme de la " révolution permanente " pose le coup d'Etat terroriste de 17 comme cadre référentiel, mieux encore, comme pattern d' imprégnation, ou
sagesse : sophos, philosophos :

" (...) La Révolution d'Octobre n'est plus seulement l'épiphanie du logos philosophique, son apothéose ou son apocalypse. Elle est sa réalisation qui le détruit, (...) " ( ibid, p 103 ).

En quoi " La Révolution d'Octobre ", celle non pas du “ peuple “ russe mais celle du coup d’Etat léniniste, dont nous connaissons l'inanité, barbare, au sens grec, c'est-à-dire non pas au delà mais en deçà de toute civilisation, en quoi ses majuscules, cachant la logorrhée léniniste, la posent implicitement comme ce lemme eschatologique total qui " réalise ", et ce en son " épiphanie ", son " apothéose " ou son " apocalypse " même, le " logos philosophique "?
Qu'est-ce que le " logos philosophique " ?
En quoi " La Révolution d'Octobre " version Lénine est -elle sa " réalisation " ?
En quoi cette " réalisation " est-elle faite, puisqu'elle " le détruit "? En quoi ?
Strictement?
Sans se démonter outre-mesure, et tout à fait à l'aise dans la monstruosité, Blanchot colle, dans la suite du propos, et au verbe " détruit ", une petite virgule à " qui le détruit, " et cette " , " vient comme ouvrir la suite qui semble découvrir ce qui est ainsi "détruit".
Repartons pour commencer de " Elle est sa réalisation qui le détruit, " :
" La Révolution d'Octobre ", celle de Lénine, est
" sa réalisation ": en ce sens qu' elle est, elle, " La Révolution d'octobre", sa réalisation à lui le " logos philosophique, c'est lui, lui-même, qui a réalisé " La Révolution d'Octobre ", mais, ajoute sans rire Blanchot, cette réalisation " le détruit " car elle en est comme sa fin.
C' est-à-dire non " plus seulement " " l'épiphanie " , " son apothéose ou son apocalypse " mais " sa réalisation " même, et qui, en même temps, le " détruit ". Cqfd.
Reprenons :
" Elle est sa réalisation qui le détruit, ( virgule), le discours universel s'identifiant douloureusement au silence agissant de l'homme du travail et du besoin, l'homme en défaut qui lutte pour maîtriser la nature et pour réduire la pseudo-nature qu'est devenue au cours de cette lutte la société, par une altération qui recommence sans cesse, car elle est liée au développement de sa maîtrise. Je n'insiste pas sur cette affirmation : elle est notre lecture quotidienne. (...) " ( p 103).

Insistons quant à nous sur cette " affirmation ":

Ainsi s'opère d'une part une similitude, une identification, une transitivité, apriori, entre " La Révolution d'Octobre ", le " logos philosophique ", et le " discours universel " qui, lui-même, " s'identifie " et " douloureusement " au " silence agissant de l'homme du travail et du besoin ", c'est-à-dire également à " l'homme en défaut ".
En défaut de quoi ? Nul ne le sait mais en tout cas, cet homme " en défaut ", par transitivité, voit son " silence "
s' exprimer dans " La Révolution d'Octobre "qui, elle-même, du moins sa version léniniste, réalise le " logos philosophique ", mais en ce sens que c'est cette " réalisation " qui en même temps " le détruit ".
Et cet " homme " donc, " en défaut ", est non seulement cet homme " qui lutte pour maîtriser la nature ", rien de plus banal ici, mais il lutte aussi " pour réduire la pseudo-nature qu'est devenue au cours de cette lutte la société ".
Qu'est-ce que " réduire "? Et en quoi " la société " est-elle " devenue ", au " cours de cette lutte ",celle consistant à “ maîtriser la nature ", une " pseudo-nature "?
Nul ne le sait non plus ici.
Mais le terme " réduire ", lui, va être expliqué, du moins, le moyen utilisé pour ce faire va être découvert :
" par une altération qui recommence sans cesse ".
Ainsi la " société ", cette " pseudo-nature " est " réduite " par une " altération " qui " recommence sans cesse ".
Mais d'où vient cette " altération " ? de " l'homme en défaut "; et d'où vient cet homme ? Où, du moins, par quoi se caractérise-t-il? Par le " silence agissant de l'homme du travail et du besoin ". Mais ce " silence " par quoi est-il exprimé ? Par le " discours universel " qui " s 'identifie douleureusement ". Mais ce " discours universel " qui est-il ? Celui réalisé et détruit du " logos philosophique ". Et lui, par qui s'exprime-t-il, de qui dépend-t-il, pour aller au-delà de son " épiphanie " son " apothéose ", son "apocalypse " ?.
De " La Révolution d'Octobre ". C’est-à-dire Lénine et surtout Trotsky qu’affectionne Blanchot.
Ainsi, celle-ci incarnerait le " logos philosophique " mais en le réalisant, "le détruit", car elle est en même temps ce " discours universel " qui en s'identifiant " douleureusement " au " silence agissant de l'homme du travail et du besoin, l'homme en défaut " rend nécessaire " l'altération " en vue de " réduire " cette " pseudo nature " qu'est la " société "; altération qui " recommence sans cesse " car " elle est liée au développement de sa maîtrise ".
De ce fait " La Révolution d'Octobre " en tant que " discours universel ", telle la Révolution française, serait en même temps, et surtout en plus, c’est son pas au-delà, ce " silence " s'identifiant " douloureusement " au " silence agissant de l'homme du travail et du besoin, l'homme en défaut ".
Elle parle donc “ douloureusement “ au nom du “ silence “ de “ l’homme du travail et du besoin “, et elle lui désigne un monde dans lequel l’homme ne sera plus du travail et du besoin et ne restera pas silencieux. Et tout ceci est écrit sans rire, très sérieusement. Blanchot annonce l’arrivée de la rédemption sur Terre et... dans les cieux
Car “ la révolution d’Octobre “ est cette " altération " même qui agit y compris au sein même du “ logos “. Et elle permet, dans son perpétuel recommencement, de " réduire " cette " pseudo nature " qu'est devenue, au cours de la lutte pour la maîtrise de la nature, la " société " puisque " celle-ci est liée au développement de sa maîtrise ". Comment ?
Il s’agit de la porter à son comble, d’en brouiller la “ pseudo-nature” jusqu'à la détruire au sommet de son apogée afin de réaliser l’éternel retour affirmant enfin clairement, sans arrière monde, que midi est minuit, l’apogée le déclin, l’apothéose, l’apocalypse...qu’Eurydice n’existe que pour être transformée en statue à la gloire d’Orphée, la “révolution” en étant la spatule permanente.

En conséquence " La Révolution d'Octobre " était, est, sera, toujours, nécessaire. CQFD.

Seulement il appert, et le monde entier le sait maintenant de façon massive et définitive, ( et même en Chine et à Cuba mais point encore en France et en Algérie ), que la "Révolution d'Octobre", version Lénine-Trotsky, n'est point du tout nécessaire, bien au contraire. Ni pour sa maîtrise ni pour sa " réduction ", ni même pour sa pseudo incarnation du " silence agissant de l'homme du travail et du besoin ", puisqu'elle en est comme l'impossibilité, l'étouffement, programmé, de cet homme même. Etouffement total, destruction de tout logos, silence absolu de tout homme, sauf s’il accepte de devenir une Eurydice, une morte en attente du dieu censé venir la sauver du péril, celui du travail et du besoin, qui pourtant la rendrait libre, malgré le pire. Or c’est ce que ne peuvent supporter ceux qui comme Blanchot voient en le monde moderne moins une “ altération “ qu’un concurrent qui empêche de continuer à consommer ce temps béni de l’aristocratisme absolu dans lequel tout un chacun ne vit qu’à travers le nom du seigneur.

En fait, point n'est besoin de poursuivre, pour le moment, le commentaire, puisque le léninisme-trotskysme, tendance Blanchot-Bataille, se tient précisément là, à la fois dans cette destruction du " logos philosophique",

" (...) c'est la philosophie elle-même qui affirme ou réalise sa propre fin, qu'elle l'entende comme l'accomplissement du savoir absolu, sa suppression théorique liée à sa réalisation pratique, le mouvement nihiliste où s'abîment les valeurs, enfin par l'achèvement de la métaphysique, signe précurseur d'une possibilité qui n'a pas encore de nom. Voilà le crépuscule qui accompagne désormais chaque penseur, étrange moment funèbre que l'esprit philosophique célèbre dans une exaltation d'ailleurs souvent joyeuse, conduisant ses lentes funérailles au cours desquelles il compte bien, d'une manière ou d'une autre, obtenir sa résurrection. Et, bien entendu, une telle attente, crise et fête de la négativité, expérience poussée à son terme pour savoir ce qui résiste, ne touche pas seulement la philosophie. Toute la littérature, depuis le surréalisme, en a fait l'épreuve, épreuve de sa fin où elle prétend aussi se découvrir, parfois se ressaisir. (...) " ( ibidem, pp 103,104 )

et à la fois en ses " lentes funérailles ", dûe à cette " expérience poussée à son terme pour savoir ce qui résiste " .

Blanchot opère ainsi une identification, funèbre, mais "joyeuse" non seulement au " logos " mais à ce qui "le détruit" et l'accomplit en quelque sorte :
" La Révolution d'Octobre ". Incarnée cependant dans quelque homme...par exemple Blanchot...
Mais pour cacher cette transsubstantiation il faut se justifier en annonçant qu’il est, aussi, le silence, " douloureux " de “ l’homme du travail et du besoin “ homme qu’il faut cependant détruire pour le sauver, même s’il ne comprend pas pourquoi ou est majoritairement contre ce type de sauvetage.
Peu importe pour Blanchot dont la démesure, du désastre, se veut eschatologie, puisqu'elle est l'altération même, qui réalise l'au delà de "l'épiphanie", "l'apothéose", "l'apocalypse", puisqu'elle " réduit " cette " pseudo-nature " qu'est la "société ", tout en étant en même temps liée à la "maitrise" même qu'elle opère sur la nature.
Ce qui implique que Blanchot, dépositaire, aussi, de cette altération qu'il intègre comme moment, celle de " l'achèvement de la métaphysique " celle de la technique, est également comme sommé par le "silence" de "l'homme en défaut " à pousser l'altération, et " l'achèvement " ( dans tous les sens du terme ) vers un pas supplémentaire, dernier, et donc fondateur, celui de l'altération supérieure et dernière :
Celle-ci viserait à en finir non plus seulement avec "la société" comme le fait le capitalisme mais avec l'espèce humaine elle-même telle qu’elle est tournée vers le travail et le besoin. C’ est-à-dire ce sens de l'homme peu à peu édifié au fil de son Histoire, et que le capitalisme accélère. Il s’agit donc de le précéder, et même de l’accomplir. Dans la démesure. Le désastre.
C’est le dernier travail de l’artiste ( maudit ), de Brutus, qui peut devenir Orphée s’il sait manier la dague de la négation.

C'est donc là que se niche le " communisme " blanchotien-bataillien ( et partant foucaldo-deleuziano-lyotardo-derridien).
Il s'agit d'accomplir un pas au delà, et " joyeusement ", dans l'allégresse, celle de l' autre " étape " ( p 85 ), celle allant vers une " absence de tout centre", quand le centre doit "coincider " avec " l'absence ", de quoi ? de tout " centre " :

Ainsi parle saint Blanchot ( " L'Amitié ", ed Gallimard ) :

" (...) Et j'interrogeai, Trotski, lequel développe avec une somptueuse simplicité l'utopie de l'avenir heureux :
" l'homme amendera sérieusement et plus d'une fois la nature. Il remodèlera éventuellement la terre à son goût. Nous n'avons aucune raison de craindre que son goût soit pauvre...L'homme moyen atteindra la taille d'un Aristote, d'un Goethe, d'un Marx. Et au-dessus de ces hauteurs s'élèveront de nouveaux sommets. "
Mais que dit-il de l'art? " L'art nouveau sera un art athée. " Ce qui ne nous renvoie pas simplement au tranquille horizon de l'absence du dieu, mais nous invite, secouant son joug, à répudier aussi le principe dont le dieu n'est que le soutien et à tenter de sortir du cercle où, depuis toujours, sous sa garde comme sous la garde de l'humanisme, nous demeurons enfermés dans la fascination de l'unité -autrement dit, à sortir ( par quelle improbable hérésie?) du savoir enchanté de la culture (1).
( Note 1) : Je voudrais citer ce texte d'Alexandre Blok, le grand poète des Douze, que la Révolution d'Octobre cependant effrayait : " Les bolcheviks n'empêchent pas d'écrire des vers, mais ils empêchent de se sentir comme un maître; est un maître celui qui porte en soi le pôle de son inspiration, de sa création et détient le rythme. "
La révolution bolchevique d'abord déplace le pôle qui semble désormais sous la maîtrise du parti. Puis la révolution communiste s'efforce, en restituant la maîtrise à la communauté sans différence, de situer le pôle dans le mouvement et l'indifférence de l'ensemble. Reste une étape, et peut-être la plus surprenante : quand le centre doit coïncider avec l'absence de tout centre. Je voudrais encore citer ce passage de Trotski : " Avec la Révolution, la vie est devenue un bivouac. La vie privée, les institutions, les méthodes, les pensées, les sentiments, tout est devenu inhabituel, temporaire, transitoire, tout se sent précaire. Ce perpétuel bivouac, caractère épisodique de la vie, comporte en soi un élément d'accidentel, et l'accidentel porte le sceau de l'insignifiance. Prise dans la diversité de ses épisodes, la Révolution apparaît soudain dénuée de signification. Où est donc la Révolution? Voilà la difficulté. " Texte plus énigmatique qu'il ne semble, et la question qu'il pose, je crois qu'elle ne se pose pas moins aux manifestations les plus assurées de la littérature et de l'art. " ( pp 85,86 ).
Tout devient désastre : " bivouac " :
vie, art, littérature...et les pôles sont déplacés, vers une " absence de tout centre ", vers l'altération totale qui abîme tout : abîme : cette cîme non plus seulement négative mais négativ-iste : sans rien du tout, pas même une " passerelle " :

" (...) ( une humanité qui ne pourrait plus se tuer, perdrait comme son équilibre, cesserait d'être normale ) ; un droit absolu, le seul qui ne soit pas l'envers d'un devoir, et pourtant un droit que ne double, ne fortifie pas un pouvoir véritable, qui s'élance comme une passerelle infinie laquelle au moment décisif s'interromprait, deviendrait aussi irréelle qu'un songe sur lequel il faut pourtant passer réellement, (...) " (... l'espace littéraire, p 129 )

Concentrons-nous maintenant sur " l'étape", celle qui amène, de façon eschatologique, " vers " l'absence de tout centre ".
Attachons-nous en effet à cette " étape " car elle nous permet d'aborder le fond transcendental de toute cette stratégie, dernière, qui consiste à se poser comme nouveau principe théo-onto-socio-logique qui permet de sortir de " l'unité ", celle de la civilisation judéo-gréco-romano-chrétienne dont la Renaissance et les Lumières ont posées le problème du droit, léviathan , pour le plus grand nombre, c’est-à-dire la démocratie qu’il s’agit maintenant de détruire puisqu’elle exprime par trop pour cet aristocrate dégénéré qu’est Blanchot l’homme “ du travail et du besoin “...
Mais comment faire en sorte de
" répudier aussi le principe dont le dieu n'est que le soutien et à tenter de sortir du cercle où, depuis toujours, sous sa garde comme sous la garde de l'humanisme, nous demeurons enfermés dans la fascination de l'unité " ( p 85 ) ?
En créant précisément un centre sans centre, un mouvement sans principe :
" La Révolution d'Octobre " permanente ( Trotski ).
Celle-là même qui exprime, réalise et détruit tout à la fois le logos, et son silence, douloureux. Apothéose et apocalypse qui accomplit et clôt. A la fois bourreau et victime : " l'homme " même du travail et du besoin s’autodévorant sous la forme d’Eurydice pour être sauvé... en Orphée. En tous les Blanchot qui s’agitent dans les habits mentaux du “ douloureux “...
Seulement comment dé(cons)truire? Comment s’habiller de douleur, comment devenir ce dieu ?
En utilisant un outil :
la " mort ", mais pas n’importe laquelle, pas seulement celle que donne si généreusement Brutus.
Il s’agit de cette “ mort “ qui permet de construire un monde nouveau, un homme nouveau, le surhomme du survivre qui sait utiliser le logos pour ( faire ) mourir en Eurydice afin de (sur) vivre en Orphée.

Mourir à la façon blanchotienne consistera alors à mourir comme homme du besoin et du travail. Et de vivre au-delà, un pas au-delà : vers le divin.
Le réel terrestre n’est dans ce cas qu’un matériau de plus pour cet au delà : uber alles :

" (...) Puis-je mourir? Ai-je le pouvoir de mourir? Cette question n'a de force que lorsque toutes les échappatoires ont été récusées. Dès qu'il se rassemble tout entier sur lui-même dans la certitude de sa condition mortelle, c'est alors que le souci de l'homme est de rendre la mort possible. Il ne lui suffit pas d'être mortel, il comprend qu'il doit le devenir, qu'il doit être deux fois mortel, souverainement, extrêmement mortel. C'est là sa vocation humaine. La mort, dans l'horizon humain, n'est pas ce qui est donné, elle est ce qui est à faire : une tâche, ce dont nous nous emparons activement, ce qui devient la source de notre activité et de notre maîtrise. L'homme meurt, cela n'est rien, mais l'homme est à partir de sa mort, il se lie fortement à sa mort, par un lien dont il est juge, il fait sa mort, il se fait mortel et, par là, se donne le pouvoir de faire et donne à ce qu'il fait son sens et sa vérité. La décision d'être sans être est cette possibilité même de la mort. Les trois pensées qui essaient de rendre compte de cette décision et qui, à cause de cela, semblent éclairer le mieux le destin de l'homme moderne, quels que soient les mouvement qui les opposent, celles de Hegel, de Nietzsche et de Heidegger, tendent toutes les trois à rendre la mort possible. " ( " l'espace littéraire ". Ed/ idées/Gallimard, p 115, impression 1978 ).

Disséquons ce.faux cadavre et sa vraie faux.


S

La " mort "comme stratégie transcendentale dernière


Centrons en priorité le commentaire sur le point , stratégique, du rattachement transcendental à Hegel opéré par Blanchot. Nous reviendrons plus loin sur son acception, sa traduction politique. L'aspect proprement " littéraire " sera, lui, traité ensuite.

Ainsi, en citant dans son texte nommé “ l’espace littéraire “ , et spécialement dans la partie consacrée à " L'oeuvre et l'espace de la mort ", Hegel, celui-ci vient déjà comme point d'ancrage, légitimité transcendantale. Et à la suite, littéralement, viennent Nietzsche et Heidegger.

Mais Hegel vient seulement en apparence.
Car ce dont il s'agit dans une interprétation, tronquée, de Hegel, -( et celle de Derrida, que nous avons étudié plus haut, bégaye celle-là )-, c'est l'établissement d' une apparence au sens d’ un leurre, un trompe l'oeil, un spectre qui travestit et la métaphore hégelienne de la “ mort “ et le travail de la “ négation “ qui chez Hegel expriment le cheminement du concept lorsqu’il réfléchit le réel et donc sépare, hiérarchise en vue d’agir selon un plan, une raison.
Or, de ce spectre au sens analytique, Blanchot, pense en faire un spectre réel, tel un idéaliste besogneux oeuvrant dans la matière pour construire son petit sceptre de petit dieu-baal :
Et, prêt à tout puisqu'il est déjà” mort”.

En effet Blanchot tout friand donc de manipuler l’acception hegelienne va alors jouer de façon vulgaire avec l’acception de la mort "suicide" afin de bien montrer qu’il s’agite lui dans des sphères supérieures.

Ainsi saint Blanchot dira que la mort-suicide est un " optimisme inconséquent " ( p 125, l'espace littéraire, ) car, celui-ci,
" rayonne à travers la mort volontaire, cette assurance de pouvoir toujours triompher, à la fin, en disposant souverainement du néant, en étant créateur de son propre néant, et, au sein de la chute, de pouvoir se hisser encore à la cime de soi-même, cette certitude affirme dans le suicide ce que le suicide prétend nier. "

Or, c'est ce que n'admet pas Blanchot ( ibidem).
Voilà " pourquoi celui qui se lie à la négation " ( et que l'on suppose donc être estampillée par les grands noms cités plus haut, et qui en savent, eux, sur la " négation "... par exemple Hegel...) ne " peut pas " ( entendez, ne doit pas ) la " laisser s'incarner dans une décision finale qui en serait exclue ".
Il n'est donc pas possible de laisser ainsi le suicide s’afficher comme " optimisme inconséquent " avions-nous lu plus haut, surtout lorsqu’il " rayonne " , "triomphe" à la " cîme de soi-même " et ce faisant " affirme dans le suicide ce que le suicide prétend nier ". Alors que celui qui " se lie à la négation ", lui, ne " peut pas " laisser la " décision finale " triompher ainsi, puisque dans ce cas " la négation " serait " exclue " ( p 125 ).
Mais comment faire, que faire ?.
Il s'agira tout d’abord de lutter contre l'exclusion de la "négation", et ce au moment même où le suicide, en prenant forme comme décision finale, prétend " triompher ", donc réussir par quelque biais, ce qui est impossible, puisque il s'agit d'intégrer, au sein de cette décision finale, ce qui doit rendre impossible, non pas le suicide, mais le fait qu'il triomphe " à la cîme de soi même "( p 125 ).

C'est donc ce "triomphe" du " réussir " qui fait problème. Il se rattache par trop à l’homme du “ travail et du besoin “, l’homme de la démocratie, qu’il s’agit d’exterminer si l’on sait rester cet aristocrate qui n’a pour dieu que la mort et pour outil la guerre permanente. C’est-à-dire la “révolution d’Octobre”.
Le " suicide " n'est donc pas assez "essentiel". Le suicide, poursuit Blanchot, cette
" angoisse qui débouche si sûrement sur le néant n'est pas essentielle, a reculé devant l'essentiel, ne cherche encore qu'à faire du néant la voie du salut. " ( p 125 ).
Ce qui est mal.. Ou du moins ce qui ne doit pas être car ce qui est visé c'est la destruction du centre, du travail, du besoin, c’est l’ absence de tout centre : but, unité...Au profit de l’errance, du bivouac permanent, révolution du même non : diff-errance sans fin.

Mais comment nier que l’on se nie puisqu’il s’agit bien de se nier aussi, du moins officiellement ?
C’est là qu’Eurydice est nécessaire. En la tuant, en tuant l’homme du travail et du besoin, l’on meurt aussi un peu tout de même. Et en même temps l’on survit tout en sachant que ce n’est pas soi-même qui tue, ce qui est très rassurant, mais “la” négation s’exprimant dans telle forme mondaine, “la” Révolution d’Octobre par exemple qui n’est au fond que l’apothéose de cette pseudo-nature qu’est la société du travail et du besoin qui déjà en réduisant l’homme au travail et au besoin détruit ce qu’il y a de divin en lui, le pouvoir de la négation absolue : CQDF.

Ainsi Blanchot rectifie, rattrape les égarés, les Brutus un peu trop wagnérien, et leur dit cet axiome de type eschatologique ( et donc sacral ) :
" Qui séjourne auprès de la négation " ( estampillée par Hegel et cie plus haut ) " ne peut se servir d'elle "( p 125 ).

A bon entendeur salut. On ne doit pas se servir de la "négation" mais en être seulement l'outil...Ou du moins s’en persuader afin de se déculpabiliser lorsque l’on devient Orphée.
C’ est bien entendu l'inverse chez Hegel.
En ce sens que le négatif est ce mouvement absolu, logique, et non pas concret, qui inclut la différence dans l'identité, en elle. C’est-à-dire qui l’ adapte et la transforme, qui donc la travaille, selon le besoin, selon le but. Le “négatif” est donc seulement l'outil de la pensée en tant qu'inégalité qui hierarchise les aussi dans le ici du maintenant, et donc fait que cette identité peut devenir aussi une possible non identité, qu'il s'agit alors d'intégrer ou non dans le concept, c’est-à-dire le rationnel, ce qui implique d’en soupeser le(s) sens du logique.

Et c'est ceci, tout ce mouvement là allant du logique à la raison, qui est le moment le plus " dur " à tenir.
Le Hegel romantique de 1807 nommant ce moment-mouvement la " mort " alors que le Hegel de 1820-1821, se sépare de cette acception comme nous l'avons vu en la limitant à la " liberté de l'entendement " ( in Principes de la philosophie du droit, introduction, paragraphe 5, ed Vrin p 73 ), le Droit incarnant ce que la Raison dans le Logique retient comme léviathan.

Mais loin du cheminement hegelien, Blanchot s’en sert uniquement d’outil et il réitère une phrase plus loin ( toujours p 125 ) l'argument eschatologique précédant par une axiomatisation téléologico-axiologique absolutiste stipulant qu'il faille "appartenir" à la " négation "
( comme l'on appartient à Baal en quelque sorte...) :

" Qui lui appartient... "

-( à qui? A la " négation ", "appartenir"..., stoppons un instant avant de poursuivre :

Petit Robert : " (...) 1° être à quelqu'un en vertu d'un droit, d'un titre. (...) V.Etre(à).(...).2°( Personnes) appartenir à quelqu'un. Etre sous l'autorité de quelqu'un ( esclave, domestique). " J'appartiens à mon maître " ( Mol.). Etre le bien, la chose de quelqu'un. (...) " ) -.

Qui " lui appartient ", dit donc Blanchot,
" Qui lui appartient, dans cette appartenance ne peut plus se quitter, " ( idem).
De ce fait même le suicide est impossible.
Car celui qui appartient à la négation, " appartient à la neutralité de l'absence ", ( idem).
C’ est-à-dire point du tout au " triomphe " de celui qui prétend se servir de la " négation " en " disposant souverainement du néant " et donc, en étant ainsi souverain, autrement dit sujet . Or, ceci est impossible, puisqu'il " appartient " à la " neutralité de l'absence ", en ce sens “l'absence” est son mode d'être, la "neutralité " en étant la modalité.
Ainsi donc, " appartenir " à la " négation " revient à s'absenter de soi-même, jusqu'à la neutralité, bref, traduisons, jusqu'à se neutraliser ; et la suite le confirme :
" car il appartient à la neutralité de l'absence où il n'est déjà plus lui-même ".
Et n'étant déjà plus " lui-même ", puisque il " appartient à la neutralité de l'absence ", se suicider reviendrait à tuer ce qui est déjà neutralisé. Ce qui est idiot. Ou alors voudrait " triompher " , ce qui est erroné, du moins, pour celui qui " appartient à la "négation"...
Traduisons : Orphée ne doit pas avoir ou donner l’impression qu’il triomphe lorsqu’il tue Eurydice ( l’hypocrisie est ainsi élevée au rang d’une vertu théologale )..

En résumé ce refus de la mort-suicide, cette acception de la mort-négation qui survit à elle-même, tout ceci fait que nous nous trouvons dans ce que Blanchot nomme plus loin une " situation "
Cette situation est " peut-être " le "désespoir".
Mais, rassure tout de suite Blanchot, " non pas ce que Kierkegaard appelle " la maladie jusqu'à la mort ", mais cette maladie où mourir n'aboutit pas à la mort, où l'on n'espère plus dans la mort, où celle-ci n'est plus à venir, mais est ce qui ne vient plus " ( p 125 ).
En effet, puisque l'on est déjà mort, version Blanchot.
Qu'est-ce à dire ? Mais ceci, ce là, cette " neutralité de l'absence " : Là où l'on " n'est déjà plus " soi-même : mort-vivant : zombi de ce néo-vaudou qui " appartient " à la " négation " ( à Blanchot...) et se propulse seulement lorsque se déclenche son commandement dernier, ordre donné à une machine de mort : destruction! négation! et au sens total du terme, là où plus aucun autre processus de conservation-dépassement n'est possible sauf de répéter à l'in(dé)fini le geste de mort.
La " négation " version Blanchot est donc bien cette " absence de centre " qui " réduit " la " pseudo-nature " qu'est la " société "( l'Amitié, p 103 ) en détruisant " l'unité " en l'homme du travail et du besoin, sommé de devenir un fatras d'errances dérivant en son moi devenu le Château de Kafka, et aussi la Caverne du Minotaure.

Et ainsi devenu Brutus de lui-même l’homme du travail et du besoin est cette Eurydice qui erre d’erreur en errance sans aucun autre fil d’Arianne que celle de son indiff-errance à sombrer, à tomber dans la tombe que lui a creusé Orphée.


T

Comment maquiller cette “mort”

Résumons :

La version officielle qui voile ce processus tente donc d'expliquer de façon très littéraire, très douzième degré, que le fait d'appartenir ainsi à cette " négation ", d'en être comme le mort-vivant ( mort en Eurydice, vivant en Orphée ), implique que le zombi blanchotien devienne, et comme à son corps défendant, l'expression même de cette société techniciste moderne propre à l’homme du travail et du besoin qui, de ce fait, le sommerait donc de la détruire, c'est-à-dire, de l'achever, de la réaliser, apothéose et apocalypse. Et complètement.

Or si l'on veut aller plus loin qu'elle tout en l'imitant dans sa permanence, " l'étape " suivante, l'étape supplémentaire sera la destruction de la destruction posée comme simple moment, car il s’agit maintenant de la destruction finale, celle de toute finalité centrée sur le travail et le besoin, et donc, par récurrence, la destruction de son destinataire, de son centre, de son unité, l'homme rationnel, cette " passerelle " ( ce pont disait Nietzsche ).
C'est lui, c'est sa mort réelle qui est l'enjeu. Même si physiquement, cet homme là peut éventuellement encore appartenir aux décombres, au désastre; il n'en est pas moins qu'il est devenu celui qui doit être mis à mort puisque tout concourt à ce qu’il le soit.
Autant donc clore et effacer cette marchandise. Ou comment ( se )décrocher de l'astre du " logos ". Comme pendant " La Révolution d'Octobre ", et mieux encore, avec un pas au delà, celui de l'absence de tout centre ...

Observons de nouveau la comparaison avec le suicide. ( p 125 )
Le défaut de celui-ci est qu'il possède dit Blanchot une " faiblesse ". Car : " celui qui l'accomplit est encore trop fort, il fait la preuve d'une force qui ne convient qu'à un citoyen du monde. " ( p 125 ).
Or, il s'agit ne plus être " citoyen du monde ". Car, poursuit Blanchot, qui " se tue pouvait donc vivre ", alors que, rappelons-le, c'est la " mort "de l’au-delà de la mort qui est cherchée, cette mort où, " l'on n'espère plus dans la mort, où celle-ci n'est plus à venir, mais est ce qui ne vient plus ", tandis que celui " qui se tue est lié à l'espoir, l'espoir d'en finir ; " .
On n'en finit donc jamais de mourir. Révolution,destruction, permanente.
Du moins si l'on est lié à cette " négation " à la Blanchot qui en tant qu'altération, revient sans cesse, éternellement. Tandis que, poursuit Blanchot,
" l'espoir révèle son désir de commencer, de trouver encore le commencement dans la fin, d'inaugurer là une signification qu'il voudrait pourtant mettre en cause en mourant ".
Or, il s'agit de tout autre chose pour celui qui n'attend plus la mort puisqu'il est déjà en elle :
" Qui désespère ne peut espérer mourir ni volontairement ni naturellement : il lui manque le temps, il lui manque le présent où il lui faudrait prendre appui pour mourir.(...) " p 126 ).

Pas de présent donc pour celui qui désespère vraiment. lorsque " mourir n'aboutit pas à la mort, où l'on n'espère plus dans la mort, où celle-ci n'est plus à venir, mais est ce qui ne vient plus " ( p 125 ).
Aucun autre appui donc sinon celui de la destruction, et Blanchot l'affirme plus loin ( p 128 ) :
" On ne peut se " projeter " de se tuer. "
Bref :
" Qui veut mourir, ne meurt pas, perd la volonté de mourir, entre dans la fascination nocturne où il meurt dans une passion sans volonté. " ( p 128 )
Mais comment y parvenir? Comment faire? Que faire ?
En maquillant cette mise à mort :
En se constituant comme oeuvre d'art. Mais pas n’importe laquelle.
Et cette " activité artistique " ( p 287 ) exprimerait au fond cette " négation " ( p 125 ) version Blanchot puisqu'elle "altère" tout autant le monde, tel l'artiste classique, mais aussi en tant qu'elle le fait non plus dans le monde de la représentation mais dans le monde même, et ce, d'autant plus que " l'art " lui, au sens classique est " chose passée "
( p 284 ).
C’ est du moins ce que Hegel, ( encore lui ), avait dit légitime Blanchot, " un siècle plus tôt ".
Bref :
" L'art est pour nous chose passée " ( p 286 ).

Ce qui implique que Blanchot puisse énoncer :

" (...) Celui qui reconnaît pour sa tâche essentielle l'action efficace au sein de l'histoire, ne peut pas préférer l'action artistique. L'art agit mal et agit peu. Il est clair que, si Marx avait suivi ses rêves de jeunesse et écrit les plus beaux romans du monde, il eût enchanté le monde, mais ne l'eût pas ébranlé.
Il faut donc écrire Le Capital et non pas Guerre et Paix.
Il ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus.
Ces rapprochements, ces comparaisons paraîtront absurdes aux contemplateurs. Mais, dès que l'art se mesure à l'action, l'action immédiate et pressante ne peut que lui donner tort, et l'art ne peut que se donner tort à lui-même. Il suffit de rappeler ce qu'a écrit Hölderlin, dont il ne serait pas assez de dire que son sort fut lié au destin poétique, car il n'eut d'existence que dans la poésie et pour elle. Et pourtant, en 1799, à propos de la Révolution qu'il voyait mise en péril il écrivit à son frère : " Et si le royaume des ténèbres fait tout de même irruption de vive force, alors jetons nos plumes sous la table et rendons-nous à l'appel de Dieu, là où la menace sera la plus grande et notre présence la plus utile. " ". ( p 284 )

Mais comment devenir "Brutus" ? Comment être Brutus ? Comment faire pour nous rendre à " l'appel de Dieu ", ou, c’est selon, à " l'irruption ", et de " vive force ", du " royaume des ténèbres " ?
En devenant ce " mort " qui n'attend plus “la” mort, puisqu'il l'est déjà, tout en créant le monde à son image un monde libéré du travail et du besoin...


En résumé, Blanchot avait déjà commencé à indiquer les conclusions précédentes par une comparaison entre l'art et le meurtre ( p 129 ).
Ainsi il s'agit de partir de l'axiome de base :
" Qui veut mourir, ne meurt pas, perd la volonté de mourir, entre dans la fascination nocturne où il meurt dans une passion sans volonté. " ( p 128 ).
Puis, à partir de là, dans cette " (...) étrange entreprise, contradictoire " ( p 128 ), il s'agit d'accomplir une " (...) épreuve qui semble rendre la mort superficielle en faisant d'elle un acte pareil à n'importe quel acte ", c'est, poursuit Blanchot, " une chose à faire ".
Par cette " épreuve ", la mort semble alors “superficielle en faisant d'elle un acte pareil à n'importe quel acte, une chose à faire " ( pp 128-129 )...
Et en faisant de la mort " un acte pareil à n'importe quel acte, une chose à faire ", ceci " donne aussi l'impression de transfigurer l'action ".

Seulement, maquille alors prudemment Blanchot, ceci peut apparaître comme une : " folie, mais dont nous ne pourrions être exclus ". Bref : non à l'exclusion...Mais de quoi ? " de notre condition" , car, " une humanité qui ne pourrait plus se tuer, perdrait comme son équilibre, cesserait d'être normale ".
Ainsi tuons. Pourquoi faire ? Pour continuer à être " normal ". C'est-à-dire le " (...) droit absolu, le seul qui ne soit pas l'envers d'un devoir, et pourtant un droit que ne double, ne fortifie pas un pouvoir véritable, qui s'élance comme une passerelle infinie laquelle au moment décisif s'interromprait, deviendrait aussi irréelle qu'un songe sur lequel il faut pourtant passer réellement, (...) " ( p 129 )

C'est donc là cette " folie " dont nous ne " pourrions être exclus " ( et qui a tant fait rêver Foucault, puis Derrida...) puisque une " une humanité qui ne pourrait plus se tuer, perdrait comme son équilibre, cesserait d'être normale ", tel un " droit absolu " et qui " s'élance comme une passerelle infinie " et ce quand bien même celle-ci " s'interromprait " au " moment décisif " deviendrait " aussi réelle qu'un songe " et " pourtant " c'est sur cette passerelle aussi irréelle qu'un songe qu'il " faut pourtant passer réellement ", c'est-à-dire devenir Brutus ( p 284 ).
Mais ce non pas pour se mettre à la place de César. Seulement pour tuer. Tel Baal.
Mais alors...Comment passer " réellement " comment tuer ( et donc "réussir" ce qui est interdit ) si ce droit doit être sans " pouvoir " , d'autant qu'il est " sans devoir " ? Comment réaliser ce " droit absolu " de rendre la mort " superficielle " ?
En faisant en sorte que le meurtre ne soit pas empli de ce sens socialisé qui culpabilise, et donc " en faisant d'elle un acte pareil à n'importe quel acte " ( p 128-129 ), et qui est une " folie nécessaire " A quoi ? A " l'intégrité raisonnable " poursuit Blanchot, et qui, ajoute-t-il, " semble réussir assez souvent ", et une " folie " qui permet à Blanchot d'établir un lien entre " tous ces caractères " et une " autre expérience " qui, elle, est " apparemment moins dangereuse, mais peut-être non moins folle, celle de l'artiste. " ( p 129 ).
Nous y voilà.
Par un tour de passe passe, par un leurre, ( et c'est l'heure, car les choses devenaient par trop transparentes...) l'on saute de cette " folie " dont les caractères font que la " mort semble superficielle en faisant d'elle un acte pareil à n'importe quel acte, une chose à faire " à
" l'artiste “:
Ou comment démontrer officiellement que l'oeuvre d'art est un crime propre à toute “ communication “ dit Bataille pour (dé)voiler officieusement que le crime est une oeuvre d'art.
Ce que Foucault, avec le crime de Pierre Rivière, et le concours de François Châtelet, tentera de (dé)voiler à son tour comme nous le verrons.
Blanchot, lui, nous montrera plus loin que " " L'art est pour nous chose passée " ( p 286 ). Et donc indique en filigrane ce que le vrai artiste doit dorénavant devenir :
" Il ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus " ( p 284 ).
Mais lorsque Blanchot précise son acception de la "mort " nous en sommes encore qu'à la page 129.

Aussi, pour l'instant, de la page 129 à la page 284, Blanchot y va doucement, transformant peu à peu le mort vivant en artiste de la négation, qui de surcroit lui " appartient", ( pp 125-284 ) afin de lui déclarer enfin qu'il convient mieux d'être Brutus, du moins son image, puisqu'il ne s'agit pas de devenir César mais seulement ce qui le détruit : donner la mort, tel un dieu du négativ-isme, isthme fatal libérant enfin l’homme du travail et du besoin.
Ainsi s'opère la transformation du mort-vivant, appartenant à la " négation ", en meurtrier adoubé par la posture de l'artiste ( p 125 et suivantes ) et ayant, par exemple, comme pattern d'imprégnation, ( à la suite de la Révolution d'Octobre ), "Orphée" qui tue Eurydice ( pp 228 et suivantes ). Ce que justifie ensuite Blanchot en s'appuyant cette fois sur le dernier hoquet du second
romantisme allemand : Rilke ( p 329 ). :

" (...) Au poète, à l'artiste se fait entendre cette invitation : " Sois toujours mort en Eurydice. " ( note 1 : Rilke, Sonnets à Orphée ( XIII, 2è partie ). Apparemment, cette exigence dramatique doit être complétée d'une manière rassurante : Sois toujours mort en Eurydice, afin d'être vivant en Orphée. L' art apporte la duplicité avec lui. Cette duplicité lui permet d'échapper à son propre risque, de s'en dégager en le transformant en assurance, de prendre part au monde, à la réussite et à l'avantage du monde, sans prendre part à ses devoirs. L'art s'enfonce ainsi dans cet autre risque, celui qui est sans danger, qui signifie seulement la perte inaperçue de l'art, l'insignifiance brillante, le bavardage tranquille au sein des honneurs.
La duplicité ne peut être déjouée. Mais elle doit être éprouvée jusqu'au fond. La duplicité du songe heureux qui nous invite à mourir tristement en Eurydice afin de survivre glorieusement en Orphée, est la dissimulation qui se dissimule elle-même, elle est l'oubli profondément oublié. (...) "

Mais ce dire, qui n'est, pourtant, que l'amorce du jeu, risque d'être lu de façon malveillante . Et comme deux précautions valent mieux qu'une, il s'agit, par la suite, d'en troubler la perception en plaçant, tout de suite après comme nous allons le lire, une " négation " à la Blanchot, c'est-à-dire un leurre, un piège, un poison mais qui peut servir également de tremplin, de remède ( oupharmakon ), de moyen de liaison-propulsion ( à la Lénine ), si l'on sait voir son enjeu :
A savoir que ces piège possède à la fois toute l’apparence d’un faux pas, d’une erreur, à la façon kafkaïenne, ce qui indique comment ( ne pas ) retourner au réel, afin de (re)prendre une apparence humaine, et donc souffler, mais, anonymement. Et à la fois ce piège, ce leurre, est un moyen qui, comme vrai faux pas, permet, réellement, de tomber, c'est-à-dire d'édifier une tombe, d' expirer, à nouveau, par la prochaine inspiration, ou plutôt l’aspiration de la prochaine Eurydice, cette victime potentielle gorgée d’amour et de naïveté envers les arts . Aspiration. A l'instar d'un moteur à réaction, ( mécanisme ) d'un réflexe automatique, tel celui du mort-vivant aspirant à planter ses crocs ( vampirisme ) : et qui s'anime, uniquement, par ce qui l'excite, tout en abordant une face d’ange, une face d’écrivain :

" (...) La duplicité ne peut être déjouée. Mais elle doit être éprouvée jusqu'au fond. La duplicité du songe heureux qui nous invite à mourir tristement en Eurydice afin de survivre glorieusement en Orphée, est la dissimulation qui se dissimule elle-même, elle est l'oubli profondément oublié. Mais, derrière cet oubli facile qui nous ménage les satisfactions de la gloire, est aussi à l'oeuvre la duplicité fondamentale, celle qui nous dessaisit de tout pouvoir. Alors, le songe heureux n'est plus trop heureux : il se renverse en cauchemar, il retombe en confusion, en misère ; l'inessentiel, la légèreté suffisante, devient l'insupportable perte de l'essence ; la beauté dépérit en erreur, l'erreur souvre sur l'exil, la migration dans le dehors sans intimité et sans repos. "

Autant d'ordres, “tristes”, à suivre donc, et à la lettre, tels les ordres performatifs, du moins si l'on garde ( regarde ) le même pas, au fond ( de l'encre, de l'ancre, sympathique ) celui de la " duplicité fondamentale " : cauchemar, confusion, misère, inessentiel, insupportable, dépérissement de la beauté en erreur, exil, migration sans intimité et sans repos, avec tristesse et gloire : tels sont les pas du programme d'extermination, son ordre, bien entendu maquillé par du fond de teint prestigieux, par exemple ici Rilke .

Ainsi Brutus, artiste blanchotien, est à la recherche d'une " fin " qui aurait " la lourdeur du recommencement " ( p 330 ) tel un coup de couteau, qui, sans cesse, s'abat, se répète, puisque ce qu'il tue est sans importance, simple matériel anonyme de l'inspiration en vue d'expirer-d’aspirer sans fin, tel un spectre vorace, un “ alien “, dont l'image perçue dans les yeux d'Eurydice est le seul sceptre possible :

" Le recommencement de l'expérience, et non pas le fait que celle-ci ne réussit pas, voilà le fondement de l'échec. Tout recommence toujours - oui, encore une fois, à nouveau, à nouveau. " ( pp 331-332 ).



U

La stratégie politique de Bataille-Blanchot



Blanchot, ce : "disciple de Maurras", nous dit Sartre ( dans une note, Situations, I, 1947, p 150, ed, idées/Gallimard, 1975 ).

Décidément, cette note de Sartre, affiliant Blanchot à Maurras, est de plus en plus intéressante dans la mesure où c'est Blanchot qui est le maître d'oeuvre de toute cette ( non ) histoire. D’autant que l'interprétation du mythe d'Euridyce, effectué par lui, n'ait pas sans rappeler la " femme sans tête " dont Maurras ( et d'autres ) parlait nous dit Bourricaud ( 1986, ed Calmann-Lévy p 155 ) lorsqu'il s'en prenait à la "république", cette "gueuse", sans roi. Donc sans " unité ". Carsans tête.
De même, Eurydice peut s'apparenter à la " déesse France " de Maurras, que le " chant ", non pas d'Orphée, mais celui de Blanchot, prétend plutôt, perdre un peu plus encore, ou comment en éparpiller les mélodies et autres membres, afin de
" répudier aussi le principe dont le dieu n'est que le soutien et à tenter de sortir du cercle où, depuis toujours, sous sa garde comme sous la garde de l'humanisme, nous demeurons enfermés dans la fascination de l'unité . " ( Blanchot, l'Amitié, p 85, ).

Aussi il semblerait bien que, lorsque Bataille emploie les notions d’ " acéphale " et de " non savoir ", lorsque Blanchot parle d'Eurydice, de Brutus, et du " dernier homme " dont Bourricaud dit que cette expression nietzschéenne était également celle de Barrès ( 1986, p 215 ), Barrès qui fut très cher Maurras, Maurras, dont Blanchot fut le disciple, nous dit Sartre, et ce quand bien même ceci, bien entendu, ne s'attache pas nécessairement à cela tel que si a alors b
( mais plutôt si a alors non a, si non a alors a...si a alors super a ou moins a, en puissance vertigineuse, et l'on repart dans un autre looping... ), il appert que Bataille-Blanchot cherchent à ce que la France, après la Russie, devienne elle aussi, et enfin, l’acéphale permanente.

Ainsi tandis que Maurras cherche, dans un retour impossible, à réimplanter une tête unique à la Déesse France, comme au début des temps aristocratiques, et seulement désigné par le sang, Bataille-Blanchot veulent eux le sans, veulent perdre le sens un peu plus encore.

Il est alors possible de formuler, d’avancer, l'hypothèse politique suivante :

Puisque, dans les années 30, le fascisme-nazisme en Europe, -considéré par le léninisme-stalinisme comme le stade suprême du capitalisme-, était beaucoup plus à l'ordre du jour que le communisme, lutter “contre le capitalisme” de manière nihiliste, cubisto-surréaliste, par l'éclatement, la destruction des catégories du penser, de la perspective, et du vivre en général, , c'était déjà lutter contre le fascisme.
Et, pour Bataille-Blanchot, par exemple, c'était précisément lutter tout contre lui : oeuvrer à la fois comme lui dans la mise à mort de l’homme du travail et du besoin cette antithèse de l’homme aristocrate de la démesure et de la guerre, et donc oeuvrer à transformer le France en une Eurydice, une femme, sans tête, afin de surgir comme Orphée, et donc sur vivre en lui, tel un nouvel astre, celui de la “révolution d’Octobre”.

De façon plus générale, ce qui transparaît dans l'intelligentsia français sous influence fasciste et léniniste c'est comme une espèce de préparation psychique et esthétique ( bien vue par Walter Benjamin lorsqu'il observe Bataille et son groupe : in hollier, le collège de sociologie, ed Gallimard, p 586 ) à la fuite en avant au sein de la destruction de la raison interne et externe et partant du “capitalisme” devenu entre-temps " fascisme ".

Seulement, ce faisant, il s’avère que c’est, en même temps, absorber également l'autre versant, l' extrême-droite, surtout dans son aspect " solaire " ( Bataille, in BHL, op cit ) dont l’esthétique de la force absorbe, aspire, le "culte du moi" exacerbé négativement grâce à la destruction déjà en marche opérée par cette “ apothéose “ qu’est “ la Révolution d’Octobre “ ( Blanchot ) ce “ merveilleux chaos mental “ ( Bataille ).
Pourquoi dans ce cas ne pas ne pas être aussi fasciste, nazi. ? Du moins secrètement, dans les soubassements de la vie quotidienne ; tout en étant de gauche politiquement; dans cette phraséologie rendue impérissable par le “1984” et peut-être surtout par “ La ferme des Animaux “ de Orwell.
Bref, indifférence, équivalence, duplicité.
Et, à terme, surdétermination isotropique de la dissolution nihiliste. Car celle-ci est beaucoup plus excitante, changeante, frénétique, à court terme ( que l'on voit par exemple également à l’oeuvre dans le "Gilles" de Drieu La Rochelle ) et qui est plutôt préférée à toute unité, surtout celle du capitalisme...
C’ est au fond l'axiome de base pour tous les faisceaux extrêmes puisqu'ils sont, d'abord, anti-démocrates, car c’est de ce pli là que suppure essentiellement le monde moderne propre à “ l’homme du travail et du besoin “.

Pour Bataille-Blanchot il faut donc avoir la "force" de dire non à la raison de cet homme là, et en même temps oui à la force, d'où qu'elle vienne ( il lui suffit de venir )
Et sanglé ainsi, l'on (se) rend alors sans conditions, et en disant " oui ". Oui à tout, à tous.
Tout en disant non à rien.
Mais il faut, à ce stade, " quand le centre doit coïncider avec l'absence de centre " ( Blanchot, l'Amitié, p 85 ), ajouter une " étape ", il faut accroître l'effet d'irréalité, ajouter un peu plus de " nuit ", une touche de " mort ".
Comment?
Tout l'affrontement politique en France, et ce depuis au moins l'épicentre qui s'est nommé 89 et à nouveau 17, toute la condensation de "nitro glycérine" sociale cherche l'étincelle autour de la mystique qui fonde la France, et qui, comme élément morphologique eschatologique, fonde, "l'esprit", et donc la tête, d' un "être" historique, d' un " être ensemble " dont les catégories de pensée et les limites forment le concept en acte ( Hegel, Durkheim ).
A savoir l'être de la société, de la " politie " considérée, c'est-à-dire l'être politique, au sens de ce qui " fait tenir ensemble " ( Baechler 1994 ) divers peuples en une même nation.
Il faut alors, pour Blanchot-Bataille, du moins dans leurs oeuvres littéraires, encore dans l'ombre du cubisme-surréalisme, ( que Blanchot encense : in " l'espace littéraire " p 236 et suivantes, surtout son " écriture automatique ", automatisme à la Nietzsche...) et encore freinés par le léninisme officiel adouci par le garaudisme, puis par Sartre -,( et il fallu attendre les années 60 pour que leur emprise décolle et se perpétue par Foucault, Deleuze, Althusser, et aujourd'hui Derrida-Lyotard,ainsi que Bourdieu dont l'aspect pan élitiste est synonyme en fait de l'acception toute ethno-populiste de la " race forte " nietzschéenne comme nous le verrons)-,
il s'agit donc pour Bataille-Blanchot de ne pas se perdre dans la critique, la philosophie, l'économie, l'art du réalisme socialiste, comme les léninistes staliniens, mais de s'en tenir strictement à Lénine, ce nietzschéen sans le savoir ( ce que comprit Althusser en prônant le retour à Lénine dans les années 60...).
C ‘est-à-dire s'em/parer de l'énergie " mystique " des principes premiers tout en parlant au nom du genre humain libérée du travail et du besoin.
Le particulier est le général avait dit Lénine dans ses cahiers sur Hegel, tout en ajoutant que l'unité est relative en tant que simple moment de la liaison puisque ce qui compte c'est que la lutte soit absolue, totale, entre les contraires...Il s'agira alors de sacraliser la lutte comme guerre permanente ( Besançon 1977 ). Et de l'agiter à la façon d'un mouvement brownien, afin que l'acquis trotskyste soit lui aussi préservé : ou comment considérer non seulement la “ révolution “ mais la " vie " comme un " bivouac " permanent ( Blanchot, l'Amitié, p 85 ), ce qui permet d’accomplir la venue de l’homme-dieu libéré des pauvres limites qui enferment l’homme du travail et du besoin.
De ce fait il ne s'agit pas du tout, durant les années 30 et pendant la guerre, de songer à restaurer une tête ( qui est de toute façon à Moscou ) afin que la "déesse France" puisse de nouveau éclairer de sa splendeur, ce qui était l'effort, non démocratique, de Maurras.
Il s'agit, à l'inverse, de la démembrer un peu plus encore, d'éparpiller les morceaux, comme Seth le fait avec Osiris, comme il a été fait avec le corps d'Euridyce.

Ainsi, s'agissant de la " communauté sans différence "
( Blanchot, l'Amitié p 85 ) la société, le peuple, l'élite, il s'agit de la détruire, viser la tête, de faire en sorte que le mythe lui-même devienne réalité, et, celle-ci, un mythe, une " passerelle " ( Blanchot in l'espace littéraire ) afin d'accroître un peu plus le fait de " sortir " de " l'unité " de “ dieu “ ( idem, l'Amitié ) afin de le devenir en lieu et place, seul principe, vivant et mort...

Or c'est cela même qui était l'effort spirituel et politique du nazisme haute gamme. Celui qui considérait les Juifs non pas comme inférieurs mais aussi supérieurs et donc comme concurrents à éliminer afin de réaliser ( tout en réduisant cependant ) le mythe de la " race forte "( Nietzsche ).
Sauf que Bataille-Blanchot, suivant là Lénine, généralise l’effort nazi. C’est-à-dire donne un caractère générique à la notion de “ race forte “ qui par ce fait dépasse le seul cadre germanique pour atteindre le cas de figure général transcendé dans cette formule particulière :

Etre Brutus et non pas seulement peindre le meurtre de César. Tuer Eurydice afin de devenir Orphée.

De ce fait Blanchot-Bataille se nichent ( plutôt qu’ils se hissent ) dans la mystique des principes premiers car ils s'aperçoivent bien qu'elle est au fondement constitutionnel de toute unité morphologique, qu'elle soit grecque, égyptienne, romaine, française, allemande...bolchevique... et dont le nazisme prétend être à nouveau, à l'époque, le mythe fondateur...

Ainsi Blanchot, en prenant alors le chemin, exactement inverse, de Maurras ( dont il fut le disciple nous dit Sartre ), s'en approprie néanmoins les analyses et s'en sert pour pousser cette mystique vers la destruction interne de ce qui la supporte, le " principe " dont le " dieu " n'est que le " support " ( Blanchot, l'Amitié, p 85 ) , à savoir le langage et la pensée, qu'il s'agit de détruire :
C'est-à-dire l'unité de toute nation, en elle-même. Celle de sa conscience collective ( Hegel, Durkheim ).
D'autant qu'à l'époque, ( Besançon 1977 ) l'espace littéraire était prépondérant quant aux joutes non seulement intellectuelles mais spirituelles. Ce sont elles qui donnaient non seulement le là, le do, mais aussi la clé de sol. Elles étaient le cadre social de référence à même d'influer sur les comportements psychosociologiques.

Ainsi, sur l'importance capitale de l'articulation entre la langue et la pensée, Maurras dit :

" Ce qui pense en nous, avant nous, c'est le langage humain (...) la raison humaine, qui nous a précédés, qui nous entoure et nous devance; c'est la civilisation humaine dans laquelle...notre âme personnelle ( n'est) presque pour rien. " ( Maurras, " Auguste Comte ", in l'Avenir de l'intelligence, p 119, in Bourricaud, 1986, p 142 ).
Plus haut dans son texte Bourricaud remarque :

" Chez lui, la Tradition ne nous transmet plus comme chez Bonald, la parole de Dieu, mais les enseignements de l'Histoire. " ( ibid, idem )
Ce qu'applique parfaitement son disciple, mais à l'inverse, en ce sens qu'il s'agit plutôt de
" répudier aussi le principe dont le dieu n'est que le soutien et à tenter de sortir du cercle où, depuis toujours, sous sa garde comme sous la garde de l'humanisme, nous demeurons enfermés dans la fascination de l'unité . " ( Blanchot, l'Amitié, p 85 )
Et de ce fait, en prenant, du point de vue de la méthode, l'exact contre-pied des anciens maîtres, il s'agit pour Bataille-Blanchot, de détruire " l'unité ", par la destruction du langage, de la pensée, afin d’éliminer, d’exterminer, en leur sein, la possibilité même du sens.
Pour ce faire il leur faut utiliser un levier puissant.
Celui de la mystique s’enracinant au plus profond de l’histoire d’un peuple en son imaginaire même gardien de la conscience collective et dont il s’agit d’en détruire la syntaxe sous-jacente qui présuppose par des principes non dits, et qui agissent comme apriori, grammaire implicite, que l'on parle bien dans le même idiome, que l’on vit bien, au delà des individualités, dans la même histoire, le même Soi, ce qui implique toute une série de comportements sociaux distinguant un peuple en agissant au sein même de sa psyche.
Ainsi par exemple chez Blanchot, s'épanouit, resplendit, un désastre, qui, au départ, semble se déployer
vers une équivalence généralisée de toutes les formes, politiques, de destruction totale, celle d'une solution, d'une extermination, finale , alors que, cependant, elle laisse, en fait, le dernier mot, non pas au mot, suivant Mallarmé ( pillé également par Blanchot, Derrida, etc...), mais à la “race forte”, celle des " Seigneurs ".

Développons quelque peu.


V


Le testament-aveu de Blanchot

Observons cet ouvrage intitulé " L'instant de ma mort " ( 1994, ed Fata Morgana ).
Dans le titre " L'instant de ma mort " ,la " mort ", version Blanchot, est, rappelons-nous, ce " qui ne vient plus " ( p 125 in l'espace... ) ; la " mort " est donc "l'irréalité et l'absence où rien n'arrive, où ne m'accompagnent ni amour ni sens ni détresse, mais le pur abandon de tout cela " ( p 196, ibid ).

Quant à " L'instant ", c'est cette " passerelle infinie laquelle au moment décisif s'interromprait, deviendrait aussi irréelle qu'un songe sur lequel il faut pourtant passer réellement (...) " ( p 129 ) ". Car toujours et en toutes circonstances, c’est le principe mondain, du il " ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus " ( p 284 ).
L’ instant est donc ce moment de la transsubstantiation du voir sans regard, celui du " toujours mort en Eurydice, afin d'être vivant en Orphée " ( p 329 ), là où " son propre regard entrait sous la forme d'une image au moment tragique où ce regard était considéré comme la mort de toute image. " ( Thomas l'obscur, repris par Bataille, l'expérience intérieure, pp 119-120 ).

Et bien que surcodé dans cet ouvrage du survivre intitulé " L'instant de ma mort " ( et non pas de " la " mort ) Blanchot avoue, et renforcé par le pronom " ma ", qu'il s'agit de la sienne de " mort ", et, plus précisément, de son " instant " même.
"L'instant" blanchotien est ce moment même où Blanchot devient, vient en Orphée, c'est-à-dire en Brutus : comme ce “mort”: " l'instant de ma mort " c’est-à-dire ce moment où il s'est tué comme être humain en Eurydice, en chaque lecteur, pour devenir inhumain, demi-dieu ( Orphée ) et pour ce faire se métamorphose ( Kafka ) en “ artiste “ du crime : Brutus .
Il ne s'agit donc pas d’une simple transgression artistique qui montrerait seulement Blanchot en train de manipuler des cadres cognitifs et rationnels de légitimation que sont Hegel, Rilke, Nietzsche, afin de.s’identifier, dans l’imaginaire, à Orphée. Il s’agitd’un passage strictement politique dans le réel :
" (...) Il faut donc écrire Le Capital et non pas Guerre et Paix. Il ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus (...) " ( L'espace...p 284 ).

Mais comment faire ? Que faire ?
Ouvrons l'ouvrage.
C'est un écrit très court : vingt pages. Notons en passant que Derrida en a fait dernièrement un commentaire ligne à ligne des plus faux, car il effaçe précisément toute trace criminelle , au sens non seulement de Bataille mais aussi de Lénine-Staline puisqu’en retravaillant d’une façon stratégique sur Blanchot il efface, comme nous l’a bien montré Orwell, toutes ces traces blanchotiennes avouant sympathiquement le forfait, celui de faire partie de la vraie race des Seigneurs, nazis et russes étant au fond de la même souche celle qui indifférencie, grâce à l'erreur, l'errance...
Nous interviendrons entre parenthèses précédées du signe : / )

La première phrase contient déjà l'aveu, du moins son commencement :

“Je”( p 7 )

/ ( décodé ce “ je “ signifie l’ " ipse " non pas des philosophes ou des poètes mais strictement cette forme momentanée, ce résultat provisoire au moment de l’ “ inertie “ dit Bataille ( l’expérience...p 68 ), et qui est toujours là comme "expiation" et "glissement" : c'est-à-dire " réflexion " mais seulement au sens de trait, de trace , de parole, prouvant que l'expérience a bien eu lieu...mais qui, à chaque fois, doit s’ “expier”, s'effacer...) /

" Je me souviens d'un jeune homme -un homme encore jeune -empêché de mourir par la mort même- (...) " ( p 7 )

/ ( " empêché de mourir par la mort même "... c'est, là, la définition blanchotienne par excellence de “ la mort " volontaire, celle du devenir Brutus, celle " qui ne vient plus " ( l'espace...p 125 ) puisqu’elle est déjà là, dans la tête, et justement pour s’en passer, dépasser celle-ci.
Il s'agira donc de repérer dans tout le texte
l’ avènement de cette “ mort “ comme "instant". Et donc comme ce voir sans regard d'où agît Blanchot et qui forme ici son aveu...
Repérons également déjà qu’il s’agit du premier piège de tactique politique qui sert d’anesthésie et permet l' hypnose préliminaire à même justement de changer le regard du lecteur afin de le transformer également en meurtrier ( Brutus ), ou alors en victime s'il refuse ( Eurydice ).
Car il faut l'enfermer d'entrée de jeu dans un paradoxe :
"empêché de mourir par la mort même".
Et en effet ce paradoxe se transforme en piège.
Il permet de créer du malaise, donc de la pitié, et en même temps de l’étonnement éventuellement intrigué dans un sens cruel puisque d’une part une identification s’établit immédiatement avec le "jeune homme" et en même temps avec ce qui l'empêche de "mourir ", cette " mort même " ; ce qui peut soit étonner et faire jouir ( Brutus ) soit secréter du malaise, celui de l'incompréhension et de la pitié ( victime )... ) /

" empêché de mourir par la mort même- et peut-être l'erreur de l'injustice. " ( p 7 ).

/ ( Ce jeune homme aurait dû, devait mourir mais il en a été " empêché " ,et ce par " la mort même ", première jubilation, ou malaise. Puis vient ce " peut-être “ indiquant un possible, celui de : " l'erreur de l'injustice ", ce qui crée un second malaise, empli du pourquoi et de sa lancinance puisqu'une injustice peut empêcher de mourir...par la mort même...
Ainsi le premier malaise, ou un début d'étonnement, c'est donc le " empêché de mourir par la mort même ".
Le second, plus cruciale, c'est le fait qu'une " injustice ", surtout dans " l'erreur ", serait, de surcroît, ce qui empêcherait de " mourir ", ce qui normalement devrait être alors plutôt un bien...
Or, ce qui compte pour Blanchot c'est, à ce stade, de fabriquer une fourchette équivalente qui perd le lecteur surtout si celui-ci ne voit pas que la seule erreur, c'est sa propre errance en diverses acceptions détournées de leur sens.
En fait cette " erreur " par le malaise et le lâche soulagement qu'elle suscite, permet précisément d' errer parmi les vivants tel un “ défunt “ :

( " (...) La croyance qu'à un certain moment le défunt se met à errer, doit être rapportée au pressentiment de cette erreur qu'il représente maintenant. " Blanchot, in l'espace ...p 353 ).

Mais où le faux défunt erre-t-il donc dans l’espace blanchotien de la " mort " ? Dans la vie même. Seulement tout n’y est qu’erreur alors que d’aucuns pourtant espèrent. Or il n’y a rien à y espérer sauf l’errance dans laquelle le défunt volontaire ne manque de rien puisqu’il est déjà au-delà, au-dessus de tout : über alles :

" Donne-moi la mort qui ne soit pas la mienne, mais la mort de personne, le mourir qui soit vraiment issu de la mort, où je n'aie pas à mourir, qui ne soit pas événement, -un événement qui me serait propre, qui m'arriverait à moi seul, -mais l'irréalité et l'absence où rien n'arrive, où ne m'accompagnent ni amour ni sens ni détresse, mais le pur abandon de tout cela." ( Blanchot, l'espace littéraire pp 195-196 ).

Sautons maintenant au coeur de l’aveu testamentaire :
( pp 9, 10, 11 ) :

" Le jeune homme dit : " Faites au moins rentrer ma famille ".
Soit : la tante ( 94 ans), sa mère plus jeune, sa soeur et sa belle-soeur, un long et lent cortège, silencieux, comme si tout était déjà accompli. Je sais -le sais-je-que celui que visaient déjà les Allemands, n'attendant plus que l'ordre final, éprouva alors un sentiment de légèreté extraordinaire, une sorte de béatitude ( rien d'heureux cependant ), -allégresse souveraine? La rencontre de la mort et de la mort? A sa place, je ne chercherai pas à analyser ce sentiment de légèreté. Il était peut-être tout à coup invincible. Mort-immortel. Peut-être l'extase. (...) "

/ ( Ici se déploie, sur un ton léger, les thèmes et termes habituels du faisceau Blanchot-Bataille :
pourquoi pas en effet se servir d'un peleton d'exécution pour une petite " expérience intérieure " ?
Pourquoi pas en effet ( de manche ). Avec,en bonus, l'effacement des traces du crime, celui de cette communication propre au divin : " Peut-être l'extase "
Tandis que la locution " Faites au moins rentrer ma famille..." vient là pour brouiller les pistes, donner, tout de même, un soupçon d'humanité, comme l'on dit un soupçon de vraisemblance, ou un soupçon de soupe, mais une soupe au poison : ) /

( Pp 11-12 ) :

" (...) La rencontre de la mort et de la mort? A sa place, je ne chercherai pas à analyser ce sentiment de légèreté. Il était peut-être tout à coup invincible. Mort-immortel. Peut-être l'extase. Plutôt le sentiment de compassion pour l'humanité souffrante, le bonheur de n'être pas immortel ni éternel. Désormais il fut lié à la mort par une amitié subreptrice.
A cet instant, brusque retour au monde, éclata le bruit considérable d'une proche bataille. Les camarades du maquis voulaient porter secours à celui qu'ils savaient en danger. Le lieutenant s'éloigna pour s'en rendre compte. Les Allemands restaient en ordre, prêts à demeurer ainsi dans une immobilité qui arrêtait le temps.
Mais voici que l'un deux s'approcha et dit d'une voix ferme : " Nous, pas allemands, russes ", et, dans une sorte de rire " armée Vlassov ", et il lui fit signe de disparaître. "

/ ( Nous atteignons, là, le suc même du propos, la preuve par excellence de cette épreuve :
Ainsi les Allemands étaient des Russes : " Nous, pas allemands, russes ". Comment est-ce possible ? Par traîtres interposés : Vlassov. Et le lieutenant nazi ? Est-il encore " nazi " s'il n'est plus Allemand ? Où est-il d'ailleurs ?

“ Le lieutenant s' éloigna pour s'en rendre compte ".

“S'éloigna” : s’é-loigner : Heidegger : Etre et Temps :

( pp 94-95, Etre et Temps, 23. La spatialité de l'être-au-monde. Tra. Martineau, ed Authentica, 1985/ ) :

" ( 105 ) (...) E-loigner veut dire faire disparaître le lointain, c'est-à-dire l'être-éloigné, de quelque chose -approcher. (...) De prime abord et le plus souvent, l'é-loignement est un approchement circon-spect : il amène à la proximité en ce sens qu'il procure, qu'il prépare, qu'il a " à main ". (...) Tous les modes d'accroissement de la vitesse auxquels nous sommes aujourd'hui plus ou moins contraints de participer visent au dépassement de l'être-éloigné. Avec la " radiodiffusion ", par exemple, le Dasein accomplit un é-loignement du " monde " encore malaisé à dominer du regard quant à son sens existential ; cet éloignement revêt la forme d'une extension du monde ambiant quotidien.
(106 ) (...) Un chemin " objectivement " long peut être plus court qu'un chemin " objectivement " très court ", lequel est peut-être un " calvaire " qui paraîtra infiniment long à qui l'emprunte. Mais c'est en un tel " paraître ", justement, que le monde est à chaque fois et pour la première fois proprement à-portée-de-la-main.
(...) L'é-loignement circons-pect de la quotidienneté du Dasein découvre l'être-en-soi du " vrai monde ",de l'étant auprès duquel le Dasein, en tant qu'existant, est à chaque fois déjà.
( 107 ) (...) Ce qui est " prochain ", ce n'est absolument pas ce qui est à la plus petite distance de " nous ". Le " prochain " consiste bien plutôt dans ce qui est é-loigné de la portée d'une atteinte, d'une saisie, d'une saisie, d'un regard. (...) Pour celui qui, par exemple, porte des lunettes, qui pourtant sont si proches de lui par la distance qu'elles sont " sur son nez ", cet outil utilisé est plus éloigné, au sein du monde ambiant, qu'un tableau accroché au mur d'en face. (...) De la proximité et du lointain de l'à-portée-de-la-main de prime abord rencontré dans le monde ambiant, seule la préoccupation circons-pecte décide. Ce auprès de quoi celle-ci séjourne d'entrée de jeu, c'est cela qui est le " plus proche " et qui règle les é-loignements. "

Dasein et mort : " (...) La mort est la possibilité la plus propre du Dasein. L'être pour celle-ci ouvre au Dasein son pouvoir-être le plus propre, où il y va purement et simplement de l'être du Dasein.
En ce pouvoir-être, il peut devenir manifeste au dasein que, dans la possibilité insigne de lui-même, il demeure arraché au On, autrement dit qu'il peut à chaque fois, en devançant, s'y arracher.(...) La possibilité la plus propre est absolue. Le devancement fait comprendre au dasein qu'il a à assumer uniquement à partir de lui-même le pouvoir-être où il y va purement et simplement de son être le plus propre. La mort n' " appartient " pas seulement indifféremment au Dasein propre, mais elle interpelle celui-ci en tant que singulier. L'absoluité de la mort comprise dans le devancement isole le Dasein vers lui-même. Cet isolement est une guise de l'ouvrir du " Là " pour l'existence.(...) "
( ibid p 192 / in 53. Projet existential d'un être authentique pour la mort. )

Blanchot :

" (...) ( la mort chez Rilke ) est au-dessus de la personne, non pas la brutalité d'un fait ni la neutralité du hasard, mais la volatisation du fait même de la mort, sa transfiguration au sein d'elle-même. En outre l'ambiguïté du mot eigen ( der eigne Tod, " la mort propre " ) qui signifie personnel, mais aussi authentique ( ambiguïté autour de laquelle semble tourner Heidegger, lorsqu'il parle de la mort comme de la possibilité absolument propre, ce qui veut dire la mort comme la possibilité extrême, mais aussi bien, l'événement le plus personnel du Moi, celui où il s'affirme le plus lui-même et le plus authentiquement ), ce glissement permettrait à Rilke de se reconnaître encore dans son ancienne prière : Donne à chacun sa propre mort, cette mort qui est proprement mort, mort essentielle et essentiellement mort, essence qui est aussi la mienne, pusique c'est en moi qu'elle s'est purifiée, qu'elle est devenue, par la conversion vers l'intérieur, par le consentement et l'intimité de mon chant, mort pure, purification de la mort par la mort, mon oeuvre donc, l'oeuvre du passage des choses au sein de la pureté de la mort. "
( l'espace littéraire p 196 ),

“ Le lieutenant s'éloigna "...

Si l'on applique l'acception heideggerienne de "l'é-loignement" comme étant par exemple ce qui est en fait le plus " prochain " ou " proprement à-portée-de-la-main " ( Etre et temps, op cit, pp 94-95 ), -et ce dans le cadre de la " possibilité la plus propre du Dasein " c'est-à-dire l'acception heideggerienne de la " mort " ( ibid p 192,/263/ ) à savoir le fait que celle-ci " isole le Dasein vers lui-même ", en ce sens que cet " isolement est une guise de l'ouvrir du " Là " pour l'existence "-, si, donc, l'on connecte cette disposition avec celle mise en place par Blanchot en se référant précisément à Heidegger :

"(...) l'ambiguïté du mot eigen ( der eigne Tod, " la mort propre " ) qui signifie personnel, mais aussi authentique ( ambiguïté autour de laquelle semble tourner Heidegger, lorsqu'il parle de la mort comme de la possibilité absolument propre, ce qui veut dire la mort comme la possibilité extrême, mais aussi bien, l'événement le plus personnel du Moi, celui où il s'affirme le plus lui-même et le plus authentiquement ),(...) " ( l'espace littéraire p 196 ) ,

si donc, pour l'essentiel, l'on conçoit, en premier lieu, que cet é-loignement en tant que le plus proche, comme “à-portée-de-la-main”, -à l'instar de ces " lunettes " dont parle plus haut Heidegger-, s'inscrit dans "l'absolu" même de "l'isolement"dirigé vers soi-même, c'est-à-dire, dit Blanchot, en tant que " l'événement le plus personnel du Moi ", et si, en second lieu, nous sommes bien, ici, en un texte qui se nomme " l'instant de ma mort " écrit par Blanchot, ceci signifie alors que lorsque les Allemands, au moment même où le lieutenant s'éloigne, avoue :
" Nous, pas allemands, russes " ( p 12 ), nécessairement, et ce dans le contexte syntaxique décrit plus haut, cet aveu est aussi celui du lieutenant é-loigné.
Ainsi ce lieutenant, au moment même où il s'é-loigne, c'est-à-dire au moment même où il s'avère être le plus " prochain ", en cette proximité même, dévoile alors ce qui est le plus " propre " de façon " absolue " . A savoir son " isolement " le plus " extrême ", le plus " personnel ".
Or cet" isolement " est "une guise de l'ouvrir du " Là " pour l'existence " ( Heidegger, p 192 ).
Ce qui signifie qu’en ce passage même le nazi en s’éloignant, advient comme le plus prochain : il devient aussi Russe. Blanchot écrit plutôt Russe que bolchevik afin d’utiliser ce nom propre, doublé du nom de Vlassov, comme euphémismes visant à signaler qu’un Russe n’est pas seulement bolchevik ( il peut être aussi ou seulement nazi ) en ce moment historique qui ad-vient précisément comme " guise de l'ouvrir du " Là " pour l'existence ".
Autrement dit Blanchot, et ce sans doute en vue d'accroître encore plus sa propre mise à “mort” ( et donc son vertige du pas au delà ), avoue, là, le sens, "l' ouvrir " même, l’ouvrir final de son " existence "; à savoir que Allemands et Russes peuvent être aussi nazis et bolcheviks, c’est-à-dire pas seulement...
Ce qui fait que nazisme et bolchevisme dépassent la notion de “ peuple “ pour entrer éventuellement en équivalence
Ainsi “il”, mais aussi “je” également, ( le lecteur) peut être aussi nazi au fond de l’implicite et du malaise.
Autrement dit Blanchot, dans ce texte intitulé " l'instant de ma mort ", c'est-à-dire au paroxysme même de “ l’é-loignement “, de la “ mort “ de ces allemands qui deviennent brusquement Russes, Blanchot, dans la peau de son personnage qu’est ce lieutenant allemand qui s’éloigne et qui commande en fait des Russes déguisés en Allemands, avoue, implicitement, par l’utilisation du concept même de l’éloigner qu'il est aussi nazi, puisqu’ en fait, les Russes, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas seulement bolcheviks, peuvent également se déguiser en nazis.

Du moins s'ils restent à proximité même du " Château " ( 1807 ) :

C’ est-à-dire au sein même de la dialectique hegelienne manipulée en tant que lieu-tenant.

Ce qui permet à Blanchot, grâce à l’éloignement du texte, d’avouer le plus proche en cet isolement le plus extrême, cette “ mort “ celle- là même d’ où a-gît Blanchot, c'est-à-dire la " Révolution d'Octobre ", ce Château mental des nouveaux Seigneurs. ) /

Et Blanchot va alors avouer, se vouer au tuer, en (dé)voilant tout ceci :

( pp 13, 14,15,16,17,20 ) " (...) Quand le lieutenant était revenu et qu'il s'était rendu compte de la disparition du jeune châtelain, pourquoi la colère, la rage, ne l'avaient-elles pas poussé à brûler le Château ( immobile et majestueux ) ? C'est que c'était le Château. Sur la facade était inscrite, comme un souvenir indestructible, la date de 1807.
(...) En cette année 1944, le lieutenant nazi eut pour le Château le respect ou la considération (...). Pourtant on fouilla partout. (...) dans une pièce séparée, " la chambre haute ", le lieutenant trouva des papiers et une sorte d'épais manuscrit -qui contenait peut-être des plans de guerre. Enfin il partit. Tout brûlait, sauf le Château. Les Seigneurs avaient été épargnés.
Alors commença sans doute pour le jeune homme le tourment de l'injustice. Plus d'extase; le sentiment qu'il n'était vivant que parce que, même aux yeux des Russes, il appartenait à une classe noble. (...).
Demeurait cependant, au moment même où la fusillade n'était plus qu'en attente, le sentiment de légèreté que je ne saurais traduire : libéré de la vie ? L'infini qui s'ouvre ? Ni bonheur, ni malheur. Ni l'absence de crainte et peut-être déjà le pas au-delà. Je sais, j'imagine que ce sentiment inanalysable changea ce qui lui restait d'existence. Comme si la mort hors de lui ne pouvait désormais que se heurter à la mort en lui. " Je suis vivant. Non, tu est mort. "
Plus tard, revenu à Paris, il rencontra Malraux. (...) Paulhan (...)
(...) Seul demeure le sentiment de légèreté qui est la mort même ou, pour le dire plus précisément, l'instant de ma mort, désormais toujours en instance. "

/ ( Ainsi sur le " sol français " ( p 7 ) un " Château " a inscrit sur sa facade une date " 1807 ".
Celle-ci est précisément celle de la publication de la "Phénoménologie de l’Esprit " de Hegel dont l'acception de la " mort " en tant que travail de la “division”, celle du “ négatif “, de “l’inégalité” entre “l’esprit et la nature “,
-c’est-à-dire tout ce travail du concept sur le plan logique, et dont Hegel cherche à comprendre comment s’est il hissé vers la terre ferme qu’est la Raison, dans l’histoire, mondiale, de l’Esprit-, cette terminologie, là, du Jeune Hegel, encore emplie de romantisme novalien, est donc détournée de son contexte, comme nous l’avons déjà signalé en première partie, et sert alors de légitimation officielle que recherche Blanchot lorsqu'il veut masquer la " chambre haute " ( p 15 ) celle de son " isolement " ( Heidegger ) le plus " personnel " ( Blanchot, l'espace... ) là où il agît comme " Seigneur " :
( P 15 : " Les Seigneurs avaient été épargnés ").
Autrement dit la " race forte " ( Nieztsche ) celle des morts qui ont réussit à vaincre l’homme du travail, du besoin, et donc de la raison discursive.

Et toute cette mise à mort en guise d'aveu ( du crime ) donne à Blanchot un " sentiment de légèreté " ( ibid ), celui du " pas au-delà " ( p 17 ) dû à l’existence de ce passage, secret, entre nazisme et bolchevisme et vice-versa, au sein même du Château qu’est la dialectique hégelienne manipulée.
Ainsi ce passage permet de transformer le nazisme et le bolchevisme comme autant de perspectives “ de l'être au moment de l'inertie " ( Bataille in l’expérience, p 68...). Passage possible de l’un à l’autre du moment que l'on reste “é-loigné”, “isolé”. C’ est-à-dire non seulement à proximité mais surtout dans, en, le Château de 1807, afin d’être et de rester niché là de façon vicariante :

De ce fait, " la mort hors de lui ne pouvait désormais que se heurter à la mort en lui. " Je suis vivant. Non, tu est mort. "
( p 17 )

Un " désormais", qui doit, néanmoins, en fin de récit, brouiller les pistes en convoquant Malreaux, Paulhan, dont la lecture peut rassurer, dissiper quelques malaises, ce qui est certes lâche, mais il faut bien maintenant maquiller l’aveu en simple fiction “ littéraire “.
Il faut savoir être tactique, ce que Lénine-Staline ont sû mieux réaliser qu’Hitler. Afin de préserver une apparence vaguement radicale, tout en sachant, en secret, que celle-ci n'est qu'une trace, une réflexion, validée par une date, 1807.
" Qu'importe " ( p 20 )donc de masquer ainsi, puisque en fait seul “ demeure le sentiment de légèreté qui est la mort même ou, pour le dire plus précisément, l'instant de ma mort, désormais toujours en instance. " ( ibid ).
Autrement dit un " désormais " toujours là, en suspens, en " Seigneur " ( p 15 ) en la demeure du meurs. Et qui, bien isolé dans la dialectique de Hegel, peut basculer soit en nazi en l’intimité de la mise à mort, lorsqu’il s’agit de tuer une Eurydice, soit en bolchevik afin de maquiller le meurtre, en appeler à l’apothéose et l’apocalypse de la “ Révolution d’Octobre “ mettant à mort, tout en le libérant, l’homme du travail et du besoin.

Tout dépend donc du pas en " instance " que l'on (re)foule du pas . Tel Brutus en César, Orphée en Eurydice, Lénine et Hitler en les peuples soumis, exterminés, matières à éliminer afin de se purifier, de s’élever dans l’insoutenable légèreté de l’être....Celui de la “race forte”.






W

Conclusion générale



Que dire de plus ? Chez Blanchot- Bataille non seulement la métaphysique mais la plastique de la "race forte", celles des "Seigneurs" triomphent comme pseudo-mystique réalisée.
Et Foucault, Deleuze et Derrida, lorsqu'ils remontent de Bataille vers Blanchot, et en deviennent les disciples, lorsque ces copies se lèvent, à la tombée de la nuit, et se mettent en marche, ( funèbre ), en vue de tuer, de planter leurs yeux sans iris, et leurs dents dans Eurydice, cette sculpture, celle de la femme sans tête que devient la France, l’homme, le monde entier, toutes ces copies en amplifient alors le démembrement, jusqu'à plus soif, et dans une répétition sans différence :
République, langue, pensée, sexe, tout erre, erreur, (t)erreur non pas indéfinie mais désespérément concrête :
celle d’une diff-errance vide, vidée par ces sangsues,
vie, exsangue,et à grande vitesse.
Tout en restant en suspens, en attente, et aussi en excitation secrète : celle du suspens qui s’ouvre de plus en plus, sous nos yeux, au bolcho-nazisme à la française : antiéconomique, antiaméricain, et dont les nihilistes léninisto-nietzschéens sont, dans les profondeurs, comme le portefaix, tout en le dénonçant en surface.

Un post-romantisme, édenté, mais au dentier de vampire, a fini donc par “s'isoler”, “s’é-loigner “ dans les ruines ( passées et futures ) de la barbarie sanguinaire de nouveau en marche, funèbre.





X


L'hyperréalisme nihiliste de Foucault


( "Enfermement, psychiatrie, prison " entretien de M.Foucault avec D.Cooper, J.P.Faye, M. Zecca, Change, N°22-23 : La Folie encerclée, 1977, pp 76-110. Dits et écrits. 1977. T.3. Ed gallimard. PP 332 et suivantes ) :

" (...) D.Cooper : Dans le cas de Roman Polanski aux Etats-Unis, où il était question de sexualité orale, anale et vaginale avec une fille de treize ans, la fille ne semblait pas traumatisée, elle a téléphoné à une amie pour discuter de tout cela, mais la soeur a écouté derrière la porte, et tout ce procès contre Polanski s'est mis en route. Là il n'y a pas de blessure, le " traumatisme " vient des " formations idéales ", sociales. La fille semble avoir joui de ses expériences.

M. Foucault : Elle paraît avoir été consentante. Et cela me mène à la seconde question que je voulais vous poser. Le viol peut tout de même se cerner assez facilement, non seulement comme non-consentement, mais comme refus physique d'accès. En revanche, tout le problème posé, aussi bien pour les garçons que pour les filles -car le viol pour les garçons, cela n'existe pas, légalement-, c'est le problème de l'enfant que l'on séduit. Ou qui commence à vous séduire. Est-ce qu'il est possible de proposer au législateur de dire : un enfant consentant, un enfant qui ne refuse pas, on peut avoir avec lui n'importe quelle forme de rapport, cela ne relève aucunement de la loi?
(...)
M.Foucault : Le problème des enfants, voilà la question. Il y a des enfants qui à dix ans se jettent sur un adulte -alors? Il y a les enfants qui consentent, ravis.

M.-O.Faye : Les enfants entre eux : on ferme les yeux. Qu'un adulte entre en jeu, il n'y a plus d'égalité ou de balance des découvertes et des responsabilités. Il y a une inégalité...difficile à définir.

M. Foucault : Je serais tenté de dire : du moment que l'enfant ne refuse pas, il n'y a aucune raison de sanctionner quoi que ce soit. Mais ce qui m'a frappé, c'est qu'hier on en parlait avec des membres du Syndicat de la magistrature. L'un d'eux avait des positions très radicales : c'est celui qui disait justement que le viol n'avait pas à être pénalisé comme viol, que c'est tout simplement une violence. A propos des enfants, il a commencé par prendre une position également très radicale. Mais, à un moment donné, il a sursauté, et il a dit : ah, je dois dire, si je voyais quelqu'un qui s'en prenait à mes enfants!
En outre, on trouve le cas de l'adulte qui a, par rapport à l'enfant, une relation d'autorité. Soit comme parent, soit comme tuteur, ou comme professeur, comme médecin. Là encore, on serait tenté de dire : ce n'est pas vrai qu'on peut obtenir d'un enfant ce qu'il ne veut pas réellement, par l'effet d'autorité. Et pourtant, il y a le problème important des parents, du beau-père surtout, qui est fréquent. (...).

M.Zecca : (...) si l'on renverse le problème -au sujet des enfants-,si l'on considère le viol comme un coup de poing dans la gueule, est-ce qu'il serait possible d'envisager les choses sous l'angle du " préjudice moral "?

J.P. Faye : On revient à la responsabilité civile.

M. Foucault : ... dommages et intérêts, pretium doloris : il existe bien des catégories de cet ordre. Qu'est-ce que cela signifie, si l'on dit : on ne mettra plus le violeur en prison, cela n'a aucun sens -on lui demandera cent mille francs de dommages et intérêts? Est-ce qu'on peut dire cela?

M. Zecca : Je ne pensais pas en termes d'argent. Je me demande simplement comment on peut laisser une porte ouverte pour reconnaître l'acte de violence, afin qu'il ne soit pas banalisé.

M. Foucault : Comme un accident d'automobile.

M.Zecca : Oui. Quelque chose, là, me gêne, le rapport à ce que peuvent faire des adultes sur des enfants. Et une situation où les enfants n'auraient plus aucun moyen juridique de se défendre. Il y a quelque chose qui manquerait. Si on considère le fait uniquement comme un coup de poing dans la gueule, cela permet à n'importe qui de violer un enfant?

M. Foucault : Tu sais en même temps que la législation sur le viol d'un enfant, la " protection légale " qu'on accorde aux enfants est un instrument qu'on met entre les mains des parents. Pour liquider leurs problèmes avec d'autres adultes, la plupart du temps.

M. Zecca : Exactement.

M. Foucault : Ou alors on fait de l'administration, d'une fonction bureaucratique quelconque l'instance qui décidera du mode de protection nécessaire à l'enfant?

M. Zecca : Non, impossible.

M. Foucault : Ce n'est pas l'assistance sociale qui pourra prendre les décisions?

M. Zecca : C'est impossible.

M. Foucault : On se demandera pourquoi je me suis laissé prendre là-dedans -pourquoi j'ai accepté de répondre à ces questions...Mais, finalement, je suis un peu irrité par une attitude, qui d'ailleurs a été la mienne longtemps et à laquelle je ne souscris plus maintenant, qui consiste à dire : nous, notre problème, c'est de dénoncer et de critiquer; qu'ils se débrouillent avec leur législation et leurs réformes. Cela ne me paraît pas une attitude juste.
M.-O Faye : Est-ce en raison de cette réforme du droit pénal qui se prépare sur le viol et la protection des enfants que la presse à sensation mène une telle campagne sur les " enfants martyrs "?

M. Foucault : Cela me paraît évident.

M.-O Faye : Mais cette campagne porte à faux, car les " parents modernes " ne sont pas subitement devenus des monstres, il faut replacer ce rapport enfants-adultes dans une histoire : autrefois, les enfants étaient pris en charge par la communauté, ou par la famille communautaire élargie, comme l'a bien montré David ( Cooper ). Maintenant, la solitude d'un jeune couple avec ses enfants dans une H.L.M dans une cité ouvrière, cela engendre précisément les " enfants martyrs ", toute une série de tensions, y compris les viols d'enfants.

J.P Faye : La pression de la famille et de ses conflits s'accroît à mesure que le champ de celle-ci se rétrécit : c'est ce qu'a montré la description de David ( Cooper ).

D. Cooper : Oui, la communauté était ce lieu d'échanges libres ( relativement ). Y compris entre enfants et adultes. D'échanges sexuels. Mais comment reconstruire une telle communauté dans le contexte du capitalisme avancé?...
(...) ".

Avec Foucault se dresse la mise en pratique, intégrale, du faisceau Bataille-Blanchot qui lui-même, en creux, réalise la potentialité absolutiste du léninisme greffé au nietzschéisme vulgaire, celle qui superpose sur le réel une idée dont la fonction n'est pas de l'exprimer mais de s'y substituer tout en parlant en son nom.
Tel un dieu destructeur qui, s’ annulant dans le réel, y expierait, dans l'apparence du contraire.
A savoir toutes ces écritures rigoureuses, méticuleuses, ourlées de dentelles ultraprudentes; les dates historiques y jouant le rôle de perles scintillantes et les notes en bas de page celui d'arabesques savamment ( éro)
(hypno)tiques

Avec Bataille-Blanchot, Foucault est donc la pièce essentielle des meurtriers du sens de l'homme. Derrida en prolonge et complexifie seulement les pas.


Le discours foucaldien donne non pas sens au réel, mais le subsume sous une idée qui semble être déjà le réel en acte.
Comme si l'on pouvait passer sans coup férir de l'idéel au réel sans le moindre changement, comme dans un mirage, une hallucination, une illumination mystique, un hyper-positivisme, tout à la fois, puisque cette idée, comme signe, est déjà le réel, à terme.
De ce fait l'idée, le signe foucaldien, ne prétend pas expliquer le réel, ou, du moins, il donne l'apparence de l'expliquer alors qu'en réalité il se dédouble en lui ( Deleuze et Derrida le font excellement également ), puis s'en nourrit afin de préserver toujours cette apparence du discours rigoureux, scientifique, qui n'en est plus un, sauf dans son apparence et ses notes savantes en bas de page, puisqu'il est, à lui-même, son propre cours.
Pour parler comme Besançon ( 1977 ), si pour Lénine, le socialisme est le Parti, pour Foucault ( et ses Suivantes...) le réel est le Discours, le sien.
Et tout ceci fonde la même réalité, celle d'une Idée dont on réalise l'hypostase, et à la perfection, et ce, non seulement comme dans l'illusion ou l'illumination dans lesquelles s'abime la distinction avec le réel, mais mieux encore, en tant que ce trompe l'oeil, scientifique, ou " la volonté de savoir " qui veut absolument, et à la fois, démontrer et voiler qu'il est lui-même ce qu'il prétend montrer.
D'où la possibilité alors de supprimer ( mais non de dépasser ce qui n'a aucun sens ici ) le réel. Puisque le discours est le seul réel. L'ancien réel lui qui prétend encore à quelque chose, ne sert plus à rien, mieux vaut donc l'abolir.

Nous nous servirons donc de cette fonction d'hyperréalité comme logique du discours qui prétend être déjà le réel, surtout lorsqu’ il se donne l'apparence de l'expliquer.
Or c'est précisément là la texture du discours léniniste et, par extension, celle de la gestuelle foucaldienne. C'est là l' idéocratie même en acte ( au sens d'Aristote, Métaphysique ).
D'où par exemple la fascination de Foucault envers le discours de Pierre Rivière, cette hyperréalité qui explique, posément, calmement, sans une ride, ni un mot souligné, non pas ce qu'elle a fait mais ce qu'elle a déjà écrit dans le vif du réel, le discours a posteriori venant seulement le réfléchir pour l'effacer.
Nous étudierons essentiellement "Histoire de la folie" ( 1961 ) pour le démontrer.


Y


Le processus d'effacement du réel chez Foucault


Ce qui nous importe ici ce n'est donc pas de discuter, pied à pied, les diverses propositions foucaldiennes mais de percevoir le procédé de démonstration.
Celui-ci est traversé de part en part par ce souci non pas d'expliquer le réel, mais d'être la combinatoire apriori de tout réel possible.
C’est une espèce de “topologie” en acte, tel un cube aux faces mobiles qui permettrait de trouver l'apparence correspondante selon les circonstances.
Le réel n'est alors pas plus un moyen pour justifier la théorie que son illustration. Il est seulement là comme matériel brut qu'il s'agit de fondre en vue d'édifier le seul réel qui vaille : une statue sans tête autour de laquelle s'agite le sculpteur léninisto-nietzschéen dans l'intensité même de "la mort" blanchotienne réfugiée non plus dans la dialectique hegelienne mais dans son double absolu celle de la dite "folie" cet âge d'or, paraît-il, de la " pensée "sans l'ordre qui la rationalise, c'est-à-dire qui lui fait prendre conscience d’autrui, et donc de ce qu'elle fait au-delà de son propre mythe, chose qui semble être incompréhensible pour Foucault.

Observons par exemple le processus foucaldien dans cette fascination envers Borges dont la présence occupe l'ouvrage intitulé " Les mots et les choses " et ce dès la première ligne de la " Préface " ( pré-face...) :

( P 7, ed gallimard ) " Ce livre a son lieu de naissance dans un texte de Borges.

(...). Ce texte cite " une certaine encyclopédie chinoise " où il est écrit que " les animaux se divisent en : a ) appartenant à l'Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i) qui s'agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, l) et caetera, m) qui viennent casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches. " Dans l'émerveillement de cette taxinomie, ce qu'on rejoint d'un bond, ce qui, à la faveur de l'apologue, nous est indiqué comme le charme exotique d'une autre pensée, c'est la limite de la nôtre : l'impossibilité nue de penser cela. (...).
( PP 7-8-9-10-11 ) : (...) La monstruosité ici n'altère aucun corps réel, ne modifie en rien le bestiaire de l'imagination; elle ne se cache dans la profondeur d'aucun pouvoir étrange. Elle ne serait même nulle part présente en cette classification si elle ne se glissait dans tout l'espace vide, dans tout le blanc intersticiel qui sépare les êtres les uns des autres. Ce ne sont pas les animaux " fabuleux " qui sont impossibles, puisqu'ils sont désignés comme tels, mais l'étroite distance selon laquelle ils sont juxtaposés aux chiens en liberté ou à ceux qui de loin semblent des mouches. Ce qui transgresse toute imagination, toute pensée possible, c'est simplement la série alphabétique ( a,b,c,d ) qui lie à toutes les autres chacune de ces catégories. (...).
(...). Ce texte de Borges m'a fait rire longtemps, non sans malaise certain et difficile à vaincre.(...)
(...) Il paraît que certains aphasiques n'arrivent pas à classer de façon cohérente les écheveaux de laines multicolores qu'on leur présente sur la surface d'une table ; (...)
(...) La gêne qui fait rire quand on lit Borges est apparentées sans doute au profond malaise de ceux dont le langage est ruiné : avoir perdu le " commun " du lieu et du nom. Atopie, aphasie. (...).
(...) l'encyclopédie chinoise citée par Borges et la taxinomie qu'elle propose conduisent à une pensée sans espace, à des mots et à des catégories sans feu ni lieu, mais qui reposent au fond sur un espace solennel, tout surchargé de figures complexes, de chemins enchevêtrés, de sites étranges, de secrets passages et de communications imprévues ; (...) "

Et cet " espace solennel ", en ce paragraphe qui semble si bien décrire la gestuelle foucaldienne, s'apparente à la définition de " l'ordre " selon Foucault : ( p 11 ) :

" L'ordre, c'est à la fois ce qui se donne dans le choses comme leur loi intérieure, le réseau secret selon lequel elles se regardent en quelque sorte les unes les autres et ce qui n'existe qu'à travers la grille d'un regard, d'une attention, d'un langage; et c'est seulement dans les cases blanches de ce quadrillage qu'il se manifeste en profondeur comme déjà là, attendant en silence le moment d'être énoncé. (...) "

Observons déjà que ce texte qui émerveille tant Foucault, et qui l'a " fait rire longtemps " ( p 9 ) - est-ce le rire de Nietzsche à Turin qui plaît tant à Bataille ?- est tout de même au départ celui d'un Borges, qui, semble-t-il, travaille, comme littéraire, et non comme sociologue ou " historien " des " sciences humaines ", autrement dit, cet auteur, Borges, cherche en effet à se jouer de, à isoler, é-loigner encore plus et donc à rapprocher, jusqu’à l’absurde ( au sens logique, démonstratif ), la distance entre les mots et les choses en des vrilles syntaxiques diverses.
Ce qui implique que " l'impossibilité nue de penser cela " ( p 7 ) n'en est pas une si l'on pense sa possibilité dans le cadre du poétique. Ce qui par contre étonne, c'est l'étonnement de Foucault. Comme si celui-ci se demandait si, au fond, il ne serait pas possible de penser cela mais de manière habillée, travestie dirions-nous, puisque, en effet, s'il existe " l'impossibilité nue de penser cela " dans le cadre scientifique par exemple, il s'agira alors d'habiller cette nudité là, qui est le visé implicite, d'un appareillage " scientifique " pour précisément rendre réel l’absurde et le réel absurde, au sens péjoratif cette fois.
Le résultat atteint donne la destruction de toute possibilité d'habiller, de donner forme à quoique ce soit puisque toute distance est abolie. A l’exception des habits, des formes, qui sont sommées de devenir le seul réel possible.
L'habit donc non seulement fait office de moine, mais surtout devient la seule forme en guise de réalité. A l'instar de ces vaisseaux fantômes qui, de loin, semblent être habités, il y a même un homme à la barre, mais, en fait, au dedans, seul un squelette ( celui de la classification ) reste comme dernier ouvrage sur le canevas du savoir .

Ainsi dans " les mots et les choses " Foucault semble comme prendre au mot Borges :
Edifier un classement qui, par exemple, oppose, artificiellement, les catégories de la représentation et de la signification comme nous l’avons déjà analysé plus haut ou encore qui perçoit si minutieusement dans la présence de " l'Ordre ", dans celle du " fini ", un lieu dans lequel “ rôde la mort " ( p 395 ).
Bref, il s'agira pour Foucault imitant ( mal) Borges, de créer une histoire, une fiction, afin de la poser en fait comme canevas d'une “atopie”, d'une “aphasie” ( op cit ), qui lui permettrait de détruire les
" (...) codes fondamentaux d'une culture - ceux qui régissent son langage, ses schémas perceptifs, ses échanges, ses techniques, ses valeurs, la hiérarchie de ses pratiques-(...) " ( p 11 ).
Et Foucault se charge de les démanteler afin de rendre cette culture précisément aphasique. C’est-à-dire pour que s' institue, objectivement, à sa place, les catégories de l'ordre foucaldien, cet ordre nouveau qui, en se substituant, de fait, à ce qui a été détruit tramera alors la " grille du regard " ( p 11 ) pour rendre l'homme “fou” c'est-à-dire pour le (dé)finir comme être effectivement aphasique, flottant au-dessus du réel détruit comme son spectre.
Remarquons d'ailleurs que l'ouvrage s'amorce ensuite par un commentaire d'un tableau de Velasquez.
Nous avions en préface déjà Borges, nous avons maintenant Velasquez et ce non pas en introduction, en illustration, mais en " chapitre 1 " ( p 20 et suivantes ).
Qu'est-ce à dire?
Foucault fait comme Pierre Rivière qu'il aime tant; il écrit, avant, ce qu’il va accomplir ( comme Lénine, Hitler...) :
Il s'agira pour lui de montrer, avant, comment il va procéder. Par exemple en traçant un x sur le réel ( le x de Blanchot, imitant celui d'Heidegger, et auquel s'est rallié Derrida dans “l’écriture et la différence”, dans “ marges “ etc...nous le verrons plus loin ) afin que cet x devienne le réel même ( p 28 ).
Ainsi si toute connaissance du réel, y compris intuitive, passe, nécessairement, par des cadres et des cercles de référence, la démarche idéologique, elle, ne tend pas à l'intelligibilité du réel tel qu'il est mais à produire le réel tel qu'il devrait être, ou la duplication de ce qui est tramé avant.
A l‘exact opposé de la démarche scientifique, surtout lorsqu'elle se libère du carcan positiviste ( Boudon 1995 ).

L’ hyperréalisme foucaldien, en tant qu'hyper-idéalisme dégénéré, écarte donc le fait que le mot est et n'est pas la chose même. Il s'empare alors de cette figure logique dans son premier moment, et la pousse à son extrémité en paraphrasant Laplace : " Sire cette hypothèse ( le réel ) n'est plus nécessaire : je ( ipse ) n'en ai plus besoin ..." car ipse est le seul réel envisageable.

Le texte intitulé " Les mots et les choses " sert à cette édification là, à l'instar de l'encyclopédie chinoise de Borges ; sauf que l'encyclopédie de Foucault est parisienne, ce qui, déjà, dit tout et son contraire.

Et à quoi sert ( non plus Althusser ) mais tout cette énonciation sinon en vue de s'énoncer elle-même comme fait microsociologique porteur de la seule grille de lecture, celle de la “ fin de l’homme “ mis à la” raison “; comme s'il s'agissait du silence solennel de la Science même qui avouerait en, par, Foucault qu'au fond l'ordre des choses n'est autre que l'ordre de la classification qui le sous-tend, tout en accomplissant cependant " l'absolue dispersion de l'homme " ( p 397 ).

Il n’en est rien ? Nous fabulons ? Portons-nous par exemple au coeur du texte. Posons cette simple question : qu'en est-il par exemple du surgissement de la " ville " comme espace politique, économique, culturel, spécifique, en Europe, afin d'expliquer en quoi la représentation, en gros, se spécialise ?
Nous ne la trouvons nulle part. La ville comme espace de liberté en face du fief et en vis à vis avec l'Eglise et le Roy, où se situe-t-elle dans la peinture foucaldienne?
Cette question en attire d'autres.
Comment comprendre la tension entre " l'empirisme " et le " transcendantal " si n'est pas analysé le rôle des forces politiques et sociales, l'Eglise, le surgissement de l'entrepreneur, la découverte de l'Amérique...l'émergence de la Science ?
Autrement dit, lorsque Foucault prétend analyser ce qui représente parle classe échange..., l'on perçoit seulement l'orbe des énonciations tentant d'en exprimer les divers sens mais point, comme nous l'a appris Marx, l'activité concrête des hommes en tant qu'ils sont des êtres sociaux et politiques et qui par ce biais agissent, et que c'est cette action, là, qui forme aussi le contenu empirique de ce qui se joue dans l'ordre de la représentation à la recherche de liens, de relations de plus en plus exactes et vraies.

Foucault construit en fait, et comme tant d'autres, non pas une philosophie de l'histoire, celle qui exprimerait comme la "chair" de l'autre, celle de son histoire, mais la philosophie du dessèchement de toute histoire possible ; celle de son anatomie exangue.
En fait le discours foucaldien s'empare des " codes fondamentaux d'une culture " ( p 11 ) en vue non pas d'expliquer mais de surgir comme cette culture même, et donc en vue d'émerger comme lumière, ou dieu, pour lequel, le réel, les mots, les choses et les hommes, sont les fragments, holographiques, qui le supportent et dont Il serait à la fois l'orbe le silence et sa courbure : ou l’ uni-vers en acte subsistant au dessus du réel détruit :
“dispersé” ; tel aussi un champignon atomique, errant, et erreur,.aphasie d’un discours qui ne surplomberait plus que sa seule répétition dans l’éternelle poussière du temps (é)perdu.
Ainsi ce propos : ( pp 396-397 ) :
" (...) De nos jours, et Nietzsche là encore indique de loin le point d'inflexion, ce n'est pas tellement l'absence ou la mort de Dieu qui est affirmée mais la fin de l'homme ( ce mince, cet imperceptible décalage, ce recul dans la forme de l'identité qui font que la finitude de l'homme est devenue sa fin ); il se découvre alors que la mort de Dieu et le dernier homme ont partie liée : n'est-ce pas le dernier homme qui annonce qu'il a tué Dieu, plaçant ainsi son langage, sa pensée, son rire dans l'espace du Dieu déjà mort, mais se donnant aussi comme celui qui a tué Dieu et dont l'existence enveloppe la liberté et la décision de ce meurtre ?
Ainsi, le dernier homme est à la fois plus vieux et plus jeune que la mort de Dieu; puisqu'il a tué Dieu, c'est lui-même qui doit répondre de sa propre finitude; mais puisque c'est dans la mort de Dieu qu'il parle, qu'il pense et existe, son meurtre lui-même est voué à mourir; des dieux nouveaux, les mêmes, gonflent déjà l'Océan futur; l'homme va disparaître. Plus que la mort de Dieu, -ou plutôt dans le sillage de cette mort et selon une corrélation profonde avec elle, ce qu'annonce la pensée de Nietzsche, c'est la fin de son meurtrier; c'est l'éclatement du visage de l'homme dans le rire, et le retour des masques; c'est la dispersion de la profonde coulée du temps par laquelle il se sentait porté et dont il soupçonnait la pression dans l'être même des choses; c'est l'identité du Retour du Même et de l'absolue dispersion de l'homme. (...) ",
Foucault flotte alors comme ces “ dieux nouveaux, les mêmes “ qui “ gonflent déjà l’Océan futur “. Il devient leur visage, leur folie même, surtout lorsqu’il oeuvre comme (dans) (la) destruction, qui le dépasse de toute façon puisque “ l’homme va disparaître “, c’est écrit, dans l’avènement de “ l’Ordre “. Il s’agira seulement, comme “ dieu nouveau “, c’est-à-dire, “ les mêmes “, d’en incarner l’ “ absolue dispersion” tout en l’accélérant cependant par la destruction de la pensée car il s’agit de voir l’apothéose et l’apocalypse de son “ vivant “, tant qu’à faire...



Z

Exemple de maquillage visant à effacer le procédé de destruction


Observons cet extrait, qui par ailleurs permettra déjà de voir comment Foucault réinterprète, maquille, rétrospectivement, quelques traces trop voyantes de son " Histoire de la folie ", monument d’hyperréalité que nous n'allons pas tarder à aborder :

“(...) on m'a fait dire que la folie n'existait pas, alors que le problème était absolument inverse : il s'agissait de savoir comment la folie, sous les différentes définitions qu'on a pu lui donner, à un moment donné, a pu être intégrée dans un champ institutionnel qui la constituait comme maladie mentale ayant une certaine place à côté des autres maladies. ". ( 1984 / Dits et écrits/ ed gallimard, T.IV. " L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté "/ entretien avec H. Becker, R. Fornet-Betancourt, A. Gomez-Müller, 1984, pp 708 et suivantes ) :
Ainsi donc " il s'agissait de savoir comment la folie " (...) a pu être intégrée dans un champ institutionnel qui la constituait comme maladie mentale "; c'est donc " un champ institutionnel " qui la " constituait " comme " maladie mentale ".
Ce " champ institutionnel " constituait quoi? Il constituait la folie comme maladie mentale.
Autrement dit sans ce champ institutionnel la folie ne serait pas constitué comme maladie mentale... Mais alors...La folie se serait constituée comme quoi? "La" folie se serait-elle donc constituée elle-même ? La folie pourrait-elle se penser elle-même ?
Foucault dit qu ' "on m'a fait dire que la folie n'existait pas, alors que le problème était absolument inverse". S’il est inverse cela pourrait-il signifier que ce qui existe n'est pas la folie? Si le problème est " absolument inverse " au fait que la folie n'existe pas, dans ce cas une chose existe dont le mot n'est pas folie. Par contre la " folie ", elle, a été " constitué par un " champ institutionnel " comme " maladie mentale”.
Donc soit Foucault conteste " la validité scientifique ou l'efficacité thérapeutique de la psychiatrie " ( p 725 ) mais dans ce cas à partir d'où de quoi comment pourquoi faire ? Soit Foucault présuppose déjà que ce qui est nommé " folie ", en fait, n'en est pas, et ce au fond du fond lui-même.
C'est d'ailleurs ce qu'il nous dira plus loin dans un instant puisque s'il avance, et plutôt rétrospectivement, que pour lui il s'agit d'un statut, dont il n'a pas étudié l'aspect médical. Néanmoins il se prononce sur celui-ci à la fois implicitement et tout à fait explicitement.
Bref, le mot constitue la chose.
Seulement l'hyperréalité foucaldienne n'enlève rien au fait que lorsque par exemple un Pierre Janet nous parle de ses " malades " à la fin du XIXè et au début du XXème il ne le fait pas en tant que ce vecteur du "champ institutionnel" de la psychiatrie qui aurait seulement comme objet le fait de subsumer sous des concepts ce qui doit tenir lieu de contenu.
Janet tente d' analyser, en tant que médecin en effet, parce que telle est sa fonction sociale, une personne qui " souffre " par exemple " Madeleine " ( De l'angoisse à l'extase. 1926 ). Elle se pense au contact direct avec le divin mais le perçoit dans des tourments insurmontables.
Or, Janet, ne met pas en cause cette souffrance en la considérant comme une fiction crée par le sujet en vue de correspondre, comme objet constitué, à la catégorie " malade mental ".
Janet ne méprise pas cette affirmation, ne considère pas que la maladie soit un mal en tant que punition mais tente d' étudier seulement ce qui fait tant "souffrir " Madeleine ( terme honni comme nous verrons plus loin par Foucault ) et ce surtout dans le sens où par exemple elle suspend ,pendant des semaines, tout contact avec autrui.
Ainsi rien ne dit que cette " suspension " soit induit par le fait que Madeleine tente spontanément comme une espèce de phénoménologie mystique du divin à l’état brut ou observe les méandres télé-hylé-psychophysiques de l'éternel retour, en attendant qu'à un tournant apparaissent Orphée, et ce, tout en se demandant s'il s'agit du retour du même, du pareil, de l'identique, ou du semblable ( ce qui, bien entendu, n'est pas similaire...).

Bref, sous le prétexte, en fait, que certaines pratiques médicales, ( mais dans ce cas tous les " champs " sont concernés ) aient pu hâtivement cataloguer certaines personnes comme " folles " alors qu'elles étaient plutôt fragilisées, déphasées, etc, il ne s'ensuit pas pour autant qu'il faille nier les problèmes morphologiques de dislocation de la personnalité, et ce au-delà du mot qui prétend subsumer la chose.
Sauf si un apriori pose arbitrairement que cette dislocation est aussi valable qu'un approfondissement de son unité, et, mieux encore, est préférable en fait, car elle peut ainsi percevoir la multiplicité comme " acéphale " ( Bataille ).
Cette dislocation dans la multiplicité sans contradiction, et donc éternellement positive, est alors la posture rêvée pour Foucault ( et aussi Deleuze comme nous le verrons ) qui aspire ainsi à exister sans cette unité ( du moins en privé ) car celle-ci en se concentrant, se tend, nécessairement, vers la condensation d'énergie, c'est-à-dire l'érection, et donc, à terme, la domination, celle du pouvoir, dont la catégorie est le capitalisme, et le lexique tel " champ institutionnel ". Or cette domination est ce contre quoi Foucault veut lutter, du moins si l'on veut extirper le " fascisme qui est en nous ". Et comme la sublimation est chose désuète, et que Foucault reste matérialiste au sens léninisto-positiviste du terme, il s’agira de simuler les affres et le désir du pouvoir de façon quasi-exclusivement esthético-érotico-sexuelle; surtout par le sadomasochisme puisqu’étant présent à l’état d’énergie il faut bien évacuer par quelques biais la tentation du pouvoir tout en la jouant en des signes sans conséquence pour autrui; c’est du moins ce que croit Foucault comme nous le verrons alors que les conséquences sont redoutables y compris pour autrui puisque non seulement rien ne change, au fond, mais tout s’aggrave. La simulation vient remplir non seulement un vide, et donc devient ce qu’il y à faire ce qui crée du pouvoir effectif, mais en plus réinjecte des postures toutes soucieuses d’humilier, d’abaisser, postures d’un autre âge qu’acceptent surtout ceux qui cherchent à se punir de quelque passe-droit qu’ils pensent ne pas mériter.

Allons maintenant vérifier mais succinctement comment Foucault dans "Histoire de la folie" nous présente déjà la chose. Nous analyserons ensuite comment en définit-il ( surtout aposteriori ) le "statut", celui de l'enfermement, celui de " l'exclusion ", ce que nous étudierons plus loin.


AA

Etude pratique de la méthode hyperréelle foucaldienne dans " Folie et Déraison. Histoire de la folie. A L'âge classique "

L'éditeur ( 10/18./ 1972.) place en avertissement ce qui suit :
" Cet ouvrage est l'édition abrégée de l'Histoire de la folie parue à la Librairie Plon en 1961. Tout en préservant l'économie générale du livre, on a conservé de préférence les passages concernant les aspects sociologiques et historiques de l'étude originale " )

Commençons d'abord par étudier synthétiquement la méthode d'analyse de Foucault, sa manière de traiter les concepts, nous étudierons ensuite analytiquement comment il justifie ce traitement.

Pour l'essentiel Foucault prétend montrer ( par ex pp 103,104 ) que la pensée classique pense la folie comme " liberté absolue " ( p 104 ) ce qui est, pour elle, une " déraison ", car cette liberté absolue, cette déraison, peut faire " chuter " l'homme vers la " bête ", tout en lui permettant paradoxalement d'atteindre la " forme ultime " de la Passion, celle du Christ ( p 103 ). Mais le christianisme du XVII ème siècle n'en veut plus ( pp 98,99 ), ce qui permet l'essor de la pensée classique qui voit, dans le fou, l'animal, et donc la liberté absolue.
Tandis que la pensée positive, elle, pense seulement la folie comme " déterminisme où s'abolissent progressivement toutes les formes de liberté " ( p 103 ).
En ce sens la pensée classique a quelques sympathies pour Foucault :
" Plus que tout autre, mieux en tout cas que notre positivisme, le rationalisme classique a su veiller, et percevoir le péril souterrain de la déraison, cet espace menaçant d'une liberté absolue " ( p 104 ).
Mais cette sympathie va tourner court comme nous allons le voir car si la pensée classique est préférable au positivisme, elle est en retrait sur l'Antiquité et le Moyen-Age qui ne posait pas la folie comme déraison ou chute mais comme porteur d'un monde occulte.
Ce qui implique que c'est dans la pensée classique que vont surgir peu à peu les catégories de l'ordre social qui va appréhender la folie comme animalité et péril puis rétracter cette acception à la seule perception de la folie posée comme abolition de la liberté alors qu'en fait elle l'institue comme maladie mentale en vue du contrôle social.
Ainsi par exemple pour Foucault, toute l'énumération de divers comportements ou attitudes énumérés par tel auteur que cite Foucault et qui décrit la façon dont certains "se pensent être bêtes, desquelles ils ensuivent la voix et les gestes "( p 105 ) en passant par le fait de se penser comme des " vaisseaux de verre ", de reculer " devant les passants, de peur qu'ils ne les cassent ", mais aussi jusqu'à d'autres comportements ou attitudes que nous n'avons pas cités tels que le fait de craindre " la mort laquelle toutefois ils se donnent le plus souvent à eux-mêmes " ou encore certains " autres imaginent qu'ils sont coupables de quelque crime, tellement qu'ils tremblent et ont peur depuis qu'ils voient quelqu'un venir à eux, pensant qu'ils veuillent mettre la main sur leur collet, pour les mener prisonniers et les faire mourir par justice ",
or tous ces comportements Foucault les nomme " ensemble de signes ", sans plus...
Ainsi la formulation foucaldienne s'agite non pas sur le contenu de ce que peut signifier pour quelqu'un le fait d'être" bêtes, desquelles ils ensuivent la voix et les gestes " , ce qui laisserait à penser que ceci, cette espèce de devenir-animal, ( à rapprocher du "devenir-cheval du petit Hans" de Deleuze dans " Mille Plateaux "...) est soit un comportement tout à fait banal, ou alors seulement relatif au plaisir de tel ou telle ( Sade, Justine, Juliette...comme nous le lirons en conclusion du livre de Foucault ).
En d'autres termes, la formulation foucaldienne ne s'excite pas sur le contenu de ce que peut signifier pour certains de s'imaginer " coupables de quelque crime " mais surtout, mais essentiellement, mais seulement, sur le système de saisie, qui sous-entend que ce contenu n'est pas en réalité ce que l'on prétend qu'il soit...
De même dans la suite ( pp 106-107 ) Foucault établit une comparaison entre deux descriptions : " Et tandis que Boerhaave ne définit encore la mélancolie que comme " un délire long, opiniâtre et sans fièvre, pendant lequel le malade est toujours occupé d'une seule et même pensée ". Dufour, quelques années plus tard, fait porter tout le poids de sa définition sur la " crainte et la tristesse ", qui sont chargées d'expliquer maintenant le caractère partiel du délire : " D'où vient que les mélancoliques aiment la solitude et fuient la compagnie; ce qui les rend plus attachés à l'objet de leur délire ou à leur passion dominante, quelle qu'elle soit, tandis qu'ils paraissent indifférents pour tout le reste ".
Commentaire de Foucault : " La fixation du concept ne s'est pas faite par une rigueur nouvelle dans l'observation, ni par une découverte dans le domaine des causes, mais par une transmission qualitative allant d'une cause impliquée dans la désignation à une perception significative dans les effets. "

Revenons sur le dernier propos que cite Foucault, celui de Dufour.
Ce dernier tente plus haut dans le texte d'expliquer par “l'humeur froide et noire” le fait que les mélancoliques " aiment la solitude et fuient la compagnie " etc...
Seulement rien ne dit que Dufour avait dans la tête le fait que toute personne aimant la solitude et fuyant la compagnie soit mélancolique, et donc ait le cerveau envahi par cette “humeur froide et noire”.
Dans cette analyse, indépendamment du fait de savoir si elle est vraie ou fausse, Dufour tente seulement d'instituer, semble-t-il, une causalité de type si a alors b, c, x... sans pour autant faire disparaître les notions de " délire " ou de " passion dominante ".
Qu'il y ait surdétermination d'une causalité supposée, cela ne veut pas dire pour autant qu'il y ait là une " transmission qualitative " telle que l’énonce Foucault ; comme si la qualification pouvait, par sa "valeur propre", faire disparaître l'objet pour se mettre à sa place ; ce qui serait un non sens.
Or c’est ce que, pourtant, tente d'expliquer Foucault en présupposant dans ce cas que lui seul sait ce qu'il en est . Ou alors qu'il sait que ces observateurs ont pour unique objet de remplacer le réel par une " perception significative ", la leur. Ce qui est là un procès d'intention dont la procédure implicite vise au fond à peu à peu faire apparaître non pas qu'il y ait erreur dans l'analyse de l'époque, mais surtout qu'il y ait tentative de vouloir analyser quelque chose d'inommable, en fait ; ce qui présupposerait soit que Foucault considère que tous les comportements ainsi énumérés sont des comportements banals, soit qu'il les considère comme porteurs d'autres significations plus fondamentales, qu'il ne dit pas, mais qui sont présentes comme en sourdine et qui, elles, expliqueraient vraiment ce qu'est un délire, une manie, une frénésie, une mélancolie....

En fait Foucault cherche à montrer qu'en réalité il s'agit d'enfermer les fous, ( chapitre II ) bref de les " réduire au silence " ( p 55 ), de les transformer en " insensés ", de les placer à la marge, alors qu'au Moyen-âge, et surtout à " l' âge baroque " dans les arts, au théâtre, le fou était pris en compte comme " détenteur de la vérité ", la folie comme " équivoque du réel et de l'illusion " ( p 51 ) époque où il existe donc comme un " très vif plaisir " à participer " aux vieilles confréries des sots, à leurs fêtes, à leurs réunions, et à leurs discours ". ( p 52 ) .
Ainsi par exemple dans le chapitre III, intitulé " les insensés ", les comportements de la folie sont certes décrits mais ce de façon purement descriptive et déjà avec cet apriori mettant à chaque fois en doute non pas que les remèdes de l'époque soit faux mais que l'idée même de remède soit concevable. Ce qui laisse supposer que de tels types de comportements sont en fait banals. Et que Foucault, on le devine de plus en plus, a sa petite idée sur la question. Il brûle de nous expliquer pourquoi la perception sur la folie change et ensuite annonce l'enfermement, puis l'acception de la folie posée comme " maladie ".
Mais comme il ne peut tout de même guère la déployer en permanence, et dans toute l' ampleur de sa verve, ( ce qu'il a fait plus ou moins dans le premier chapitre mais avec forces citations essentiellement littéraires; ce qu'il fera en conclusion et avec une ferveur telle que l'on a l'impression de lire du Lautréamont lecteur de Sade et d' Ossian ) il lui faut trouver pour l'instant une sorte d' alibi épistémologique.
Il s'agira alors de décrire que le statut social du fou change parce qu ' il dérange.
Ainsi dans ce chapitre III Foucault va nous expliquer, savamment, ( et déjà avec tous ces ourlets qui annonce la prose de " les mots et les choses " ) que, durant le XVIIè siècle, la substitution de la léproserie par l'asile, le rôle de l'asile pour résorber le chômage, tout ceci a en vue l'enfermement d'un autre, d'un " négatif " ( p 77 ) que la société ne veut plus voir.
Et s'enhardissant dans le durcissement de ce qui après tout aurait pu rester seulement à l'état d'hypothèse, Foucault, de plus en plus, se lâche et s'attache moins à analyser qu'à se gausser de toute la " perception morale " qui prétend enfermer la folie dans des acceptions basées sur la faute.
Ainsi ( p 75 ) " l'Hôpital n'a-t-il pas l'allure d'un simple refuge pour ceux que la vieillesse, l'infirmité ou la maladie empêchent de travailler; il n'aura pas seulement l'aspect d'un atelier de travail forcé, mais aussi d'une institution morale chargée de châtier, de corriger une certaine " vacance " morale (...) "
Et Le travail, l'obligation de travail, pour le fou " prend son sens " dans un tel contexte : " à la fois exercice éthique et garantie morale. Il vaudra comme ascèse, comme punition, comme signe d'une certaine attitude du coeur " ( p 75 ).
En fait Foucault est pris là en flagrant délit d'interprétation, au sens vulgaire.
Car, l'on peut fort bien objecter que le travail, même obligatoire, s'affirme non pas comme " punition ", mais, tout simplement, comme occupation afin que l’individu ne soit pas, là, comme livré seulement à ses obsessions, bref reste sans rien faire ce qui peut lui nuire.
Mais cette acception serait déjà pour Foucault de l'ordre de cette " transmission qualitative " dont nous avons fait état plus haut car cette fonction d'occupation concernant le travail "obligatoire", et que les aliénistes de l'époque suppose en effet bénéfique pour les fous, n'a pas pour but de torturer ces derniers ou de les réduire à l'esclavage, mais a en vue de les arracher à leur état de torpeur ou "d'agitation active" ( Janet, 1926,T.2. p 93 ) toute une espèce "d'ardeur" ( Janet, ibid, p 92 ) exacerbée, surtout à vide.

Seulement cette analyse n'effleure, en aucune manière, Foucault, puisqu'il met, de façon apriori, d'un côté, le fou, et, en face de lui ( c'est ce qu'il dira très strictement dans la première page du chapitre consacré aux " figures de la folie " ) le, le quoi? l'on ne sait pas trop, disons le tenant de "la" “pensée classique”qui étudie la " déraison " ( p 88 ), et dont Foucault prétend doctement, pesamment, analyser les " figures de la folie " celles de cette pensée qui les détient comme dessein, et au fond, et ce à la différence du Moyen-Age, et de la Renaissance ( p 88 ), qui les envisage comme projet et surtout comme "regard" ( p 88 ) qui "érige en spectacle" ( p 87 ) la déraison en la séparant de ce qui la met ainsi en face d'elle mais " de l'autre côté des grilles " ( p 88 ).
Car pour Foucault la folie est " devenue chose à regarder : non plus monstre au fond de soi même, mais animal aux mécanismes étranges, bestalité où l'homme, depuis longtemps, est aboli " ( p 88 ).
Pour preuve, Foucault ajoute à ce qu'il vient de dire ce fragment de Pascal qu'il ne commentera pas : " Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête ( car ce n'est que l'expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l'homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute. " ( Pensées -ed. Brunschvicg), n; 339 ).
Ce qui implique, en sourdine, que Foucault, lui, conçoit un tel homme “sans pensée” qui “serait une pierre ou une brute”. C’est même son objectif.
Et d'ailleurs c'est cet aspect " animal " qui maintenant fascine Foucault ( pp 89 et suivantes ) comme s'il décrivait, peut-être, ( en préliminaire ), le " château " de Sade ( cet antre de la " nature " absolument libre : p 296 et suivantes ).
Ainsi concernant les " insensés " particulièrement " dangereux " ( p 89 ) Foucault amorce d'abord le propos en concédant que si " on les maintient par un système de contrainte " ce n'est pas " sans doute, de nature punitive ". "Sans doute"...Foucault n'est donc pas sûr que ce " système de contraintes " ne soit pas " de nature punitive " mais il le concède, du bout des lèvres, car il ajoute aussitôt ( p 89) : " mais qui doit seulement fixer étroitement les limites physiques d'une folie qui fait rage. "
Autrement dit, Foucault veut vérifier si vraiment ce système de contraintes est mis sur pied " seulement " pour fixer " étroitement les limites physiques d'une folie qui fait rage "; un peu comme s'il nous disait presque qu'il décèle, déjà là, une sorte de plaisir sado-maso, non dit bien entendu, mais qui innerverait en quelque sorte les espèces de " jeux de pouvoir " maillant le face à face
Et, en fait, par la suite, ( p 89 ) Foucault se délecte de vérifier cette hypothèse en décrivant ces "insensés" que l'on " enchaîne couramment aux murs et aux lits " ( imaginez alors là l'aubaine pour l'imaginaire d'un lecteur assidu de Sade et/ou de Masoch...). Ainsi à A " Bethléem " ( nom si symbolique...) Foucault relate ( p 89 ) que " les folles agitées étaient enchaînées par les chevilles au mur d'une longue galerie " ( on croit soudain lire Sade, et/ou " Histoire d'O "...); et, précise Foucault, comme s'il s'agissait d'un détail croustillant, " elles n'avaient pour tout vêtement qu'une robe de bure " ; ( petit Robert : bure : " Grossière étoffe de laine brune. Par ext. Vêtement de cette étoffe. La bure du moine. " ).
Or pour Foucault s'imaginer non seulement comme une " folle " ( et ce peut-être y compris au sens homosexuel, genre dragqueen actuelle ) mais aussi comme une folle portant la bure du moine, et... à Bethléem ! c'est, là, une contraction, une concrétion, de symboles qui, nécessairement, excite.
Ce qui signifie, sans doute, qu'enchaînées et habillées ainsi, le " spectacle " s'élève, à d'autres fins qu'une volonté de " seulement fixer étroitement les limites physiques d'une folie qui fait rage " ( p 89 ) ce que précisément veut démontrer Foucault, mais qui, en fait, nous semble, plutôt, l'expression d'une bonne raison et en même temps celle d'un effet pervers.
Car en effet il est tout de même patent de constater que toute personne ne soit pas exempte bien entendu au fait de détourner, dans des conditions données, le sens de telle pratique, et ce afin de l'utiliser en effet comme dévolu, c'est là l'effet pervers.
Mais l'on ne peut pas dire cependant que l'on enchaîne ainsi en vue de mettre seulement en spectacle la folie, voire pourquoi pas, en abuser.
En ce sens, et voilà la bonne raison, il n'est pas dans le projet gnoséologique de la pensée classique que d'interner les folles en vue de les enchaîner au mur avec une robe de bure ; d'autant que cette bure exprime, en fait, une sorte de protection symbolique sacrée protégeant religieusement le corps de la " suppliciée " des tourments du Malin.
Mais, loin de ces subtilités qui ne posent pas aprioriquement que les personnes lorsqu'elles agissent comme acteurs sociaux sont uniquement mûs par les désirs inavoués du sujet individuel, à savoir leur supposée "vraie nature", celle de leur "animalité" que la société normaliserait, Foucault, lui, enfonce le clou, et de telle sorte, que l'on ne sait pas s'il dénonce le détournement de sens, s'il démontre par là que la pensée classique avait en fait des buts inavoués dans cette mise en spectacle ou encore que Foucault est sinon emballé par une telle mise en scène du moins participe également au spectacle via son imaginaire auquel il nous convie.
Ainsi l'observateur devient alors cette suivante qui s'intègre dans le dispositif du tableau, ( celui de Velasquez, dans “ les mots...” mais également, et déjà, celui de Goya : p 296 in " histoire... ).
Par exemple ( p 90 ) Foucault nous décrit, avec moultes détails que dans un " autre hôpital, à Bethnal Green, une femme était sujette à de violentes crises d'excitation : on la plaçait alors dans une étable à porcs, pieds et poings liés " ( là, l'imaginaire du sadien et/ou du lecteur de Masoch est comme chauffée à blanc...et ce n'est pas sans rappeler, à plus petite échelle, les brochures de cinéma X extrême, interdites en France, mais qui se passent sous le manteau, surtout à l'époque de l'adolescence, en provenance des Pays Bas ).
Seulement, la figure du " porc " ,dans la symbolique christique, est celle du démon extrait du dément et placé par Jésus dans un troupeau de porcs.
Ainsi Jésus plaça les démons qui sortait des déments dans un troupeau de porcs qui passait par là, c'est ce que relate les Evangiles :

" Lorsqu'il fut sur l'autre bord, dans le pays des Gadaréniens, deux démoniaques, sortant des sépulcres, vinrent au-devant de lui. Ils étaient si furieux que personne n'osait passer par là. Et voici, ils s'écrièrent : Qu'y a-t-il entre nous et toi, Fils de Dieu? Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps? Il y avait loin d'eux un grand troupeau de pourceaux qui paissaient. Les démons priaient Jésus, disant : Si tu nous chasses, envoie-nous dans ce troupeau de pourceaux. Il leur dit : Allez! Ils sortirent, et entrèrent dans les pourceaux. Et voici, tout le troupeau se précipita des pentes escarpées dans la mer, et ils périrent dans les eaux. " ( Matthieu.8./para/28,29,30,31,32,33 )

Il est alors tout à fait " normal " que la bonne raison, là, soit de placer cette " démoniaque " comme on le dit dans les Evangiles près de porcs afin que le démon supposé s'en aille d'elle et se glisse dans le porc.
Bref, parler de la " folie " et ce même à l'âge classique, sans intégrer dans la grille de lecture non pas seulement la problématique christique mais aussi sa symbolique concrête qui maillent de part en part, nous semble-t-il, les relations sociales et les rapports sociaux, c'est là, très précisément, faire preuve de légèreté, que l'on peut bien entendu évacuer en répondant dans un académisme banal que l'intégration de la pensée christique dans l'étude foucadienne de la " folie " y est présente; sauf que Foucault, lorsqu'il tente de la déceler, le fait de façon abstraite ou alors tente de l'utiliser en vue de légitimer son acception de la folie ( par ex p 103 ).

Il appert donc que l'analyse des méthodes employées à l'époque pour conjurer la folie ne peuvent être détachée non seulement des interactions cognitives et spirituelles avec le discours religieux, mais aussi de sa raison pratique, s'observant au sein même des solutions envisagées. Et si l'on ne souligne pas ceci, alors la façon de faire de " l'histoire " chez Foucault se réduit à n'être, elle aussi, qu' une découpe, et donc à devenir un visage de la folie qui, cependant, prétend être le seul vrai, ce qui démontre bien là les propensions idéocratiques.
Mais Foucault n' en a cure de repérer dans la pratique des acteurs et des agents cette correspondance avec la symbolique christique ; il s'en joue ; tant il est emporté par son apriori qui, d'ailleurs, n'est pas avare de détails puisqu'il ajoute encore concernant cette même femme :
" la crise passée, on l'attachait sur son lit, protégée seulement par une couverture; quand on l'autorisait à faire quelques pas, on ajustait entre ses jambes une barre de fer, fixée par des anneaux aux chevilles et rattachée à des menottes par une courte chaîne. " ( p 90 ).
Luxuriance de détails également où il est question " d'un fou réputé furieux : il était attaché par une longue chaîne qui traversait la muraille, et permettait ainsi au gardien de le diriger, de le tenir pour ainsi dire en laisse de l'extérieur; au cou, on lui avait mis un anneau de fer ..." (.etc... p 90 ).
La litanie vient mourir dans cette explication : " Lorsqu'elles atteignent ce paroxysme dans la violence, il devient clair que ces pratiques ne sont plus animées par la conscience d'une punition à exercer, non plus que par le devoir de corriger. l'idée d'une résispiscence qui est étrangère totalement à ce régime. "
Ainsi " il devient clair " qu'il ne s'agit plus de " punition " ou de " devoir de corriger ", bref, la " résispiscence " est étrangère " totalement " à ce " régime "...
Or, il ne s'agit pas de résispiscence, mais d'exorcisme.
Et ce non pas de la " faute " mais du " démon " supposé, si l’on admet que dans le cadre de référence christique dominant l’époque cette dernière causalité supposée domine toutes les autres
Foucault, lui, a son constat tout fait : " c'est une sorte d'image de l'animalité qui hante alors les hospices ". Qu'est-ce à dire? Ceci : " La folie emprunte son visage au masque de la bête " ( p 90 ).
De ce fait pour Foucault si ces gens sont ainsi enchaînés c'est parce que les enchaîneurs croient voir en eux " des bêtes en proie à une rage naturelle " ( idem), alors qu'il n'en est rien bien entendu pour Foucault, qui sait, lui, que les enchaînés le sont uniquement pour correspondre à ce que pensent d'eux les enchaîneurs...
On nage en plein non sens.
C'est-à-dire dans une apriorisation qui plaque une idée préalable sur la folie et voit alors en tous ces enchaînés non pas des individus ne pouvant, tout simplement, ne plus se maîtriser, mais des victimes de maîtres, ceux de l'ordre social qui crée ce " modèle de l'animalité "( p 91 ) et qui " s'impose dans les asiles et leur donne leur aspect de cage et de ménagerie ". ( id.).
En fait le seul argument que Foucault tire de temps à autre de son chapeau, c'est qu'au fond ces supposés fous auraient pu être aussi bien dehors; ce qui implique que si on les enchaîne ainsi c'est donc bien pour correspondre à une idée préalable.
A ceci trois choses avant de poursuivre le commentaire :
1/ D'une part rien ne dit que ces " fous ", dans un contexte urbain, et une saturation démographique donnée, et donc ne pouvant se cacher comme ils le veulent, restent paisibles en permanence, et ce à leurs corps défendant, ou à l'inverse que les interactions se fassent sans problème et que personne ne prenne " peur ".
2/ D'autre part, et c'est l'essentiel, Foucault sait-il vraiment ce qu'est la folie réelle ?...Il suffirait pourtant de lire Janet....
Mais disons d'ors et déjà que la position de Foucault consiste en ce qu'il ne nie pas nécessairement le fait que la folie puisse avoir comme des poussées d'énergies se déclenchant de façon abrupte et à terme dangereuse, encore qu'il conteste ici et là cet aspect, Foucault considère que c'est précisément cette dangerosité, là, qu’il recherche, qu’il admire, car elle forme la " liberté absolue " ( p 104 ); celle de l'animalité vraie qui hantait l'Antiquité et le Moyen-Age en tant qu'elle est " l'indice " d'un " au-delà " ( p 92 ).
C'est, là, , pour Foucault ( et Derrida lui empreintera le pas ) le secret, lui-même , celui de la folie, son génie, au plus près de la vie dans son surgissement brut ; toute la conclusion de Foucault est d'ailleurs construite de ce terreau via la litanie habituelle : Sade, Lautréamont, Nietszche, Arthaud...
Ainsi ce dont il est question ce n’est donc pas non pas seulement l'image de la " brute "mais par quelque biais celui d'une sorte de dieu, celle du Surhomme, celui de Nietszche, celui des nazis, des léninistes, réceptacle d'une Force, qu'elle vienne de la Vie, pour les premiers, de la Matière pour les seconds, tel est cet " esthétisme pré-fascisant " dont parle Walter Benjamin ( in Hollier, "le collège de sociologie", p 586, ed. idées/Gallimard ) , esthétique qui est le prélude, extatique, au désir, au plaisir, plastique, du viens de la nuit, celle de l'obscur, celle qui vient, vol de ceux qui parlent au nom de " l'incommunicable " : Benjamin ( ibidem ).

3/ Enfin, ces " fous " ne le sont pas sur une île déserte, en Grêce, ou dans le désert du Sahara, ou du Sinaï.
Ils s'insèrent dans une société donnée ayant tel système d'interactions stabilisées dans tel type d'institutions, telles trames symboliques d'explication, ce qui explique nécessairement que le rapport aux " fous " change selon les circonstances, la méthode à la mode, les modèles dominants en effet... mais ce, non pas dans le but que les " fous " correspondent à ce que l'on entrevoit d'eux, mais bien de les " guérir " ou effectivement de les placer lorsque personne ne sait qu'en faire ( car à l'époque le " samu social " n'existait pas... mais il y avait beaucoup d'Abbé Pierre, avec la compréhension de leur temps...)
Mais Foucault fort de son " modèle de l'animalité " ( p 91 ), s'empresse de le valider en citant, et à la suite, Coguel, Esquirol, Fodéré.
Ainsi pour le premier, visitant la Salpêtrière à la fin du XVIIIè siècle, il décrit des " folles atteintes d'accès de fureurs " et qui sont " enchaînées comme des chiens à la porte de leur loge, et séparées des gardiennes et des visiteurs par un long couloir défendu par une grille de fer (...) " ( p 91 ); tandis que pour Esquirol, Foucault s'appuie sur son étonnement : " Jamais Esquirol n'avait vu " un tel luxe de serrures, de verroux, de barres de fer pour raffermir les portes des cachots (...) " ( idem ). Fodéré, lui, voit à l'hôpital de Strasbourg " en 1814 " s'empresse d'ajouter Foucault ( cette frénésie des dates, bien placées, étant l'une de ses manies...Deleuze, lui, préfère les notes, très savantes, en bas de page... ) Fodéré " trouve installée, avec beaucoup de soin et d'habilité, une sorte d'étable humaine " ( p 91 ) puis Foucault cite ce qu'y découvre Fodéré...
Et si Foucault semble concéder ( p 92 ) que l'on " a là, bien entendu, tout un système de sécurité contre la violence des aliénés et le déchaînement de leur fureur ", c'est pour tout de suite l'infirmer, le rogner en ajoutant " Ce déchaînement est réfléchi d'abord comme péril social "( id ). Ainsi ce n'est pas pour les " aliénés " que tout ceci se met en branle, mais uniquement en vue de conjurer le " péril social ".
Bref, toute personne se penchant sur ces gens est tout de suite catalogué de contrôleur social. Et pis encore, derrière cette réflexion qui voyant le déchaînement de l'aliéné, l'appréhende, " d'abord ", comme " péril social ", se cache pour Foucault quelque chose de plus " important " ( p 92 ) : " ce qui est important surtout, c'est qu'il est imaginé sous les espèces d'une liberté animale ".
Or cette " liberté animale "et cette " peur animale, qui accompagne, avec tout son paysage imaginaire, la perception de la folie, n'a pas le même sens que deux ou trois siècles plus tôt " ( p 92 ).
C'est là la thèse centrale, nous l'avons dit plus haut.
La " métamorphose animale " n'est plus le " signe visible " de forces inhumaines ; l'animal " en l'homme " n'a plus de " valeur d'indice pour un au-delà " ; l'animal est seulement devenu " sa folie, sans rapport à rien d'autre qu'à elle-même : sa folie à l'état de nature " ( p 92 ) et c'est ceci, pour Foucault, qui fait peur à une pensée qui, effaçant les arrières mondes, se retrouve brusquement devant l'animal-homme.
Cependant, pour Foucault en l’observant de la sorte" l'époque classique " manifeste " avec un singulier éclat le fait justement que le fou n'est pas un malade " ( p 92 ) et ce " au contraire " de ce " jour où cette présence de l'animalité dans la folie sera considérée dans une perspective évolutionniste, comme le signe -bien plus, comme l'essence même de la maladie ".
Ainsi si l'Antiquité, le Moyen Age voient la folie comme indice d'un au-delà, la pensée classique, elle, perçoit dans la folie " l'homme en rapport immédiat avec son animalité, sans autre référence, ni aucun recours " ( p 92 ) tandis que " viendra un jour " où la folie sera " comme l'essence même de la maladie ".
Foucault avance donc une thèse pour le moins entourloupée.
Tout d'abord ( p 94 ) il résume le trait essentiel de l'époque classique : " Curieusement, le trouble de la raison restitue le fou à la bonté immédiate de la nature, par les voies du retour à l'animalité. "
Puis Foucault avance sa thèse :
" C'est pourquoi, à ce point extrême, la folie relève, moins que jamais, de la médecine; elle ne peut pas appartenir davantage au domaine de la correction. Animalité déchaînée, on ne peut la maîtriser que par le dressage et l'abêtissement. "

Fini donc l'enchaînement, place au " dressage et l'abêtissement " dont Foucault donne moultes détails, via Pinel, et où il est question par exemple d'un " insensé " qui, s'il refusait " de se coucher ou de manger " était menacé dit Pinel de " dix coups de nerfs de boeufs ".
En revanche, note Foucault " s'il était soumis et docile ", on lui faisait, dit Pinel " prendre ses repas au réfectoire, à côté de l'instituteur ".
Plus loin Foucault cite encore Pinel qui parle d'une méthode visant à guérir de la " manie ". Ainsi " vers le milieu du XVIIIè siècle” un " fermier du Nord de l'Ecosse " fit travailler les " aliénés " comme " bêtes de somme ", domestiques, tout en les menaçant de coups à la moindre incartade ( p 95 )
Seulement, pour Foucault " le sens " de ce " dressage " n'est pas " d'élever le bestial vers l'humain, mais de restituer l'homme à ce qu'il peut avoir de purement animal. La folie dévoile un secret d'animalité qui est sa vérité, et dans lequel, en quelque sorte elle se résorbe " ( p 94 ), ou encore " (...) lorsque le fou est devenu une bête, cette présence de l'animal en l'homme qui faisait le scandale de la folie s'est effacée : non que l'animal se soit tu, mais l'homme lui-même s'est aboli. (...) "

Observons maintenant que cette dernière réflexion foucaldienne n'est rien d'autre qu'une construction, certes habile, et prolixe, mais ne se fondant encore une fois que sur une lecture apriorique non fondée du problème posé.
En effet, et sans remonter à l'animal-machine de La Mettrie et de Descartes, ce qui est perçue, c'est moins l'animalité, que l'espèce de machine, non plus infernale certes, mais machine tout de même qui semble déclencher automatiquement tout un ensemble d'effets non maîtrisables, cet " automatisme psychologique livré à lui-même " comme le disait autrefois Janet ( " L' automatisme psychologique " 1899 . p 478 ) déployant n’importe comment tout en les déconnectant de plus en plus “ actes primaires et secondaires” ( idem 1926 )..
Pour contrecarrer cette désorganisation il s'agit alors plutôt, semble-t-il, de repérer, dans le comportement, ce qui fait effet d'accoutumance, d'incitation et d'inhibition. Ce qui implique un mélange abrupt mais étroit de carotte et de bâton. A l'instar des enfants, auxquels l’on compare parfois les fous d'ailleurs, enfants-fous en quelque sorte ( enfant-loup ) que l'on “dresse” en effet, mais cela se nomme plutôt ré-apprentissage qui a pu certes s'apparenter à du dressage au sens littéral selon les cas mais qui visait essentiellement à l'apprivoisement, à la domestication sociale, et non à l'abêtissement ou à cette idée absurde de croire qu'il s'agissait de réduire l'homme afin d'y dresser la bête.
Une lecture, de type anti-coercitif ou sadien, ici, n'était donc pas de mise.
Et lorsque Foucault, loin de ces précautions épistémologiques, nous parle de ces travaux à la ferme, ceci n'est pas sans rappeler tout de même que cette méthode est aujourd'hui appliquée afin de réapprendre, aux déphasés divers, " les actes primaires et secondaires qui constituent le déroulement et la régulation de l'action " ( Janet. 1926. De l'angoisse à l'extase. ) tels que s'occuper à faire diverses besognes, y croire, ( par ex T.1 p 224 ), les finaliser ( par ex p 231 ) et ce en vue non pas d'annuler l'homme mais de le reconstruire en tant qu'être social.

D'ailleurs, remarquons dans une rapide digression que chez Janet, comme chez Nuttin ( 1991 ), il n'y a pas une " pensée primitive individuelle non socialisée “ d'un côté, et “ une pensée plus développée qui est essentiellement une pensée sociale "( id. pp 268,269 ) de l'autre.
En un mot, et concernant plus spécifiquement notre objet ici, Janet ne peut
" admettre que la pensée du névropathe ou de l'aliéné ait perdu les caractères de la pensée sociale et soit revenu à un état de coenesthésie individuelle. Le malade délire, il a donc encore des croyances, or la croyance et la volonté ne sont au fond que des promesses, des pactes, des commandements à soi-même, c'est-à-dire des phénomènes profondément sociaux. Tous les phénomènes psychologiques situés au-dessus des conduites sociales élémentaires qui sont parmi les conduites très primitives reposent sur des actions sociales et sont sociales par quelque côté. Il faudrait que le malade soit tout à fait dément, ait perdu le langage et les conduites sociales, soit réduit à des conduites perceptives et réflexes pour que l'on puisse parler d'une conduite non socialisée. Même dans ce cas je n'oserai pas dire qu'il est envahi par des sensations trop personnelles, trop individuelles et incommunicables. Les réflexes primitifs sont au contraire d'une grande banalité et se retrouvent les mêmes chez une foule d'êtres vivants. Je suis disposé à croire que l'originalité et l'individualité ne se trouvent pas au point départ dans les formes élémentaires de la vie, mais au terme de l'évolution, dans les formes de conduite et de pensée les plus complexes. Nous créons l'individualité, nous ne la trouvons pas toute faite dans les phénomènes élémentaires. ( 1926. T.1, p 269. ed. 1975 ), ce qui implique qu'occuper les aliénés vise à les renouer avec la vie sociale.

Quoi qu'il en soit, et pour revenir à cette espèce d' empirisme naturaliste de l'époque classique, qui ressurgit par ailleurs dans les behaviorismes pavlovien et skinnerien,
-( behaviorismes qui se distinguent car le premier se base sur le conditionnement tandis que le second s'appuie sur la notion de renforcement et l'animal est libre de ses mouvements, mais behaviorismes qui n'ont rien à voir cependant avec la psychologie de la conduite de Janet, par ex :1926, qui est loin d'être un positivisme, et se rapproche plutôt de la psychologie cognitive actuelle en ce sens que pour cette dernière l'action et son succès renforce ou infirme " le shéma cognitif abstrait préalablement élaboré " in Georges Chapouthier. Mémoire et cerveau. P 17. 1988. Ed. du Rocher, voir également Nuttin 1991 )-,
nécessairement cette méthode de punition-récompense adoptée par les aliénistes que cite Foucault, tel Pinel, vise beaucoup plus à affaiblir les effets d'accoutumance, les idées fixes tournant à l'obsession, bref, à maîtriser la machine qui, en l'homme, s'emballe comme un animal sauvage, que de tenter de faire, à tout prix, correspondre le fou à une vision apriori. Autrement dit de le créer en quelque sorte.
Qu'ils aient eu raison ou tort , relève d'un autre débat qui ne peut se soustraire aux données propres à l'époque et qui de toute manière n'enlève rien au fait que ces fous ne sont pas d'abord perçus comme " péril " ou " animal " mais comme ces personnes qui ne se comportent plus en effet, au sens littéral : ils ne se portent plus, sont là comme en suspens, non pas volontaire, mais forcé.
Bien entendu Foucault est à mille lieux d'une telle réflexion, tant il semble enfermé dans son histoire d'animalité de la folie qui trouve in fine trouve sa résonnance dans " l'oeuvre de Lautréamont " ( p 96 ) et dont l'objectif ultime, lorsqu'elle est une pratique sociale, serait non pas de tenter quelque chose envers ces " insensés " mais de dresser la bête en eux, bref, de les faire encore une fois correspondre au concept, ce qui est là encore et toujours un procès d'intention visant les procédures mêmes de saisie, et ce, à partir d'une idée, préconçue, de la folie que Foucault, à ce stade, ( p 98 ), tente de fonder maintenant comme une connivence entre la folie telle qu'il la voit lui et un supposé " christianisme classique " ( p 98 ) qui aurait parlé de " la folie de la Croix " ( idem).

Ainsi est-il maintenant question de " la folie de Dieu fait homme " pour ce " christianisme classique " symbolisé bien entendu par Pascal et qui grâce à lui " conservait encore sa vigueur, et sa valeur de manifestation " ( p 98 ).
Seulement ceci " n'aura plus de sens bientôt pour la pensée chrétienne sauf celui peut-être de montrer dans toutes ces consciences scandalisées autant d'âmes aveugles : ( ici pas de nom accolé à la citation qui va suivre, s'agit-il de Pascal? ) " Ne souffrez pas que votre croix qui vous a soumis l'univers soit encore la folie et le scandale des esprits superbes " . Foucault poursuit : La déraison chrétienne, les chrétiens eux-mêmes la repoussent maintenant dans les marges de la raison devenue identique à la sagresse du Dieu incarné. Il faudra attendre, après Port Royal, deux siècles -Dostoïewski et Nietzsche-pour que le Christ retrouve la gloire de sa folie, pour que le scandale ait à nouveau un pouvoir de manifestation, pour que la déraison cesse d'être seulement la honte publique de la raison. " ( p 99 ).

Ici donc Foucault place, très adroitement, un lien entre son acception et une supposée " folie " du Christ, plus précisément " la folie de Dieu fait homme " ( p 98 ) ;
locution que Foucault prête à un " christianisme classique " dont on ne sait trop à quoi il renvoit, à part Pascal, voire quelque métaphore de Saint Paul, mis à contribution pour valider cette recherche en légitimation qui vient se conclure et s'arrimer chez Dostoïewski et Nietzsche, adoubés " d'un pouvoir de manifestation ", celui du " scandale ", le scandale " pour que le Christ retrouve la gloire de sa folie ", celle de " Dieu fait homme ".
Ce qui implique ceci : la folie de Dieu fait homme, c'est alors, par récurrence, l'homme qui se sentant fou, devient Dieu, comme le Christ..
Autrement dit pour devenir Dieu il faut être fou...Et pour devenir fou ? Il faut le " scandale " celui de la " déraison ", qui doit par ailleurs cesser " d'être seulement la honte publique de la raison ", et heureusement Dostoïewski et Nietzsche montrent la voie.
Mais aussi " saint Vincent de Paul " ( p 99 ); Foucault va ainsi chercher chez lui la confirmation de ses acceptions, car ce saint homme, s'adressant à " ceux qui doivent dans les maisons d'internement veiller sur les hommes en démence, saint Vincent de Paul rappelle que leur " règle est en ceci Notre-Seigneur lequel a voulu être entouré de lunatiques, de démoniaques, de fous, de tentés, de possédés ". Ces hommes livrés aux puissances de l'inhumain forment autour de ceux qui représentent la Sagesse éternelle, autour de celui qui l'incarne, une perpétuelle occasion de glorification : puisqu'à la fois ils exaltent, en l'entourant, la raison qui leur a été déniée et lui donnent prétexte à s'humilier, à reconnaître qu'elle n'est accordée que par grâce divine ". ( p 100 ).
Fort d'un tel soutien, Foucault s'enhardit et va alors pousser très loin le bouchon : " Mais il y a plus encore : le Christ n' a pas voulu seulement être entouré de lunatiques, il a voulu lui-même passer aux yeux de tous pour un dément, parcourant ainsi, dans son incarnation, toutes les misères de l'humaine déchéance : la folie devient ainsi la forme ultime, le dernier degré du Dieu fait homme, avant l'accomplissement et la délivrance de la Croix (...) "( p 100 ).
Là, on croit rêver.
Ainsi le Christ aurait " voulu " et " lui-même " passer " aux yeux de tous " pour un " dément "; autrement dit " la folie devient ainsi la forme ultime ", la folie comme " forme ultime ", c'est, littéralement, hallucinant...
Foucault sait-il vraiment ce qu'est une "forme ultime" dans la folie?
Oui. C'est " le dernier degré du Dieu fait homme " ( p 100 ); il y a donc plusieurs degrés " du Dieu fait homme " et la folie est le " dernier "; mais le dernier avant quoi? " avant l'accomplissement et la délivrance de la Croix ", avant donc le sacrifice.
Il faut donc être fou pour se sacrifier...ce qui, pris à la lettre, ne dépasse pas le sens raisonnable, qui se trouve contredit dialectiquement cependant, par le moindre soldat, patriote, résistant, comme le sens raisonnable le sait bien également.
Sont-ils donc tous fous, d'abord, et fou, au dernier degré, ensuite, si l'on pouvait prendre toute cette gnose, cette térato-gnose, ce faux, sur le ton de la galéjade, (mais il le faut...) alors que Foucault, imperturbable, met toute cet exégèse sur le dos du " christianisme classique ".
Il y construit une impression de correspondance parfaite entre son acception sous-jacente de la folie et le fait qu'il pense en voir la confirmation dans tel propos et qui va alors tenir lieu de preuves.
Ainsi il y aurait donc, dans l'horizon de la " Croix ",
l' accomplissement et la délivrance, mais il faut atteindre le " dernier degré " pour ce faire; autrement dit donc, si non folie il y a, pas de sacrifice, et donc pas d'accomplissement et de délivrance.
A ce stade, ( que l'on croirait presque sorti d'un Véda lu par Schopenhauer...) Foucault s'empresse alors, et dans le corps du texte d'accoler à ce qu'il vient d'annoncer une citation de saint Vincent de Paul, ( et Foucault nous glisse dans une petite note savante : " Saint Vincent fait ici allusion au texte de saint Paul ( I Cor.,I,23 ) : Judoeis quidem scandalum, gentibus autem stultitiam ), -citation qui va confirmer de façon éclatante son propos puisque le mot de folie y apparait en toutes lettres- :
" O mon sauveur, vous avez voulu être le scandale des Juifs, et la folie des Gentils; vous avez voulu paraître comme hors de vous; oui, Notre-Seigneur a voulu passer pour insensé, comme il est rapporté dans le Saint Evangile, et que l'on crût de lui qu'il était devenu furieux. Dicebant quoniam infurorem versus est. (...) " ( p 1OO ).
Commentaire de Foucault : " (...) Venant au monde, le Christ acceptait de reprendre tous les signes de la condition humaine et les stigmates mêmes de la nature déchue; (...) Et parce qu'elle a été une des formes de la Passion - la forme ultime en un sens, avant la mort -la folie doit devenir chez ceux qui en souffrent maintenant objet de respect et de compassion. " ( p 100 ).
La folie est devenue donc la " forme ultime en un sens " de la " Passion " et c'est donc pour cela qu'elle est " objet de respect et de compassion " et non pas bien entendu parce que les fous quand bien même le sont-ils restent des créatures de Dieu, non, cette lecture n'est pas faite par Foucault qui subordonne l'acceptation de la folie comme objet de respect et de compassion, parce que la folie est " l'une des formes ", la “forme ultime” de la Passion : le fou est reconnu parce qu'il correspond au concept qui s'intègre au Concept même : la Passion. CQFD.
Et comme pour parfaire le tour de passe passe, Foucault va même jusqu'à aller faire état que le " 29 mars 1654, saint Vincent de Paul annonçait à Jean Barreau, congréganiste lui-même, que son frère venait d'être interné à Saint-Lazare comme dément (...) " ( p 101 ).

Par la suite Foucault résume sa thèse :
" (...) le déraisonnable n'est pour nous qu'un des modes d'apparition de la folie ", avec " tout son cortège pathologique " ; au contraire, pour " l'homme classique, la folie n'est pas la condition naturelle, la racine psychologique et humaine de la déraison; elle en est seulement la forme empirique; et le fou parcourant jusqu'à la fureur de l'animalité la courbe de la déchéance, dévoile ce fond de déraison qui menace l'homme et enveloppe de très loin toutes les formes de son existence naturelle. Il ne s'agit pas d'un glissement vers un déterminisme, mais de l'ouverture sur une nuit. Plus que tout autre, mieux en tout cas que notre positivisme, le rationalisme classique a su veiller, et percevoir le péril souterrain de la déraison, cet espace menaçant d'une liberté absolue. " ( p 104 ).
Décodé cela signifie que si nous voyons à l'époque actuelle la folie comme " déterminisme où s'abolissent progressivement toutes les formes de liberté " ( p 103 ), la pensée classique, elle, voit la déraison comme " cet espace menaçant d'une liberté absolue "( p 104 ).
Plus encore, il ne s'agit pas " d'un glissement vers un déterminisme, mais de l'ouverture sur une nuit " ( p 104 ).
Or, lorsque l'on sait l'importance du mot " nuit " pour le premier romantisme allemand ( par ex : Novalis ), dénaturé par un Blanchot ( par ex in " L'espace littéraire "), son emploi, ici, en conclusion de chapitre, annonce en quelque sorte et de moins en moins implicitement via une simili opposition entre époques, l' apriori eschatologique laissant subodorer qu'il suffirait au fond d'aller dans la folie pour connaître " la liberté absolue "...
C'est-à-dire devenir non seulement l'Incarnation, la " folie de la Croix ", mais au-delà encore, celui de la nuit, la nuit orphique, la nuit du Moyen-Age avec toutes ses forces obscures ; non seulement cette vérité de la Nature ( p 296 ), mais celle de son automatisme, chose, machine, que la " liberté absolue ", celle de la " subjectivité " ( ibid ) peut exacerber, déployer jusqu'à l'exubérance, l'effervescence, et que tente de conjurer la pensée classique mais de moins en moins puisque les jalons de l'ordre social psychiatrique vont peu à peu apparaître.

Ainsi en conclusion générale Foucault peut-il énoncer en commentant Sade ( pp 297-300 ):

" (...) La fameuse Société des Amis du Crime, le programme de Constitution pour la Suède, quand on les dépouille de leurs cinglantes références au Contrat social et aux constitutions projetées pour la Pologne ou la Corse, n'établissent jamais que la rigueur souveraine de la subjectivité dans le refus de toute liberté et de toute égalité naturelles : disposition incontrôlée de l'un par l'autre, exercice démesuré de la violence, application sans limite du droit de mort -toute cette société, dont le seul lien est le refus même du lien, apparaît comme le congé donné à la nature -la seule cohésion demandée aux individus du groupe n'ayant pour sens que de protéger non une existence naturelle, mais le libre exercice de la souveraineté sur et contre la nature. (...).
(...). Ce qui était encore péripétie chez Justine -évènement subi, donc nouveau -devient, dans Juliette, jeu souverain, toujours triomphant, sans négativité, et dont la perfection est telle que sa nouveauté ne peut être que similitude à soi-même. Comme chez Goya, il n'y a plus de fond à ces Disparates méticuleux. Et pourtant dans cette absence de décor, qui peut être aussi bien totale nuit que jour absolu ( il n'y a pas d'ombre chez Sade ), on avance lentement vers un terme : la mort de Justine. (...). Cette mort qui semble échapper au règne insensé de Juliette lui appartient plus profondément que toute autre ; la nuit de l'orage, l'éclair et la foudre marquent suffisamment que la nature se déchire, qu'elle parvient à l'extrême de sa dissension, et qu'elle laisse apparaître dans ce trait d'or une souveraineté qui est elle-même et tout autre qu'elle-même : celle d'un coeur en folie qui a atteint, dans sa solitude, les limites du monde qui le lacère, le retourne contre lui-même et l'abolit au moment où l'avoir si bien maîtrisé lui donne droit à s'identifier à lui. Cet éclair d'un instant que la nature a tiré d'elle-même pour frapper Justine ne fait qu'une seule et même chose avec la longue existence de Juliette qui elle aussi disparaîtra d'elle-même, sans laisser ni trace ni cadavre, ni rien sur quoi la nature puisse reprendre ses droits. Le néant de la déraison où s'était tu, pour toujours le langage de la nature, est devenu violence de la nature et contre la nature, et ceci jusqu'à l'abolition souveraine de soi-même. Chez Sade, domme chez Goya, la déraison continue à veiller dans sa nuit ; mais par cette veille elle noue avec de jeunes pouvoirs. Le non-être qu'elle était devient puissance d'anéantir. A travers Sade et Goya, le monde occiental a recueilli la possibilité de dépasser dans la violence sa raison, et de retrouver l'expérience tragique par-delà les promesses de la dialectique. "

Décodé, cette supposée correspondance, cette équivalence, arbitraire, entre " liberté absolue " ( la mort chez le Hegel de 1807...), " souveraineté de la subjectivité ", " néant de la déraison " et " folie " qui aurait été " recueilli " par le " monde occidental " via " Sade et Goya " , ( ce qui est d'un risible sans pareille, comme si violence et déraison pouvait attendre une instruction, externe, référentiel, pour se déclencher... ), ce galimatias permet alors à Foucault non pas d'expliquer mais de légitimer déjà " ce que toute oeuvre comporte à la fois de meurtrier et de contraignant ". ( p 300 ).
Toute une " puissance d'anéantir " ( ibid ) donc.
Celle de la " nature devenue subjectivité criminelle ", telle par exemple cet " éclair d'un instant que la nature a tiré d'elle-même pour frapper Justine " et qui " ne fait qu'une seule et même chose avec la longue existence de Juliette ", c'est-à-dire cette " toute-puissance " enfin redevenue " libre " gràce à " ce trait d'or " ( le meurtre ), " trait d'or " qui ne dure qu'un " éclair ",.et donc atteint son apogée à la lumière de sa propre absence, voilà l'oeuvre même, celle de la mort.
Cette " abolition souveraine de soi-même " est alors un moyen permettant de " retrouver l'expérience tragique ".
Car "retrouver l'expérience tragique " signifie retrouver enfin ce monde, cet âge d'or, ( et son "trait d'or" ), lorsque tuer, dans une absolue souveraineté, ne posait pas tant de problèmes, comme aujourd'hui, puisqu'il n'était pas question de responsabilité individuelle mais seulement de forces obscures dont l'individu n'était que le pli instantané, et brutalement mis en oeuvre, déplié. C’ est-à-dire trouvant par ce biais une souveraineté, celle de l'oeuvre qui, au moment même où elle atteint son " midi " disparaît : par la mort. Comme l' Eurydice de Blanchot devenant oeuvre au moment même où elle meurt : oeuvre achevée.
Ainsi ceci n'est pas seulement folie conclut Foucault, et c'est ce qui nous importe ici : la folie pour lui n'est qu'un moyen dernier pour abolir, achever l'oeuvre.

Mais en ce sens, alors, il s'agit bel et bien de préméditation, celle du crime contre l’humanité ( ici contre le sens de l’homme ) et qui a en quelque sorte besoin de la folie ( le regard sans iris, le voir sans regard de Blanchot-Bataille...) afin de passer dans cet état second qui ensuite permet d'atteindre la " souveraineté absolue " : tout ceci est parfaitement et cognitivement correct, la folie étant là comme variable intermédiaire :
" (...) Il n' y a de folie que comme instant dernier de l'oeuvre -celle-ci la repousse indéfiniment à ses confins ; là où il y a oeuvre, il n'y a pas folie ; et pourtant la folie est contemporaine de l'oeuvre, puisqu'elle inaugure le temps de sa vérité. L'instant où, ensemble, naissent et s'accomplissent l'oeuvre et la folie, c'est le début du temps où le monde se trouve assigné par cette oeuvre, et responsable de ce qu'il est devant elle. (...) ".
Seulement le " monde " a bon dos... A moins de lire en fait ces lignes à la façon performative :
Le "début du temps", c'est ce moment où est " retrouvé l'expérience tragique "...par Foucault...à la suite de divers auteurs illustres bien entendu...qui servent là d'ailleurs ( Sade Nietzsche, Artaud...) beaucoup plus comme faire valoir...
Début du "temps " donc et dans lequel le " monde " se " trouve assigné par cette oeuvre ", c'est-à-dire, celle précisément que Foucault vient de décrire : “ histoire de la folie... “...
. Foucault " assigne " donc le " monde " à devenir " responsable de ce qu'il est devant elle "...
En d'autres termes, puisque le " monde " et spécialement le " monde occidental " ( p 300 ) a " recueilli la possibilité de dépasser dans la violence sa raison " et donc par là de " retrouver l'expérience tragique par-delà les promesses de la dialectique ", alors Foucault le somme, l' " assigne " à voir en fait dans l'oeuvre de Foucault, son propre miroir, mais l'éclair d'un instant, celui de la mort.
Et l'oeuvre de Foucault, qui est donc comme son " trait d'or ", se légitime en ce sens qu'elle détruit la compréhension monde, et elle le révèle au moment même où elle le détruit. Par exemple en racontant n'importe quoi sur la " folie " tout en (dé)voilant ce presque rien. Et peint ainsi, cette monstration, ce monstre,devient la " vérité " adoubée, celle de la toute puissance du mot qui atteint sa perfection au moment même où il fait pourtant disparaître le réel puis disparaît en même temps comme trace, raison, laissant, après la lecture, seulement un trait, une réflexion, celle de la folie possible comme liberté absolue comme devoir de mort si l’on veut être effectivement libre, totalement, et dont "Histoire de la folie" est un(e) des faux. .


Ainsi, et pour en revenir au corps principal de l'oeuvre foucaldienne, nous pouvons observer comment Foucault détruit le regard de chaque acteur de " l'ordre social " considéré, en y introduisant des remarques qui à chaque fois construisent en même temps.
A savoir, comment la psychiatrie aurait construit intentionnellement son objet. Non pas à partir du savoir propre à l'époque, mais selon ce que Foucault croit y voir : en vue de l’enfermement, d’abord dans des catégories puis dans des cages.
Et comme dans le tableau de Velasquez Foucault peint non seulement le psychiatre mais aussi ce que celui-ci peint. Puis Foucault le montre aux ignorants comme ce qu'il faut voir. A savoir qu'il n' y a rien à voir sinon la répétition d'un éclair qui tue toute possibilité de savoir et s'y substitue à l'infini, sans autre contenu que cette seule répétition.
A l'instar d'un "implexe" ( Valéry 1934, " L'idée fixe " ) infini, d'une image en spirale ou en colimaçon, celle d'une " vache qui rit " ( tout en ruminant Bataille ruminant Blanchot ruminant Nietzsche en train de mourir de rire à Turin, rire de l'éternel retour que bégaye encore aujourd’hui le dernier faisceau Derrida-Lyotard-Bourdieu, au delà de leurs divergences tactiques ).

Notons également, mais juste en passant, et dans une légère digression, que cette façon de faire, non pas l'ensemble, mais juste cette introduction de traces, que l'on a soi-même placé pourtant, nous rappelle un reportage télévisé dans lequel l'on voyait un jeune professeur de français, algérien, formé en France, expliquer à ses élèves, en Algérie, ce qu'était le " regard " de l'écrivain " occidental "par exemple tel texte de Maupassant décrivant telle scène quotidienne à Alger et énumérant la saleté, la misère..., or, pour ce professeur, il s'agissait non pas d'une " description " universelle constatant saleté et misère mais uniquement l’ apriori d'une analyse " occidentale ", de type coloniale, qui construisait ainsi la facticité de son objet...
Ce qui peut alors expliquer ensuite le ressentiment des élèves contre la France et son regard " anthropologocentrique "... ce qui peut surtout expliquer en quoi une telle analyse détruit en réalité non pas " la " raison mais toute perception qui est alors renvoyé à son champ d'émergence, son " éclair ", sa différence.


BB

Second exemple de maquillage visant à effacer le détournement du mot “ folie “


Reprenons maintenant notre analyse du faisceau foucaldien en examinant à nouveau son potentiel de faux..
Foucault, n'aurait par exemple rien écrit sur la " folie " comme situation mentale, et ce que ce soit à l'époque d' " Histoire de la folie ", ou maintenant, ce qu'il réitère dans un interview en 1982 ( ed gallimard, Dits et écrits/ 1983, pp 536,537 ) :

-(...) J'ai écrit un livre sur l'histoire de la psychiatrie du XVIIè siècle au début du XIXème siècle. Dans ce livre, je n'ai presque rien dit de la situation contemporaine de la psychiatrie, ce qui n'a pas empêché les gens de le lire comme un manifeste de l'antipsychiatrie. (...) Je n'ai fait qu'écrire l'histoire de la psychiatrie jusqu'au début du XIXè siècle. Pourquoi diable tant de gens, y compris des psychiatres, voient-ils en moi un antipsychiatre? Pour la simple raison qu'ils ne sont pas capables d'accepter la vraie histoire de leurs institutions, ce qui, évidemment, est le signe que la psychiatrie est une pseudo-science. Une vraie science est capable d'accepter même les petites histoires infamantes de ses débuts. " ( p 537 ).

Et si les psychiatres voient en Foucault un antipyschiatre c'est qu'ils ne "sont pas capables d'accepter la vraie histoire de leurs institutions, ce qui, évidemment, est le signe que la psychiatrie est une pseudo-science " alors que Foucault n'a " presque rien dit de la situation contemporaine de la psychiatrie, ce qui n'a pas empêché les gens de le lire comme un manifeste de l'antipsychiatrie. (...) Je n'ai fait qu'écrire l'histoire de la psychiatrie jusqu'au début du XIXè siècle. Pourquoi diable tant de gens, y compris des psychiatres, voient-ils en moi un antipsychiatre? ".
Nous avons vu qu'il n'en est rien. Foucault soutient pourtant mordicus qu'il ne " parle pas " de la " situation contemporaine de la psychiatrie ". Ceci est faux mais là n'est pas l'essentiel En fait le problème consiste en ce qu'il parle de la folie en général...et réfute d'avance tout discours prétendant la saisir.
Ainsi Foucault tente de fonder non seulement le statut sociologique de la folie mais aussi son statut ontologique. Et Derrida ne s'y trompe pas. C’est cette acception de la folie comme " autre "ou liberté absolue que la " raison " viendrait enfermer, border, c'est ce que retient Derrida
( in L’ " écriture et la différence ", p 56 ).
Autrement dit c'est aussi sur cette acception, là, que se fonde, que tient la position derridienne ( sans parler des positions de Bataille et surtout de Blanchot sur lesquelles il s'appuie également ).
Mais revenons pour l’instant à Foucault. Ainsi pour lui la psychiatrie posée comme catégorie crée en quelque sorte l'espace " fou " maillé par des jeux de pouvoir et de vérité, alors qu'en réalité il s'agit de tout autre chose. Quoi? Observons justement maintenant comment rétrospectivement Foucault analyse sa tentative ( p 379, Dits et écrits 1977 , entretien avec M. Osorio " Le pouvoir, une bête magnifique " ) :
"
- Mon premier livre avait pour titre Histoire de la folie, un ouvrage essentiellement consacré non pas tellement à l'histoire de la folie, mais à celle du statut qui avait été donné aux fous dans les sociétés européennes entre le XVIè siècle et le début du XIXe; comment, dans une société, on avait commencé à percevoir ces personnages étranges qu'étaient les fous. Bien sûr, le personnage du fou était un personnage traditionnel, dans la culture, dans la littérature depuis l'époque grecque. Mais ce qui a changé, je crois, au cours du XVI et du XVIIè siècle, c'est qu'on a commencé à organiser en quelque sorte la perception de la folie comme une maladie mentale. Et en même temps, on a commencé à isoler les fous par rapport au système général de la société, à les mettre à part, à ne plus supporter de les voir ainsi circuler, se mêler à la vie de tous les jours et de tous les gens...Alors, on les a isolés, on les a enfermés en une espèce de grand renfermement, qui a porté non seulement sur les fous, mais également sur les vagabonds, les pauvres, les mendiants. Un mécanisme de ségrégation sociale dans lequel les fous ont été pris; et, petit à petit, dans ce régime général de renfermement, on leur a défini une place particulière, et c'est de là qu'est sorti à grande échelle dans l'Europe tout entière au XIXè siècle. Voilà, si vous voulez, mon point de départ...(...)

(...) -Vous avez dit que la folie n'était pas une folie jusqu'au moment où apparaît une société qui la crée...

M. Foucault : -Je ne veux pas dire que la folie n'existait pas. Je crois que la catégorie de maladie mentale recouvrant un nombre considérable d'individus et de conduites différentes est quelque chose de relativement nouveau. Encore une fois, les Grecs, les Romains, les Arabes, les gens du Moyen Age reconnaissaient bien que certains inidvidus étaient malades du cerveau comme ils disaient ou de l'esprit ou de la tête, mais on en connaissait simplement quelques-uns. Pour tout le reste, on était très tolérant. Regarez, en arabe, par exemple, l'utilisation du mot meznoun : est meznoun quelqu'un qui est un petit peu comme ça, qui est peut-être un peu apparent avec le diable; de toute façon, ce n'est pas un malade mental relevant de l'intervention d'un médecin et d'une entreprise thérapeutique.

- Vous établissez un rapport entre norme et jurisprudence et les catégories de folie...

-M. Foucault : La jurisprudence, c'est le savoir juridique accumulé à partir de la pratique judiciaire elle-même. A coup sûr, il y a une jurisprudence de la folie, mais enfin ce n'est pas ça qui est important.

- C'est plutôt la médicalisation.

-M.Foucault : Oui. " ( p 380 ).

En fait, et comme nous le formulions déjà plus haut, Foucault confond donc ici, et de façon hallucinante ( par exemple cette phrase : " ce n'est pas un malade mental relevant de l'intervention d'un médecin et d'une entreprise thérapeutique " ) le problème de la catégorisation, et ses outils à un moment donné, comme la médicalisation, qui est le résultat d'un état donné du savoir d'aujourd'hui s'appliquant aujourd'hui et non pas en vue de s'appliquer dans la Grêce Antique...
Ce qui implique d'une part que si tout savoir doit être perçu dans le contexte démographiquement divers de l'époque considérée, la place du facteur urbain, la nature des liens sociaux etc, et, de ce fait, l'on ne peut guère comparer la Grèce Antique, le Londres ou le Paris du début du 20 ème siècle, le Los Angeles de la fin du 20 ème siècle par exemple, il n'en reste pas moins que ce n'est pas ce contexte qui crée de façon sui generis la " folie " comme si celle-ci ne répondait d'aucune autre cause qu'environnementale...
Ce qui implique alors d'autre part qu' il ne s'agit donc pas d'analyser comment " la " psychiatrie d'aujourd'hui aurait catégorisée le statut de la folie en Grêce antique à partir des réponses qu'apporte le savoir psychiatrique tel qu'il est institutionnellement structuré aujourd'hui , du moins, si l'on ne veut pas se tromper de perspective par effet de position. ( Boudon 1995 )
Ensuite, et pour l'essentiel, la " folie " chez les Grecs ou les Arabes, n'était pas nécessairement " conçu " comme Foucault l'appréhende à savoir comme une " forme de rationalité " ou un " jeu de vérité " donné, bref ils ne tiraient pas les équivalences cognitives qu'effectue Foucault, quand bien même traitaient-ils socialement la folie de manière différente.
Enfin, l'objectif premier de la psychiatrie n'est pas, d'un point de vue à la fois morphologique et historique, de relever d'une fonction policière, à savoir principalement interner pour enfermer, à moins d'avoir aprioriquement une vision paranoïaque de l'Histoire, mais de policer la Cité à partir de l'état atteint de ses connaissances.

Qu'il y ait des corrélations entre divers " ordres sociaux " ( Baechler 1985 ) et que telle ou telle acception pose tous les fous comme déviants, criminels, ou l'inverse, comme dans l'ex-URSS ,ne change pas le fait fonctionnel impliquant que "la" psychiatrie n'a pas pour objectif, en moyenne, de subsumer sous la catégorie fou tout ce qui semble à la marge, mais de considérer que l'on peut le devenir non seulement à la marge, mais avant tout lorsque l'on devient " dangereux " et pour soi même et pour autrui, ce qui implique, tout de même, de faire quelque chose.
Or il semble bel et bien que ce qui importe pour Foucault c’est le spectacle du déchaînement qui peut aller jusqu’au meurtre cette “souveraineté absolue”, ce “trait d’or”.

Observons d'ailleurs ce que dit Foucault à propos du plaisir.( Dits et écrits/ 1983/ Interview par Stephen Riggins/ Torento-1982/ p 533 ) :

- (...) En fait, j'ai vraiment du mal à faire l'expérience du plaisir. Le plaisir me paraît être une conduite très difficile. Cela n'est pas aussi simple que cela de jouir des choses. Et je dois avouer que c'est mon rêve. Je voudrais et j'espère mourir d'une overdose de plaisir, quel qu'il soit. Parce que je pense que c'est très difficile, et que j'ai toujours l'impression de ne pas éprouver le vrai plaisir, le plaisir complet et total; et ce plaisir, pour moi, est lié à la mort.
- Pourquoi dites-vous cela?

- Parce que je pense que le genre de plaisir que je considérerais comme le vrai plaisir serait si profond, si intense, me submergerait si totalement que je n'y survivrais pas. J'en mourrais. Un exemple, qui sera à la fois plus clair et plus simple : une fois, j'ai été renversé par une voiture dans la rue. Je marchais. Et pendant deux secondes peut-être, j'ai eu l'impression que j'étais en train de mourir, et j'ai vraiment éprouvé un plaisir très, très intense. Il faisait un temps merveilleux. C'était vers sept heures, un soir d'été. Le soleil commençait à baisser. Le ciel était magnifique, bleu. A ce jour, cela reste l'un de mes meilleurs souvenirs.
Il y a aussi le fait que certaines drogues sont vraiment importantes pour moi, parce qu'elles me permettent d'avoir accès à ces joies terriblement intenses que je recherche, et que je ne suis pas capable d'atteindre seul. C'est vrai qu'un verre de vin, de bon vin vieux, peut être agréable, mais cela n'est pas pour moi. Un plaisir doit être quelque chose d'incroyablement intense. Mais je ne pense pas être le seul dans ce cas.
Je ne sais pas m'accorder, ni accorder aux autres, ces plaisirs intermédiaires qui font la vie de tous les jours. Ces plaisirs ne signifient rien pour moi, et je ne suis pas capable d'organiser ma vie de manière à leur ménager une place. C'est la raison pour laquelle je ne suis un être social ni sans doute, au fond, un être culturel; c'est ce qui fait de moi quelqu'un de si ennuyeux dans la vie quotidienne. Vivre avec moi, quel ennui! " ( p 534 )

Lisons également cet entretien qui établit parfaitement le lien avec le cas Rivière par ailleurs ( Dits et écrits/ 1978, p 475 ) :
" (...) Un étudiant : Pourriez-vous clarifier le rapport entre la folie et l'artiste? Peut-être en en référence à Artaud. Comment rattacher -si c'est possible, et souhaitable -Artaud le fou à Artaud l'artiste?

M. Foucault : Je ne peux vraiment pas répondre à cette question. Je dirais que la seule question qui m'intéresse est celle de savoir comment, depuis la fin du XVIIIè siècle jusqu'à nos jours, il a été et il est toujours possible de relier la folie au génie, à la beauté, à l'art. Pourquoi donc avons-nous cette singulière idée que si quelqu'un est un grand artiste, alors il y a nécessairement en lui quelque chose qui relève de la folie? Nous pourrions dire la même chose du crime. Lorsque quelqu'un commet quelque chose comme un beau crime, les gens ne pensent pas que ce crime puisse être le fait d'une sorte de génie, mais qu'il y a de la folie à l'oeuvre. Le rapport entre la folie et le crime, la beauté et l'art est très énigmatique. Notre tâche, selon moi, est d'essayer de comprendre pourquoi nous considérons ces rapports comme allant de soi. Mais je n'aime pas traiter de ces questions directement -des questions telles que les artistes sont-ils fous, en quoi y a-t-il une folie des artistes et des criminels? L'idée que ces rapports sont évidents persiste dans notre société. Cette mise en relation est tout à fait typique de notre culture (...) ". ( p 475/ Dits et écrits/1978, " Dialogue sur le pouvoir " entretien, 1975, Claremont )

Et cette attitude s'exprime également dans un autre entretien ( p 730 Dits et Ecrits/ 1984/ " Une esthétique de l'existence " avec A. Fontana. ) dans lequel Foucault compare le christianisme et l'Antiquité :

" (...) Avec le christianisme, on a vu s'instaurer lentement, progressivement un changement par rapport aux morales antiques, qui étaient essentiellement une pratique, un style de liberté. Naturellement, il y avait aussi certaines normes de comportement qui réglaient la conduite de chacun. Mais la volonté d'être un sujet moral, la recherche d'une éthique de l'existence étaient principalement, dans l'Antiquité, un effort pour affirmer sa liberté et pour donner à sa propre vie une certaine forme dans laquelle on pouvait se reconnaître, être reconnus par les autres, et la postérité même pouvait trouver un exemple.
Cette élaboration de sa propre vie comme une oeuvre d'art personnelle, même si elle obéissait à des canons collectifs, était au centre, il me semble, de l'expérience morale, de la volonté de morale dans l'Antiquité, alors que, dans le christianisme, avec la religion du texte, l'idée d'une volonté de Dieu, le principe d'une obéissance, la morale prenait beaucoup plus la forme d'un code de règles ( seulement certaines pratiques ascétiques étaient plus liées à l'exercice d'une liberté personnelle).
De l'Antiquité au christianisme, on passe d'une morale qui était essentiellement recherche d'une éthique personnelle à une morale comme obéissance à un système de règles. Et si je me suis intéressé à l'Antiquité, c'est que, pour toute une série de raisons, l'idée d'une morale comme obéissance à un code de règles est en train, maintenant, de disparaître, a déjà disparu. Et à cette absence de morale répond, doit répondre une recherche qui est celle d'une esthétique de l'existence. " (...) ( p 732 )

- A. Fontana : (...) Ce n'est un mystère pour personne qu'on s'est dit plusieurs fois : il n'y a pas de sujet dans l'oeuvre de Foucault. Les sujets sont toujours assujettis, ils sont le point d'application de techniques, disciplines normatives, mais ils ne sont jamais des sujets souverains.

- Il faut distinguer. En premier lieu, je pense effectivement qu'il n'y a pas un sujet souverain, fondateur, une forme universelle de sujet qu'on pourrait retrouver partout. Je suis très sceptique et très hostile envers cette conception du sujet. Je pense au contraire que le sujet se constitue à travers des pratiques d'assujetissement, ou de façon plus autonome, à travers des pratiques de libération, de liberté, comme, dans l'Antiquité, à partir, bien entendu, d'un certain nombre de règles, styles, conventions, qu'on retrouve dans le milieu culturel. (...) " ( p 733)

Ainsi dans le premier extrait l'opposition qu' effectue Foucault entre Antiquité et christianisme lui permet de distinguer une conception, une " idée ", basée sur une "esthétique de l'existence" et une conception basée sur un " code de règles ".
Relisons ce paragraphe :

" De l'Antiquité au christianisme, on passe d'une morale qui était essentiellement recherche d'une éthique personnelle à une morale comme obéissance à un système de règles. Et si je me suis intéressé à l'Antiquité, c'est que, pour toute une série de raisons, l'idée d'une morale comme obéissance à un code de règles est en train, maintenant, de disparaître, a déjà disparu. Et à cette absence de morale répond, doit répondre une recherche qui est celle d'une esthétique de l'existence. "

Sans nécessairement se demander à nouveau si l' " élaboration de sa propre vie comme une oeuvre d'art personnelle " signifie aussi ce que Blanchot énonce lorsqu'il parle de Brutus, d'une part, et, d'autre part, sans nécessairement plonger, corps et âme, dans une analyse comparative, soulignons cependant de façon bien entendu par trop succincte, que si, par exemple, le christianisme a pris corps dans Rome, et ce au moment même où celle-ci regorgeait pourtant " d'esthétique de l'existence " n'est-ce pas là l'expression socio-historique par excellence d'un " désir " d'affiliation à un " code " en effet mais dont l'objectif n'est pas la seule subsomption à la coercition d'un plastique, car il s’agit aussi de voir en l'adhésion au christianisme celle d’une acceptation à un code libre de toute forme mondaine, permettant l'assomption d'un tiers impossible à circonscrire par une seule autorité qui en prétenderait être l'expression même, ce qui d’ailleurs produisit le schisme avec l’orthodoxie, le protestantisme....et déjà le judaïsme...
Car au delà de l’autorité mondaine l’ affiliation ontologique au christianisme ne s'apparente-t-il pas plutôt à un désir d' élévation-assomption de soi non pas seulement dans une plastique formelle, validée à chaque instant par tel dieu, ou tel principe mondain, mais aussi et surtout dans sa réalisation pratique, à chaque instant, en une présence permanente et unique qui corresponde non pas à " une " vérité, ou même à " la " vérité mais en tant que celle-ci soit révélé d'une part, ( Christ a réellement existé ) et, d'autre part, en tant qu'elle indique que l'accomplissement de soi ne se situe pas dans le seul chatoiement par saccade ou par succube car c'est là viser seulement le puit sans fond de l'appétit, y compris visible dans l’ostentation à la prière vue de tous, mais dans la recherche, intime, au creux d’une alliance secrête, de cette félicité en continu qui fasse que la symbiose entre la Jérusalem Céleste et la pratique quotidienne ait un chatoiement le plus corrélé qui soit ?
Certes des interprétations diverses du Royaume ont pu, et peuvent encore, opposer âme et corps, éternité et corruption, présent et fin, et donc analyser et utiliser Christ à la lettre, et surtout de façon uniquement horizontale, c’est-à-dire comme espoir, final, de Terre Promise propre à l’Ancien Testament.
Autrement dit, si l’on peut poser le Paradis à la Fin qui est déjà là comme Début ( nouveau Testament ),
-et c'est ceci, semble-t-il, qui formerait la “Bonne Nouvelle”, celle du Royaume des Cieux dont l'accès est présent dès maintenant-, il n’en reste pas moins que ces diverses interprétations sur le problème de la Fin comme verticalité ou horizontalité, ( Hans Urs Von Balthazar, De l’intégration, aspects d’une théologie de l’histoire, 1970, ed Desclée de Brouwer, par ex, p 120 et suivantes), ne sont en rien infirmées, édulcorées, par cette réduction effarante qui y verrait seulement une opposition entre éthique et obéissance à des règles, d’autant celles-ci évoluent pour certaines d’entre-elles.
Ainsi cette dite opposition entre éthique personnelle et obéissance à des règles qu'établit Foucault
plus haut, n'exprime pas, dans le christianisme, comme une coercition du corps par l'âme mais son ordonnancement vers le mieux, la perfectio du divin au creux de l'âme, comme mens ( St Augustin, op cit, la trinité... ) permettant de guider la certitudo de son estimation.
En ce sens alors la dite dualité cartésienne n'est pas une dualité au sens d'opposition, mais de fonctionnalité " duelle ": " (...) la notion que nous avons de notre âme ou de notre pensée précède celle que nous avons du corps, (...).( Descartes, Principe 8. Principes. P 28. Ed. Vrin; 1971).
Ainsi l'âme et le corps sont distincts.
Et l’âme est fonctionnellement première. Car si nous somme sûrs que nous pensons nous doutons que ce que nous pensons comme corps est vrai absolument et n’est pas plutôt une projection, une extension, d’où la nécessité de s’appuyer sur une terre ferme : l’âme. Mais les deux sont les attributs d'une même chose, c'est à dire du corps " dans son entier " comme le pensait Husserl ( Krisis p 92. Ed. Gallimard ) ; quoique l'on puisse dire par ailleurs de sa mésinterprétation sur ce point de Descartes.

Disons-en un mot tout de même en apparté.
En fait, son reproche " une âme pure n'a en effet aucun sens dans l'épochè "-Krisis, p 93-, n'a tout de même t-elle pas quelque chose à voir avec le " moi transcendental " ( Méditations cartésiennes, p 22, ed Vrin ) ? en tant que certitudo sur lequel s'appuie, en dernière instance,
l'epoche ?
Or, et d’un point de vue sociologique, de la même façon que " l'âme pure ", la catégorie du " moi transcendental " est non seulement cognitivement mais sociologiquement, impossible, telle quelle. C’est-à-dire si n'est pas pensé, en même temps, qu'il s'agit aussi d'une construction rationnelle socialisé, et, en effet, Descartes la valide eschatologiquement, via l'ordre social du religieux, d'où la nécessité non seulement révélée, mais morphologique, chez Descartes, de l'existence de Dieu ( Principes 14,15...) ; tandis que Husserl, lui, la valide à partir d'une "intersubjectivité transcendentale" ( ou " communauté intermonadique " in "Méditations cartésiennes" p 111, ed Vrin ) qui correspond certes à l’acception sociologique d’une pratique scientifique mais point à la totalité des acceptions rationnelles possibles sociologiquement
( Baechler 1985 et séminaires inédits ). C’ est-à-dire à toutes les demandes du " corps " dans ses exigences de certitudo en tant qu’être individuel et social; ce qui implique que l'ordre social du scientifique ne peut être le seul pour établir les corrélations entre âme et corps ,éthique et maîtrise de soi.
Ce qui, par ailleurs, et sur un tout autre aspect, peut expliquer sociologiquement ( mais très très succinctement et à nouveau dans une légère digression ) la " crise " de "l'intersubjectivité transcendentale", analysé par Husserl ( 1938 ), en tant qu'elle ne pouvait plus penser son articulation avec le rationnel qui n'est pas scientifique, et ce du fait des percées en micro-physique et en technologies, percées légitimées essentiellement par l'acception positiviste ( qui, elle-même, dans ses courants technicistes, était semble-t-il une réaction à la Dogmatique scolastique en tant qu'elles prétendaient s'approprier toutes deux toute " la " raison... ).

Toute une acception positiviste qui, à l'époque d'Husserl,
-( en particulier les positions empiristes logiques sur la métaphysique, l'essor du physicalisme psychologiste et du behavorisme, les philosophies léninistes et hitléristes de l'Histoire, les dérives formelles et existentielles du futurisme et du cubisme-surréalisme... )-,
entraîna une telle distantiation que se déclencha une volonté politique de chaque domaine, limite, ordre, -via les cercles les groupes et les réseaux qui donnaient le là de l'époque-, de prétendre surdéterminer, de façon ontologique, et pour lui seul, la totalité du besoin d'autodéveloppement :
Surdétermination de la science contre la métaphysique
( Carnap, malgré les réticences de Popper ), de la logique comme mathésis des principes premiers au sens ancien ( Wittgenstein ), de la poésie, ayant absorbé la métaphysique contre la " théorie de la connaissance " ( Heidegger ), le tout nourri en sus par la domination sur l'ordre politique allemand et russe des principaux faisceaux idéologiques proscientistes et pseudoprogressistes qui maillaient à l'époque la majorité des conflits idéels et politiques, c'est-à-dire qui considéraient que la science, le progrès, avaient une fin, celle du paradis pour tous.
Ce qui a alors eu pour conséquences microsociologiques de déclencher la recherche, en sourdine, dans l'implicite, voire dans " l'innommable " ce dont l'absence hantait à force, et qui pourtant était, parait-il, à portée de main de la “Science”, du “Progrès”, ou de “l'Originaire” de “l’ Indivise”, à savoir l'ordre définitif qui expliquerait enfin le monde et que l'on prétendit trouver à marche forcée par les dérives hypersubjectivistes de type théosophique, hypergnostique, hyperempiriste ou néopositiviste, entremêlant orphisme, bouddhisme, zen, physicalisme, authenticité de racines séculaires, et dont l'inné porte en lui toute préformation envisageable du point de vue d'une Histoire exprimant l'Etre lui-même mais dont dorénavant le récit et sa grammaire doivent être détruits comme épreuves finales et preuves du retour vers le temps sans bornes...

Bref, tout un ensemble de chiasmas qui sont encore aujourd'hui dominants en tant que positivité unique opposant raison et passion, ainsi que leurs savoirs ;
alors que tout ceci ne relève pas du même domaine de définition.
Ce qui ne veut pas dire que chacun peut dire n’importe quoi mais qu’ils ont en leur sein des critères spécifiques de validation ( Boudon 1968, 1990, 1995 ).
Or être à la recherche non pas d’une théorie unificatrice, ce qui peut se concevoir, ( tel est d’ailleurs l’effort de Baechler ) mais d’une théorie qui appliquerait une seule et même méthode, qu’elle soit herméneutique ou analytique, c’ est, d'une certaine manière, ré-enchanter, et en pis, le monde ; ce que Boudon appelle " l'influence “ à rebours du " positivisme ". Autrement dit le fait de le critiquer, tout en étant fortement imprégné, ( in Le juste et le vrai, p 90. 1995 ).
C’est-à-dire tout en cherchant en réalité une sorte de fusion totale de tous les savoirs en l'Argument Utime
( mais avoué plus ou moins en silence ). Et qui subsumerait toute axiomatique vers une eschatologie finale dont la réalité microsociologique serait celle d'une parousie, d'une transparence de l'aspect pourtant non isotrope du réel.
Bref l'éclosion du vrai sinon en idéocratie totale du moins en apocalypse accompli, qui, dans le cas de Foucault, sous le prétexte de dissoudre la morale “ comme obéissance à des règles” imposerait en fait une seule éthique, au sens spinozien.
C’ est-à-dire une seule découpe du ciel et de la terre des mortels et des humains, la sienne, et qui aurait comme seule vérité non pas de correspondre au réel, du moins un temps, comme ce fut le cas des grandes théories passées, mais seulement d’exister comme “esthétique de l’existence”, comme explication et réalité de ce qu’il y a à expliquer.


CC

Conclusion


L'ultime preuve qui montre le caractère dangereux du faisceau foucaldien s'exprime parfaitement dans l'entretien suivant, qui, par ailleurs, sera comme une sorte de conclusion générale :

- (...) Ce qui me frappe dans le S/M, c'est la manière dont il diffère du pouvoir social. Le pouvoir se caractérise par le fait qu'il constitue un rapport stratégique qui s'est stabilisé dans des institutions. Au sein des rapports de pouvoir, la mobilité est donc limitée, et certaines forteresses sont très très difficiles à faire tomber parce qu'elles ont été institutionnalisées, parce que leur influence est sensible dans les cours de justice, dans les codes. Cela signifie que les rapports stratégiques entre les individus se caractérisent par la rigidité.
A cet égard, le jeu S/M est très intéressant parce que, bien qu'étant un rapport stratégique, il est toujours fluide. Il y a des rôles, bien entendu, mais chacun sait très bien que ces rôles peuvent être inversés. Parfois, lorsque le jeu commence, l'un est maître, l'autre esclave et, à la fin, celui qui était l'esclave est devenu le maître. Ou même lorsque les rôles sont stables, les protagonistes savent très bien qu'il s'agit toujours d'un jeu : soit les règles sont transgressés, soit il y a un accord, explicite ou tacite, quid éfinit certaines frontières. Ce jeu stratégique est très intéressant en tant que source de plaisir physique. Mais je ne dirais pas qu'il constitue une reproduction, à l'intérieur de la relation érotique, de la structure du pouvoir. C'est une mise en scène des structures du pouvoir par un jeu stratégique capable de procurer un plaisir sexuel ou physique.

-En quoi ce jeu stratégique est-il différent dans la sexualité et dans les rapports de pouvoir?

- La pratique du S/M débouche sur la création du plaisir, et il y a une identité qui va avec cette création. C'est la raison pour laquelle le S/M est vraiment une sous-culture. C'est un processus d'invention. Le S/M est l'utilisation d'un rapport stratégique comme source de plaisir ( de plaisir physique ). Ce n'est pas la première fois que des gens utilisent les rapports stratégiques comme source de plaisir. Il y avait, au Moyen Age, par exemple, la tradition de l'amour courtois, avec le troubadour, la manière dont s'instauraient les rapports amoureux entre la dame et son amant, etc. Il s'agissait, là aussi, d'un jeu stratégique. Ce jeu, on le retrouve même, aujourd'hui, entre les garçons et les filles qui vont danser le samedi soir. Ils mettent en scène des rapports stratégiques. Ce qui est intéressant, c'est que, dans la vie hétérosexuelle, ces rapports stratégiques précèdent le sexe. Ils existent à seule fin d'obtenir le sexe. Dans le S/M, en revanche, les rapports stratégiques font partie du sexe, comme une convention de plaisir à l'intérieur d'une situation particulière.
Dans un cas, les rapports stratégiques sont des rapports purement sociaux, et c'est l'être social qui est concerné; tandis que, dans l'autre cas, c'est le corps qui est impliqué. Et c'est ce transfert des rapports stratégiques, qui passent du rituel de cour au plan sexuel, qui est particulièrement intéressant. "

( " Sexe, pouvoir et la politique de l'identité/ parution 1984/ entretien en 1982 avec B. Gallagher et A. Wilson, Torento/ Dits et écrits. PP 735 et suivantes ).

Notons d’abord que Goethe, dans les souffrances du jeune Werther a bien montré l'inanité d'un amour "purement" platonique qui, dans le cadre des rapports humains, ne se concrétiserait pas de façon effective.
En d’autres termes seule la solution du suicide apparaît comme le plus réaliste tant le désir ne se satisfait pas de son seul déclenchement et donc nécessite d'être nourri par un plein d'être qui par le suicide permet au moins d’y parvenir et en même temps de mettre fin à ce manque d’être qu’est l’impossibilité de pêtrir l’objet aimé.

Notons alors que dans le supposé “rapport” S/M, surtout lorsque celui-ci dépasse le seul jeu érotique,
-( et même celui-ci, plus proche d’ailleurs de la lutte gréco-romaine, ou d’un combat, amical, entre deux fauves, que d’un plasticisme fétichiste, s’effectue dans certaines limites si l’on ne veut pas qu’il devienne une valeur structurante de la relation ),
du fait même qu’il agit sur le manque et surtout sur l’illusion que celui-ci n’existe pas, le “ S/M “ est une perversion, c’est-à-dire une déformation, en tant qu’il ne peut pas à terme ne pas basculer vers le principe de moindre action.
Celui de sur-évaluer plastiquement cette pratique, afin de compenser le manque d’être.
Seulement dans cette accoutumance à un tel surcroît d’illusion, de dénégation, le soi arrive à se dissoudre définitivement. C’est-à-dire à se sérialiser, à éclater son identité, son unité, ( qui est le but des déconstructionnistes... ). Et donc régresser au stade sensori-moteur, enfantin ( Piaget ), jusqu’à s'affaisser ensuite dans le devenir esclave définitif , ( et par là outil pour d'éventuelles basses oeuvres ) en attendant le sacrifice ultime, l'abandon soit admiratif à ce qui ainsi l'a dominé par sa puissance, soit hébété, tels ces inconscients au sens littéral qui errent, vraiment, dans l'erreur sans fin...en ayant la drogue, la prostitution, le terrorisme, comme seules réalités sociales, figurines tragiques de l’ interlope...

Foucault s'affranchit donc de toute objectivation quant à la portée de telles pratiques.
Il se situe, délibérément, dans le positivisme le plus strict en ce sens qu’il hypostasie la "technique" -les techniques de soi- ( ou positivisme ordinaire ) pour atteindre une espèce d' hyperréalité, signifiante, mais tout à fait antirationnelle.
C’ est-à-dire dans laquelle, par exemple, raison pouvoir vérité mensonge sexe et mort mettent entre parenthèse leur signifié, leur sens, et échangent “seulement” leurs signifiants qui se distribueraient in(dé)finiment comme on le fait d'un jeu de cartes.
Ce qui est impossible.
Car, à terme, devant un tel manque d’être, c’est dans l’hyper formalisme, pointilleux acariâtre, et donc dans une sorte de logique paranoïdale que s’accroche pour se réapproprier, en attendant la prochaine destruction, l’individualité en un tel état d’apesanteur social.
Et cette “ légèreté “ de l’illusion est alors à la recherche de la moindre “densité” susceptible de la stabiliser; de la moindre “ force “, du moment qu’elle sait être puissante et plastiquement le montrer. Comme nous l’observons dans les mondes mafieux et politiquement totalitaires .


Et pour caractériser in fine l’hyperréalisme de Foucault qui fabrique ainsi la pâte plastique ( dans tous les sens du terme ) de l’ordre totalitaire, Caillois peut être d’un certain recours.
Selon Caillois le jeu est une compétition, un hasard, un simulacre, un vertige ( " Je les appelle respectivement Agôn, Alea, Mimicry et Ilinx " ( Les jeux et les hommes. 1958/1967. Gallimard/ Folio/ P 47 ).
Or l'acception de Caillois appliqué à Foucault s' exprime non pas seulement du point de vue de l'écriture qui est comme le visage sur une mer de sable ( p 398 in "les mots et les choses" ), -elle s'efface lentement comme si elle était seulement une trace d'elle-même-, l'acception de Caillois s'applique essentiellement au contenu censé en être exprimé.
Autrement dit c'est dans l'appréhension des objets étudiés par l'écriture hyperréelle de Foucault, c'est dans son " hypertexte " que se lit, en même temps, et en permanence, “compétition, hasard, simulacre, vertige”.
Ainsi le statut de la folie pensé comme exclusion, le " jeu " de l'identité, les formes de rationalité, les jeux de vérité et de pouvoir, l'articulation entre plaisir et la mort, la réduction du viol à son aspect "physique", ce sont tous ces contenus qui basculent en effets de compétition de hasard de simulacre et de vertige.
A l'instar d'un empirisme absolu créateur perpétuel de formes de rationalité, -( ou chez Deleuze de “concepts” comme nous le verrons ).
A l'instar également d'une topologie monstrueuse, "acéphale" au sens de Bataille puisque il n'y a pas de sujet fondateur ( par ex : p 718/ 1984, extrait cité plus haut ) et ce même si ce sujet sans sujet, au sens où il le devient en fonction des "jeux" qu'il croise, peut " songer à l'autre "
Car, malgré cet aspect qui semble brusquement aller de soi, ce " souci de soi" qui en " songeant à soi-même, songe à l'autre " ( question posée à Foucault p 716 ) semble être plutôt un mensonge du point de vue du sens et une vérité du point de vue technique.
C’est-à-dire qui consiste plutôt à se donner les moyens nécessaires pour partager la réalité d'un songe en fait.
Autrement dit, ce “souci de l'autre” s'apparente plus en terme de règles, de moyens techniques à respecter en définitive, ( il faut bien un dominant et un dominé...) et qui correspond en réalité à la nécessité technique des jeux de vérité et de pouvoir rencontrés, c'est-à-dire à la nécessité de créer concrêtement, formellement, plastiquement, l'hyperréalité adéquate.

Ainsi lorsque Foucault déclare que
" Celui qui se soucie de soi, au point de savoir exactement quels sont ses devoirs comme maître de maison, comme époux ou comme père,se trouvera avoir avec sa femme et ses enfants le rapport qu'il faut " ( p 717 ),
il est loisible d’en rire, et même bruyamment, tant l’ on peut se demander,( par miséricorde ) comment des " devoirs " seraient effectué par quelqu'un qui aurait non seulement choisi Foucault comme " maître ",
-(au sens séculaire du terme," (...) Le souci de soi implique aussi le rapport dans la mesure où, pour bien se soucier de soi, il faut écouter les leçons d'un maître. On a besoin d'un guide, d'un conseiller, d'un ami, de quelqu'un qui vous dise la vérité. Ainsi, le problème des rapports aux autres est présent tout au long de ce développement du souci de soi " ( p 715 ), et qui applique ainsi un tel maquillage par ce souci nécessaire de se restructurer aussi dans le rôle de professeur au Collège de France, afin déjà de ne pas paraître en permanence déconstruit, pour soi-même)-,
mais également, et surtout, l’on peut se demander comment est-il possible, sinon seulement en pensée, d’être ainsi sinon dieu et diable du moins mister Jeckill et mister Hyde ?
Comment peut-on et en même temps ( c'est-à-dire sans faire encore une fois un enfant à la dialectique...),
poser le statut de fou comme création conjoint du capitalisme et de la psychiatrie, poser la pédophilie comme possible s'il y a consentement de l'enfant, idem pour le viol sanctionné comme violence équivalente à celle d'un coup de poing dans la figure ( voir annexe ),
ce qui peut à la fois déculpabiliser et se connecter au jeu S/M posé, lui, comme forme de rationalité, jeu d'identité, meccano, plaisir ultime d’ailleurs perçu seulement dans la mort, comment est-il alors possible, et en même temps, non pas de lier, nécessairement, tout ce qui précède, dans une dénonciation moralisatrice, mais surtout de " savoir " et ce " exactement " ses " devoirs " comme " maître de maison " comme " époux " comme " père " et " avoir avec sa femme et ses enfants le rapport qu'il faut " comment, diable, est-ce possible ?
Sans doute dans la discontinuité absolue.
Le fractionnement hypersubjectiviste du temps.
La démultiplication de la personnalité qui de ce fait ne peut que "jouer", en effet, ses divers " rôles ".
C'est-à-dire, et en tout point, simuler, adopter les signes du bon père de famille tout en n’en pensant pas moins. Bref, hyperréaliser dans une surmultiplication sérielle du soi, l’autre ne jouant même plus le rôle de “ regard qui surprend “ comme chez Sartre mais celui uniquement de miroir, voire de caméra qui filme les signes de rationalité.
Or c'est précisément cette impossibilité même de voir en l'autre un semblable et non pas son seul miroir qui caractérise le potentiel de ce fascisme libidinal arrivé à compréhension totale.
C'est l'élévation de tout acte à une
" esthétique de l'existence " qui le fait basculer en contemplation formelle de la force d'être en sa seule plasticité. Et devant laquelle l'on se sent ectoplasme qui prend la forme nécessaire et suffisante selon le je(u) considéré, détenteur, clé de sol, gravité du là absolu en apesanteur éternelle, s'enfonçant dans le vide en répétant le même point, le même pas, in(dé)finiment.
Tel un astre mort.
C'est-à-dire n'ayant même plus de quoi participer à la gravitation universelle.

Seulement ceci n'est qu'une partie de la métaphore.
Au niveau de la réalité externe, les astres morts du désastre généralisé se transforment en trous noirs et attirent donc toute une négativité qui renforce leur “densité” et par là leur position “ gravitationnelle “.
Car celle-ci, tout en visant à la déstablisation de l'orbe du monde, se renforce néanmoins en pouvoir richesses et prestiges.
Ce qui ne peut pas ne pas avoir, à terme, des répercussions politiques de type socialement antinomique. Surtout par exemple en cas de réformes structurelles nécessaires, point que nous ne pouvons pas aborder cependant ici.
Nous verrons seulement que cette acception nihiliste est également perceptible chez Derrida, Lyotard, Deleuze et Bourdieu.
Commençons par Derrida.




DD

Le véritable cadre noologique de la destruction
derridienne : Lénine.

Le degré d' appartenance noologique va bien au delà d'une simple carte de membre du Parti puisqu'il s'agit pour Derrida, suivant là le " retour à Lénine "d'Althusser, d'aller encore plus loin .
En effet dans " Positions " ( 1972, entretien 1971, ed de minuit, p 86 ), lorsque Derrida explique sa façon d' " appliquer (...) Marx, Engels, (...) ou Lénine " ( p 86 ) , il juge, au préalable, leur " manière " ( ibidem ) d'être en " rapport à Hegel ".
Ce faisant il s’aperçoit alors qu'il ne la trouve pas " suffisante ". Elle ne va pas assez loin dans cette sorte de mise en cohabitation des contradictions qu’il préconise.
En ce sens qu’elles ne s’opposent plus pour s’élever dans un dépassement supérieur comme chez Hegel ou Marx mais cohabitent les unes à côté des autres, telles des simples différences, et sans même chercher d’opposition factice, à l’instar de Lénine, afin de se mettre en mouvement.
Derrida déploie donc cet aspect déjà perçu chez Bataille plus haut. Il considère ceci comme allant non seulement plus loin que Lénine, puisque, en effet, même l’illusion d’une contradiction, en tant que moyen pour démarrer la spirale, est mis de côté ( comme chez Deleuze nous le verrons plus loin ) mais il se gausse également d’aller encore plus loin que Bataille, ce qui était pourtant déjà pas si mal dans la néantisation du penser.
Ainsi dit-il dans “ Positions “ qu’il se fait fort d’ exposer cette espèce de surenchère sur Lénine et Bataille, excusez du peu, dans ce qu’il nomme une
" (...) économie générale dont j'ai essayé de dessiné les traits à partir de Bataille. " ( p 87 ).
A “ partir “ de Bataille...Celui-ci ne représente donc en fin de compte qu'une économie " restreinte " que Derrida prétend généraliser, d'où le titre de l’article : " De l'économie restreinte à l'économie générale " ( p 369 in " L'écriture et la différence " ).
" Economie générale " au même titre donc que Lénine élevant un particulier en général, par la circonscription de quelques " caractères " ( Cahiers...sur la question de la dialectique...ed Sociales p 345 ).

Regardons-y de plus près.


Ainsi Derrida, dans ce texte “phare” ( “De l'économie...) auquel il se refère constamment ( Positions, pp 56, 87...) cherche à aller plus loin que Bataille ( in De l'économie...partie 9 de L'écriture et la différence p 397, note 1 ).
Et comme il tente d’aller plus loin, il lui faut assumer, intégrer et donc expliquer les positions de Bataille sur la révolution bolchevique. Ce que Derrida effectue sans se prier en nommant les positions, mûrement réfléchies, de Bataille des " approximations conjoncturelles "....
Or ceci est un non seulement un euphémisme ( faux d'ailleurs puisque le bolchevik est ce surhomme admiré par Bataille) mais bel et bien un maquillage, un travail sur la mémoire historique tel que Orwell nous en a montré le procédé, et qui aurait pu faire sourire s’il s’agissait d’autres sujets, tant ce faux et cet usage de faux révèle au fond la nature d’où “ part “ Derrida et prétend “ aller plus loin “...
A savoir élever, généraliser, quelques caractères batailliens comme le "non savoir" ( l'expérience...par ex p 67 ) la "dépense" de l'énergie avant son "accumulation" en capital ( " Le mouvement ouvrier contraire à l'accumulation " in La part maudite, p 186 ), la "morale du sommet" axée sur "l'exubérance des forces"...Bref, autant de traits batailliens dits “ restreints “ en ce sens sans doute qu’ils se meuvent encore, du moins en apparence, dans l’horizon syntaxique d’un certain idiome marxien, et se trouvent confirmés par la révolution bolchevique, cette " apothéose " pour Blanchot nous l'avons vu, ce " merveilleux chaos mental " pour Bataille ( la part maudite, p 186 ), c'est-à-dire ce " mépris résolu de l'intérêt individuel, de la pensée, des convenances et des droits personnels (...) " ( ibid p 183 ), toute une “ économie “ peut-être “ restreinte “ mais qui dans la destruction peut tout de même en poser là .
Or c' est tout ceci, que Derrida prétend généraliser car la révolution bolchevique ou le " communisme " version Blanchot, sont les résultats, tout à fait pratiques, de cet " hegelianisme sans réserve " ( sous titre à " De l'économie restreinte à l'économie générale " ) à la Lénine-Bataille que Derrida veut non seulement promouvoir mais pousser plus loin : jusqu’où ?
Jusqu’à accentuer la destruction au-delà des courbures historiques. Et, dans ce cas, pour toucher non plus telle ou telle “ classe “ tel “ traître “ mais tout individu qui ne sera pas considéré comme un meurtrier, puisque peindre le meurtre de César ou devenir Brutus il faut choisir.
Fort ou faible tel est ce nouveau type de tiers exclu lorsque l’on efface son babillage, son maquillage, dialectique. Ce qui là en effet enlève le masque hypocrite du léninisme pour atteindre la vérité brute du nazisme....

Par voie de conséquence aller “ plus loin “ que Bataille ( et donc aller se réfugier en fait sous l’aile de Blanchot issu de l’extrême droite monarchiste anti-démocratique ) c’est accentuer la manipulation léninisto-bataillo-blanchotienne de la logique hegelienne afin de s'en servir comme outil de destruction et donc de propulsion dans ce “vide” de sens, de raison, cette espèce de fusion “matière-énergie” où l’on ne perçoit plus des êtres humains socialisés mais seulement le flux automatique de l'instinct vital ultranietzschéen en position d'attaque...
Ce qui dépasse en effet l’Aryen hitlérien qui, comme le Bolchevik de Lénine, est encore prisonnier d’une supériorité “ restreinte “, qu’il s’agit de “ généraliser “.
C’est-à-dire de viser la supériorité des forts, des “ Seigneurs “, tels le Brutus de Blanchot qui tue pour sacrifier l’homme du travail et du besoin afin de devenir dieu, Orphée achevant l’oeuvre Eurydice par la mise à mort, ultime feu qui permet de s’auto-sclupter comme principe dernier unifiant mort et vie terre et ciel : dieu vivant.
Tout ceci bien entendu, à l’ombre de Hegel, de “ 1807 “ comme le martelle Blanchot dans son testament-aveu “ l’instant de ma mort “...
Derrida fait de même.
Il lui faut la caution idéologique de Hegel pour faire oeuvre de mort lui aussi. ( Nous en avons déjà parlé ).
Par exemple lorsque Derrida, mimant ici Marx, tente, sans rire, de dépasser Hegel.
Ainsi il reproche à Hegel,de s'être
" aveuglé par précipitation " ( p 381 in De l'économie...in L'écriture et la différence ed Seuil, 1967 ).
A savoir la " précipitation vers le sérieux du sens et la sécurité du savoir " ( ibidem ) alors qu'Hegel, bien entendu, aurait dû " (...) " aller jusqu'au bout " du " déchirement absolu " et du négatif, sans " mesure ", sans réserve (...) ",

c’est-à-dire jusqu'à

" déchirer convulsivement la face du négatif, ce qui fait de lui l'autre surface du positif, et exiber en lui, en un instant, ce qui ne peut plus être dit négatif. Précisément parce qu'il n'y a pas d'envers réservé, parce qu'il ne peut plus se laisser convertir en positivité, parce qu'il ne peut plus collaborer à l'enchaînement du sens, du concept, du temps et du vrai dans le discours, parce qu' à la lettre, il ne peut plus laborer et se laisser arraisonner comme " travail du négatif ". " ( ibidem ).

Décodé, et ironie mise à part tant la prétention vulgaire de Derrida suinte ici si doctement, l'on aperçoit bel et bien en quoi Derrida considère qu’ Hegel, Marx, Engels, voire Lénine ne vont pas jusqu'au bout, sont encore trop dans la “positivité”, dans " l'enchaînement du sens, du concept, du temps et du vrai dans le discours "...
C’est qu’ils ne vont pas assez loin dans la destruction absolue, dans l’horizon même de la folie volontaire, celle de la brute nazie déguisée en gentil léniniste avec son chapeau de sens surréaliste et ses sourires hyperréalistes, ou comment savoir " déchirer convulsivement la face du négatif " afin d'atteindre l’ impossibilité même, celle qui interdit de " collaborer ", de " laborer ", de rester socialisé, tout en affichant le contraire.
Il s’agit donc de fuir toute positivité, à l’exception du moment du meurtre, et aussi de son maquillage rassurant ( tel Landru tout plein de charme ).

Et lorsqu’il faut “ déchirer convulsivement la face du négatif “ il s’agit, explique-t-il plus loin d’ " échouer de manquer l'échec " ( p 389 ).
C’est-à-dire d’échouer à devenir un être socialisé pour échouer comme épave du sens. Dieu du non sens. Elevant le meurtre au rang de sacrifice permettant non pas le contact avec tel dieu mais d’en devenir un. Tout simplement. En ce pas au-delà du socialisé.
Ce que Blanchot avait déjà formulé nous l'avons vu en avançant la nécessité de l' échec d'Orphée à sauver Eurydice :
" (...) comme si renoncer à échouer était beaucoup plus grave que renoncer à réussir (...) " ( l'espace littéraire p 231, voir plus haut ).

Nous voyons donc déjà bien là, en première approximation, comment Derrida se fait fort de s’appuyer sur une certaine lecture de Hegel pour se targuer de juger le rapport de Marx, Lénine, voire Bataille avec Hegel comme “ insuffisant “

Observons maintenant et beaucoup plus dans le détail comment sa manipulation procède avec Hegel ( EE, FF,) avant d’aborder plus loin la machine derridienne elle-même au niveau pratique ( GG ) et théorique (HH).


EE

Comment Derrida dénature la dialectique de Hegel


Brisons définitivement sa pierre philosophale fondamentale, celle du livre " L'écriture et la différence " ( 1967, ed points-seuil ) et intitulé : " De l'économie restreinte à l'économie générale. Un hegelianisme sans réserve " ( pp 369 et suivantes ).
Dès la première page, Derrida parle de cette “légèreté” dont se réclament, nous l'avons vu, Bataille et Blanchot :

" (...) Pourquoi aujourd'hui -aujourd'hui même- les meilleurs lecteurs de Bataille sont-ils de ceux pour qui l'évidence hegelienne semble si légère à porter ? " ( p 369 ).

Quelle " évidence "? En quoi est-elle " légère " ?
Si Derrida et Bataille se sentent " légers ", c'est parce que selon Derrida : " L'évidence hegelienne semble plus légère que jamais au moment où elle pèse enfin de tout son poids " ( ibid, " l'écriture..." p 369 ).
Décodé cela pourrait signifier que la dialectique hegelienne est réduite à l’état de “ poids “ ou de quantités x d’ argumentaires logiques dont on peut se délester selon les circonstances puisqu ‘elle permet, au niveau strictement logique, non seulement de se sentir “ léger “, de se donner l’illusion de s’élever, avec “ évidence “, telle la colombe légère de Kant,
( in CRP, III, 31/IV,18 : “ La colombe légère, qui, dans son libre vol, fend l’air dont elle sent la résistance, pourrait s’imaginer qu’elle volerait bien mieux encore dans le vide. “ p 62, tra Barni, garnier-flammarion),
mais également de s'en servir comme gaz hilarant celui du " rire " :

" (...) Depuis plus d'un siècle de ruptures, de " dépassements " avec ou sans " renversements ", rarement rapport à Hegel fut aussi peu définissable : une complicité sans réserve accompagne le discours hégelien, le " prend au sérieux " jusqu'en son terme, sans objection de forme philosophique, cependant qu'un certain éclat de rire l'excède et en détruit le sens, signale en tout cas la pointe d' "expérience " qui le disloque lui-même ; ce que n'on peut faire qu'à bien viser et à savoir de quoi l'on rit. " ( p 371 ).

Et " rire ", chez les Bataille et Derrida jonglant avec du Hegel, c'est non seulement une sorte de “ convulsion “ mais aussi de “ tremblement ", ajoute Derrida :

" Pris un à un et immobilisés hors de leur syntaxe, tous les concepts de Bataille sont hegeliens. Il faut le reconnaître mais ne pas s'y arrêter. Car faute de ressaisir en son rigoureux effet le tremblement auquel il les soumet, la nouvelle configuration dans laquelle il les déplace et les réinscrit, y touchant à peine pourtant, on concluerait selon le cas, que Bataille est hegelien, ou qu'il est anti-hegelien, ou qu'il a barbouillé Hegel. On se tromperait à chaque fois. " ( p 373 ).

Et pour " rire " , pour " trembler " de mieux en mieux, il s'agit donc de se saisir également, à l'instar de Blanchot, du Hegel de 1807 et spécialement de ce passage sur la " mort "( Derrida, in “ l’ écriture... p 374, voir ici introduction générale ) qui correspond au moment " séparé " de l'entendement que le Hegel de l'époque appelle ainsi, alors en qu'en 1812, et surtout 1821, rappelons-le encore une fois, Hegel s'en distancie ( Philosophie du Droit, ed Vrin, p 75 ).
Mais Derrida n'en a cure puisque ce qui compte c'est d'en " rire ".
Observons par exemple comment Derrida et Bataille “ rient “ à partir de Hegel, spécialement lorsqu’ils dénaturent la célèbre figure dialectique de celui-ci dite “ du maître et de l’esclave “, c’est-à-dire qui concerne l’ “ indépendance “ et la “ dépendance “ de la “ conscience de soi “ ( in Phénoménologie de l’esprit. (B) Conscience de soi. IV La vérité de la certitude de soi-même.).


Chez le Hegel de 1807 et sa terminologie imbibée de Novalis et de Schiller, la différence entre "maître et esclave" semble être essentiellement un moment à la fois historique, celui de l’Antiquité, et technique, celui d’une morphologie qui étudie comment les hommes se nouent entre-eux.
Hegel étudie les formes historiques que revêt à chaque moment cette morphologie. Et cette “phénoménologie” constitue l'universel concret du Soi, de la "conscience de soi" en mouvement.
Car il s’agit de la “ phénoménologie de l’esprit “.
Il y va de la " vie " de “l'esprit”.
C'est-à-dire non pas la vie de l'abstraction seule, celle de l'entendement en mouvement comme logique abstraite. Mais celle qui se doit bien de s'immobiliser en des traits positifs, historiques.
Du moins si l'espèce humaine veut réaliser l'effectivité en jeu. C’est-à-dire être en vie, en la vie même, celle de la vraie terre, humaine, cette " terre ferme " celle de l'esprit, c'est-à-dire l'Histoire :

( " (...) L'esprit est la vie éthique d'un peuple en tant qu'il est la vérité immédiate, (...) " in la Phénoménologie de l’Esprit...tra Hyppolite, T2, p 12....).

Ce qui implique de s'autodévelopper de façon concrête, microsociologique.
C’ est-à-dire en tant que cet esprit ( du temps ), ou conscience, collective, dirait Durkheim, de soi agit comme acteur historique ( Marx, Aron, Baechler ).
C’est que cet esprit ou cette conscience ( ou Soi ) semble agir comme un seul acteur collectif nous dit également Baechler, du moins lorsque l’on saisit ensuite les choses de façon rétrospective, car il n’ est saisissable qu’en tant que l’on puisse le voir s’activer dans le cadre social et politique.
C’est-à-dire d’une part au sein d'une division sociale du travail ( ou extranéation dans le langage de Hegel ) déployant des tâches de création, de commandement, de maintenance, d’exécution. Et d’autre part au sein d’institutions politiques se stabilisant comme compétences historiques spécifiques justifiant juridiquement les rapports donnés "d'obéissance" ( Baechler 1978 in "le pouvoir pur" ed Calmann-Lévy ) qui traversent et la division sociale du travail et les diverses institutions politiques.

En d’autres termes, les rapports donnés d’obéissance traversant tout le corps social expriment donc politiquement les relations d’ordre nouant les hommes entre-eux à un moment historique donné.

Rapports d’obéissance dont le vocabulaire et les formes évoluent, ( sauf accident historique amende Baechler, par ex 1993 in “ la grande parenthèse “ ed Calmann-Lévy ), et c’est là ici l’essentiel pour notre propos.
Car ces rapports d’obéissance nouant les hommes entre eux à un moment institutionnel interne et externe et dans le cadre donné de la DST sont traversés en permanence par les questions intemporelles du téléologique et de l'entéléchique en rapport avec l'axiologie et l'eschatologie dans le cadre des “ ordres sociaux “. Et celles-ci sont alimentées au niveau formel par le devenir microsociologique possible de tout un chacun en divers “centres autonomes de décision “.
Ce qui se traduit politiquement par des luttes d'influences déterminantes qui parfois dépassent et transcendent les coalitions d’intérêts en conflit ( ce qui implique l’aspect par trop restrictif du concept de lutte de classes ) pour mettre en jeu la nature même des structures sociales et du régime politique qui les garantie.
Or pour en venir maintenant au fait, ces figures historiques des rapports d' obéissance qui appellent un tel vocabulaire chez le Hegel de 1807 tel que celui de " maître " et " esclave " concernent, d'une part, celles de l'indépendance du maître de maison et de l'obéissance des gens qui l'animent comme rouages , et ce dans le cadre d' un moment historique donné qui se situe, en le texte même de Hegel, dans l'Antiquité.

Ainsi l’étude de la conscience de soi à cette époque s’institue dans le texte de Hegel avant celle du stoicisme, du scepticisme et de la conscience malheureuse, ( in petit B de la partie IV du grand B consacré à la “ Conscience de soi “).

D'autre part ces figures historiques du " maître et de l' esclave" expriment, également, semble-t-il, -au-delà des termes employés par Hegel qui sont d’ailleurs des termes circonstanciés cependant par l’époque historique dont il parle dans son texte-, ces figures expriment aussi, et surtout, semble-t-il, un aspect morphologique incontournable des rapports d'obéissance nouant les hommes entre-eux en tant qu’acteurs s’inscrivant dans une société donnée.
Celui de la nécessité technique atemporelle, suprahistorique des rapports d’obéissance. C’est-à-dire au-delà de leurs formes historiques qui changent selon les circonstances, les nouvelles compétences, une autre façon de faire exécuter et de remplir les tâches nécessaires.

Autrement dit, les rapports d’obéissance expriment donc, structurellement, une dialectique de l’indépendance et de la dépendance de la conscience de ( du ) soi qui permet, par telle ou telle mise en forme des rapports d'obéissance déterminés historiquement, l'émergence même à la fois du social et du politique. C’est-à-dire en posant

"(...) d'une part, une pure conscience de soi et, d'autre part, une conscience qui n'est pas purement pour soi, mais qui est pour une autre conscience, c'est-à-dire une conscience dans l'élément de l'être ou dans la forme de la choséité. Ces deux moments sont essentiels; mais puisque d'abord ils sont inégaux et opposés, puisque leur réflexion dans l'unité ne s'est pas encore produite comme résultat, alors ces deux moments sont comme les deux figures opposées de la conscience : l'une est la conscience indépendante pour laquelle l'être-pour-soi est essence, l'autre est la conscience dépendante qui a pour essence la vie ou l'être pour un autre; l'une est le maître, l'autre esclave. (...) " ( ibid, t.1, pp 160-161 ).

Ainsi " l'une est le maître, l'autre esclave " pendant l'Antiquité...tandis que les notions de " conscience indépendante " et de " conscience dépendante " peuvent, elles, être atemporelles selon le donné du rapport d'obéissance ( Baechler 1978, op cit )

Revenons maintenant à la manip de Derrida.

Derrida, lui, en s'arcboutant de surcroît et seulement, sur la terminologie de 1807, surdétermine, exprès, le moment morphologique de “ l’indépendance “ de la “ souveraineté “ de la “ conscience de soi “, sur son application réelle, effective, concrête : déterminée.
C’est-à-dire propre à la nécessité également morphologique de la “dépendance”, de l’ “aliénation “ de l’indépendance et de la souveraineté dans le cadre de rôles sociaux nécessaires.
Derrida reprend ainsi la critique du Jeune Marx amplifié par l’Ecole de Francfort, et spécialement par Adorno et Marcuse, et qui dans le fond, perçoivent la fonction des élites comme fonction parasitaire, désoeuvrée, in-déterminée. Telle cette “ belle âme “ de Hegel qui ne retient seulement que le moment esthético-logique dans lequel tout est lié, tout coule et se transforme selon les circonstances, alors que le passage à l’effectivité, au réel externe, nécessite la détermination dans tous les sens de ce dernier terme.
Et Derrida, lui, du haut de sa docte prétention à lorgner plutôt du côté de l’aspect esthético-logique d’un aristocratisme dégénéré fuyant la positivité de l’effectivité peut alors " opérer ", avec beaucoup de décontraction, de “ rire “ et de "légèreté" en ces questions si fondamentales.
Aussi commence-t-il par exposer en quoi ce que raconte Hegel sur l’indépendance, la souveraineté, la dépendance et la servitude de la conscience de soi pourrait bien lui servir ( p 373, L' écriture... ) :

" La souveraineté, pour commencer, ne traduit-elle pas, à première vue, la maîtrise ( Herrschaft ) de la Phénoménologie ? L'opération de la maîtrise consiste bien, écrit Hegel, à " montrer que l'on n'est attaché à aucun être-là déterminé, pas plus qu'à la singularité universelle de l'être-là en général, à montrer qu'on n'est pas attaché à la vie. " ( tr. J.Hyppolite ). Une telle " opération " ( ce mot dont se servira constamment Bataille pour désigner le moment privilégié ou l'acte de souveraineté était la traduction en usage du mot Tun, si fréquent dans le chapitre sur la dialectique du maître et de l'esclave) revient donc à mettre en jeu ( wagen, daransetzen; mettre en jeu est une des expressions les plus fréquentes et les plus fondamentales de Bataille) le tout de sa propre vie. Le serf est celui qui ne met pas sa vie en jeu, qui veut la conserver, être conservé ( servus ) En s'élevant au-dessus de la vie, en regardant la mort en face, on accède à la maîtrise : au pour-soi, à la liberté, à la reconnaissance. La liberté passe donc par la mise en jeu de la vie (...). Le maître est celui qui a eu la force d'endurer l'angoisse de la mort et d'en maintenir l'oeuvre. Tel serait selon Bataille, le centre du hegelianisme. Le " texte capital " serait, dans la Préface de la Phénoménologie, celui qui met le savoir " à hauteur de mort ".

Plus loin Derrida ajoute ( pp 375-376 ) :

" Hegel avait clairement énoncé la nécessité pour le maître de garder la vie qu'il expose. (...) "

Bref, pour Hegel, (cite Derrida) : " Dans cette expérience, la conscience de soi apprend que la Vie lui est aussi essentielle que la pure conscience de soi ".

Puis, Derrida se déchaîne, sous les traits de Bataille ( ibidem ) :

" Eclat de rire de Bataille. Par une ruse de la vie, c'est-à-dire de la raison, la vie est donc restée en vie. (...). Par ce recours à l'Aufhebung qui conserve la mise, reste maîtresse du jeu, le limite, le travaille en lui donnant forme et sens (...), cette économie de la vie se restreint à la conservation, à la circulation et à la reproduction de soi, comme du sens; dès lors tout ce que couvre le nom de maîtrise s'effondre dans la comédie. L'indépendance de la conscience de soi devient risible au moment où elle se libère en s'asservissant, où elle entre en travail, c'est-à-dire en dialectique. Le rire seul excède la dialectique et le dialecticien : il n'éclate que depuis le renoncement absolu au sens, depuis le risque absolu de la mort, depuis ce que Hegel appelle négativité abstraite. Négativité qui n'a jamais lieu, qui ne se présente jamais puisqu'à le faire elle réamorcerait le travail. Rire qui à la lettre n'apparaît jamais puisqu'il excède la phénoménalité en général, la possibilité absolue du sens. Et le mot " rire " lui-même doit se lire dans l'éclat, dans l'éclatement aussi de son noyau de sens vers le système de l'opération souveraine ( " ivresse, effusion érotique, effusion du sacrifice, effusion poétique, conduite héroïque, colère, absurdité ", etc, cf. Méthode de méditation ). Cet éclat du rire fait briller, sans pourtant la montrer, surtout sans la dire, la différence entre la maîtrise et la souveraineté. (...). "

( pp 384-385 ) : " (...) En tant que manifestation du sens, le discours est donc la perte même de la souveraineté. La servilité n'est donc que le désir du sens : proposition avec laquelle se serait confondue l'histoire de la philosophie; proposition déterminant le travail comme sens du sens, et la technè comme déploiement de la vérité; proposition qui se serait puissamment rassemblée dans le moment hegelien et que Bataille, dans la trace de Nietzsche, aurait portée à énonciation, dont il aurait découpé la dénonciation sur le sans-fond d'un impensable non-sens, la mettant enfin en jeu majeur. Le jeu mineur consistant à attribuer encore un sens, dans le discours, à l'absence de sens.

Les deux écritures.
Ces jugements devraient conduire au silence et j'écris.
Ce n'est nullement paradoxal.

Mais il faut parler. " L'inadéquation de toute parole...du moins, doit être dite " ( Conférence sur le Non-Savoir ), pour garder la souveraineté, c'est-à-dire d'une certaine façon pour la perdre, pour réserver encore la possibilité non pas de son sens mais de son non-sens, pour le distinguer, par cet impossible " commentaire ", de toute négativité. Il faut trouver une parole qui garde le silence. (...) ".

( P 386 ) : " (...) il faut redoubler le langage, recourir aux ruses, aux stratagèmes, aux simulacres. Aux masques : " Ce qui n'est pas servile est inavouable (...) " "

( P 389 ) : " (...) Dès lors que la souveraineté voudrait se subordonner quelqu'un ou quelque chose, on sait qu'elle se laisserait reprendre par la dialectique, se subordonnerait à l'esclave, à la chose et au travail. Elle échouerait de se vouloir victorieuse et de prétendre garder l'avantage. La maîtrise devient souveraine au contraire lorsqu'elle cesse de redouter l'échec et se perd comme la victime absolue de son sacrifice. Le maître et le souverain échouent donc également, et tous les deux réussissent leur échec, l'un en lui donnant sens l'asservissement à la médiation de l'esclave, -ce qui est aussi échouer de manquer l'échec- et l'autre en échouant absolument, ce qui est à la fois perdre le sens même de l'échec en gagnant la non-servilité. (...) "

( PP 404-406 ) : " (...) Peut-on, comme le dit Bataille, comprendre le mouvement de transgression sous le concept hegelien d'Aufhebung dont nous avons assez vu qu'il représentait la victoire de l'esclave et la constitution du sens ?
Il nous faut ici interpréter Bataille contre Bataille, ou plutôt une strate de son écriture depuis une autre strate ( note 2 (...) La plus grande force est celle d'une écriture qui, dans la transgression la plus audacieuse, continue de maintenir et de reconnaître la nécessité du système de l'interdit ( savoir, science, philosophie, travail histoire, etc)? L'écriture est toujours tracée entre ces deux faces de la limite. (...) .
(...) L'Aufhebung hegelienne appartiendrait donc à l'économie restreinte et serait la forme du passage d'un interdit à un autre, la circulation de l'interdit, l'histoire comme vérité de l'interdit. Bataille ne peut donc utiliser que la forme vide de l'Aufhebung, de manière analogique, pour désigner, ce qui ne s'était jamais fait, le rapport transgressif qui lie le monde du sens au monde du non-sens. (...) Le " nous " de la Phénoménologie de l'esprit a beau se donner comme le savoir de ce que ne sait pas la conscience naïve enfoncée dans son histoire et les déterminations de ses figures, il reste naturel et vulgaire puisqu'il ne pense le passage, la vérité du passage que comme circulation du sens ou de la valeur. Il développe le sens ou le désir de sens de la conscience naturelle, celle qui s'enferme dans le cercle pour savoir le sens : toujours d'où ça vient et où ça va. Elle ne voit pas le sans-fond de jeu sur lequel s'enlève l'histoire ( du sens ). Dans cette mesure, la philosophie, la spéculation hegelienne, le savoir absolu et tout ce qu'ils commandent et commanderont sans fin dans leur clôture, restent des déterminations de la conscience naturelle, servile et vulgaire. La conscience de soi est servile. (...) "

Retenons seulement que pour Derrida, qui cherche, rappelons-le, à aller plus loin que Bataille ( “ Il nous faut ici interpréter Bataille contre Bataille”, op cit plus haut ) , il s'agit pour l’essentiel, et c’est là son but eschato-téléo-entéléchique suprême, d' être " attaché à aucun être là déterminé ", ( p 373 ), afin de ne pas devenir le " serf qui ne met pas sa vie en jeu " ( idem ) puisque " l'acte de souveraineté " est de " mettre en jeu " le " tout de sa propre vie " ( idem ). C’ est même là sa " conduite héroïque " ( p 376 ), ce qui est déjà là tout confondre dans une perception purement esthétique des enjeux, du moins en une première lecture généreuse.
Car Derrida et Bataille développent en fait une appréhension dégénérée qui hypostasie la figure logique de Hegel propre au mouvement abstrait de l’entendement, celle de la belle âme qui refuse de s’ ”aliéner”, de “ mourir “, en telle figure sociale par peur de devenir “ servile “, c’est-à-dire “ le désir du sens “( op cit).
Pour eux la “ souveraineté “ est en fait seulement perçue de façon matérialiste vulgaire, c’est-à-dire dans le seul cadre de l’imaginaire populacier qui pense qu’être souverain c’est ne rien faire, et tout accomplir pour cela, tout en risquant uniquement sa “ vie “ en des jeux sans conséquences, microcosme des défis aristocratiques et de
leurs duels infantiles.
Ce qui implique que Bataille et Derrida surdéterminent alors la figure historique du maître et de l'esclave.
C’est-à-dire une figure, temporelle, du moment morphologique, atemporelle, de la conscience de soi lorsqu'elle celle-ci se divise socialement et politiquement en rapports d’obéissance dont les formes politiques et sociales sont soumises à la contingence historique.

Alors que nos deux meurtriers de l’homme du travail et du besoin font rétroagir la figure atteinte par la contingence que fut l’Antiquité comme seul moment du contenu morphologique à réaliser. Et de surcroît de façon perverse.
C’est-à-dire jusqu’à en déformer le rapport d’obéissance singulier en des jeux allant de l’harcèlement textuel à son double sexuel et qui priviligient uniquement l’instant du pouvoir se cristallisant en commandement.
En ce sens il s’agit de détourner non seulement le “ tu dois “ en éthique négative, mais de pousser également cette réduction du rapport à la seule variable de domination. Jusqu’à même tendre celle-ci vers la demande extrême. Celle de la mort.
Ils hypostasient alors cette dernière comme l’absolue de tout rapport d’obéissance effectif. Et, par ce biais, prouvent par la mise à mort une sorte de virilité d’être effectivement souverain de soi-même, mais au sens abstrait, hypostasié seulement. C’est ce que nous explique plus haut Derrida dans son commentaire.
Or c’ est là, au fond, bégayer sous couvert de pseudo-radicalité et de matérialisme mécaniste, l’acception aristocratique dégénéré critiquant la mollesse de la démocratie dans laquelle la “vie”, la réputation en fait, est seulement mise en jeu dans le travail, ce qui est dégradant : “ servile “.
D’où l’intérêt de Bataille et de Blanchot pour la révolution bolchevique par exemple.... Tout en justifiant cette réalisation comme “ apothéose “ comme “ merveilleux chaos mental “ comme “oeuvre d’art”. Et tout en n’oubliant pas de maquiller ses attraîts peu ragoûtants en les excusant, officiellement, comme effets de système, du contexte, ( alors qu’ils sont de part en part prémédités...) par la dialectique blanchotienne du paradoxe dit de la double contrainte :
" (...) si vous ne me tuez pas vous êtes un meurtrier (...) Blanchot cité par Derrida in Parages, 1986 ),

C’est cette figure duplice du maquillage blanchotien-derridien que nous allons maintenant examiner dans le détail .


FF

Exemple d'autopsie du tissu derridien


Dans " Parages " ( 1986, ed. Galilée ), par exemple, que Derrida traduit en " pa, par, para, ra, rage, age " ( p 17 ), existe plusieurs textes et également un " journal de bord " qu'il s'agit de lire comme " Border Lines " ( p 14 ).
Et s'il s'appelle ainsi c'est : " comme pour tenir le registre d'une navigation, mais tous les bords, d'un texte à l'autre, sont aussi des rivages, rivages inaccessibles ou rivages inhabitables. Paysage sans pays, ouvert sur l'absence de patrie, paysage marin, espace sans territoire, sans chemin réservé, sans lieu-dit. "
Suivant donc, à la trace, Blanchot, il s'agit de se perdre dans le " sans ", afin de se retrouver comme cette perte même, et donc mourir. C’est-à-dire devenir meurtrier de tout réel croisé : "
"rivages inaccessibles ou rivages inhabitables. Paysage sans pays, ouvert sur l'absence de patrie, paysage marin, espace sans territoire, sans chemin réservé, sans lieu-dit. "
Tout est dit déjà dans ces quelques lignes...
Derrida va donc nous expliquer sa façon de devenir mort vivant.
C'est-à-dire un zombi du sens : du sans, ou crypto-plasticien de l'harcèlement textuel, du dé-celer : en route vers le rien : sur-place : statufié : le lecteur mis à mort ( Eurydice ), et l'auteur, sur vivant, ( Orphée ), telle est l'oeuvre, à accomplir ( à moins d'être naïf ), ou l' absence. du regard second, le regard du moment du meurtre : quanta du cantique.
Et l'injonction de cette eschatologie, et éthique, négative ( au sens destructeur, tueur, Brutus, celui de Blanchot) cette injonction est par exemple lisible dans la suite immédiate du texte précédemment cité :
" (...) rivages inaccessibles ou rivages inhabitables. Paysage sans pays, ouvert sur l'absence de patrie, paysage marin, espace sans territoire, sans chemin réservé, sans lieu-dit. Non qu'il en manque mais s'il a lieu, il le faut, il devra d'abord s'ouvrir à la pensée de la terre comme au frayage du chemin. " ( p 15 ).

Ce " d'abord " sonne là comme glas, et renforçe le tu dois du " il le faut " qui se pose comme préalable et donc comme cadre, lieu, scène, direction d'action, metteur en scène, en vue de " s'ouvrir ", du moins le lecteur.
Comme l'on " s'ouvre " à l'amour, au sens bataillien extatique, sympathique.
C’ est-à-dire à l'hypnose. Afin que la gnose, de la secte," communique ", au sens de Bataille. Et, ici, dans les parages de cette rage, tue Eurydice, César, et tout lecteur sincère.
Cette rage injecte alors son poison qui mène vers le rien, dans tous les sens du terme, plus un : en ce rien s'accomplit le passage à l'acte : devenir Brutus en vue d'être Orphée. Version officielle.
Mais il s’ agit, en fait, de plutôt recruter des Brutus, et devenir le seul Orphée.
Les Brutus sont sculptés en zombis envoûtés par l'absence de centre, d'unité, ou comment se débarrasser de toute perception qui référencerait des paysages comme " pays " des rivages comme accessibles, habitables, des patries comme présence, un espace avec territoire, etc... ( p 14 )...


Le livre est comme exsangue de citations blanchotiennes. Innombrables. De même des mots clés, qui sont sans cesse scandés à l'instar d'incantations-sommations qui sont autant de préparation à l'hypnose.

Ainsi par exemple et précisément le terme " viens " qui ouvre d'entrée de jeu le texte " Pas " ,-( qu'il faut donc lire à la façon de Blanchot analysé plus haut : en route vers le regard... de la mort : marche sans pas celle d'un spectre et de ses faux...)-, le terme " viens " y est cité d'entrée de jeu et, à la page 21, qui comprend 19 lignes, près de huit fois, soit près d' une ligne sur deux.
Mais ceci serait trop succinct puisque par exemple dans les trois premières lignes, qui comprennent en tout 26 mots, le terme en question ( "viens" ) est cité six fois, soit une proportion de 26/6= 4,33... près d'un quart du "poids" total de ce que l'on pourrait nommer la signification quantitative, le nombre de signifiants, et, la totalité de la signification qualitative à savoir le signifié.
Ce qui nécessairement ne peut pas ne pas peser dans la prise de sens...et donc agir comme narcotique.
Ici, donc, Derrida, agit dans le droit fil de Blanchot, et, semble-t-il, se protège de son propre poison, tout comme ce dernier, à la différence des Foucault ou Deleuze, qui, eux, pouvaient se mélanger les pédales, dire trop franchement les choses, et tomber, eux-aussi, dans le trou sans fond des "remous" de l'Histoire.
Derrida, certes, dévoile aussi trop de choses ( d’où le rappel à l’ordre de Foucault naguère quant à la fameuse préface d’Histoire de la folie que Derrida commentait par trop dans la transparence...). Mais il a appris à se taire et à maquiller de mieux en mieux ( son récent commentaire de “l’instant de ma mort” de Blanchot est un exemple parfait de maquillage qui aurait fait beaucoup rire Orwell...) tout en surnageant aux confins du mystère et du religieux, tout en évitant le physicalisme, facile et besogneux, de la folie ordinaire. Derrida tente d'être le mystagogue d'une tentative vicariante de se poser comme intercesseur passage même, résistance ( au sens électrique du terme ) pour ceux qui veulent “mourir” pour tuer l’homme qui agit en eux.
Derrida est le parfait agent commercial de Blanchot et de Bataille ( avec Lyotard ), en ce sens qu'il fournit, lui aussi, l'électr-i-cité de la mort adéquate, s'emparant du i,
( Rimbaud, Voyelles, ) y substituant un a, celui du vide et de sa lumière, sans clarté, celles des ombres magnétiques.
Et sans pour autant, lui, s'y perdre, ni surtout, le faire apparaître, dans sa conduite mondaine, à la différence de Bataille, Foucault, Deleuze, dont les diverses "expériences" sont connues du Landerneau.
C’ est donc en ce sens là que Derrida est, semble-t-il, le plus fidèle suivant de Blanchot et accomplit, comme lui, le négativisme de la nouvelle extrême droite en position actuelle d'émergence .mais de façon hypocrite et lâche, c'est-à-dire avec l'immigré et l'obligation homosexuelle comme cache-sexe officielle, et, officieusement, comme passeport authentique de la nouvelle République, souterraine, de Sâlo....


Ainsi il est question, en apparence, ici, de " littérature ", et de son auréole.
Examinons, plus dans le détail, un autre morceau du tissu empoisonné:

" Je cherchai, cette fois, à l'aborder. Je veux dire que j'essayais de lui faire entendre que, si j'étais là, je ne pouvais cependant aller plus loin, et qu'à mon tour j'avais épuisé mes ressources. "

A quel livre appartiennent ces mots qui font office d'indication, de direction d'action ? A un ouvrage de Blanchot.

" Je cherchai, cette fois, à l'aborder. "

Le héros (zombi) blanchotien, ici, " cherche ", d'entrée de jeu, quelque chose : " à l'aborder ".
Ce qui intrigue. " Chercher " renvoie déjà à tout plein de connotations propres au cycle essai-erreur, donc, errance, dans la méthode hypnotique blanchotienne. N'insistons pas.
Le zombi, donc, qui, soit dit en passant, peut être l'auteur, puisqu'il dit " je ", ou du moins, peut être l' une de ses faces, farces, morbides, et factices, en ce sens que l'auteur tout en étant, n'est pas, lui-même, dans l'histoire, le héros donc cherche " cette fois " à " l'aborder ".
Ainsi, la chose en question, " cherche ", quelque chose de précis, à savoir, " à l'aborder " et ce " cette fois "...
Or c'est la locution " cette fois " qui est ici essentielle, qui fait oeuvre de point meurtri.
Car, l'on peut croire, en tant que lecteur, qu'il y a eu d'autres fois, mais que ces "autres fois" n'ont pas réussi à " aborder ".
Se constitue donc une atmosphère, assez commune dans les intrigues romantiques, passionnelles, mais ici exacerbée dans le suspens non plus au sens hitchockien ni même husserlien, mais blanchotien-bataillien : au sens donc où l'on " cherche " certes à " aborder "autrui, mais il arrive, et ceci est une rive, un rivage ( " inabordable " avait prévenu Derrida p 14 ) que cette recherche, justement, échoue .
C’ est-à-dire qu'elle ne puisse pas aborder ce " l' " et, par là, se saborde comme il était prévu.
Le lecteur-victime, peu au fait sans doute de cette prise de sens, ne voit pas qu'un arrêt de mort vient d'être lancé ( une " fatwa " ) et organise plutôt une identification immédiate, une sympathie-empathie,
doublée d'une compassion, en ce sens que chaque lecteur peut connaître ces moments où l'on cherche à aborder un " l' ".
Ce qui implique que l'on veuille " échanger, partager, explorer " ( Baechler 1995 ). Ces trois termes pouvant être perçus comme paramêtres de situation propre à l'intérêt que l’on (re)cherche dans toute interaction discriminée.
Car ce qui est implicitement sous-tendu dans le propos implique qu'un " je " désire s'autodévelopper dans l'horizon dans l'orbe de cette présence de ce " l' " que l'on cherche à aborder. Et que même la locution " cette fois " laisse soupçonner.
Cependant, même si l’on a eu envie de le faire, il appert encore une fois que pour une raison toujours inconnue le contact n'a pu se réaliser. Il y a donc là une inquiétude, un souci, qui mobilise celui qui cherche à aborder ce " l' " et partant, nécessairement, le lecteur. Du moins si celui sympathise, par empathie, et/ou se trouve isotrope à cette recherche même, et, surtout, à tout l'implicite de ce " cette fois ".
Il y a là donc une mise à l'épreuve de soi. Où l'on éprouve, et, aussi, où l'on cherche à se prouver que, "cette fois", l'on va " l'aborder ".
Insistons encore sur ce point. Sur le " l' ".
Posons donc que ce " l' " est comme le point de mire qui devrait sentir qu'on voulait l'aborder, ou, alors, qui ne peut pas l'être ; et en ce sens frustre, même malgré lui; mais peu importe, à ce stade.
L'essentiel est que ce " l' " fasse office pour le " je " qui "cherche cette fois, à l'aborder " de point de fixation. C’est-à-dire de point qui agit comme " punctum " ( Barthes, 1980, La chambre claire, ed Seuil p 71 ) à savoir ce " qui me point " dit Barthes.
Ce qui poigne, dirions-nous également. Et, aussi, ce qui a de la poigne.
Comme ce " poignard " dont parle Bourricaud quand il expose ( 1986, " le retour de la droite " p 41 ), que, pour Maurras, la France " n'était ni républicaine ni monarchiste, mais " poignarde " ", et, page 133, que
" L'homme à poigne, le radical proconsulaire, vient en général de la gauche, et l'homme providentiel, qui se confond souvent avec l'homme à poigne, le " poignard ", appartient plutôt au folklore de la droite. "

Cette dernière référenciation est moins éloignée du sujet qu'il paraît en ce sens qu'il s'agit toujours de politique
( et Derrida d’ailleurs se targue d’avancer que ses livres sont politiques ). A savoir d’oeuvrer sur ce qui poigne ainsi le lecteur, ce qui poigne le "je" qui " cherche " ainsi, et " cette fois " à " l'aborder ".
A "aborder " qui ?

" Je cherchai, cette fois, à l'aborder. Je veux dire que j'essayais de lui faire entendre que, si j'étais là, je ne pouvais cependant aller plus loin, et qu'à mon tour j'avais épuisé mes ressources. " (p 16)

Mais précisément ce qui ainsi poigne, cette fois encore, et donc meurtrit.
C’est la lancinance d’ un préléminaire, sans fin, dont l'absence peut donner une " chair de poule " bizarre.
Plutôt le malaise en fait. L’ angoisse d'être nié. Et en même temps le fait d’ admirer cette dextérité à être ainsi nié par ce " l' " qui devient ce " poignard " qui meurtrit, qui active une telle lancinance tant qu'il ne se laisse pas " aborder ".
Le désir peut alors se faire de plus en plus vif, violent, ardent, pour enfin déborder ce qui tarde à se laisser aborder.
Du moins dans le cas " normal ", c'est-à-dire tout à fait aux antipodes de ce que transfère ici Derrida sous les traits de Blanchot :

" Je cherchai, cette fois, à l'aborder. Je veux dire que j'essayais de lui faire entendre que, si j'étais là, je ne pouvais cependant aller plus loin, et qu'à mon tour j'avais épuisé mes ressources. "

Car cette lancinance devrait créer l'impatience du lecteur. Ou alors, et c’est plutôt ceci que vise Blanchot-Derrida, le lecteur est invité à inverser l’impatience en surcroît d’admiration et donc en soumission qui se doit d'accompagner un tel mouvement de dénégation par l’autodestruction.
C’est-à-dire par un accroissement de malaise, de vertige puisque le corps exige un équivalent réel, et donc demande le sens d’une telle soumission.
C’ est-à-dire la raison d’une telle dénégation qui peut être trouvé par une fatigue soudaine, une perte d’énergie fébrile, une torsion d’émotions et de sentiments dont la douleur accompagne en même temps la soumission-admiration.
Il se crée alors comme une auto-stimulation.
Un peu à l’instar de ce que dit le neurophysiologiste Pierre Karli ( " Le cerveau et la liberté", 1995, pp 34, et 36,37, ed Odile Jacob ) à propos de " l'auto-stimulation " provoquée par un choc électrique à l'endroit précis où le cerveau de la sourie secrète du plaisir et qui déclenche chez elle, malgré la présence de nourriture, la recherche ambivalente de ce qui, certes, rassasie, mais à force pourtant, meurtrit tant la souris ne cesse d’appuyer sur la manette qui lui donne comme un accès “direct” au plaisir beaucoup plus immédiat que celui engendré par l’absorption de nourriture.
Et ici en le texte de Blanchot-Derrida, la seule issue pour le lecteur, surtout l’admirateur, est, par compensation, auto-stimuler ce qui “ poigne” . Tout en justifiant cette forme d’ autodestruction, suscitée par l’inversion de l’impatience, légitime, en une soumission à ce “ l’ “.
C’est-à-dire en une déification de l'auteur de la frustration : Blanchot, Derrida qui doivent bien connaître ce " l"...ou du moins en avoir l'idée...
Ce qui permet au lecteur de leur offrir son sacrifice comme être humain qui, du point de vue de la sociabilité, pourrait exiger l’équité quant à la compréhension de l’action et qui ne se voit accorder que des miettes de sens dont l’unique objectif est de le saigner et non pas de le renseigner.


Observons maintenant deux extraits dont la virulence n'est pas quelconque, car ce qui a été énoncé là n'était que " l'introduction "...l'ouverture, étouffante, de ce qui cherche à raréfier le souffle, donc l'air, pour y laisser subsister le gaz...adéquat.

Voyons en les effets, à pleine puissance.

Page 152 : " (...) Chaque texte est une machine à multiples têtes lectrices pour d'autres textes. Pour lire L'arrêt de mort, ( Blanchot : ndla ), et d'abord le titre en son interminable mobilité, je peux toujours lire l'introduction d'un autre texte. Par exemple, en cas, de tel passage de Le pas au-delà ( ibid : ndla ) qui, plus de vingt ans après ( 1973 ), paraît aussi " commenter " le titre L'arrêt de mort :

" * ... Faisant trois pas, s'arrêtant, tombant et, tout de suite, s'assurant en cette chute fertile.

* Survivre : non pas vivre ou, ne vivant pas, se maintenir, sans vie, dans un état de pur supplément, mouvement de suppléance à la vie, mais plutôt arrêter le mourir, arrêt qui ne l'arrête pas, le faisant au contraire durer. " Parle sur l'arrête -ligne d'instabilité- de la parole. " Comme s'il assistait à l'épuisement du mourir : comme si la nuit, ayant commencé trop tôt, au plus tôt du jour, doutait de jamais en venir à la nuit. ( ....).
(...). Dans la première des séquences que je viens de citer, on a remarqué le passage à l'italique. Il indique assez régulièrement la transition d'un mode plus assertif, théorique, impersonnel, à un mode plus fictionnel et narratif, l'entrelacement de ces modes compliquant encore cette opposition, mais n'y insistons pas ici .
(...) ( p 153 ).

Insistons au contraire sur " la première des séquences ".

Observons tout d'abord que Derrida dans le fragment ci-dessus commente cette " séquence " en insistant, par le " on a remarqué ", sur le fait que cette "séquence" exprime " le passage " à " l'italique ", ainsi que la " transition " d'un " mode plus assertif...", à un mode " plus fictionnel et narratif " etc...

Derrida fait, là, comme un commentaire de grammairien sur l'ordre d'apparition des signifiants et de leur catégorisation opérationnelle. Mais, cependant, il ne commente point leur signifié. Ce qui renforce encore plus l'impression d'hyperréalité.
Car, en effet, tout ce qui vient d'être posé comme lecture ne va tout de même pas de soi. Or Derrida agit le plus sérieusement du monde comme s'il parlait à des spécialistes pour qui importeraient seulement le changement de syntaxe.
Ce qui est là l'expression même de l'effacement de trace. Du maquillage. On embaume le lecteur dans une texture signifiante qui ne touche qu'à la forme de l'expression en laissant le signifié sans commentaire.
Ce qui était le but ( sacral ) qui appert être en fait celle d'un protocole expérimental, celle d' une expérience de psy-analyse version Derrida, ou la destruction, réelle, de l'esprit, ce qui est l'ambition, politique, de Derrida depuis des lustres.
Mais pour le moment observons plutôt la " séquence " indiquée qui agit nous dit Derrida comme " machine à multiples têtes lectrices ".
Démontons-en l'arn :

" * ... Faisant trois pas, s'arrêtant, tombant et, tout de suite, s'assurant en cette chute fertile. " ( p 152 ).

Si donc, l'on fait " trois pas ", le résultat donne ceci :
Premier pas : " s'arrêtant ", second pas : " tombant ", troisième pas : " s'assurant " : résultat : " en cette chute fertile ". Le terme " en " vient ,lui, comme créer la direction d'action.
Ainsi donc c'est déjà le fait de “tomber” qui importe comme moyen ; “l'arrêt” est là comme condition de possibilité du moment téléologique ou but, c'est la variable intermédiaire de la fin, à savoir, la mort, “tomber”.
Et, simultanément, " et, tout de suite ", utiliser ( “outilité” : Blanchot, L'amitié, p 109 ) ce moyeu comme motricité permettant d'atteindre le but final, dernier : eschatologique, à savoir : " s'assurant en cette chute fertile ".

Le fait de s'arrêter, de tomber, permet donc, dans ce "tomber" même, d' en faire sa tombe.
C'est-à-dire selon l' une des épitaphes blanchotiennes :
" (...) une passerelle infinie laquelle au moment décisif s'interromprait, deviendrait aussi irréelle qu'un songe sur lequel il faut pourtant passer réellement, (...) "
Ou comment savoir " outiliser " ( ibid, op cit ) le tomber comme cette passerelle qui vient s'interrompre dans la chute, mais, cependant, " pourtant ", qui permet de trouver le moyen, dans l'irréalité que donne cette chute, de prolonger ce qu'apporte ce tomber. Ce qu'il supporte
comme passerelle, infinie, qui s'interromprait certes puisqu'il y a la chute, mais dont le fait même de tomber donnerait comme le vertige d'infinité.
Et c'est cette émotion, détournée, qui, ainsi, transforme ce tomber en une " chute fertile ". C’est-à-dire comme tombe emplie d'une ressource " fertile ".
Autrement dit, le fait de tomber ne suffit pas :

" * ... Faisant trois pas, s'arrêtant, tombant et, tout de suite, s'assurant en cette chute fertile. " ( p 152 ).

Il s'agit, " tout de suite " de " s'assurer " et ce " en " cette " chute fertile".
C'est-à-dire qu'il convient que le tomber, précisément, serve à quelque chose, à savoir rendre " cette chute fertile ".
Mais comment faire ? Que faire ? Comment " s'assurer " que " cette chute " sera " fertile "?
En agissant dans la douleur même du tomber.
En manipulant l'intention . Celle de " s'assurer " en elle, à l'intérieur, d'elle, de la chute, et donc de réorienter le sens de la douleur de telle sorte que la chute puisse être " fertile ".
C’est-à-dire, et nécessairement, en déplaçant, en dé-tournant le sens du tomber afin de donner un sens à la douleur. Il s’agit donc de justifier sa métamorphose en monstruosité émotionnelle. Tout en utilisant la justification intentionnelle, celle de “ s’assurer “ que la “ chute “ soit “ fertile “ comme " passerelle infinie " et ce, malgré la chute qui va interrompre le tomber et faire sans doute mal.
Ce qui implique déjà de se forcer à continuer à tomber, d'inhiber par exemple les mécanismes d'informations à court terme comme la “réaction topique ou taxie “ ( Lorenz 1973, l’envers du miroir, ed Flammarion, pp74-75 ), "d'outiliser" ( Blanchot, op cit ) la réaction même de peur ( ou “ réaction phobique ibidem ) propre à l'acte du tomber, s'y installer, s'y " assurer " via le songe de ce que cette passerelle, du tomber, dans son infinité, va apporter, à savoir la motivation d'y survivre en une chute fertile, d'y sur vivre en son sein, en le choc émotionnel même, qui, pourtant, lorsqu'il se déclenche, vise à avertir l'imminence du contact avec " l'arrêt " et non pas servir comme arête de plaisir.
C'est donc dans ce détournement de sens, cette déviation, ou, torsion, qu'il faut lire l'effet recherché par Derrida, sous les traits de Blanchot .
C'est-à-dire encore : en vue de ce qu'il implique comme effet sensitif, comme résultat, vertigineux. Comme s'il s'agissait d'une espèce d' " électrode " en fait ( Karli,1995, p 37 ) qui vient permettre " l'autostimulation " ( idem ) et donc le déploiement d'un ensemble donné d'états émotionnels dont l'intensité vibratoire fait flasher ( comme dans un flash d'héroïne...ou le vertige donné par un coup, une brûlure, une coutûre, ( Deleuze ), un vomi ( Bataille, voir plus haut ) etc... ), ce qui rend alors la chute " fertile ", bien que pourtant, normalement, cette chute aurait dû plutôt faire mal.
Seulement, ici, la souffrance, prévisible, est subsumée au préalable par la motivation dernière qui tente d'en détourner l'information en lui indiquant, au moment même où la souffrance se déclenchera, que cette chute était tout à fait satisfaisante, plus encore, " fertile "en rapport donc avec ce qui était attendu d'elle ( ce qu'autrefois Bergson avait démontré dans " les données immédiates de la conscience "...).
Ce qui met alors nécessairement, le corps , humain, ses émotions, ses sentiments, ses jugements, ses passions, en position du "rat" placé dans ce laboratoire à la Mengele ( puisque, ici, il ne s'agit pas de rat...).
En effet le corps, ici humain dans cette expérience blanchotderridienne, est réduit à l'état de masse, ou molarité d'intensités, et qui ne sait plus, à terme, comment réagir à ses réactions puisque, à chaque fois, sa réponse émotionnelle loin d'arrêter par exemple une stimulation électrique, ( ou "le tomber" ), est sommée d’accepter le choc du tomber et même d’en renforcer l’impression en la concevant comme “ fertile.”.
Et même si le rat humain tenterait, par exemple, de se rebeller, d’introduire de la contradiction, du conflit, et donc d'adopter une attitude inverse, ( par ex : un arrêt ), il peut se voir envoyer une décharge encore plus importante. Par exemple l'ordre, écrit ( dans tel livre phare que l’on se passe de disciple à disciple ), en vue d' un "tomber" encore plus violent mais que l'on maquillera, programmera, sous le signifié " fertile ".

Observons déjà que ce processus n'a bien entendu rien à voir avec le fait de pousser par exemple quelques aptitudes physiologiques ou proprement psychiques vers leur point optimum tel que l'on peut le voir dans le sport ou à la guerre, car dans ces deux cas, lorsque les émotions et les sentiments,émettent des informations comme la douleur et la peur, mais que pourtant la personne concernée relativise leur pression, il ne s'agit pas là de se saisir de l'énergie même de la douleur et de la peur pour en faire quelque chose d'autre, du moins en moyenne, voire pour s'en servir comme résultat à atteindre, surtout au moment même où elles viennent, mais dans ces cas de figure il s'agit de les inhiber et non pas de les détourner.
Inhibition n'est pas destruction.
Alors qu'à terme, la conséquence morphologique de la destruction volontaire est, psychosociologiquement, semble-t-il, celle-ci :
La peur, totale, gagne. Et son émotion, la terreur, est détournée de sa fonction suprême. Ce qui implique à terme le vertige, et son point extrême la panique, qui s'installe alors comme fureur inversée, et, ouvre dans ce cas totalement le corps à ce qui s'impose ainsi à lui de façon absolue. La “ faiblesse de la synthèse “ ( Janet, 1899, l’automatisme psychologique “, par ex pp,442,452,473,478..., ). et par là la soumission s’installe, ce qui débouche en final sur la “paralysie sans lésion “.
Et ce non pas par “joie” mais précisément pour en finir avec cette distorsion.
En d’autres termes cela commence par la montée de l'étourdissement vers l' inhibition partielle. Puis vers le choc traumatique ou inhibition aggravée pour atteindre la syncope ou inhibition extrême. Et enfin le coma catatonique ou inhibition absolue qui ouvre le moment cataleptique
Tout un processus de destruction schizophrène volontaire d’un “ tomber” dit “ fertile “ et qui peut aussi se nommer sadomasochisme, urolagnie, scatologie, zoophilie, nécrophilie, et enfin meurtre....
Car si la distorsion est volontaire, la recherche de compensation s'avère être, nécessairement, et à terme, de plus en plus agressive ( ce qui donc n'exclut pas les accidents, la mort réelle ) quand bien même cette agressivité se traduise de façon autodestructrice, du moins dans ce cas de figure d’un “ tomber “ et d’une soumission à un ordre littéraire-littéral : ou mode performatif.
En effet plus le corps est ainsi trompé, trahi, plus l'organisme, a fortiori humain, exige des justifications, des auto-stimulations, auto-mutilations, ou alors des vengeances de plus en plus importantes et réelles puisque c'est seulement par cette grandeur intensive qu'il peut compenser l'erreur, l'errance volontaire du départ, lorsque le fait de tomber est décidé. Or le gain se volatilise immédiatement tant il repose sur rien.
De ce fait, le comportement morphologique serait, semble-t-il, le suivant :
Le moindre arrêt, le moindre "tomber", va peser de plus en plus lourd ( justifié éventuellement par le " poids le plus lourd " de telle parole sacrale entendue...).
Et, ceci, peut exacerber, comme vriller la sensation qui ne sait plus ce qu'elle informe puisque les ordres sont tout à fait contradictoires, et de plus en plus.
A savoir ici continuer à tomber, s'y assurer, au lieu d'arrêter. Ce qui crée, du fait de ces informations contradictoires ( ou double bind ) un mouvement de torsion, distorsion, contorsion inouie, hystérie, fébrilité et/ou extrême fatigue du chaînon étourdissement-trauma-vertige-syncope-coma- état catatonique et enfin cataleptique. Et toujours en attente de l'ordre ( à l'instar du chien de Pavlov ), toujours contradictoire, de “ l’expérimentateur “, du maître/maîtresse, tortionnaire, y compris textuel comme ici, afin de passer de l'état d'inertie à l'état d'auto-mouvement.
C’est-à-dire en un état tel que l'esclave-Eurydice-ou le lecteur, devienne la " tête de lecture " de ses propres états de tension, torsion, contorsion. Et il espère, implore, redoute, et, à terme, et c’est ceci qui est sans doute le plus criminel, il ne s’agit de moins en moins d’un jeu. Le lecteur qui accepte ainsi de “ jouer “ ne peut guère en simuler seulement les effets. Puisque, pour que cela marche, il faut que tout ceci vraiment se construise au delà d' un simple jeu. C’est là la variable indépendante implicite. Comme si la mort ou la folie était vraiment là de bout en bout ( et elles arrivent, comme 2 et 2 font, vraiment, 5...à terme, comme l’a montré Orwell...).

Tout ceci entraîne donc des conséquences, non prévisibles nécessairement par le participant, surtout débutant. Et qui pense seulement se préter au jeu, pour faire genre dans tel ou tel cercle de référence.
Or il se donne en fait à celui qui joue ici le rôle de Brutus.
A savoir l'auteur, supposé fictif, de cette mise à mort proposant de “ tomber “ de façon “ fertile “. Alors qu'il s'agit d'un auteur réel, bien qu'hypocrite, et qui met vraiment en arrêt de mort. Tout en énonçant en cas de protestation, que la victime était volontaire, qu'elle s'est donnée gratuitement au jeu.
Ainsi il appert, en fait que la décision, au départ volontaire, du sujet à cette expérimentation est en fait flouée, car il va non seulement jouer sa mort mais la jouer authentiquement, pour de bon mais ce sans le savoir.
Et ce à l'instar de ces fausses expériences en psychophysiologie et en psychosociologie, où l'on donne des informations erronées aux participants, comme le fait d'envoyer des décharges électriques à de supposés fautifs, et ce afin d'analyser jusqu'à quel point les participants vont se prêter à cette mise en scène.
Sauf que là les décharges électriques sont réelles, du moins, dans la tête (de lecture) du lecteur.
Ainsi ici, dans le cadre de l'expérimentation à la Blanchot-Bataille-Derrida-( mais aussi Foucault-Deleuze-Lyotard ), tout le protocole mis peu à peu en place, à l'insu des participants, est, également, de moins en moins un jeu ou une initiation mais une réelle mise à mort : ou la mise progressive en catatonie-catalepsie. Le maquillage consistera alors de considérer cet état comme un état parmi d'autres. Comme une contemplation d'un type certes spécial mais non moins équivalente avec la supposée " raison


Page 161 : mise en place d'un nouveau protocole expérimental, ou piège à particules en vue d'une nouvelle mise à mort.

Nous interviendrons comme filet de protection, et filtre d' analyse, au sein de parenthèses précédées du signe /, car cet extrait est un peu long et nous n'avons guère besoin de commenter mot à mot puisque nous en avons fait déjà auparavant l'anatomie . Nous interviendrons cependant également plus longuement, hors des parenthèses, lorsque nous le jugerons nécessaire :

" (...) J'extrais ce passage de la " première partie " du livre ( L'arrêt de mort de Blanchot, ndla, ), du " premier " des deux " récits " : ni partie, ni tout, ni pars totalis, ni première en toute rigueur, aucun mot ne convient plus et les guillemets non plus. "

/ ( Derrida va donc, à un certain moment faire corps avec le texte même de Blanchot, sans mettre de guillemets, il faut donc commencer à se préparer à voir de plus en plus Blanchot agir sous les traits de Derrida ) /

"-Je découpe de façon un peu barbare et illégitime comme on fait toujours, en faisant fonds sur un contrat implicite, le contrat impossible- "

/ ( attention, il est en train de vous proposer un " contrat " à savoir l'expérience d'arrêt de mort décrite plus haut...)/,

" à savoir : vous lisez " tout " "

/ ( vous buvez toute...la formule...du poison proposé par celui qui veut devenir Brutus. N’oubliez jamais cette condition de possibilité ) /

" et vous connaissez à chaque instant " tout " "

/( la " Voie " )/

"le " corpus " par coeur "

/( c'est donc le piège, la carotte : vous devenez donc Blanchot-Derrida, du moins en apparence ) /,

" d'un coeur vivant qui bat sans arrêt, sans même une pulsation. "

/ ( Observez l'ordre -d'apparition- proposé :
Comment un coeur, vivant, peut-il battre sans arrêt et sans même une pulsation, sinon en s'arrêtant, tout en lisant, buvant, sans arrêt ? Autrement dit, d'un seul coup, souffle coupé : comme lorsque l'on se prépare à épouser, totalement, l'identité qui va être proposée, qui vient maintenant : )/

" Peu auparavant, elle, J., avait demandé à son médecin qu'il lui donnât la mort."

/ ( Comme l'ordre, plus haut vous a été donné de lire " tout " , d'arrêter votre coeur : sans même une pulsation, automatiquement, mécaniquement, soumis, vous voilà en train de plutôt vous identifier, et sans arrêt, à ce " J " qui demande à son médecin de lui donner la mort...Mais vous pouvez aussi basculer du côté de l’auteur, du médecin) /.

" Elle le lui avait demandé comme on demande une grâce, et la vie. Pendant cette scène, J., lui dit : "" Si vous ne me tuez pas, vous êtes un meurtrier . ". J'ai vu, depuis, un mot analogue attribué à Kafka. "

/ ( Ici, premier leurre, le temps que le poison fasse son effet, doublé d'un cadre de référence afin d'amortir l'effet d'annonce : Kafka. Pendant ce temps là vous voilà empêtré dans cet ordre contradictoire qu'il vous faut cependant " lire " d'un coup, " sans même une
pulsation "...Vous êtes donc immédiatement écartelé, interloqué, mais Kafka intervient ) /.

" Sa soeur, bien incapable de l'inventer me l'a rapporté "

/ ( Là, vous avez un semblant de choix, mais comme l'objectif principal est tout de même, selon le " contrat " proposé plus haut, de lire "tout" afin de connaître le " corpus " à " chaque instant " ce " tout ", c'est-à-dire la méthode blanchotienne d'arrêt de mort, vous voilà alors plutôt en instance de passer dans le pronom " me " de la locution " me l'a rapporté ", ce pronom agissant comme apparence de protection devant ce qui vient d'être énoncé, et qui n'est pas quelconque, alors, qu'en fait il s'agit d'un piège, car en s'identifiant à ce " me ", que vous lisez " sans pulsation ", si vous voulez connaître son " corpus " vous voilà emporté à accepter la suite et ce sans broncher, sans arrêt... chaque proposition devenant de plus en plus lourde, et vous, de plus en plus léger, vaporeux, ayant abandonné votre raison au pronom
" me "...) /.

" Sa soeur, bien incapable de l'inventer me l'a rapporté sous cette forme et le médecin l'a à peu près confirmé ( il se rappelait qu'elle avait dit : " Si vous ne me tuez pas, vous me tuez " ). "

/ ( Observons que toute la scène se passe sous l'autorité d'un médecin qui vient s'ajouter à celle de Kafka, et qui vient amortir encore plus la sonorité du propos puisque le " vous me tuez " ne sonne pas comme " vous êtes un meurtrier "...
C'est là en fait le moment de détente, et en même temps le moment où l'identification peut donc aussi aller vers le médecin, en le jaugeant, en se jaugeant, cette fois, comme meurtier en puissance...Un choix ici semble s'amorcer, mais en fait il s'agit de plutôt s'identifier en " J " et donc d'être en même temps " J " et le médecin, tout en s'abandonnant de plus en plus au " corpus " au " me ", à l'auteur du contrat... triple écartèlement dans ce qui être supposé un mixte entre littérature et théorie et bien autre chose encore...mais dont l'objectif stratégique est d'accentuer la perte de repère...)

" Le médecin, mais aussi bien le narrateur, doit recevoir cette sentence comme une demande impossible. "

/ ( Ainsi s'opère une limitation qui en apparence fait office de délimitation en contenu mais agit, en surface, comme élément frustrateur, et qui, d'un coup, et ce à l'instar de l'inflexion donnée à une bille dans un flipper, renvoie vers la seule identification qui reste celle de " J. ", celle qui demande sa mise à mort...Ce qui crée encore un processus de double contrainte, mais qui, tels les noeuds coulants, se resserre si l'on s'y débat puisque si l'on se rebelle, l'identification à J., prend de plus en plus de poids. Par contre si l'on accepte la diffraction dans le médecin et le narrateur, ceux viennent de plus en plus s'identifier au propre jugement du lecteur...) /

" Double demande contradictoire, double postulation à laquelle on ne peut tenter de répondre qu'en cessant d'y faire droit. Cette sentence ( " Si vous ne me tuez pas, vous êtes un meurtrier " ) énonce, produit plutôt, institue une loi dont la structure vous met en situation de fatale transgression. "

/ ( Là, le texte dit exactement l'inverse que précédemment puisque plus haut il est déclaré que " Le médecin, mais aussi bien le narrateur, doit recevoir cette sentence comme une demande impossible. " , tandis que là, il est postulé que cette " double demande ", pourtant " impossible ", " énonce, produit plutôt ", -et là c'est le " plutôt " qui fait office de levier-, une " loi dont la structure vous met en situation de fatale transgression ".
Mais, pourquoi diable, si elle est " impossible "?
Remarquons déjà que le lecteur est pris à témoin par le pronom " vous ". Observons maintenant que dans la phrase précédente qui déclarait la chose " impossible ", il était souligné que " Le médecin, mais aussi bien le narrateur, doit recevoir cette sentence comme une demande impossible ...".
Or c'est justement le verbe " doit " qui est maintenant proposé, comme devant être "fatalement transgressé".
Autrement dit, Derrida est en train de vous proposer, à cet instant T, le fait de "transgresser" ce " tu dois ", et donc, de se détacher du médecin comme du narrateur, pour s'identifier en fait à ce qui permet la transgression.
A savoir d’une part identification à " J. " qui demande sa mise à mort.
Et, aussi identification à la " tête de lecture "
C’est-à-dire ici à ce qui incite maintenant précisément à cette transgression. Autrement dit le " corpus " Blanchot-Derrida, sommé d'être lu " par coeur " et " sans pulsation".

Ainsi, il faut donc repérer que le côté " impossible " est annulé par la dite " fatale transgression ".
Et ce, -c'est le pompom du genre, non pas par l'auteur, à savoir ici Derrida sous les traits de Blanchot, mais, à cause de " la sentence " . Puisque son côté supposé " fatal " serait " plutôt " une " loi " qui en serait comme le " produit " et, par ce biais, " vous met en situation de fatale transgression ".
Or, cette " structure même " dont parle Derrida, n'est pas propre au contenu, social, de la sentence, puisqu'il est possible au lecteur de la déclarer "impossible " et donc d’ écarter toute cette demande de mise à mort.

Ce qui implique que cette dite " structure ", qui produit ainsi cette " situation de fatale transgression " est, en fait, précisément celle de Derrida, qui, sous les traits de Blanchot, vous intime l'ordre de vous mettre en situation, de "fatale transgression".
En fait toute structure est nécessairement liée à la théorie qui présente les éléments interagissant dans l'objet,
( voir Boudon, 1968, A quoi sert la notion de "structure"? ed Gallimard, par ex p 210 ).
Ainsi ce qui compte pour Derrida c'est que le lecteur puisse prendre, au pied de la lettre, autrement dit à sa racine aux multiples ramifications souterraines, ce qui est indiqué tout le long de ces divers énoncés, et qui se nomme le jugement performatif :
" Enoncé qui constitue simultanément l'acte auquel il se réfère ( ex. Je vous autorise à partir, qui est une autorisation à partir ) -Petit Robert- )

La suite du texte le confirme amplement : /

" Et pourtant du même coup, vous lui obéissez dans la transgression même qu'elle aura prescrit. "

/( l'ordre performatif est donc réitéré : “vous lui obéissez “ puis ensuite clairement prononcé comme nous allons maintenant le lire : ) /

" Car pour ne pas être meurtrier, je dois lui donner la mort."

/ ( Pourquoi donc ? D'où vient ce " car " alors que la dite " sentence " était déclarée " impossible " plus haut ?
Ce " car " est légitimé par le jugement performatif précédent qui ordonnait la transgression.
Ainsi Derrida crée avec ce " car " une connexion logique qui n'existe que dans sa tête ( de lecture : le code blanchotien ). Et il invite le lecteur à s'engouffrer dans le " je " ou alors dans le " lui " ou bien encore de rester dans l'expectative voyeuriste et attendre qu'on vienne lui "donner la mort", ou bien dans les trois ensemble : triple fourchette.
Retenons également que la locution " donner la mort " renvoie aussi à la connotation du don, de la donnation, renforcée à la fois par le verbe de " je dois " et le " car " de " Car pour ne pas être meurtrier (...) ".
Autrement dit si "je" ne veux pas être "un meurtrier", "je" dois lui donner la mort, la lui donner, comme on donne un baiser ( celui de Judas. Ou celui du comte Dracula...).
Nous verrons aussi que ceci ne s'épuise pas encore dans les connotations puisqu'il s'agit d'analyser également ce qui est ainsi " donné " à savoir " la mort ". Est-il possible de donner la mort ? Nous en reparlerons par la suite puisque Derrida soulève également cette pierre tombale...). /

" D'où l'infinie violence de ce qu'on peut appeler strictement un double bind, la double obligation, la double demande."

/ ( Ici, Derrida, réintègre un rôle professoral, de philosophe “normal” qui semble constater, souligner, par un mot savant le processus apparent, alors qu'il s'agit pour lui d'amortir le choc de cette transgression exigée performativement plus haut. Bref, il noie le poisson...il joue le rôle du tortionnaire gentil qui donne une taffe de sens normal avant la prochaine dérouillée que le lecteur est censé attendre, implorer, exiger, redouter, de plus en plus, tant il doit être, en principe écartelé, imaginairement, psychiquement, éthiquement, cognitivement, sociologiquement.
Et il doit accepter cet écartèlement. Du moins s'il veut posséder ce que Derrida lui a promis tout à l'heure dans le " contrat " rappelez-vous :
Vous lisez " tout " et vous connaissez, à chaque instant, " tout " le " corpus " par coeur..."
Cela vaut bien une transgression non ?
D'autant que Derrida vous dit qu'elle est " fatale " , puisque c'est à cause de la " sentence " qui " institue une loi dont la structure même vous met en situation de fatale transgression " : ce n'est donc pas votre faute, vous voilà déssaisi; de même que Derrida agissant sous les traits de Blanchot... ou vice versa... ) /.

" (...) Comme à la demande d'un récit impossible, le narrateur est lui aussi soumis à la violence de cette loi intraitable.
Entre ce double bind et la double invagination que nous décrivions plus haut, c'est le passage de la même loi. Celle de l'arrêt de mort. Le narrateur s'oppose ici au médecin, ( comme aux médecins de La folie du jour ) "

/
Ici semble agir une aporie. Et en apparence sous forme paradoxale alors qu'il s'avère être toujours d’un jugement performatif. Mais en fondement sous-jacent :
En effet, en quoi le "narrateur" " s'oppose ici au médecin "? Alors qu'il est dit plus haut que le " narrateur est lui aussi soumis à la violence de cette loi intraitable " ?
Dans un premier abord, et le terme " s'oppose " peut le signifier, s'instaurerait un quelque chose, qui "s'oppose" à ce qui, dans le " soumis ", serait en question.
Le narrateur et le médecin, s'opposerait à partir de ce qui dans " la violence de cette loi intraitable " voudrait soumettre.
Il s'agirait presque là comme un " conflit des facultés ". Mais en apparence. Car ce qui est " soumis ", à comparaître, devant la raison du lecteur, c'est précisément la transgression, et dont l'acceptation oppose en fait le médecin et le narrateur, quoique l’ on ne sache pas trop pourquoi. Du moins en apparence.
Car, dans un second abord, est suggéré que l'identification au narrateur, exigée plus haut, et ce en tant qu'il est " soumis ", se double, maintenant, d'une identification avec "l'opposition" supposée entre le narrateur et le médecin.
Seulement il s'agit d'un leurre.
En effet cette " opposition " semble tout d’abord soulever une espèce d'espoir puisque l'on peut supposer que le lecteur, lui, n'a pas nécessairement avalisé cette soumission à la transgression.
Mais comme deux précautions valent mieux qu'une pour que l'expérience réussisse, il faut donc pour Derrida aller chercher le lecteur dans sa réserve, dans sa possible " invagination " .
Et il est possible de le faire en lui suggérant que le narrateur, bien que "soumis", "s'oppose", au médecin.
C’ est-à-dire à une autorité. L'on peut alors supposer que cette “ opposition “ soit susceptible de créer dans l'esprit du lecteur une rébellion. Ce qui incite le lecteur à chercher plutôt l'identification vers ce qui “ résiste “ ainsi. C’est-à-dire le narrateur. Identification renforcée par cette " opposition " dont nous ne savons encore rien mais qui laisse supposer un désaccord sur la manière de répondre à "J" qui avait dit :

" Si vous ne me tuez pas, vous êtes un meurtrier ".

C'est donc toujours le processus de l'écartèlement, avec un léger avantage pour l'instant au narrateur.
Et tout ce proces de production “victimal” est en fait beaucoup plus qu'un double bind, mais un triple, un quadruple, et, en fait, un bind à la résonnance infinie.
Tel le lancer d'un faisceau de particules dans un cyclotron mental tant le lecteur, de plus en plus, doit se diffracter, s'éparpiller, se contorsionner, se recroqueviller. Et là in fine Derrida est venu le chercher en lui proposant d’entrer- de cliquer- d’expérimenter, dans la peau virtuelle du narrateur...)

" Le narrateur s'oppose ici au médecin (...), mais il est aussi du même côté devant l'injonction de J. "

/ ( Nous ne savons donc toujours pas sur quoi, réellement, le " narrateur " " s'oppose " au " médecin " puisqu'il est " du même côté " que lui devant " l'injonction de J. ".
Et d’ailleurs en quoi s'oppose-t-il ? Et quel est ce " même côté " puisque nous savons pas, pour l'instant, ce que le médecin a répondu à "J."
Il faut donc lire cette phrase comme les autres. C’est-à-dire non seulement comme suggestion performative, mais de plus en plus comme injonction derridienne envers le lecteur, lecteur surveillé et puni si celui-ci ne s'identifie pas et de plus en plus de quatre façons au moins :
-d’une part au "narrateur" qui, paraît-il, " s'oppose ";
-éventuellement au "médecin" d’autre part,
-ensuite, et pour les dialecticiens férus, une identification est aussi proposée envers l’ "opposition" supposée entre narrateur et médecin;
Sans oublier enfin l’identification à "J." pour les jeunes lecteurs avides de dénuement mystico-torride .
Tout ce dispositif de surveillance et de punition possède donc quatre pôles. Comme quatre membres. Et que l'on écartèle. De plus en plus. Cela tire...craque... de partout.. Pour arriver à : ) /

" Il signifie, arrête, donne la mort, il est l'" auteur " de la mort "

/( Ici transparaît alors, et par excellence, le couperet fou du Guillotin Blanchot dont la lame est si minutieusement rouillée par Derrida. Il convient donc d'y prêter le plus d'attention possible. Car il s'agit de suivre encore plus attentivement le procédé de transgression qui en est maintenant à sa phase d’exécution. Et qui est quasiment du performatif sur le mode de l'impératif :

"Il" ( toi, lecteur, ) "signifie" ( signifie : autrement dit : lecteur, à vous de faire ), " arrête " ( prépare-toi ) " donne la mort " ( tue ).
Le pas est franchi. Résultat : " il " ( toi, lecteur ) " est l'"auteur " de la mort " .

L’exécution de la transgression est donc enterinée.
Malgré le malaise dû au flou artistique entourant le pronom “ il “. Car l’on ne sait pas, strictement, s’il s’adresse au médecin, au narrateur, au lecteur.
Il existe néanmoins une complicité entre les trois, une “ amitié “ ( au sens de Bataille-Blanchot : amitié entre meurtriers puisqu’il s’agit ici de tuer ).
En ce sens, surgit maintenant un " auteur " qui fluctue entre narrateur, médecin et lecteur et dont le flou autour du pronom “ il “ sert à brouiller les pistes, effacer les traces en montrant qu’au fond seul l’auteur réel du crime serait “ l'effet de structure “. Au même titre que les crimes bolcheviks...
Seulement il apparaît que le dindon de la farce, celui qui est " mort ", en réalité, -du moins spirituellement dans un premier temps, c’est-à-dire par cet écartèlement mental ne donnant aucune autre issue que d’être le vecteur de la transgression avant de sombrer ensuite dans une dépression morale ( dans tous les sens du terme )- c'est le lecteur, qui, en ayant accepté l'ordre : " arrête, donne la mort ", meurt vraiment au moment même où il accepte et pense pouvoir s’en dédouaner en se persuadant qu’il le fait uniquement comme poussé par les évènements : il n’est que l’impact de l’effet de structure :

“ (...) dont la structure même vous met en situation de fatale transgression (...) " ( op cit ).

Seulement, au-delà de cette circonstance atténuante, il n’en reste pas moins que si le lecteur a bien procédé “ sans pulsation “ il est complice de la mise à mort.
Et donc le lecteur a effectué le véritable meurtre, le sacrifice attendu : lui-même : Eurydice. Puisque sa seule acceptation à cette triple identification équivaut à un pas de la vraie disjonction entre l'humain et l'inhumain. “Il” vient donc de déposer une passerelle entre ces deux antinomies et a tué en s’immolant comme victime, “fatale”, de la transgression.
Le lecteur est enfin " sorti de l'unité " ( Blanchot in l’Amitié, op cit ), comme prévu, c'est-à-dire exsangue : vide de son sens, humain.

Résumons le procédé ainsi que le processus de maquillage avec la suite du texte qui souligne assez bien l’ effet de souffle : ) /

" Il signifie, arrête, donne la mort, il est l' " auteur " de la mort, mais il ne fait en cela qu'obéir à une demande, "

/ ( Ici, Derrida joue donc, et en même temps, sur deux tableaux ( voir également “ Positions”, ed de minuit, p 56, ) :

1°/
Déjà au niveau " littéraire " qui suggère maintenant que la demande de " J. " a été acceptée par un interlocuteur x, le médecin, le narrateur, le lecteur puisqu' “il” est " l' "auteur " de la mort ".
Et “ l’effet de structure “ sert immédiatement comme levier permettant la trangression ( celle du meurtre ) puisqu'il est maintenant dit " mais il ne fait en cela qu'obéir à une demande ".
C'est la conjonction " qu' " qui importe ici, en ce sens qu'elle arrête le contenu sous le concept de l'obéissance.
Il a tué parce qu'il a obeit à une " demande ", celle-ci étant suggérée implicitement comme possible effet de la " structure " qui met " en situation de fatale transgression ". L'obéissance est donc légitimée ainsi que le meurtre, qui, lui-même, n'est qu'une réponse à ce qui était déjà dans la question.
Dans tous les cas de figure la " victime " et ce y compris le " meurtrier ", celui qui transgresse, tout le monde est en fait " victime " de la " situation ", comme l'on dit de nos jours " victime de la machine ", ce qui permet de déresponsabiliser et de mettre la " faute " sur le dos du " système ".
Or nous savons qu'il n'en est rien et c'est justement ce que Derrida suggère aussi à un second niveau de lecture ; c'est précisément le second tableau :

2°/
En effet, Derrida tient ensuite à démontrer qu'il intervient également au niveau stratégique, politique, c'est-à-dire dans son propre projet à lui lorsqu'il écrit un tel livre. En ce sens que, ici, il avoue bel et bien qu'en fait la vraie " demande " vient du véritable auteur, à savoir Derrida, qui montre ainsi comment le lecteur croit être devenu meurtrier, par la transgression, alors qu’en réalité il est la seule victime de l’histoire, ou plutôt de l’expérience intérieure.
En d'autres termes, cet “aveu” sert à Derrida comme une sorte de commentaire de résultats expérimentaux visant à la fabrication de " mort " ( en Eurydice : le lecteur, ) et de "vivant" ( en Orphée : lui, Derrida ). Résultats qu'il vérifie, falsifie, selon le protocole d'accord de départ, et ce afin de bien montrer qu'il est, lui-même, Derrida, bien devenu " Brutus ", conformément au " corpus "blanchotien.
Ainsi, dit-il par la suite : ) /

" mais il ne fait en cela qu'obéir à une demande, à une demande à la fois impossible à satisfaire et satisfaite à partir du simple moment où elle est formulée, puisque sa propre transgression est à son programme. "

/ ( C'est donc toujours le processus de vérification mais de mieux en mieux dévoilé.
Car Derrida parle, en même temps, à d'autres locuteurs qui nous échappent et qui doivent sans doute vérifier si Derrida a bien rempli le " contrat " proposé p 161 au lecteur x.
Ainsi Derrida peut, maintenant, expliquer un peu plus clairement comment il a procédé dans le contrat de meurtre.
Le fait par exemple qu'il ait employé, à un moment donné, et nous l'avons bien repéré, le jugement performatif qui incite, dans l'interaction, à faire précisément ce qu'il énonce : " impossible à satisfaire et satisfaite à partir du simple moment où elle est formulée, "...

Seulement, là où il y a manip, ce n'est pas au moment où "elle est formulée", mais où Derrida demande au lecteur de l’accepter non pas comme “transgression “ mais comme " fatale transgression ". Ce qui permet de jouer avec la lâcheté du lecteur qui se défausse sur l’aspect “ fatal “ et par ce biais accepte de devenir meurtrier et donc victime de Derrida-Blanchot puisqu’il a accepté le “ contrat “ celui de transgresser, de tuer “ J” .

Derrida continue en fait à accomplir le même processus de décharge, recharge, bref de tuerie, à l'automatique ( nietzschéen-bataillien-blanchotien ).
Et il continue à tirer ( attirer ) y compris (sur) d'éventuels examinateurs, afin d' effacer le fait que c'est lui qui a suggéré la transgression et non pas le fait que ce qui est " formulé " aurait été, pour lui-même en quelque sorte, sa propre transgression, ce qui ne voudrait rien dire, ( sauf à se décharger sur l'oeuvre...).
En effet comment une simple formulation pourrait, elle-même, s'auto-transgresser, ou même se réaliser, y compris dans son irréalité, sinon via un support, le lecteur, et un vrai narrateur-tueur, Derrida caché derrière les traits de Blanchot.

Autrement dit la dernière locution " puisque sa propre transgression est à son programme ", tente d'effacer les traces du crime en se rabattant brutalement sur le niveau littéraire, sur la formulation énoncée par " J. ", alors que la véritable transgression s'établit, elle, dans le fait de l'accepter comme " fatale ". C’est ce qui est suggéré au lecteur. Et, lorsque celui-ci l'accepte il a, lui, vraiment, transgressé, et partant, le vrai auteur aussi.
Seulement la seule victime, dans cette histoire, c'est le lecteur, ( J. aussi, éventuellement, mais c'est de la fiction...) et le seul gagnant c'est Derrida.

Relisons alors maintenant les deux dernières phrases, en observant ceci :

" Double arrêt de mort, donc : " Si vous ne me tuez pas, vous êtes un meurtrier. " Elle, J., demande donc cette morphine, cette drogue pharmaceutique à double effet, cette mort que finalement je lui donnera. Mais dans l'intervalle, je aura arrêté, suspendu la mort, il aura dans l'intervalle donné l'intervalle et c'est l'événement sans événement de cet arrêt de mort. "

Circonscrivons ce lambeau : " Mais dans l'intervalle, je aura arrêté, suspendu la mort, il aura dans l'intervalle donné l'intervalle..."

En effet, Derrida "aura" poussé le luxe jusqu'à, "dans l'intervalle, " "donné l'intervalle ".
Qu'est-ce à dire ? Ceci :
Entre le moment où Derrida a donné l'ordre au lecteur de tuer " signifie, arrête, donne la mort " et le moment où il suspend la chose par le " Double arrêt de mort, donc : " ( voir plus haut ), il existe, en effet, un intervalle, que Derrida, via le " je ", " donne " .
En ce sens que Derrida,ici, “suspend la mort ". C’ est-à-dire d’une part s’explique à la façon d’un expérimentateur qui suspend l’expérience pour en décrire déjà le résultat atteint. D’autre part il suit la stratégie de Blanchot qui propose d’expier à chaque fois l’expérience en cours, d’aller “ à confesse “ au fond, pour pouvoir bien expirer ( dans tous les sens du terme ).
Ainsi après avoir tué le lecteur, sommé lui-même de tuer " J " par le " signifie, arrête, donne la mort " , Derrida décrit, au même moment, qu'il a bien rempli tout le programme du protocle de départ, en ce sens qu'il aura également " donné l'intervalle ", à savoir précisément le fait de le
d-écrire.
Le cercle est bouclé. Et le lecteur est mort. Double arrêt de mort puisque en tuant le lecteur ( Eurydice ) Derrida se tue en même temps, du moins comme homme mais sur vit en Orphée, en l'auteur réel, tout en expiant, en confessant le crime :
"Mais dans l'intervalle, je aura arrêté, suspendu la mort, il aura dans l'intervalle donné l'intervalle..."

Et Derrida y met alors la touche finale : " et c'est l'événement sans évènement de cet arrêt de mort ".

Ce qui implique que le seul vrai évènement, pour Derrida, c'est d'avoir expié " donné l'intervalle ".
Tandis que pour nous c'est en fait la mise à mort du lecteur .
Relisons ce dernier passage :
" Mais dans l'intervalle, je aura arrêté, suspendu la mort, il aura dans l'intervalle donné l'intervalle et c'est l'évènement..."

Autrement dit : le vrai évènement c'est tout ce qui précède le " et c'est l'évènement ". Bref, il faut lire le " est " de : " et c'est l'évènement " comme jugement performatif, c'est-à-dire à effet immédiat : et c'est l'évènement. Mais quoi ? Le fait de " donner l'intervalle ".
C’est-à-dire d’arriver à expliquer de façon froidement (anti)rationnelle au fond, le procédé de la mise à mort du lecteur afin que d’autres expérimentateurs blanchotiens puissent vérifier si Derrida peut être élevé au rang “ d’ami “ au sens de Bataille-Blanchot....
Alors que la suite est " sans événement ". En ce sens que tout a été déjà accompli. Et le fait que l'on apprenne que le médecin a en fait donné la morphine à “J.” importe peu.

Et précisément, sur ce dernier point, notre analyse résiste à l'objection d'interprétation non fondée car si l'on s'en tient à la lettre du texte, il n'est pas possible de concevoir que le fait que " je " donne à " J., " cette " morphine, cette drogue pharmaceutique à double effet " soit " l'évènement sans évènement ".
Sauf si l'on a accepté, auparavant, toute la mise en scène précédente. A savoir le fait que cela soit la " sentence " qui " produit plutôt, institue une loi dont la structure même vous met en situation de fatale transgression " ce qui dédouane le lecteur comme forcé par les évènements, mais en fait l'enferme dans une véritable disjonction entre être humain et être mort.
Autrement dit, il n'est pas possible de considérer le fait que le médecin puisse donner la morphine à J., chosequi va la tuer, comme un " évènement sans évènement ". Sauf si l'on a entamé tout le processus de mort façon Blanchot. Afin de mourir (en Eurydice) et sur/vivre ( en Orphée).

De ce fait la version écrite en encre sympathique de ces deux phrases, pourrait être celle-ci.
Rappelons la version officielle :
/ " Double arrêt de mort, donc : " Si vous ne me tuez pas, vous êtes un meurtrier. " Elle, J., demande donc cette morphine, cette drogue pharmaceutique à double effet, cette mort que finalement je lui donnera. Mais dans l'intervalle, je aura arrêté, suspendu la mort, il aura dans l'intervalle donné l'intervalle et c'est l'événement sans événement de cet arrêt de mort. "/
Donnons maintenant la version en encre sympathique :

Contrat :

Si vous ne me tuez pas, vous êtes un meurtrier. Le lecteur demande donc ce corpus, cette lecture à double effet, cette mort que finalement, Derrida lui donnera. Mais dans l'intervalle Derrida, sous les traits de Blanchot, lui-même sous les traits de Hegel, aura arrêté, suspendu la mort, Derrida aura dans l'intervalle ex-pli-qué ( expié ) donné l'intervalle et c'est l'événement, tandis que la suite n'est que le matériel de cet arrêt de mort.

L'apothéose, et en même temps le tragique, est que ici Derrida se prend pour la dialectique, elle-même ; pour Hegel, Blanchot... Bref il absorbe tout, comme Lénine, comme la mort. Il est la mort. C'est-à-dire le pas au delà, non seulement Dieu ( qui est mort ) non seulement l'univers, mais ce qui le détruit :
l'espace sans rien : trame éclatée : il ne reste plus que des fragments de points sans aucune possibilité de les relier sinon par son biais à lui Derrida, nouvelle liaison, c’est-à-dire nouvel entendement du lecteur, mort ,

( “ (...) la liaison n’est pas dans les objets et n’en peut pas être tirée par la perception, pour être ensuite reçue dans l’entendement; mais elle est uniquement une opération de l’entendement, qui n’est lui-même autre chose que la faculté de former des liaisons apriori, et de ramener la diversité des représentations données à l’unité de l’aperception. C’est là le principe le plus élevé de toute la connaissance humaine. (...) “ Kant. CRP. III, 110, déduction transcendentale, analytique des concepts, trad Barni, ed garnier-flammarion, p 156 ),

réduit à l’état de zombi, machine à tuer. Et avec des lames rouillées : faux paradoxes, défausse sur l’effet de structure...qui d’ailleurs, à la marge de ce texte peuvent se nommer l’Occident, le colonialisme...

Il s'agit donc de penser tout le texte derridien en interaction avec tout le système mis en place avec Blanchot, Bataille, durcissant Lénine, et qui pourrait se blanchir définitivement dans cette dernière solution, finale :

" (...) J., (... ) : " Avez-vous déjà vu la mort? - J'ai vu des gens morts, mademoiselle. - Non, la mort! " L'infirmière fit signe que non. " Eh bien, vous la verrez bientôt. " Ce n'est donc pas d'une mort, ni d'une morte, d'une personne morte ou survivante, entre vie et mort, qu'il s'agit, ce n'est pas une morte ou un mort qui se décide ou s'indécide en cet arrêt de mort, mais la mort ( personne de mort) - la Chose-même comme autre. Et je, qu'on vient d'appeler ( " Venez "), arrive comme la mort, comme mort. (...) " ( p 164 ).

/ Ainsi “ je “, - entendez l’ipse de Bataille, le “ je “erratique de Blanchot : ou l’errance qui prend forme selon la demande ou l’inertie ), “arrive comme la mort, comme mort.”
Mort “ qu'on vient d'appeler ( " Venez ") “.
Non pas “ un “ mort mais “ la “ mort qui “ vient “.
Qu’est-ce à dire ?
C’est le nerf même du sortilège. Blanchot-Derrida font croire au lecteur qu’ils sont comme au contact avec “la” mort même, à l’instar de Foucault qui était au contact avec la folie même, qu’il était (en ) elle.
Ainsi Derrida prétend faire mieux qu’Hegel ou Platon : l’Idée, liée au Même ( à l’Un ) n’a pas besoin de s’actualiser ( de s’aliéner ) dans l’Autre, ( dans l’Etre ) afin que son Esprit ( son âme ) puisse en retour enrichir l’Idée ( réminiscence chez Platon, récollection chez Hegel ).
Chez Derrida l’Idée de la mort est directement là, sans aucun autre intermédiaire. Il suffit de l’appeler.
De deux choses l’une :
Soit il s’agit de banalité mixant donc Hegel et Platon.
Soit il s’agit de jouer l’intercesseur entre le lecteur et “la” mort et donc déjà se poser comme passeur construisant un lien entre X et la mort.
Or comme le contact avec “la” mort n’est pas possible, en tant que tel, puisqu’il faut bien un mode donné d’actualisation :. C’est-à-dire une finalisation et des moyens correspondants : meurtre.

Il appert donc que Derrida, à la suite de Blanchot, produit toute une industrie meurtrière et mortuaire. C’est-à-dire avec en sus musique, choeur, chants, marche funêbre, tombe, comprise : toute une cérémonie sacrificielle donc. Celle de la mort de l’homme, celui du travail et du besoin, de tout homme en général puisqu’il leur faut alimenter leur passage vers l’au-delà que l’on peut déjà exaucer sur terre :
“ (...) où mourir n'aboutit pas à la mort, où l'on n'espère plus dans la mort, où celle-ci n'est plus à venir, mais est ce qui ne vient plus (...)" ( Blanchot, l’espace littéraire p 125, voir explication en V ),

ce qui permet la constitution de monstres.
Ce qui, microsociologiquement, implique maintenant la constitution de dieux-monstres n’ayant comme seul but ou “ Idée “ que leur propre reproduction en tant qu’entités sans autre foi et loi que la leur.
Et ceci nous ramène alors, en cette fin du vingtième siècle, sur un terrain connu...

Observons dans ses fondements la virulence de cette “ Idée “.




GG

Structure de la destruction derridienne


Ainsi, après cette dernière dissection il est tout de même loisible et légitime d’observer que par delà le maquillage toutes les justifications derridiennes, les attitudes de “déconstructionniste” à la Heidegger, -qui, lui, a plutôt en vue, énonce-t-il, de déconstruire des " représentations banales et vides " ( in " Contribution à la question de l'être ", Questions 1, ed Gallimard, pp 239-240 )-, chez Derrida ces attitudes là sont en fait des (dis)simulations à la Foucault, à la Lénine, plus originellement.
C’est-à-dire ayant en vue de se situer, et résolument, en dehors de toute énonciation socialisée.
Tout en arborant, cependant, une apparence de phénoménologue herméneuticien sérieux agitant minitieusement des monceaux de grammes appartenant à tel ou tel système de pensée.
Car il s’agit de les utiliser comme appâts et maquillages permettant d’attirer et de repousser en même temps.
A l’instar d’un guru qui ne se laisse pas approcher tel quel.
Derrida ( comme Bourdieu d’ailleurs ) veut être à la fois en dehors du jeu intellectuel, à la " marge " ( titre d'un livre de Derrida ) mais de telle façon que cette " marge " puisse donner l’apparence d’être le futur jeu intellectuel dominant.
A l’instar donc de Marx et surtout de Heidegger, en se mettant en “é-loignement” ( op cit ) du jeu officiel. C’est-à-dire dans sa plus grande proximité en fait....
Car la dite “ marge “ derridienne prétend seulement le bégayer au fond. C’est en réalité ici le conservatisme le plus plat qui résonne ( raisonne ) en filigrane. Tout en le durcissant dans l’aspect vérité et pensée unique : celle du tiers-exclu : celle qui refuse tout autre opposition que celle qu’elle absorbe comme moment-miroir : celle de la dite “déconstruction” qui exclut tout ce qui n’est pas elle. Impossible de discuter avec comme le soulignait Besançon à propos de Lénine puisque leur “Idée” est déjà tout le réel nécessaire.
Tout en se voulant plus grosse que le boeuf car cette “ Idée “ espère manipuler la dialectique du sens de telle façon que Derrida puisse tenir toutes les lignes du penser en même temps.
Et tenir toutes les lignes de sens signifie pour cette
“ Idée “ se voulant libre pour elle-même et destructrice pour tout ce qui n’est pas elle, de tenirtous les discours , vrai faux,
" métaphore ", "concept", " mystagogie littéraire ", " vrai philosophie ", ( in " les fins de l'homme, à partir des travaux de Jacques Derrida " 1981, ed Galilée, pp 458-459 et suivantes...).

Autant de plis donc d'une supposée combinatoire du sens aux domaines et au contenu rendus équivalents.
Tout en se plaçant, non seulement comme Lénine, en intersection avec chaque ligne croisé, mais mieux encore, en devenant, tel un dissimulateur surréaliste-hyperréaliste à la Bataille-Blanchot-Foucault, chacune de ces lignes, qui descend de haut en bas de la page ou remonte de bas en haut ( ce que font Deleuze, Lyotard et Bourdieu également comme nous le verrons ).

Pourquoi faire ?

Il s'agit, toujours, de jouer divers rôles allant de l’exégète sérieux au nihiliste le plus destructeur,
-tout en le voilant de façon semi-transparente ( voile d'Isis ) afin d’attirer le lecteur curieux ou en rupture de ban-,
tout en maquillant ce processus avec du signe sérieux, empli de dentelles en allemand, grec, jeu de mots ( maux ) etc... Toute une séduction, vraie, et qui, comme celle d’ Orphée permet d’ attirer Eurydice. Voire même de la “ sauver “. Du moins au commencement . Du péril.
Alors qu’il s’agit, au final, de la poignarder du regard sans sens ( sans iris dit Bataille ), et pour son propre bien.
Ce qui est là, incontestablement, la supériorité tactique du léninisme sur le nazisme du point de vue de la guerre psychologique.
Et il faut pour réussir ce faire (dis)simuler toute verticalité, toute transcendance, possible. Qu'elle aille vers l'au-delà, vers l'eschatologie, ou vers l'en-deça, vers l'illimite, et donc par quelques biais vers l'eschatologie également.
Et ce afin d'être ce mouvement même de va et vient tout en disant le contraire ( principe de dissimulation ).
C’est-à-dire être, sans cesse, en permanence ( comme la révolution du même non ) le principe premier, la variable structurante. Dans tous les cas de figure. Y compris en niant qu’il en existe un. Autrement dit, en présentant, bien entendu, un visage d’ange ayant, évidemment, dépassé cette vieille question du transcendantal...tout en étant capable d’hospitalité et de gentille discussion sur Socrate et les étrangers à la Cité...Mais comme par nostalgie.
Et la boucle est bouclée : tout et son contraire. En même temps. Mais point sur la même ligne. Il s’agit donc de vider l’idée même de contradiction de son potentiel d’impossibilité simultanée d’une part et d’autre part de confrontation susceptible d’être dépassée. Car il s’agit d’ ériger une conception dernière, une “ Idée “, qui privilégie une seule donne :
la dérive, l’ errance, dont la diff-errance n’est que le pli donné par l’arrêt de mort : lorsqu’il s’agit d’arrêter, le mouvement, sans fin, de la dé-rive, sur une arête : celle du meurtre.
Mais un meurtre déchargé de son potentiel socialisé fait de culpabilité et de justification raisonnable.
Un meurtre sans conséquence sinon celle de prouver
que ce
“ (...) n’est dans la mesure où elle détruit quelque chose, que cette volonté négative éprouve le sentiment de son existence empirique. (...) “ ( Hegel. Principes de la philosophie du droit. Introduction.§5. Ed Vrin, p 73 )


La capacité, en général, de distinguer le mouvement du rapport, entre soi et le monde, et sa détermination à chaque actualisation, peut, dans l’imaginaire, se concevoir. Il s’agit d’ailleurs là sinon d’un lieu commun du penser, du moins d’un moment, esthétique ( au sens kantien y compris ), et perceptif connu ( appétition, aperception, apprésentation...).
Sauf que, là, chez les meurtriers de l’homme, cette distinction, lorsqu’elle existe, ne se prouve que dans la destruction.
Et une destruction qui, elle-même, ne peut être jugée puisqu’elle bascule, aussi, comme possible parmi d’autres.
Voilà la structure centrale de l’Idée propre à ce type de nihilisme C’est-à-dire contre laquelle rien ne doit être opposée sinon tactiquement pour donner le change.
Car sinon ce serait là réintroduire du sens, donc du pouvoir, du social, une hierarchie, en un mot de l’inégalité.
C’est la version officielle.
Certes cette “ Idée “ ne tient pas debout, déjà logiquement, puisque, comme nous l’avons montré à plusieurs reprises, ceux-là mêmes qui prônent ce genre de raisonnement, fonctionnent dans du sens et donc dans du pouvoir. C’est-à-dire fonctionnent sociologiquement comme cercle de référence qui agit politiquement. Et donc engrangent de la puissance qui, de surcroît, veut être la seule possible. Du moins implicitement.
Or cette pratique microsociologique s’avère être pourtant contradictoire avec ce que cette “ Idée “ énonce officiellement sur le pouvoir. Du moins l’est-elle en apparence :
En effet si la contradiction n’a aucun sens dans ce type de nihilisme, il n’y a alors pas d’opposition mais seulement une “différance” entre ce qui est énoncé et ce qui est pratiqué.
A charge au disciple de comprendre le “ truc “.
De savoir que l’enfer c’est les autres. Que lorsqu’il s’agit de détruire, réellement, il faille adopter la tactique relativisant le détruire en le mettant au même niveau qu’une expérience imaginaire. Mieux encore. Détruire réellement ou détruire fictivement, tout en étant conçu comme même chose, sont précisément la chose même à faire.
C’est “ l’Idée “ même.
Et c’est précisément l’effacement de cette contradiction là entre théorie et pratique, c’est-à-dire, et particulièrement chez Blanchot et Derrida, c’est atteindre un résultat qui fasse que l’on puisse énoncer, dans l’écriture, une chose et accomplir pratiquement tout le contraire, c’est cette sorte de “ différence “ sans contradiction qui est la spécificité même de cette “ Idée “ visant à la mort du sens et, en même temps, son auto- justification.

Observons encore cette “ Idée “ sur ce point précis.
Insistons sur cette différence sans contradiction qui est sa structure centrale. Son pivot.
Elle relativise officiellement la destruction du sens comme différence parmi d’autres ayant seulement pour charge de mettre en cause a priori et institutions mais officieusement cette destruction, là, a le rang d’un principe dernier qui considère que toute “différence” active-celle d’ un autre meurtrier- peut être admise au rang “ d’amie “ si et seulement si elle a réussie la visée théorique qui tout en détruisant met également en scène une dissimulation.
A savoir le fait de mettre en scène l’ apparence d’une auto-destruction par la multiplication des grilles de lecture paradoxales.
Il s’agit d’y dériver, d’erreur en erreur, d’errance en errance, diff-errance, afin de brouiller les pistes tout en visant à emmêler le fil d’Ariane pour que la destruction s’inscrive pleinement dans la dimension du penser, et spécialement celui du lecteur, tout en pratiquant, en démontrant, comment y survivre en son sein : par le miroir de l’écriture : la confession : en un mot l’expiation. C’est elle qui permet de faire le vide, de se vider dans l’esprit du lecteur.
Et, de cette mixture, il s’agit de s’en servir comme combustible imaginaire pour repartir.
Tandis que le lecteur, lui, empêtré dans le malaise et écartelé entre sa curiosité sa révolte et son désir d’identification n’a que deux issues au fond : ou César ou Brutus. Ou Orphée ou Eurydice.
Et s’il s’avère qu’il pense s’en sortir en optant pour le ni-ni il appert qu’il adopte en fait le et et dont il devient la seule victime : Brutus. Dont il est le César. A abattre. Orphée. Qui regarde Eurydice et donc se tue lui-même . Le tout sans le miroir de l’écriture pour raffermir son visage, le confectionner en traits d’ange.

Tel est le contour de cette “Idée” posant le mouvement du détruire comme seul principe tout en relativisant celui-ci comme différence parmi d’autres.
C’est-à-dire déniant à toute opposition une signification. La relativisant elle-aussi comme différence, comme possible, à l’instar d’un jeu de rôles. Du moins tant que c’est tactiquement possible. Tant que la dite opposition ne résiste pas trop. Sinon il sera toujours temps de la dénoncer, de la montrer du doigt comme nostalgique du sens et donc comme cette volonté réactionnaire prônant la domination politique, la centralité du concept, de la synthèse ce qui est mal. Sauf pour les derniers hommes, membres de la “ race forte “ du devenir-dieu.


HH


Derrida et Deleuze


Observons pour étayer la structure centrale de cette différence sans contradiction ce que Deleuze ( auquel Derrida se réfère parfois lorsqu’il veut justifier sa dérive, nous le verrons plus loin à propos de “ l’inconscient “ ) exprimait dans son“ Idée “ de la “différence”, ( nous l’avons déjà abordé plus haut ), et qui formule que :

" (...) l'Idée a pour objet le rapport différentiel : elle intègre alors la variation, non plus du tout comme détermination variable d'un rapport supposé constant ( " variabilité " ), mais au contraire comme degré de variation du rapport lui-même ( " variété " ) (...). Si l'Idée élimine la variabilité, c'est au profit de ce qu'on doit appeler variété ou multiplicité. L'Idée comme universel concret s'oppose au concept de l'entendement, et possède une compréhension d'autant plus vaste que son extension est grande. La dépendance réciproque des degrés du rapport, et à la limite la dépendance réciproque des rapports entre eux, voilà ce qui définit la synthèse universelle de l'Idée ( Idée de l'Idée, etc ). (...)
(...) L'Idée n'est pas le concept ; elle se distingue de l'identité du concept, comme la multiplicité différentielle éternellement positive; au lieu de représenter la différence en la subordonnant au concept identique, et par la suite à la ressemblance de perception, à l'opposition de prédicats, à l'analogie du jugement, elle la libère, et la fait évoluer dans des systèmes positifs où le différent se rapporte au différent, faisant du décentrement, de la disparité, de la divergence autant d'objets d'affirmation qui brisent le cadre de la représentation conceptuelle. " ( in " Différence et répétition ". Ed puf, pp 224, et 369, ).

Ainsi donc cette " multiplicité différentielle éternellement positive ", -ce que Foucault nomme une " affirmation non positive " souligne Derrida ( in " L'écriture et la différence ", p 380, note 1 )-, c’est-à-dire cette apologie “ (...) du décentrement, de la disparité, de la divergence (...) “, autrement dit “ autant d'objets d'affirmation qui brisent le cadre de la représentation conceptuelle “, devient ce mouvement in(dé)fini, et se voulant non contradictoire, d'une pensée sans aucun autre fondement qu'elle-même, non pas comme pensée, mais comme différence.
Ou le jeu sans fin d’un penser sans autre contenu que celui de déclencher une sortie de sens afin que le penser s'abandonne à son propre mouvement ou ipse qui pose le mouvement comme but. Non pas le mouvement d’un point à un autre. Mais le mouvement comme point. Ce qui implique l’im-mobilité d’un mouvement sans fin.
C’est-à-dire, et comme l’a montré Platon dans son Parménide, tout un solipsisme absolu et vertigineux, tourbillonnaire, implosif, en réalité,

“ (...) le pharmakon n'est ni le remède, ni le poison, ni le bien ni le mal, ni le dedans ni le dehors, ni la parole ni l'écriture ; le supplément n'est ni un plus ni un moins, ni un dehors ni le complément d'un dedans, ni un accident, ni une essence, etc.; l'hymen n'est ni la confusion ni la distinction, ni l'identité ni la différence, ni la consommation ni la virginité, ni le voile ni le dévoilement, ni le dedans ni le dehors, etc.; le gramme n'est ni un signifiant ni un signifié, ni une présence ni une absence, ni une position, ni une négation, etc ; l'espacement, ce n'est ni l'intégrité ( entamée ) d'un commencement ou d'une coupure simple ni la simple secondarité. Ni/ni, c'est à la fois ou bien ou bien ; la marque est aussi la limite marginale, la marche, etc. (...) "( Derrida in "Positions" Ed de minuit, pp 54 et suivantes )

qui s’auto-aperçoit dans la seule intuition de sa démultiplication in(dé)finie : " décentrement, disparité, divergence " dit plus haut Deleuze.
Du moins en apparence.
Car tout ceci, en fait, reste tout de même du domaine de la raison quoique liée à la manipulation stratégico-politique antirationnel de la fonction imaginaire, au sens transcendantal.
C’est-à-dire incluant la manipulation forcée d’ une appétition, d’ une aperception, d’ une apprésentation, autrement dit, d’ un surcroît de compréhension, d’empathie, et donc de raisonnement incluant un schème moyens-fin qui réalise effectivement une telle sinuosité mentale visant à la mise en spectacle de l’auto-perception d’une auto-destruction dis-simulée.

Et afin de démultiplier un tel schème et sa perspective Deleuze ajoute :

" (...) Saisir l'intensité indépendamment de l'étendue ou avant la qualité dans lesquelles elle se développe, tel est l'objet d'une distorsion des sens. (...) Des expériences pharmacodynamiques, ou des expériences physiques comme celles du vertige, s'en approchent : elles nous révèlent cette différence en soi, cette profondeur en soi, cette intensité en soi au moment originel où elle n'est plus qualifiée ni étendue. " ( Différence et répétition, p 305 ).

Ainsi l’on voit comment sous le couvert d’une approche “ expérimentale “ Deleuze suggère de dépasser, de façon non pas occasionnelle mais structurelle, par une “ distorsion des sens “, le cadre rationnellement limité et donc contrôlé, filtré, de l’imaginaire transcendantal pour atteindre un au-delà du rationnel.
C’est-à-dire au sens non pas d’une limitation du cognitivo-logique puisqu’il existe toujours un schème moyens-fins ( Nuttin, op cit,ed 1991 ) mais au sens d’une destruction du rationnel comme limite puisque celle-ci inclut nécessairement le donné de telle façon qu’elle interroge toujours le rapport de soi à soi comme rapport d’appartenance qui ne peut s’actualiser tel quel.
A moins de viser, intentionnellement, l’anti-rationnel.
C’est-à-dire qui vise stratégiquement, et donc politiquement, le devenir immanent, et déployé dans le temps microsociologique, d’un " automatisme " ( Nietzsche tome XIV, ed gallimard p 167 ) mais délié de sa synthèse comme le note Janet ( 1899 in “l’automatisme psychologique” ).
Celui alors d’une force sans raison, qui se déploierait de manière “éternellement positive” : comme s'il n'y avait plus rien devant elle ; telle la
" colombe légère, qui, dans son libre vol, fend l'air dont elle sent la résistance, pourrait s'imaginer qu'elle volerait encore bien mieux dans le vide. " ( Kant, Critique de la raison pure, introduction, III, 31/IV,18, ed Garnier-Flammarion, p 62 ).

Or tel est l’objectif tout à fait logique et anti-rationnel d’une telle dérive lorsqu’elle échappe à tout contrôle hors de sa propre dé-raison.
C’ est-à-dire qui vise pratiquement, microsciologiquement, et avec préméditation, le dédoublement de personnalité que l’on peut bien entendu justifier par la logique de la “multiplicité pour elle-même” au sens d’une multiplicité spontanée, erratique, voire aléatoire, d’attitudes sans aucune autre raison que celle de la succession dans la série, sans aucune autre unité que la répétition posant tout senscomme juxtaposition équivalente de différence pouvant être vécue en même temps, ce qui exclut d’office toute idée de contradiction.
Seulement cette justification ne tient pas puisqu’un tel mouvement, quand bien même est-il imaginaire, intuitionnel, ne peut, quand il bascule dans le réel externe, se prévaloir uniquement de cet aspect sinueux alors qu’il est prémédité.
Surtout lorsqu’il est posé en principe premier que ne doit exister aucun autre “rapport” que celui qui lie à la “ perte de sens " ( Derrida, L'écriture...p 397 ).
Non pas le non sens lui-même, ce qui ne se peut, mais “le rapport à la perte de sens”. Au fait que toute manipulation de sens se rapporte à l’Idée-mère ayant pour matrice l’édification de la perte.
C’est-à-dire au fait que cette perte de sens soit un “non “sens qui ne soit pas l’opposé d’un “ oui “ mais puisse venir comme un non qui refuse, y compris au non, une signification porteuse de sens.
Un non qui porterait donc non plus la contradiction ( Hegel, Marx ) ni même le néant ( Heidegger, Sartre ) mais le rien.
Non pas le rien qui ébranle le fondement pour cerner au plus profond la nature du devenir ( le premier Nietzsche ). Mais le rien vulgaire, celui qui pose le non comme refus, le néant comme anéantissement, le rien comme assourdissement, tremblement, non pas de terre, mais convulsion dernière, mort : ex-termination du sens, du vivre. A l’exception de quelques-uns : les membres de la “race forte” du dernier Nietzsche.


Ainsi plus de contradiction, plus d’opposé, plus de culpabilité, de nostalgie, tout est éternellement nouveau et positif.
Bref dans cette réduction des contenus de sens à une simple différence, l’on comprend alors pourquoi " dx " doit se substituer à "non-A" ( Deleuze, Différence...p 221 ), en ce sens que toute affirmation est à elle-même sa propre détermination comme l’avait déjà vu Lénine :
le particulier devient le général ( op cit, in Cahiers...p 345 ), et donc pose son auto-mouvement non seulement comme son propre universel. Mais comme l’universel à venir. Comme tout universel possible.
Et complètement artificiel. Puisqu’il ne repose uniquement que sur la volonté antirationnelle de détruire tout autre que soi. Se justifiant éventuellement par la manipulation de quelques formules physiques et mathématiques comme tout matérialiste vulgaire l’effectue et bascule de ce fait dans le positivisme le plus éculé.
Celui de considérer uniquement la matière humaine comme somme d’intensités frayant en quantités régulées, en quantum d’action, par la fréquence d’impulsion émise par la pensée, alors que cette émission, en tant que système de signes, passe nécessairement par toute une série de filtres socio-cognitifs qui ne peuvent être écartés sauf si une volonté le décide et donc obtempère par stratégie politique qui doit être nécessairement dissimulé, enveloppé dans du papier mathématico-physique pour se justifier et surtout impressionner les Eurydices, les César potentiels.
Ainsi, pour Deleuze, sa manip du langage propre à “la fraction dx/dy”,
-( et l’on comprend pourquoi Sokal et Bricmont ne peuvent pas voir où il veut en venir s’il n’y a pas au préalable analyse des apriori, stratégico-politiques, deleuziens)-,
lui permet de justifier en quoi chaque nouvel état atteint par la dérive n’a pas à se référer à une instance qui exigerait une explication quant à la signification des contenus de conscience qui résulte de cet état.
En ce sens qu’elle pourrait y voir comme une contradiction avec des contenus de conscience posés eux comme prioritaires du point de vue morphologique.
C’est-à-dire ayant en vue le sens du développement humain plutôt vers le mieux-être que vers son auto-destruction, position qui n’est pas purement conventionnelle comme le démontre de mieux en mieux le mouvement scientifique en majorité ainsi que le Droit international.

Ainsi Deleuze énonce :

" Le rapport dy/dx n'est pas comme une fraction qui s'établit entre quanta particuliers dans l'intuition, mais n'est pas davantage un rapport général entre grandeurs variables ou quantités algébriques. Chaque terme n'existe absolument que dans son rapport avec l'autre ; il n'est plus besoin, ni même possible d'indiquer une variable indépendante. " ( Différence..., p 223 ).

Autrement dit, décodé, plus besoin de référent, de réel autre ou " variable indépendante ".
Seule importe la mise en “fraction” qui de surcroit attend qu’un choc, un “ vertige “ ( op cit plus haut ) la subdivise en “dx et dy” en actif, passif : etc....
Autrement dit la subdivision ne se fait même pas par choix secondaire, -( puisque le choix premier est de refuser tout lien avec une variable indépendante : entendez avec un filtre rationnel, social, éthique...)-, mais est abandonné à la nécessité motrice qui imposera la forme de la subdivision.
L'intensité “dx “( ou force ) lorsqu’elle visée " en soi " ( p 305 ) va s’élancer puis se troubler, s’épuiser et enfin se réfléchir quelque part, c’est-à-dire se subdiviser, se briser en fait, et alors émettre un contenu de conscience dont l’analyse fera office de justification et d’expiation.

Citons plus amplement Deleuze sur ce point :

" (...) C'est la différence dans l'intensité, non pas la contrariété dans la qualité, qui constitue l'être " du " sensible. La contrariété qualitative n'est que la réflexion de l'intense, réflexion qui le trahit en l'expliquant dans l'étendue. C'est l'intensité, la différence dans l'intensité, qui constitue la limite propre de la sensibilité. Aussi a-t-elle le caractère paradoxal de cette limite : elle est l'insensible, ce qui ne peut pas être senti, parce qu'elle est toujours recouverte par une qualité qui l'aliène ou qui la " contrarie" , distribuée dans une étendue qui la renverse et qui l'annule. Mais d'une autre manière, elle est ce qui ne peut être que senti, ce qui définit l'exercice transcendant de la sensibilité, puisqu'elle donne à sentir, et par là éveille la mémoire et force la pensée. Saisir l'intensité indépendamment de l'étendue ou avant la qualité dans lesquelles elle se développe, tel est l'objet d'une distorsion des sens. Une pédagogie des sens est tournée vers ce but, et fait partie intégrante du " transcendantalisme ". Des expériences pharmacodynamiques, ou des expériences physiques comme celles du vertige, s'en approchent : elles nous révèlent cette différence en soi, cette profondeur en soi, cette intensité en soi au moment originel où elle n'est plus qualifiée ni étendue. " ( Différence et répétition, p 305 ).

Ainsi en résumé en posant arbitrairement que c’est
“ (...) la différence dans l'intensité, non pas la contrariété dans la qualité, qui constitue l'être " du " sensible (...) “,
Deleuze évacue ce qui s’oppose, ce qui peut suspendre qualitativement telle ou telle intensité qui voudrait continuer son tracé, pour n’admettre, et de la façon la plus préméditée, que cela soit seulement
“ la différence dans l'intensité, qui constitue la limite propre de la sensibilité. “ Ce qui est là laisser à l’épuisement de l’intensité, à sa différence de potentiel, jusqu’ à l’inertie, le sens de la limite. Autrement dit lorsque cette " distorsion des sens ", dite “ insensible “, est repue.

On le voit bien alors. Cette “ distorsion “ est à elle-même son propre axe ( a de Derrida, x de Blanchot, Foucault, dx de Deleuze : Ax... ou l' Axe...) qu'il s'agit de déplacer puis de laisser aller dans la démultiplication sans sens : tout azimut : mitraille de l'automatisme : logique du (non) sens, vide, vidé, vertige, jusqu'à la stabilisation, l'unité, provisoire ( Lénine ) de l'intensité en pôles géométriquement "différents " :

" (...) J'aboutis à cette notion : que sujet, objet, sont des perspectives de l'être au moment de l'inertie (...) " ( Bataille, op cit l'expérience...ed tel-gallimard, p 68).


Et cette perspective, là, de manipulation de la notion de différence non plus comme contradiction au sein même de l’identité comme le pense Hegel nous dit Koyré en commentant Meyerson ( in Etudes d'histoire de la pensée philosophique. Les études hégéliennes en France. Ed tel-Gallimard, p 237 ), mais comme juxtaposition, équivalente, et interchangeable, de tous les sens au sein de l’identité, que Derrida met par exemple en scène à propos d'un commentaire sur Heidegger à propos de la “ différence sexuelle “ ( in “Heidegger” ed flammarion ).
Ainsi il y est moins question pour Derrida de se demander quel est le fondement de cette différence, autre que biologique, que d'installer subrepticement sa conception de la “ différance “ en stipulant que non seulement la différence sexuelle s'affirme ou se rétracte, se disperse ou se condense selon des choix, mais surtout qu’elle doit advenir comme forme seulement selon le moment atteint par telle dispersion...
Autrement dit ce qui en jeu pour Derrida, et pour Deleuze, c'est que la différence soit d'abord perçue comme une dispersion qui se dissémine en permanence.
Mais qui peut éventuellement se stabiliser provisoirement en “ différence “ et donc en “ sexe “ qui changera de forme et de signification en un autre moment...
En ce sens la différence sexuelle ne doit même pas se stabiliser par exemple en une inversion de sexe, voire une dualité éventuellement réversible, mais doit alternativement passer de l'un à l'autre.

Ainsi Derrida, en rebondissant sur le fait que

" (...) c'est moins la sexualité elle-même que la marque " générique " de la différence sexuelle, l'appartenance à l'un des deux sexes (...) ",

qui intéresse Heidegger, Derrida cherche alors à “ aller plus loin “ que celui-ci :

" (...) en reconduisant à la dispersion et à la multiplication (...), ne peut-on commencer à penser une différence sexuelle ( sans négativité, précisons-le) qui ne serait pas scellée par le deux ? qui ne le serait pas encore ou ne le serait plus? (...) ".

Ainsi pourquoi “ deux “ sexes ? Pourquoi pas mille ou aucun, sans parler de mixtes divers?
Peu importe à partir du moment où ce qui compte n’est pas se stabiliser en une forme de sexualité qui pourrait engendrer une continuité et par là aboutirait à une différence qui éventuellement s’affirmerait en tant que telle jusqu’à s’opposer à ce qui la nie comme identité spécifique, ce qui est interdit par ce type de nihilisme total. C’est-à-dire qui, lui, vise à la destruction de toute identité, cohérence, ordonnancement.

De ce fait dans la formule,

“ (...) ne peut-on commencer à penser une différence sexuelle ( sans négativité, précisons-le) (...) “,

le “ sans négativité " signifie dans ce discours de l’extermination généralisée de toute forme d’identité, une impossibilité structurelle de construire une altérité qui existerait par la tension entre deux pôles à la fois contraires et semblables comme le notait Hegel, ( contraire par position, y compris biopsychologique, semblable par disposition morphologique : membre d'une même espèce, d'une même culture par exemple ).

Bref, ce dont il est question dans ce nihilisme total, absolu, c'est la visée stratégico-politique d'une différence uniquement dispersive, sans négatif. C’ est-à-dire sans aucun moyen de se stabiliser, en être, sociable, humain. Point d' autre être, de sujet, d'objet, ici, que celui du flux, de l'intensité, de la quantité, et qui prend seulement corps selon " l'inertie " atteinte, rappelons-le :

" J'aboutis à cette notion : que sujet, objet, sont des perspectives de l'être au moment de l'inertie (...) " ( Bataille, l'expérience...deuxième partie, le supplice, ed tel gallimard, p 68

Mais, précisément, d'où vient cette " inertie " ?
De " l'épuisement " certes ( p 68, ibidem ) mais aussi d'une intensité autre, au potentiel, à la différence intensive supérieure, c'est-à-dire qui la rend inerte, qui la stoppe, l'ébranle, et, par là, la diffracte en sujet et objet de façon apriori, déterminée : préméditée.
C’ est là la stratégie, dissimulée, de Bataille-Blanchot que Foucault, Derrida et Deleuze prolongent seulement en se cachant bien sûr dans tel commentaire. C’est-à-dire selon la demande contextuelle de la machine de mort qui marche toute seule, telle une guillotine spirituelle.

Derrida est donc tout et son contraire, en apparence.
Alors qu’il est seulement une chose en réalité :
Brutus. Et en vue de devenir Orphée comme le conseille Blanchot,( ancien suppôt de l’extrême-droite monarchiste anti-démocratique).
Derrida bégaye l'Unique, tel que Stirner l'a également tenté au grand dam de Marx, son ancien compagnon au Club des Affranchis.
Et Derrida ne se laisse même pas désigner comme le conseille Blanchot, sinon entre guillemets, comme pour le mot “ communisme “ chez Blanchot.
Ainsi par une signature à la fin du livre " Marges "
Derrida signe de son no(m)n, de la même façon qu' un “peintre” blanchotien ( Foucault par exemple dans " Les mots et les choses ").
C’ est-à-dire signe sa représentation qui n'en est pas une.... puisqu’il s’agit de sa destruction, au sens littéral quoique dis-simulé.
Tel Brutus qui ne se contente pas de peindre le meurtre de César mais tue celui-ci, se tue en elle, en Eurydice et par là devient in-humain, c’est-à-dire “dieu”.
Mais pas n’importe lequel. Celui qui vient de l’en deça du judéo-christianisme, et aussi du zoroasthrisme : Baal.


II


La machine de mort derridienne


Disséquons à nouveau, pour résumer, quelques autres lambeaux de cette stratégie de guerre contre le sens, la société, l’homme. Montrons ce que la stratégie du “ aller plus loin “ que Lénine, Bataille ( Heidegger, Sartre...) veut dire d’un point de vue logistique :

( Marges....Les fins de l'homme...ed de Minuit, pp 161-164 ) :

" (...) Je voudrais maintenant, pour conclure, sous quelques titres très généraux, rassembler les signes qui paraissent, selon cette nécessité anonyme qui m'intéresse ici, marquer les effets de cet ébranlement total sur ce que, par commodité, avec les guillemets ou précautions qui s'imposent, j'ai appelé en commençant la " France " ou la pensée française.
1. La réduction du sens. L'attention au système et à la structure, dans ce qu'elle a de plus inédit et de plus fort, c'est-à-dire dans ce qui ne retombe pas aussitôt dans le bavardage culturel et journalistique ou, dans le meilleur des cas, dans la plus pure tradition " structuraliste " de la métaphysique, une telle attention, qui est rare, ne consiste a) ni à restaurer le motif classique du système, dont on pourrait montrer qu'il est toujours ordonné au telos, à l'aletheia et à l'ousia, autant de valeurs rassemblées dans les concepts d'essence ou de sens ; b) ni à effacer ni à détruire le sens. Il s'agit plutôt de déterminer la possibilité du sens à partir d'une organisation " formelle " qui en elle-même n'a pas de sens, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit le non-sens ou l'absurdité angoissante rôdant autour de l'humanisme métaphysique. Or, si l'on considère que la critique de l'anthropologisme par les dernières grandes métaphysiques ( Hegel et Husserl, notamment ) se faisait au nom de la vérité et du sens, si l'on considère que ces " phénoménologies " -qui étaient des métaphysiques- avaient pour motif essentiel une réduction au sens ( c'est littéralement le propos husserlien), on conçoit que la réduction du sens - c'est-à-dire du signifié-prenne d'abord la forme d'une critique de la phénoménologie. Si l'on considère, d'autre part, que la destruction heideggerienne de l'humanisme métaphysique se produit d'abord à partir d'une question herméneutique sur le sens ou la vérité de l'être, on conçoit que la réduction du sens s'opère par une sorte de rupture avec une pensée de l'être qui a tous les traits d'une relève ( Aufhebung ) de l'humanisme.
2. Le pari stratégique. Un ébranlement radical ne peut venir que du dehors. Celui dont je parle ne relève donc pas plus qu'un autre de quelque décision spontanée de la pensée philosophique après quelque maturation intérieure de son histoire. Cet ébranlement se joue dans le rapport violent du tout de l'Occident à son autre, qu'il s'agisse d'un rapport " linguistique " ( où se pose très vite la question des limites de tout ce qui reconduit à la question du sens de l'être), ou qu'il s'agisse de rapports ethnologiques, économiques, politiques, militaires, etc. Ce qui d'ailleurs ne veut pas dire que la violence militaire ou économique ne soit pas structurellement solidaire de la violence " linguistique ". Mais la " logique " de tout rapport au dehors est très complexe et surprenante. La force et l'efficace du système, précisément, transforment régulièrement les transgressions en " fausses sorties ". Compte tenu de ces effets de système, on n' a plus, du dedans où " nous sommes ", que le choix entre deux stratégies :
1. Tenter la sortie et la déconstruction sans changer de terrain, en répétant l'implicite des concepts fondateurs et de la problématique originelle, en utilisant contre l'édifice les instruments ou les pierres disponibles dans la maison, c'est-à-dire aussi bien dans la langue. Le risque est ici de confirmer, de consolider ou de relever sans cesse à une profondeur toujours plus sûre cela même qu'on prétend déconstruire. L'explicitation continue vers l'ouverture risque de s'enfoncer dans l'autisme de la clôture ;
2. décider de changer de terrain, de manière discontinue et irruptive, en s'installant brutalement dehors et en affirmant la rupture et la différence absolues. Sans parler de toutes les autres formes de perspectives en trompe-l'oeil auxquelles peut se laisser prendre un tel déplacement, habitant plus naïvement, plus étroitement que jamais le dedans qu'on déclare déserter, la simple pratique de la langue réinstalle sans cesse le " nouveau " terrain sur le plus vieux sol. On pourrait montrer sur des exemples nombreux et précis les effets d'une telle réinstallation ou d'un tel aveuglement.
Il va de soi que ces effets ne suffisent pas à annuler la nécessité d'un " changement de terrain ". Il va de soi aussi qu'entre ces deux formes de déconstruction le choix ne peut être simple et unique. Une nouvelle écriture doit en tisser et entrelacer les deux motifs. Ce qui revient à dire qu'il faut parler plusieurs langues et produire plusieurs textes à la fois. (...) ".

Relevons seulement quelques échantillons sans les analyser outre mesure dans leur chimie interne.

Ainsi tout et son contraire en même temps.
Il s’agit d’ avoir comme souci ( ou mort ) de se réinstaller, sans le dire, comme ce “ dehors “ cette “ marge “ qui agit comme barre, limite, séparée volontaire. En vue de situer cette présence au-delà comme absence fondatrice. A l’instar d’un principe ou d’un dieu que l’on différencie de l’univers qu’il ordonnance.
Tout en agissant très sérieusement, silencieusement, autistiquement. En allant détruire le sens jusqu'au coeur du marteau, celui du “tympan” ( page IV et suivantes in “Marges”... ). En lui énonçant tout et son contraire, jusqu'au vertige, l'aveuglement, littéralement : aveugler.
C’est-à-dire, aussi, tromper, tout en distillant, par moment, des zones de vrai, afin d'endormir les méfiants :

" (...) b) ni à effacer ni à détruire le sens. Il s'agit plutôt de déterminer la possibilité du sens à partir d'une organisation " formelle " qui en elle-même n'a pas de sens, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit le non-sens ou l'absurdité angoissante rôdant autour de l'humanisme métaphysique. (...) " .

C’est donc la création d’ une mécanique à tuer,
( " organisation " formelle " qui en elle-même n'a pas de sens " )
mais “ qui ne veut pas dire qu’elle soit le non sens “,
ce qui implique un nihilisme orienté.
En ce sens qu’il vise autre chose que la seule destruction pour elle-même.
Son résultat strictement microsociologique est celui en fait prôné par Blanchot :
Celui du devenir Brutus, de sa transformation en Orphée, cette oeuvre d'art vivante, dont cette mécanique meurtrière mis au point par Derrida relève également, le sens jouant le rôle d’Eurydice.
Et cette machine, (" organisation " formelle " qui en elle-même n'a pas de sens "), c’est en quelque sorte la dague du meurtre, le regard nouveau genre qui permet la propulsion de l’auteur du crime comme élément de la " race forte " ( Nietzsche, op cit ) :

" (...) On sait comment, à la fin du Zarathoustra, au moment du " signe ", quand das Zeichen kommt, Nietzsche distingue, dans la plus grande proximité, dans une étrange ressemblance et une ultime complicité, à la veille de la dernière séparation, du grand Midi, l'homme supérieur ( höherer Mensch ) et le surhomme ( Ubermensch ). Le premier est abandonné à sa détresse avec un dernier mouvement de pitié. Le dernier -qui n'est pas le dernier homme- s'éveille et part, sans se retourner sur ce qu'il laisse derrière lui. Il brûle son texte et efface les traces de ses pas. Son rire alors éclatera vers un retour qui n'aura plus la forme de la répétition métaphysique de l'humanisme ni sans doute davantage, " au delà " de la métaphysique, celle du mémorial ou de la garde du sens de l'être, celle de la maison et de la vérité de l'être. Il dansera, hors de la maison, cette aktive Vergeszlichkeit, cette " oubliance active " et cette fête cruelle ( grausam ) dont parle la Généalogie de la morale. Nul doute que Nietzsche en a appelé à un oubli actif de l'être : il n'aurait pas eu la forme métaphysique que lui impute Heidegger.
Doit-on lire Nietzsche, avec Heidegger, comme le dernier des grands métaphysiciens ? Doit-on au contraire entendre la question de la vérité de l'être comme le dernier sursaut ensommeillé de l'homme supérieur ? Doit-on entendre la veille comme la garde montée auprès de la maison ou comme l'éveil au jour qui vient, à la veille duquel nous sommes ? Y a-t-il une économie de la veille ?
Nous sommes peut-être entre ces deux veilles qui sont aussi deux fins de l'homme. Mais qui, nous ? Le 12 mai 1968. " ( Derrida in Marges )

Qui " nous " ? Telle est en effet la question.
Ne serait-ce pas, derrière ce " nous " facile qui justifie son énoncé par une considération attrape-nigaud sur l’éternel “ dernier sursaut “, l’existence, voilée, d’ un Derrida multiforme qui s'identifie de plus en plus, sous nos yeux, à un esprit de mort, un spectre de mort- ( en Eurydice, en le sens exsangue ) vivant ( en Orphée, en la " mort comme le maître " 1996 ), un mort-vivant qui poursuit inlassablement sa victime en agitant une dague textuelle, une machine de mort, celle de cette

" (...) organisation " formelle " qui en elle-même n'a pas de sens " (Marges, p 161),

tout en affichant une mine de plus en plus gentille quoique vide de sens mais avide de pouvoir car il ne s’agit pas de “ non sens “ souligne Derrida.
Tout y est donc bien calculé.
Derrida cherche seulement par la destruction à aspirer le sens initial, par effet de souffle, pour s'y substituer de façon vicariante, souriante, grâce à la construction de sa machine à guillotiner le sens :

" (...) Que serait un " négatif " qui ne se laisserait pas relever ? et qui, en somme, en tant que négatif, mais sans apparaître comme tel, sans se présenter, c'est-à-dire sans travailler au service du sens, réussirait ? mais réussirait, donc, en pure perte ?
Tout simplement une machine, peut-être, et qui fonctionnerait. Une machine définie dans son pur fonctionnement et non dans son utilité finale, son sens, son rendement, son travail. Si l'on considère la machine (...) on peut risquer la proposition suivante : ce que Hegel, interprète relevant de toute l'histoire de la philosophie, n'a jamais pu penser, c'est une machine qui fonctionnerait. Qui fonctionnerait sans être en cela réglée par un ordre de réappropriation. Un tel fonctionnement serait impensable en tant qu'il s'inscrit en lui-même un effet de pure perte. Il serait impensable comme une non pensée qu'aucune pensée ne pourrait relever en la constituant comme son propre opposé, comme son autre. La philosophie y verrait sans doute un non-fonctionnement, un non-travail, elle manquerait par là ce qui pourtant, dans une telle machine, marche. Tout seul. Dehors. (...) " ( In Marges... p 126 ).

"Dehors"... : " (...) Une telle différance nous donnerait déjà, encore, à penser une écriture sans présence et sans absence, sans histoire, sans cause, sans archie, sans télos, dérangeant absolument toute dialectique, toute théologie, toute téléologie, toute ontologie. Une écriture excédant tout ce que l'histoire de la métaphysique a compris dans la forme de la grammè aristotélicienne, dans son point, dans sa ligne, dans son cercle, dans son temps et dans son espace. " ( Marges, p 78 ).

Lénine ce précurseur, authentique, de Derrida, pose, lui, comme pièces motrices de sa machine ( de mort réelle ), le "général " la négation, l'unité, comme " moment de la liaison " afin que dans cette " unité " -( à l'instar d'une sangsue, d'un vampire, qui s' unit à sa victime)-, la "seconde thèse" se substitue purement et simplement à la " première thèse " ( in Cahiers, ed Editions sociales, p 215, ) au lieu de s’y articuler conflictuellement en une synthèse nouvelle comme le prônait Marx.
Or Derrida déploie là un mécanisme idéaliste le plus dégénéré du terme et le plus anti-dialectique qui soit. Il prolonge et généralise de ce fait en effet la manipulation léniniste et son bégaiement bataillien.
C’est la régression vers l’affirmation d’un principe qui n’a d’autre justification pour s’imposer que celui du déclenchement de son automatisme, celui de “ l’attaque “ aurait amendé Nietzsche...et qu'amendèrent
effectivement le surréalisme léniniste par
la destruction des fondements au coeur même de la matière, historique, en son noyau moderne, la démocratie, et de son support dialectique : l'homme qui se veut comme autodéveloppement.
Destruction non plus dans le concept mais du concept même : vivant : l’homme-monde qui se sait capable du meilleur et du pire.
Mais il s’agira de nier que l’on nie, au sens littéral du terme : l’on nie, l’on cache donc, que l’on détruit réellement. En se servant tactiquement de quelque effets pervers, quelques évènements fortuits suspectibles d’illustrer la pseudoradicalité critique d’une telle position alors que celle-ci cherche à en finir précisément avec toute forme de critique...
En ce sens la négation n’est plus dans ce type de nihilisme total ce premier moment logique, celui de l’analyse, qui ne veut pas être dupe de l’apparence afin, par cette critique, d’avancer, de conserver et d’élever la connaissance en vue de l’action d’affinement concret par exemple.
La perversion de la négation, elle, -qui débute, vraiment, avec Bakounine et surtout Lénine-, a en vue d’ utiliser seulement ce premier moment qu’est l’analyse, celui de la négation première, pour détruire purement et simplement, réellement, et non plus seulement logiquement, ce que l’on analyse.
Ce qui a pour résultat microsociologique objectif le fait de s’élever soi-même, par cette mise à mort, en lieu et place de ce qui est détruit.
Ce dont même Engels n'aurait pas osé avancer :

Anti-Dühring : " Je dois, non seulement nier, mais aussi lever ( aufheben ) de nouveau la négation. Je dois donc instituer la première négation de telle sorte que la seconde reste possible ou le devienne. " ( tome 1, philosophie, chapitre XIII, dialectique, négation de la négation, ed Costes, 1949, p 220 ).

Et “aller plus loin” que Hegel, Marx, Lénine, Bataille.... signifie pour Derrida que cette seconde négation, ou du moins son résultat, à savoir un nouveau positif " élevé " ( négation de la négation ) ne doit plus être " possible ", sinon lui-même, Derrida, élevé comme “négation de la négation”, rapport de tous les rapports, et donc nouveau et seul “ positif “ en fait.
Grâce à cette machine ( de mort ) fonctionnant toute seule, nous l'avons vu plus haut.

En résumé il s'agit donc, officiellement, d'évacuer toute forme de positivité hors de ce moment de la négation qui détruit, à l'in(dé)fini, afin de rendre impossible l'unité et donc la concentration c'est à dire le pouvoir celui du langage comme celui du social.
A l’exception cependant de Derrida lui-même qui parade tout en haut de cette mise à mort, voilà l’aspect officieux, les coulisses de cette stratégie : devenir calife à la place du calife, par défaut.

Seulement l’on ne voit guère ce qu’il avance de neuf par rapport à Lénine.
En quoi va-t-il “ plus loin “ sinon peut-être en effet dans la subtilité du maquillage. De la dissimulation.
Par exemple en intégrant l’opposé non plus comme un contraire que l’on peut réellement insulter et haïr à loisir ( ce qui n’aurait aucun sens sinon dans un jeu cependant ) mais seulement comme “ différance “ que l’on peut néanmoins tanguer selon les circonstances si elle va non pas “ plus “ mais “trop” loin dans l’identité, ne (se) dis-simule pas assez....
Ainsi la " première thèse " ( Lénine, ibid ), celle du "positif “ de “, l'affirmé" ( Lénine, ibid ) qu’il s’agit de provoquer afin de déclencher le mouvement de d-énonciation qui vise à détruire chez Lénine apparaît également chez Derrida comme un opposé mais aussi comme un futur possible, parmi d’autres, un possible imaginaire tout autant, tel le jardin aux mille sentiers qui bifurquent de Borgès ( Fictions, ed folio gallimard ).
Car le problème consiste en ce que chaque opposé puisse jouer son rôle, quand il le faut. Quand le faux de la faux le demande, exige de chaque opposé qu’il puisse faire partie du dispositif d'ambiance à un moment précis et provisoire.
C’ est-à-dire en tant qu'il puisse remplir la fonction d’un visage. D’un prétexte ( dans tous les sens du terme ).
Celui d’un effet de vérité, brume, glu, voile, soupape de sécurité, body-bag qui permet par exemple d’afficher une apparence de philosophe sérieux pour brouiller les pistes. Ou celle d’un “ radical “ pour faire jouir dans les salons.

Le positif, le négatif, le vrai, le faux, la conservation, la révolution, sont des éléments du dispositif de
dis-simulation à manier selon la situation.
Car le véritable positif, implicite, le but à atteindre, c’est d’ aller au-delà du sens, de ses oppositions logiques et politiques. Le but final, c’est soi-même devenu dieu : surhomme.
Il s'agit donc chez Derrida de se poser, en même temps, comme mausolée, permanent, du sens. Centre de destruction, d’incinération : point ( du tout ) mort.


JJ
L’ alibi dernier de Derrida : l’inconscient.


Résumons tout d’abord l’ensemble de la structure derridienne visant à détruire, réellement, le sens, et partant l’homme en tant qu’être socialisé.C’est-à-dire luttant pour sa reconnaissance sociale et non pas seulement pour son existence spatiotemporelle.

Ainsi donc en ne trouvant pas " suffisant " le rapport de Marx ,d'Engels et de Lénine à Hegel ( Positions, p 86 ), c’est-à-dire le fait de n’avoir pas voulu ou su oeuvrer dans la "convulsion", la " destruction du discours " ( in " L'écriture et la différence", p 403 ) Derrida, lui, armé du a de différance, pousse encore plus loin ce qu'énonçait Bataille. Car Bataille en est seulement resté à " l"économie restreinte " ( ibid p 397, note 1 ).
C’est que Derrida, qui veut “ aller plus loin “, vise, lui, une " économie générale " . C’ est-à-dire l’élévation d’un " rapport à la perte de sens " ( ibidem ).
Non pas une simple " perte de sens " mais un " rapport à la perte de sens " ( p 397 ).
Ce qui peut signifier, décodé, une a-n-archie, posée, réfléchie. Et dans laquelle l'absence de tout " enchaînement du sens " ( op cit, p 381 ) est forcée.
Tout en donnant l’apparence de laisser l’ analyse livrée à elle-même. Autrement dit de se déchaîner, au sens littéral. Alors que tout est contrôlé, pensé, dans le cadre d’une stratégie antirationnelle.

Ainsi il s’agit donc de devenir ( dans ) cette machine textuelle qui, en apparence, marche, “ dissémine “ toute seule : tel le cheval de Troie.
C’est-à-dire évite, officiellement, la concentration conceptuelle, le rassemblement, synonyme de “ pouvoir “ de “ domination “. Alors qu’il s’agit en réalité de se disséminer, soi-même, en lieu et place de ce que l’on détruit.
Derrida s’y sent alors "léger".
A l'instar de Blanchot également, qui dans " l'instant de ma mort " se sent " léger ".
Pour ce faire il faut manipuler "l'écriture" dont la "différence" avec le réel est effacée puisqu'elle est le seul réel visé.
Chez Derrida le "e " est par exemple retiré à différence pour en faire un “ a “ muet et a-n-archique.
C’est-à-dire qui s’entend ( à la puissance n) comme un “ sans “ mais aussi littéralement comme un “ sens dessus dessous “, telle l’ erreur “souveraine”, celle d’ une errance ( Blanchot in " l'espace littéraire " ) volontaire : une diff-errance.
Et celle-ci est d’autant plus sans conséquence, que les opposés sont seulement exposés comme variétés dont le caractère éventuellement antagonique est vidé de son sens afin d’éviter l’aspect sérieux, et donc servile, des contradictions.
Et cette sorte de “ différance “ est alors posé par Derrida comme une permanence, un principe premier c’est-à-dire le "même", dans " Marges de la philosophie " ( 1972 ed de Minuit, p 18 ) :
" (...) Le même est précisément la différance ( avec un a ) comme passage détourné et équivoque d'un différent à l'autre, d'un terme de l'opposition à l'autre. On pourrait ainsi reprendre tous les couples d'opposition sur lesquels est construite la philosophie et dont vit notre discours pour y voir non pas s'effacer l'opposition mais s'annoncer une nécessité telle que l'un des termes y apparaisse comme la différance de l'autre, comme l'autre différé dans l'économie du même (...) "

Derrida jongle donc, de façon très décontractée, avec toute cette complexité, cette gravité, alors que le " même " en tout cas celui du Timée de Platon renvoie pour l’essentiel, et ce d'après Aristote également, ( Métaphysique, ed Vrin, T.1, p 184 ) à la dialectique inextricable de l’un et de l’être, de l’immobile et du mobile.
C’est-à-dire non seulement à Parmenide et à sa distinction entre être et non être, et qui privilégie, dans l'être, corruptible, l'un, invariant ; non seulement à Héraclite et au fait que l'être soit devenir, privilégiant dans le devenir, le multiple, ( le conflit, la contradiction, la différence...); mais aussi au Parménide de Platon qui semble articuler l'apport de Parmenide et d’ Heraclite, puisqu’il souligne l'aspect indéfini de l’ interaction entre l’un et l’être, tant " l'un " et " l'être ", l'un et le multiple, sont inextricablement corrélés ( également Proclos, éléments de théologie, théorème 1, ed Aubier ), " indécidables " dit Oléron, ( 1989, in " l'intelligence de l'homme, ed Colin, p 115 ) ce qu'Hegel avait repris dans sa " Logique " ( 1812, L'être, ed Aubier, p 69, op cit ) puisque “ l’un “, pour être lui-même, se doit bien d’être.Mais ceci, alors, le met en mouvement.
Et donc met en jeu son un-ité, tandis que l’être se doit bien d’être un-i s’il veut persister précisément dans son être....
Or en posant, en s’emparant ( en s’en parant ) de toute cette métaphysique à dimension complexe, c’ est-à-dire qui touche diverses régions du savoir, l'idée derridienne, dans sa manipulation forcée à la Lénine-Bataille, a comme objectif de s’en servir comme "ressource" :

( " L'écriture...p 381 :" (...) la négativité est une ressource. (...) " ).

C’est-à-dire comme simple quantité à utiliser selon le moment circonstancié. Ce qui est là hypostasier, réifier, ce moment de l'entendement qu’est la négativité.

En effet, rappelons-le encore une fois, celle-ci n’est qu’un moment, celui de l’analyse, qui arrête, sépare.
En ce sens, nous dit Hegel, qu’elle peut percevoir telle " qualité " sous l’angle de la " quantité ".
Mais ce en vue, semble-t-il, non pas de réduire la qualité à une somme qu’il suffirait d’atteindre en fournissant mécaniquement la quantité adéquate.
Car il s’ agit d’ étudier la qualité en tant que quantum d’action. Ce qui implique certaines mesures quantitatives afin d’en percevoir les conditions de fonctionnement pour l’ utiliser au mieux le cas échéant. Telle que par exemple la qualité du courage dont la quantité, en degré, en intensité, peut s’accroître, s’ approfondir et se prolonger s’il y a lieu.
Mais lorsque le danger est passé, il n’est alors pas question de supprimer dans l’identité cette différence qu’est le courage en tant que qualité, mais seulement de supprimer, ( de suspendre plutôt ) son espace quantitatif donné de qualité puisque tel ou tel danger est passé. Sa quantité n’est alors plus nécessaire telle quelle, à cet instant, là, elle est donc “ niée “ afin de laisser advenir un autre espace dequalité :

( Hegel : " (...) En cela, ce n'est pourtant pas la qualité en général qui est niée, mais seulement cette qualité déterminée dont la place est aussitôt prise, à nouveau, par une autre qualité. " Encyclopédie...La Science de la logique -1827-1830-ed Vrin, trad Bourgeois, add 109, p 545 ).

Alors que Derrida, suivant, ici, Lénine,
-( Marx-Engels, eux, hésitent, s'arrêtent dans le passage concret au réel, pose la suppression comme relative, historique, et non absolue )-,
suivant, là, Blanchot et Bataille, pose cette séparation-supression comme moment absolu, comme liberté non pas abstraite, c'est-à-dire dont le trait évolue, mais absolutiste, fixe, éternellement, la qualité réduite à une simple quantité, abstraite, positiviste.
Telle l’ éternité de cette nuit dans laquelle toutes les vaches sont noires pourtant prévient Hegel lorsqu'il se détâche de Schelling.
Telle cette mort-terreur dont parle également Hegel lorsqu'il expose l'histoire de l'esprit dans son versant européen, celui de la Révolution Française qui pose " l'Etre " ( de Robespierre ) comme ce point fixe unilatéral ( changeant même le calendrier, l'année ).

Et tous ces nihilistes exacerbent ces points de vues en meurtrières, parce qu’ils se veulent non pas absolu mais ces absolutistes qui se posent positivement et éternellement comme ces nouveaux dieux, ces premiers points, de la " ligne " d’un rien qui se veut total.
C’est-à-dire d'où tout dériverait.


Mais pour parfaire la manipulation il faut un alibi, une similitude.
Derrida en trouve un, excellent, celui de l’ “inconscient " ( Marges, p 18 ).
La raison, ce filtre, est alors mis de de côté, du moins officiellement. Ce qui permet de mettre en branle le “ rapport à la perte de sens “.
Ainsi si Brutus tue, c'est par un effet de structure. Historique. Les hommes ne savent pas ce qu’ils font disait Marx. N’y-a-t-il donc pas là similitude avec l’inconscient ?
Derrida fait donc mine ne pas savoir qu’ il n’est pas possible de confondre agrégation d’évènements non prévisibles et phénomène singulier d’impulsion dont l’affichage peut être, à terme, contrôlable.

Cette confusion, volontaire, rejoint au fond les justifications obscurantistes classiques voyant uniquement la cause de tel phénomène singulier ou particulier en telle exigence supra sensible. Ou dans telle pression environnementale.
A l’instar de l’excuse actuelle trouvée par les ex-bolcheviks pour justifier leurs crimes alors que la surdétermination du contexte est là pour cacher la préméditation du crime.

En fait, trouver comme seule excuse officielle du “ déchaînement “ du “ sens “, celle de “ l’inconscient “ ou celle du “ contexte “, c'est, là, décupler, bel et bien, et placer sur automatique, l'acception antirationnelle de la force .
Celle qui fuit la “ compréhension “ ( Nietzsche, op cit ) et se déploie seulement lorsque l’occasion, mécanique, s’y prête.
Ce qui a pour résultat de substituer,implicitement,
au terme "instinct vital" du nazisme, le terme
" inconscient ". Relifté, en apparence, par le terme freudien alors qu'il s'agit en fait du terme nietzschéen.

Observons par exemple ce passage de "Marges" ( p 18 ) dans lequel Derrida expose la définition nietzschéenne de l'inconscient en citant le travail de Deleuze sur Nieztsche :

" (...) je rappelerai seulement que pour Nietzsche " la grande activité principale est inconsciente " et que la conscience est l'effet de forces dont l'essence et les voies ne lui sont pas propres. Or la force elle-même n'est jamais présente : elle n'est qu'un jeu de différences et de quantités. (...) ".

Seulement, quand bien même “ la grande activité principale “ serait “ inconsciente “, il n’en reste pas moins que son objectif n’est pas de rechercher un “ rapport à la perte de sens “.
Le rôle de “ l’inconscient “ n’est pas d’oeuvrer dans une stratégie manipulant le sens comme “ perte “ mais bien au contraire de faire signe, symptomatiquement, ce qui nécessite bel et bien une recherche de la signification d’une éventuelle perte de sens.
Par ailleurs la force, au niveau humain, n’est pas seulement un “ jeu de différences et de quantités “.
Elle se coagule en projet. Et elle sert bel et bien à quelqu’un de concret comme Marx d’ailleurs le soulignait dans sa critique de Hegel.
Or dans l’idéalisme, mécaniste, de Derrida c’est au fond l’aléatoire marié à la loi du plus fort.
Comme sur un terrain de chasse lorsque le fauve cherche la bête la plus faible du troupeau ou celle qui trébuche.

Seulement dans la pratique du surhomme léniniste, qui détruit tout ce qui n’est pas lui, tout ceci sera maquillé.
Ce qui, au fond, depuis 1917 et 1933, reste connu, du moins en principe.
Le rapport à “ la perte de sens “ en tant que mécanique maquillée comme “ inconscient “ est alors cet outil, ce trait de division, de fraction, sans aucun autre terme au bout que celui de la destruction en amont, et son réel en aval : la mort, dont les faux se mettent en marche automatiquement dans la réalité externe ( ex : le goulag ) tout en le maquillant au nom de la radicalité, de la déconstruction etc.
C’ est là le secret de cet hegelianisme sans réserve, ce “pharmakon” (cité plus haut). Et dans lequel poison et remède cohabitent puisque l’on y suffoque le sens selon la demande stratégique du moment.
Ainsi Derrida s'enfonce sans souci comme flèche zénonienne dans le non non sens absolu tout en affichant de plus en plus une face d'ange ( un oui éternel à tout disait Bataille ) jonglant avec les mots grecs allemands les références, innombrables, à Hegel, Husserl, Heidegger etc etc; ( Deleuze, lui, plus fidèle en ce sens au positivisme dégénéré du diamat préfère jongler avec les formules mathématiques, chimiques, et même un Prigogyne en a été subjugué comme nous le verrons).

Pour l’essentiel donc, aller “plus loin” que Hegel, Marx, Engels, Lénine, et même Bataille consistera à "déchirer" le sens de façon "convulsive" ( L'écriture....p 381 ) tel l’inonscient lui-même qui cherche à tout prix à se signaler par son débordement.
C'est-à-dire non pas, seulement, chercher un positif pour le nier comme le fait Lénine, et même Bataille ( ibid pp 405-406 ) ce qui est là la méthode de la " conscience naturelle, servile, vulgaire " ( p 406 ), celle du " monde du travail " ( p 405 ), celle de la " victoire de l'esclave et la constitution du sens " ( p 404 ) auquel " l'Aufhebung hegelienne " appartiendrait également ( pp 404, 405 ), alors que dans "l'économie générale" derridienne l'on est, déjà, non seulement tout le réel possible ( nous l'avons vu avec Blanchot, Foucault, et Lénine ) en vue de devenir dieu, mais en tant que ce dieu agit sans le savoir, sans même comprendre ce qu’il fait, inconsciemment donc : CQFD.
Voilà pour la dissimulation.
Par contre dans la réalité réelle, c’est-à-dire officieuse, il s’agit pour Derrida de se considérer comme une espèce de principe premier, un " a ", celui de “ différance “ et qui est, en fait, plein de sens. Car c'est ce " a "qui est le véritable réel, en attente,
-( comme chez Foucault admirant Borges, admirant Pierre Rivière... )-
celui de sa duplication en tant que nouveau réel substantif, substitutif au réel lui-même, et posant déjà ses codes de signification...sa culture, celle du débordement total, perpétuel. Du moins en son apparence immédiate : mécanique.
Derrida est donc cette culture même du border line, de la convulsion, de cette “déchirure convulsive du sens” ( op cit ). Car l’ avenir doit être celui de “l’apocalypse sans nom” : ou le rapport “ à la perte de sens “.
C’est-à-dire" la différance ".
Celle qui n'est " ni un mot ni un concept " ( Positions pp 58-59, Marges, p 7 ). Puisqu’elle est justement ce qui crée le sens des mots et des concepts : culture, civilisation, dieu, la “ marge “ derridienne est in(dé)finie.
Elle est le rapport de tous les rapports, l'Idée de l'Idée etc, matrice se démultipliant en dérivées, en différentielles dupliquant la forme originelle sous formes variées, et selon le " moment de la liaison " ( Lénine ).
C'est-à-dire selon l'interaction dans laquelle la domination, celle de sa direction, se joue en diffractant la force, ce “ jeu de différences entre quantités “ ( Deleuze-Derrida op cit ) selon l’état du rapport “ à la perte de sens “

En ce sens que les fonctions, les structures, de dominant, dominé, de vrai et de faux, de bon et de mauvais, sont habillées dans telle syntaxe plus ou moins circonstanciée, dans telle méthode tactique qui peut même se donner une apparence carthartique, socratique, rebelle, lorsqu'il s'agit de caresser dans le sens du poil, avant d’en contourner les limites, d’en trouver la brèche, la trouée des Ardennes, et ainsi déployer le tout du rapport “ à la perte du sens “.
A savoir que tout doit être mise en oeuvre pour la perte du sens...d’autrui...
C’est ce rapport, là, celui de la destruction réelle et de sa dissimulation, qui est premier et donc fait office de raison fondatrice dans le nihilisme de Derrida, un nihilisme arrivé chez lui à compréhension totale : celui de s’activer non pas vers la fin. Mais comme fin.
C’est également le no(n)m que se donne quelques groupes d’activistes dégénérés en Algérie : ils viennent comme fin.
Point final : destruction intégrale.

Qu’apporte donc de neuf le léninisme, surtout celui qui veut aller “ plus loin “, par rapport à Hitler ?
Le fait qu’il ne soit plus besoin d’être Juif, Gitan, aristocrate, bourgeois..., pour mourir.
Il suffit d’être différent de l’Unique posé comme Matrice en attente de sa duplication, de son clonage.




KK

Deleuze


" (...) Mais je suis en train de parler de moi, il faudrait parler aussi de Deleuze. Deleuze a écrit son livre sur Nietzsche dans les années soixante ( astérisque : Nietzsche et la Philosophie, Paris, P.U.F, 1962 ). Je suis à peu près sûr qu'il a dû, lui qui s'intéressait à l'empirisme, à Hume, ( astérisque : Empirisme et Subjectivité. Essai sur la nature humaine selon Hume, Paris,P.U.F, coll " Epiméthée ", 1953 ), et justement aussi à cette même question : est-ce que la théorie du sujet dont on dispose avec la phénoménologie, est-ce que cette théorie du sujet est satisfaisante? -question à laquelle il échappait par le biais de l'empirisme de Hume-, je suis persuadé qu'il a rencontré Nietzsche dans les mêmes conditions. Donc, je dirais que tout ce qui s'est passé autour des années soixante venait bien de cette insatisfaction devant la théorie phénoménologique du sujet, avec différentes échappées, différentes échappatoires, différentes percées, selon qu'on prend un terme négatif ou positif, vers la linguistique, vers la psychanalyse, vers Nietzsche.

- En tout cas, Nietzsche a représenté une expérience déterminante pour couper court à l'acte fondateur du sujet.

-Voilà. Et c'est là où des écrivains français comme Blanchot et Bataille, pour nous, ont été importants. Je disais tout à l'heure que je me demandais pourquoi j'avais lu Nietzsche. Je sais très bien pourquoi j'ai lu Nietzsche : j'ai lu Nietzsche à cause de Bataille et j'ai lu Bataille à cause de Blanchot. Donc, il n'est pas du tout vrai que Nietzsche apparaît en 1972; il apparaît en 1972 dans le discours de gens qui étaient marxistes vers les années soixante et qui sont sortis du marxisme par Nietzsche; mais les premiers qui ont eu recours à Nietzsche ne cherchaient pas à sortir du marxisme : ils n'étaient pas marxistes. Ils cherchaient à sortir de la phénoménologie. "

( Foucault. Dits et écrits, ed gallimard tome IV, p 437 )



Même lorsque la stratégie antirationnelle de Deleuze est durçie en destruction volontaire, elle a pour continuité celle de (se ) dissoudre et de plus en plus quand bien même l'expierait-elle ( pour souffler...).
Ce qui implique qu’elle élève paradoxalement la discontinuité des faits et gestes à chaque instant comme seul horizon continu tangible d'appréhension.

Ainsi Deleuze offre comme seule perspective celle d'un tableau même plus super-impressionniste c’est-à-dire dont la seule vision en pointillé serait possible ( ou l' intelligence sensori-motrice de Piaget et propre à l'enfance ), mais cubiste :
A savoir là où le recul, c'est-à-dire le concept, est non seulement interdit ( p 369 in "différence et répétition", op cit ), mais impossible, du moins comme calcul, persistance concentrée, synthèse apriori.

En effet il s'agit chez Deleuze de viser la seule synthèse analytique, celle " asymétrique " du " sensible " ( p 286 ibid). C’est-à-dire seulement propre à l'instant ce “ portique “ disait Nieztsche dans son Zarathoustra.
Celui-ci est donc tramé à l'instar d'un sac de billes duquel les “sphères”, à savoir ici les émotions les gestes les pensées, en surgissant suivant le degré d'inclination du sac, du corps dissous dans l’espace-temps, s’ affirmeraient certes comme “ concepts “ mais uniquement rassemblées comme sphères par l’effet d’inertie atteint lorsque leur propre trajectoire s’immobilise...
Autrement dit, et comme chez Bataille, Blanchot, Foucault, Derrida, Deleuze traque la capacité d’association, de corrélation, de synthèse, du concept lorsqu’il s’interroge sur la rationalité de ses liaisons logiques.
Ce qui impliquerait par exemple dans l’exemple précédent que l’on ne doit pas s’occuper d’interroger le sens du surgissement des émotions, de leur pourquoi, mais seulement de leur comment; du fait qu’elles émergent empiriquement.
Dans le cas contraire, Deleuze perçoit le concept comme contrainte sociale.
Celle qui enferme "l'énergie" ( Différence et répétition pp 287 et suivantes ) dans son " intensité " ( idem ), qu'il s'agit plutôt d'approfondir quantitativement comme nous l’avons vu plus haut.
Et ce afin qu'elle distribue plutôt ce que bon lui semble en x unités de temps non articulées entre-elles, récusant donc l'idée même d'unité de temps de limites, de passé, d'avenir, de stade enfant, adulte, ( p 163 ) de corps.

Ainsi ce dernier ne serait plus qu'un pli.
Celui d'un dimensionnement donné de l'espace cerclé par telle parole, rire, somme de quantités propre à l’instant,
somme de " quales " dirait Merleau-Ponty ( in le visible et l’invisible ed gallimard ) et que reprend Deleuze
( p 298 op cit ).
Seulement le hic est que tout ceci n’est pas laissé à l’abandon de la seule vision esthétique. Ou à la spontanéité d’une dérive imaginaire.
Tout ceci chez Deleuze est conceptualisé, prémédité, guidé. Ce qui permet non pas d'éviter la désintégration mais d'en orienter les morceaux épars selon le plan prévu :

" (...) Là où la psychanalyse dit : Arrêtez, retrouvez votre moi, il faudrait dire : Allons encore plus loin, nous n'avons pas encore trouvé notre CsO, pas assez défait notre moi. Remplacer l'anamnèse par l'oubli, l'interprétation par l'expérimentation. Trouvez votre corps sans organes, sachez le faire, c'est une question de vie ou de mort, de jeunesse et de vieillesse, de tristesse et de gaieté. Et c'est là où tout se joue. (...)
Maîtresse, 1) tu peux me ligoter sur la table, solidement serré, dix à quinze minutes, le temps de préparer les instruments ; 2) cent coups de fouet au moins, quelques minutes d'arrêt; 3) tu commences la couture, tu couds le trou du gland, la peau autour de celui-ci au gland l'empêchant de décaloter, tu couds la bourse des couilles à la peau des cuisses. (...).
Il est faux de dire que le maso cherche la douleur, mais non moins faux qu'il cherche le plaisir d'une manière particulièrement suspensive et détournée. Il cherche un Cso, mais d'un tel type qu'il ne pourra être rempli, parcouru que par la douleur, en vertu des conditions mêmes où il a été constitué. (...). De même le corps drogué et les intensités de froid, les ondes frigidaires. (...). Les drogués, les masochistes, les schizophrènes, les amants, tous les CsO rendent hommage à Spinoza. Le CsO, c'est le champ d'immanence du désir, le plan de consistance propre au désir ( là où le désir se définit comme processus de production, sans référence à aucune instance extérieure, manque qui viendrait le creuser, plaisir qui viendrait le combler ). Chaque fois que le désir est trahi, maudit, arraché à son champ d'imamnence, il y a un prêtre là-dessous. Le prêtre a lancé la triple malédiction sur le désir : celle de la loi négative, celle de la règle extrinsèque, celle de l'idéal transcendant. (...)
(...) Axiome du dressage -détruire les forces instinctives pour les remplacer par les forces transmises. En fait, il s'agit moins d'une destruction que d'un échange et d'une circulation (...). Le cheval est dressé : à ses forces instinctives l'homme impose des forces transmises, qui vont régler celles-ci, les sélectionner, les dominer, les surcoder. Le masochiste opère une inversion des signes : le cheval va lui transmettre ses forces transmises, pour que les forces innées du masochisme soient à leur tour domptées. (...).Résultat à obtenir : (...) il faut qu'au seul rappel de tes bottes, sans même l'avouer, j'en aie la crainte (...). Les jambes sont encore des organes, mais les bottes ne déterminent plus qu'une zone d'intensité comme une empreinte ou une zone sur un Cso (...) ".

( Deleuze-Guattari. Capitalisme et schizophrénie. Mille plateaux. P 187, 188,191,192,193,194. Minuit. 1980 )


Pour disséquer cette expérience ( déjà étudiée en partie plus haut ) branchons-nous tout d'abord sur ces quelques réflexions de Pierre Janet :

"
(...) Les actes automatiques nous ont présenté deux degrés de perfection correspondant à deux degrés dans les phénomènes intellectuels, soit qu'ils fussent l'expression de simples sensations ou d'images isolées, soit qu'ils correspondent à des perceptions déjà plus complexes et plus variables. Pour qu'il y ait des actes élevés au-dessus de ces derniers actes automatiques, il faut qu'il y ait, dans l'intelligence, des phénomènes de connaissance supérieurs aux perceptions elles-mêmes.
Nous sommes disposé à croire, quant à nous, que les jugements ou idées de rapports sont, dans l'intelligence, des phénomènes différents des sensations, des images et des perceptions, qui ne sont que des groupes d'images associées entre elles. L'idée de ressemblance, n'est pas une sensation, ni une image, car elle n'est ni rouge, ni bleue, ni chaude, ni sonore ; elle n'est pas non plus un groupe d'images, car une addition de ce genre formerait une image nouvelle et la ressemblance ne peut en aucune façon être représentée. (...). La vérité, la beauté, la moralité sont, dans mon esprit, quelque chose de différent des objets eux-mêmes, à propos desquels j'ai ces conceptions : le jugement esthétique n'est pas identique à une mosaïque de sensations agréables, juxtaposées. Que l'on appelle ces phénomènes nouveaux des réflexions, comme fait Maine de Biran, ou des aperceptions comme les nomme Wundt après Leibniz, ou simplement des jugements, peu importe, pourvu qu'on ne les confonde pas avec des phénomènes psychologiques tout différents. Sans doute, je n'ai pas la prétention de traiter ici incidemment la théorie du jugement qui forme, à mon avis, le point capital de la psychologie contemporaine, celui qui sépare le plus les psychologues d'aujourd'hui (...). Mais je remarque seulement que si l'on efface cette distinction du jugement et de l'image, on supprime par là même toute séparation possible entre les actes volontaires et les actes automatiques car les actes volontaires sont précisément ceux qui sont déterminés par des jugements et des idées de rapport (...)
Les idées de rapport ne sont pas motrices par elles-mêmes, mais qu'elles s'arrêtent et réunissent dans l'esprit, en un mot, qu'elles synthétisent d'une manière nouvelle un certain nombre d'images véritables qui ont elles-mêmes le pouvoir moteur. L'effort volontaire consisterait justement dans cette systématisation, autour d'un même rapport, des images et des souvenirs qui vont ensuite s'exprimer automatiquement. La faiblesse de synthèse que nous avions reconnue chez les malades ne leur permet même pas complètement les synthèses élémentaires qui forment les perceptions personnelles, à plus forte raison, ne leur permet-elle pas ces synthèses plus élevées qui sont nécessaires à l'activité volontaire. Les auteurs qui ont fait une étude si complète sur le mécanisme par elquel l'attention se développent et se conserve n'ont peut-être pas insisté suffisamment sur ce rôle du jugement dans l'attention : car c'est son intervention qui, à notre avis, caractérise la véritable attention volontaire. (...)

(...) La désagrégation mentale, la formation des personnalités successives et simultanées dans le même individu, le fonctionnement automatique de ces divers groupes psychologiques isolés les uns des autres ne sont pas des choses artificielles, résultat bizarre de manoeuvres expérimentales. Ce sont des choses parfaitement réelles et naturelles que l'expérience nous permet de découvrir et d'étudier, mais qu'elle ne crée pas (...).
(...) La désagrégation n'est pas une excitation, c'est une dépression et une faiblesse. C'est une illusion naturelle, en entendant un fou crier et une hystérique babiller, que de les croire excités. Mais cette rapidité de leurs idées vient de leur impuissance à les coordonner, de la faiblesse avec laquelle ils se laissent aller à toutes leurs impressions et laissent s'exprimer toutes les images que le jeu automatique de l'association amène successivement dans leur esprit. C'est une faiblesse de la synthèse psychologique qui laisse les idées se désagréger et se grouper autour de plusieurs centres différents. (...)
(...) Toute l'histoire de la folie, comme l'a soutenu Baillarger et après lui beaucoup d'aliénistes, n'est que la description de l'automatisme psychologique livré à lui-même et cet automatisme, dans toutes ses manifestations, dépend de la faiblesse de synthèse (...).

(...) Il y a en nous à chaque instant un groupe de nombreuses sensations coexistantes...Le moi est à la fois série et groupe ; il est une série de groupes. " ( Citation de Louis Dumont par Janet ).


" ( Pierre Janet. L'automatisme psychologique. 1889. PP 473, 442, 452, 478, 193 ).


En termes pour l'instant synthétique, nous avancerons
qu ‘un Deleuze exprime un " acte volontaire ", un
" jugement " -qu'il interdit pourtant aux autres- celui d'une stratégie politique ayant comme visée antirationnelle la " faiblesse de la synthèse psychologique " ( Janet ).
C’ est-à-dire l'éclatement, intense, du moi. Ou la "désagrégation " de tout autre jugement synthétisant les sensations en perception visant à conserver à affiner le moi qu’il soit individuel ou sociable.
La stratégie deleuzienne consiste donc en une destruction à accomplir, ( "oubliez votre moi " ), et que l'on compense homéostatiquement, cognitivement, par l'hallucination hypnotique, éternellement positive, qu' apporte uniquement " l'Idée ".
C'est-à-dire, en fait , l'Idée de Lénine :

" (...) Le Begriff n'est pas encore la notion la plus haute ; encore plus haut est l'Idée = unité du Begriff et du réel (...) " (in Cahiers sur Hegel...ed sociales p 159 ),

mais lestée chez Deleuze par la manipulation de l'empirisme de Hume, de l'aperception monadique de Leibniz, de la substance de Spinoza, de l'espace transcendantal de Kant, de la durée de Bergson...le tout saupoudré de pseudo applications d' équations thermodynamiques et topologiques et du rire de Nietzsche
L' “Idée” deleuzienne synthétise alors tous les rapports nécessaires pour atteindre le désir seul.
C’est-dire viser sa seule excitation formelle. Autrement dit le désir est vidé de tout autre contenu que celui de son déclenchement.
Il s'agit alors de suivre ce dernier dans son association automatique, tout en faisant en sorte que tous les autres jugements qui pourraient freiner, culpabiliser, sensibiliser, soient non seulement suspendus mais disloqués, jetés, "oubliés"
Leur perte ( semblable à la formule de Derrida plus haut : ou “le rapport à la perte de sens” ) est cependant compensée par l'hallucination, la fascination, le choix de démantèlement, de recroquevillements et de perceptions éclatées, dilatées, plastiques ( ou la fameuse " schizo-analyse " ), tout en s'appuyant sur des cadres référentiels littérairement, théoriquement, légitimés, par tel théorème, telle parole obscure, bref qui viennent sans cesse en boucle comme inter-rétro-action de protection et/ou fuite.
Ainsi s'exprime donc déjà, lorsque l'on échoue dans
l’ “Idée” deleuzienne, comme un refus volontaire de croître, de s’ affiner. En relativisant tout.
Y compris d'ailleurs le fait de relativiser puisque l'on absolutise telle sensation, telle intensité, telle objectivation. Ce qui permet de basculer, volontairement, dans le sentiment du vide, tout en mimant, -via le sado-masochisme par exemple-, la catatonie, la catalepsie, (tels que Janet les a étudié dans " L'automatisme psychologique" et dans " De l'angoisse à l'extase ") :

" (...) " La catalepsie, dit Saint-Bourdin, un des premiers auteurs qui ait fait une étude précise de cette maladie, est une affection du cerveau, intermittente, apyrétique, caractérisée par la suspension de l'entendement et de la sensibilité et par l'aptitude des muscles à recevoir et à garder tous les degrés de la contraction qu'on leur donne. ". Absolue immobilité du sujet. Les yeux eux-mêmes tout grand ouverts, sans aucun clignement des paupières, conservent avec fixité la même direction.

(...) A-t-on fermé l'un des poings de Léonie, l'autre se ferme également, les bras se lèvent dans la position de l'attaque, le corps se redresse, la figure change; les lèvres serrées, les poings fermés et les sourcils froncés n'expriment que la colère. Ai-je mis une main étendue près des lèvres, l'autre main s'y place également et semble envoyer des baisers, la figure se modifie tout d'un coup et, au lieu d'exprimer la fureur, les lèvres et les yeux, tout sourit. On peut changer indéfiniment ces attitudes, ces poses plastiques et faire exprimer au sujet l'amour, la prière, la terreur, la moquerie, toujours avec une égale perfection. Pour passer d'une attitude à une autre, il suffit de modifier légèrement un des gestes du corps ; chez Léonie, il suffit même de toucher aux muscles de la figure. MM Charcot et Paul Richer réussissaient à modifier l'attitude d'une catalyptique en faisant contracter par le courant électrique l'un des muscles de la face (...)

(...) Comme le disait Mr Charcot : " Dans la catalepsie vraie, il y a inertie morale absolue " (...)

(...) Quand nous avons parlé de la conscience pendant la catalepsie, nous avons admis, avec Maine de Biran, qu'elle devait être très inférieure, qu'elle consistait en sensations et en images et non point en perceptions. Nous avons dit que le caractère de ces images élémentaires était de n'être pas réunies dans une même pensée, de ne pas former une personnalité, c'étaient des images conscientes sans idée du moi ; (...)

(...) 1° Si on a suggéré à une somnambule qu'une personne, M X...avait disparu, la somnambule ne peut plus le voir à quelque endroit de la chambre qu'il se tienne; mais si on ajoute un objet sur M X..., un chapeau par exemple, comme il n'est pas compris dans la suggestion, ce chapeau reste visible et paraît alors se tenir en l'air. Au contraire, si M X...sort un mouchoir de sa poche, ce mouchoir reste invisible comme lui (...).
2° La personne ou l'objet que l'on a rendu invisible cache réellement les objets qu'il recouvre, mais la somnambule supplée à la vision de ces objets par une hallucination qui les remplace, c'est d'ailleurs ce que nous faisons journellement pour les objets qui viennent se peindre sur la tache aveugle de la rétine. (...)
3° L'objet invisible doit être réellement perçu, car il produit quelquefois une image consécutive de couleur complémentaire qui, elle, est visible : fait-on disparaître un papier rouge, la somnambule ne le voit pas, mais, au bout de quelque temps, verra une couleur verdâtre à la même place. (...)

(...) Reprenons mes premières expériences : Lucie ne voit ni les papiers marqués d'une croix, ni les papiers qui portent un chiffre multiple de trois, et ne me les a pas remis. A ce moment, je m'écarte d'elle et profitant d'un instant de distraction suffisant, je commande de prendre un crayon et d'écrire ce qu'il y a sur les genoux. La main droite écrit : " Il y a deux papiers marqués d'une petite croix. - Pourquoi Lucie ne me les a-t-elle pas remis ?- Elle ne peut pas, elle ne les voit pas " (...). Lucie ne votait aucunement l'objet supprimé; mais le groupe des phénomènes subsconscients, que nous ne savons pas encore désigner autrement, répondait par l'écriture automatique qu'il les voyait parfaitement. (...)

(...) Quand Witt...s'est brûlée les pieds, il y avait quelque part en elle des phénomènes de douleur, mais tellement élémentaires, isolés et incohérents qu'ils pouvaient tout au plus provoquer quelques contractions convulsives ici ou là, mais ne pouvaient pas diriger un mouvement d'ensemble, coordonné, comme celui d'écarter et de déplacer les jambes. C'est dans cet état que restent nos sujets le plus souvent, quand on ne s'occupe pas d'eux et surtout quand on ne les a pas endormis depuis longtemps.

(...) Il faut encore ici, pour l'étude psychologique, rechercher des paralysies sans lésion et voir comment elles peuvent se produire malgré la conservation de la sensibilité. Quelques auteurs, comme Huchard, Prégel, Lobel, citent des paralysies psychiques de ce genre qui ne s'accompagnent pas d'anesthésie. Comment pouvons-nous comprendre cette irrégularité ?
Prenons comme exemple une suggestion expérimentale. Je trace à la craie une ligne sur le plancher et je déclare à une femme hystérique qu'elle ne pourra pas traverser cette raie. Elle hausse les épaules, prétend que je plaisante et ne fait pas attention à ce que j'ai dit. Quelques minutes plus tard, elle se lève pour sortir et marche rapidement droit devant elle. Les deux jambes s'arrêtent toutes raides et corps reste penché en avant sans pouvoir avancer. La voici furieuse, qu recule pour prendre son élan, elle court mais elle est encore arrêtée brusquement au même point. C'est une sorte de paralysie car elle est incapable de lever ses jambes et de franchir la raie blanche; mais il est facile de voir que la sensibilité n'a pas varié, ses jambes sont comme auparavant l'une sensible, l'autre insensible ( c'était une hémi-anesthésique ). (...). La suggestion, soit pendant le somnambulisme, soit pendant la distinction, a provoqué une idée fixe subconsciente qui arrête le mouvement au moment même où le sujet veut le produire et pourrait d'ailleurs le faire au moyen des images sensorielles qu'il a complètement conservés. (...).
M Charcot ( " Maladies du système nerveux ", III, 355 ) a analysé des cas très importants et très curieux de ce genre dont il a donné la véritable explication. L'émotion causée par un accident, le " nervous shock " provoquait un état mental analogue à l'hypnotisme ou, du moins, différent de l'état psychologique normal, pendant lequel l'idée de blessure, de paralysie pénétrait dans l'esprit. La conscience revenue à l'état normal, cette idée persistait néanmoins au-dessus et arrêtait, " inhibait " tous les mouvements que le malade voulait faire. Au point de vue psychologique, comme au point de vue physiologique, la suppression apparente des mouvements peut provenir tantôt " d'une abolition véritable de l'activité des appareils moteurs, tantôt d'une augmentation de l'activité des appareils d'arrêts ". (...)

(...) Un jeune marin de 19 ans, atteint d'hystéro-épilepsie et anesthésique de presque tout le corps reçoit un choc assez violent au bas de la poitrine. Il n'eut en réalité aucun mal, mais il resta complètement coupé en avant dans la position la plus pénible, qu'il gardait depuis un mois, quand M le Dr Rillet, médecin-major de l'hôpital, m'offrit obligeamment de l'examiner. Tous les muscles antérieurs de la poitrine et de l'abdomen étaient contracturés et il était impossible de le redresser. Ce fut cette fois par l'hypnotisme que je cherchais à atteindre l'idée fixe qui évidemment tenait sous sa dépendance cette contracture vraiment systématique. Je l'endors très facilement et, sans rien lui commander, je lui demande simplement s'il peut se redresser. " Pourquoi pas ? " répondit-il de ce ton bête qu'ont les somnambules au début du sommeil. - " Eh! bien, alors, redresse-toi, mon garçon. " C'est ce qu'il fit immédiatement et l'on put constater que la guérison se maintint très bien après le réveil (...)
Puisqu'il ressort de ces discussions que les paralysies et les contractures se rapprochent à un tel point des anesthésies, nous avons le droit de chercher s'il n'est pas possible de les expliquer par les mêmes hypothèses.
Le médecin psychologue du XVIIIème siècle, Rey Regis, dont nous avons déjà parlé, avait remarqué que les paralytiques qui ont perdu le mouvement d'un membre peuvent le retrouver quand, en remuant ce membre, en leur montrant ses mouvements, on leur apprend de nouveau à s'en servir, ce qu'ils paraissaient avoir oublié. La paralysie doit être, en effet, une amnésie, le mouvement des membres étant, comme nous l'avons vu, déterminé par la succession de certaines images dans la conscience, il suffit, pour perdre le mouvement, d'oublier ces images motrices (...) "

( Janet, l'Automatisme psychologique, op cit, pp 12, 19, 21, 236, 274, 278, 308, 353, 361 )


Ainsi dans la brisure, la "fêlure" deleuzienne ( p 332 in "différence et répétition" ) dans cette systématisation bataillienne du détournement émotionnel s'expose une volonté d’atteindre des états discontinus, désarticulés, épars, que l'on peut observer dans la catalepsie, le somnambulisme, et la paralysie psychique sans lésion dont parle Janet.
A savoir la désagrégation, la miniaturisation du soi ( moi individuel et moi sociable ) sous l’auto-suggestion d'une idée fixe, celle du détruire, dont la quasi-anesthésie s'accentue jusqu'à ce que les perceptions se disloquent en images solitaires. Et elles-mêmes sont vidées de leur contenu en mémoire et souvenir afin de n’en retenir que la seule sensation, immobile, intense. Celle de leur vibration stationnaire lorsqu'elles s'associent automatiquement, lorsqu'elles sont recombinées, agrandies, manipulées vers le déclenchement des émotions les plus excitantes alors que le corps, reste paralysé, comme par exemple dans les expériences deleuziennes décrites plus haut ( couture et humiliation ).

Autrement dit toute série de sensation ainsi manipulée est subsumée sous l'idée fixe et est donc synthétisée dans sa seule excitation. C’ est-à-dire est rendue amnésique dans son contenu de sens. Ce qui permet de créer comme une ligne nodale d'inhibition à suivre, celle de " l'Idée ", et qui fonctionne en fait comme cette raie blanche dont parle plus haut Janet :
Elle n'existe pas mais en même temps polarise toute la tension. La raie blanche est ce commandement de “ l’Idée “ qui programme la mort du libre développement. Ainsi le soi est démantelé, brisé, oublié, paralysé, détruit en interne. Tandis que ce qui commande cette destruction est alors démesurément agrandie, alourdie en externe, jusqu’à paralyser.

Le résultat de la mise en folie volontaire deleuzienne consiste donc en ceci :

Faire en sorte que les sensations soient vidées de leur contenu de sens. Tandis que leur excitation, leur intensité servent seulement de pics discontinus de tensions.
Le tout se baladant en fragments lambeaux d’images.
Tout en étant en attente en fait d'une tension plus grande encore et peut être irréversible : la positivité éternelle, la différence absolue que plus rien ne peut contrarier, la pure quantité intensive finale sans aucune autre contrariété qualitative ( Différence et répétition, pp 306, 314 ) :la mort, ( comme nous l'apprenons parfois dans certains faits divers émanant des underground londoniens, new-yorkais, parisiens... )
Mais en moyenne il s'avère que dans ce type de nihilisme “ désirant “ l'on hallucine surtout en fait la puissance sociale que dégage ces réels ainsi détournés via certes la justification esthétique et littéraire qui prend en charge idéologiquement la surdétermination fétichiste de leur plastique.
Ainsi en croyant dissocier signifié et signifiant, il apparaît bien, au vu de tel ou tel fait divers ou telle prise de position politique favorisant des attitudes ultra-violentes, que le renforcement du seul signifiant par l’hallucination n’amoindrit pas mais amplifie plutôt son contenu de sens, et donc se transforme en fascination, sans critique, du signifié, c’est-à-dire de la puissance sociale qui le sous-tend ( ex les bottes plus haut ). Ce qui transforme l’halluciné en suppôt parfait du pouvoir, en Brutus avide de puissance d’où qu’elle vienne du moment qu’elle est pouvoir de commandement déclenchant diverses sensations qui aussi rassasient socialement en contenu de sens.
La destruction programmée se renverse donc en son contraire hypertrophié. ( Il suffit de traverser divers salons mondains pour s’en rendre compte jusqu’à la nausée).

Ainsi encore, lorsque le dit masochiste deleuzien programme, par souci idéologique, le devoir de dissoudre son énergie psychique afin de ne pas l'accumuler en capital, ce qui le transformerait en bourgeois, il apparaît en fait que la surdétermination signifiante de tel ou tel plastique se lit plutôt comme étant le signe d’une admiration de ce qui dans l'apparence s'exprime comme signes prestigieux incarnant le statut social, cette source de puissance effective qui est bien entendu renforcée par un maintien et une plastique avantageuse, telle celle du maître ou de la maîtresse des “bottes” ( op cit ) s’articulant à la parfaire plastique puissant du cheval.
Ou celle d’un esthète s’affichant dans son petit appartement de 200 m2 et ayant comme “ ami “ tel conservateur de musée, tel professeur, telle célébrité, le tout parsemé d’objets rares, d’ estampes grecques érigées à la gloire des plaisirs défendus...
Ce qui est, socialement, halluciné dans le plastique de telles scènes, c'est, semble-t-il, ce que celles-ci dégagent non seulement comme certitude esthétique et dont l'idée fixe va en permettre comme le tremblement intensif, mais aussi ce qu'elle déclenche comme certitude sociale.
C'est-à-dire dont l'apparence montre dans l'instant celle de personnes ( déjà au sens de Durkheim ) dont la maîtrise de soi permet de créer un espace-temps privé lourd de sens. C’est-à-dire dans lequel elles se déploient pleinement comme êtres sociaux libres de constituer de réaliser leur esthétique du temps. Ce qui ne peut pas ne pas influer sur de jeunes adeptes en rupture de ban et à la personnalité fragile.


Pour l’essentiel la destruction du soi propre au nihilisme désirant deleuzien consiste donc à se relativiser tout en agrandissant démesurément ce qui fait office de soi dans le réel.
C'est la disparition de la complexité, et ici du jeu entre positif et négatif pour le seul moment de la puissance permettant la dislocation de la volonté d’autrui, la dissolution de son admiration en fascination sans faille : sans critique, sans négatif, mais en positivité fétichiste absolue.
C’est le passage du réel, interne et externe, qui est, dans l’absolu, à n dimensions, vers seulement deux dimensions. Celui de la destruction de l' épaisseur du sens puisque ne persiste plus que le positif d’une émergence intensive dont la quantité se mesure en fréquence et temps.

L’épaisseur, intime, du temps disparaît au profit de la transparence univoque de l’instant.

Et cet esclavage volontaire fait que le temps privé, le temps en propre, le temps qui a le temps de se dérouler dans la profondeur du soi est aplati au profit de ce qui ainsi s’accapare toute la tension, l’attention, fascine, paralyse toute volonté d’être à soi-même son propre temps, y compris comme temps social.
Ainsi la toux du maître du cheval cité plus haut et dont le simple souvenir des bottes déclenche l’intensité de la crainte peut devenir dans ce contexte la toux par laquelle la victime volontaire se doit de trembler également tant elle peut aussi incarner un souci social.
Et cette façon de sublimer cette toux, au détriment de la sienne, loin d’être la seule visée de la toux ( de la mort chez Derrida ), dont le maître ne serait que le vecteur, exprime en fait beaucoup plus que la seule recherche d’une récession infantile volontaire comme dans le cas masochiste “classique. Elle exprime, ici, dans le cadre du sadomasochisme idéologiquement orienté vers la destruction nihiliste du sens de l’homme tel qu’il est arrivé à compréhension certaine aujourd’hui dans son besoin d’autodéveloppement, un retour au temps obscur de la confusion entre allégeance politique commune et allégeance passionnelle singulière.
En ce sens que le sujet ne se dissout même pas dans la substance du groupe mais uniquement dans celle du clan détenant le tout de la puissance sociale.
Et dans ce genre de substance le point, le pion, que devient le sujet ne déploie plus ses propres vues liées à son angle spécifique.
Il n'est plus ce cercle, libre, c’est-à-dire ayant aussi sa circonvolution en propre dans le social. Il s'efface dans la ligne uniforme, perspective hallucinatoire de l'ubiquité d'un corps à mille pattes ( comme le fantasmait Sartre dans sa " dialectique...).
Le “ sujet “ deleuzien n'est alors qu'une intersection liée au hasard du donné. Celle d'être là comme simple existant et qui se met en forme, qui s’ unit uniquement par la fascination envers une ligne imaginaire, cette raie, dont la brillance, l'aspect parfait, immobile, fait office de divinité négative, perspective unique, étant elle-même l'horizon et seulement lui, celui de l'infini fini infiniment.
Mais tout cela est encore trop stable.
Car cette ligne en situation d'affaissement doit juste montrer en nostalgie qu'elle peut formellement signifier la durée. Puisqu’ il s'agit d'une durée dont l'objectif en réalité est de passer vers le difforme, l'altération, le conglomérat informel. Surtout lorsqu'il s'agit d'une stratégie politique comme celle du nihilisme léninisto-nietzschéen.
En ce sens cette ligne n'est perceptible qu'en tant que reflet, brisé infiniment de surcroît, mais se maintenant unie seulement comme hallucination :
Celle d' un instant parfait mais dans le seul fait de sa redondance lisse infiniment. A l'instar d'une ligne d'horizon, sans horizon, bien entendu, dégoulinant si on l'observe bien. C’ est-à-dire sans goût, dégoût, parce que plus rien n'importe, sauf de dégouliner. Tout point de vue est égal à un autre, et ils se choquent ( le nervous shock de Charcot dont parle plus haut Janet ) dans le même cri, dans le même crissement, qui fait office de " joie " :

" C'est qu'il y a une joie immanente au désir ( masochiste), comme s' il se remplissait de soi-même et de ses contemplations, et qui n'implique aucun manque, aucune impossibilité, qui ne se mesure pas davantage au plaisir, puisque c'est cette joie qui distribuera les intensités de plaisir et les empêchera d'être pénétrées d'angoisse, de honte, de culpabilité " ( Deleuze, mille plateaux, ed de minuit, p 192 ).

Et comme nous l'avons déjà vu à propos de Bataille-Blanchot, cette dite " joie " est en fait seulement le crissement, tout à fait banal, de ce qui est encore un corps vivant et qui, arrivé au résultat désiré, l’autodestruction, souligne automatiquement cette “ réussite “ par une émotion qui prouve que l'effort moteur n'a pas été vain, telle la satisfaction d'une bête enfin satisfaite d’avoir trouvé le trou adéquat pour mourir.
Autrement dit ce qui compte semble-t-il, à ce stade, final, ce n'est pas du tout ces espèces de sentiments sociaux que sont la honte, la fierté, qui, ici, dans la gnose deleuzienne, sont dissous, ce qui compte au stade banalement psychophysique c'est déjà que le résultat soit atteint, y compris dans le malheur et le désespoir du n'importe quoi et du presque rien, confirmant alors que ce corps, là, est vivant, mais ce, répétons-le, seulement à la façon purement " animal " puisque fierté et honte ont été paralysées, oubliées, anéanties, démantelées, c'est-à-dire réduits au fond à la dimension homéostatique du cognitif; tandis que le niveau rationnel, en tant que donation logique et sociale -inter-active- de signification, va élever sa propre suppression, effective pourtant, en tant que cet anti-rationnel dont le rang humain, c’est-à-dire socialisé, sera alors justifié, légitimé via telle ou telle ratiocination, ( telle “équation” deleuzienne ). C’est-à-dire en tant que cadre social de référence confirmant, validant, cet anéantissement.

" (...) Madeleine(...) trouve dans les représentations qu'elle se donne de son union avec Dieu une joie intense et extraordinaire et cette joie semble bien être le symptôme propre de certains états extatiques. Cette joie constitue en tout cas le phénomène psychologique le plus singulier que l'on puisse observer, c'est elle qui a le plus scandalisé les observateurs. On associe d'ordinaire la joie avec la richesse, le confort, la force et la santé et on a de la peine à admettre ce bonheur perpétuel et quelquefois sublime dans une vie misérable au cours d'une maladie mentale. On se laisse entraîner à la suite du sujet lui-même à faire intervenir trop facilement le surnaturel, on n'a pas suffisamment jeté les yeux aux alentours pour observer que la pathologie mentale nous offre de nombreux termes de comparaison. (...). Nous pourrions donc résumer de la manière suivante les caractères psychologiques essentiels de la crise d'extase. L'immobilité est absolument complète, mais elle ne dépend d'aucune paralysie, elle dépend uniquement du désintéressement complet des choses extérieures. Ce désintéressement ne détermine cependant ni sentiment de dépression, ni tristesse parce qu'il est compensé par d'autres phénomènes. L'activité interne est énorme : toutes sortes de représentations, d'interprétations, d'attitudes esquissées, de bavardages intérieurs constituent une longue et complexe histoire continuée où sont représentées une foule de relations uniquement affectueuses entre le sujet et divers personnages. Toutes ces opérations sont faites avec une foi intense en leur réalité, un sentiment profond d'automatisme et d'inspiration, tout prend la forme de révélations, de prophéties, d'affirmations de présence. Des sentiments très vifs accompagnent ces représentations mais ce sont toujours des sentiments heureux, des jouissances de toute espèce, des admirations esthétiques, des sentiments d'intellection et de conviction, des sentiments de pureté morale. Cet ensemble d'inertie physique, d'activité intellectuelle, de puissance et de bonheur prend l'apparence d'une vie nouvelle, contrastant avec la vie humaine et que le sujet est amené à appeler une vie divine, une expérience de la divinité. Comme je n'ai pas à discuter le moins du monde la vérité objective des idées et des sentiments dont j'analyse le mécanisme psychologique, comme je n'ai pas à chercher si Madeleine est réellement transformée en Dieu, pas plus que je ne cherchais autrefois, à propos de la possession, si le corps du pauvre Achille était réellement habité par le diable, je puis prendre le mot délire dans le sens d'un ensemble de croyances accompagnées d'une certitude complète et opposées aux apparences qui déterminent les croyances du commun des hommes. L'extase sera alors en résumé une crise de délire religieux optimiste et immobile. " ( Pierre Janet. De l'angoisse à l'extase. 1926. Editions 1975.Tome1. P 88, 119, 120

Chez Deleuze, Bataille, etc, la joie, elle, est réduite à l'état de lâche soulagement, frisson qui se suffit à lui-même : spasme s'étirant à l'infini, c'est-à-dire jusqu'à l'éclat...non pas de rire,
-( ou alors celui de Turin... et celui du fameux cheval, un cheval nommé Wagner par le dernier Nietzsche...Est-ce cheval dont parle plus haut Deleuze?...)-
mais cet éclat, là, le plus vif, le plus intense, qui soit...celui de l'apoplexie.

LL

Structure gnoséologique de la dissolution deleuzienne.


L’ Idée deleuzienne, semblable en ce sens à l'Idée léniniste, se veut elle-même comme cette singularité dont la prétention à la particularité va jusqu’à élever celle-ci en tant que seul général. C’est-à-dire en donnant congé à l'universel et donc à toute " variable indépendante ", ( " Différence et répétition " ( 1968, ed PUF, 3ème ed 1976 ), p 223 ).

Deux lignes de forces trament cette recherche de légitimation,-( puisqu’en écrivant en vue de s’expliquer Deleuze prétend justifier, socialement, son anti-rationalité).
La première, dès l'avant propos de son livre phare, " Différence et répétition ", clame ( p 3 ) son engouement pour " l'empirisme " :

" (...) L'empirisme n'est nullement une réaction contre les concepts, ni un simple appel à l'expérience vécue. Il entreprend au contraire la plus folle création de concepts, qu'on ait jamais vue ou entendue. L'empirisme, c'est le mysticisme du concept, et son mathématisme. (...) "

Mais comment sont validés ces " concepts " ?
A quoi servent-ils, en quoi sont-ils opératoires chez Deleuze sinon à être cette " folle création ", sans autre contact que son émergence " intempestive " ( ibidem ) "éternellement positive" ( p 369 ), puisqu'excluant la " contradiction ", c'est-à-dire le " négatif " ( p 221).

Ce qui évacue également dans ce cas la présence non totalement identifiable, prévisible, d'autrui qui de ce fait est plutôt perçue comme dispositif, moyen. Et ce même pas comme son autre, ni même un autre, à l'altérité cependant incompressible, mais seulement comme cette machine qu’est l’ autre. C’est-à-dire cet outil permettant de mourir en Eurydice et de survivre en Orphée, ( Deleuze se réclamant, à fond, de Blanchot ).

Il est alors étonnant de voir un Prigogyne ( prix nobel de chimie et non pas de physique...semble-t-il...) conclure sa " Nouvelle Alliance " ( 1979, ed gallimard, p 292 ) en citant le même passage de Deleuze analysé plus haut, sans se demander outre-mesure comment ces " concepts " vont être triés.
Ainsi Prigoyne, en pleine effervescence, bifurque-t-il pour énoncer ( p 293 ) :

" (...) c'est à la nature et aux sciences de la nature que Deleuze a fait appel pour décrire les puissances de l'imagination et échapper à toute référence à l'homme de la philosophie traditionnelle, sujet actif, doué de projets, d'intentions, de volonté. " L'idée, écrit-il ( Différence et répétition p 283 ), fait de nous des larves, ayant mis à bas l'identité du Je comme la ressemblance du Moi. " (...) ".

Répondons déjà à la pseudo-morphogenèse de la " larve " par la remarque de Lévy-Leblond sur ce point précis lorsqu'il commente " La Nouvelle Alliance " dans son ouvrage " L'esprit de sel " ( 1981, ed Fayard, pp 173-174 ) :

" (...) Quant à la convergence esquissée par les auteurs ( Prigogyne et Stengers ) avec certains courants de la pensée philosophique récente ou actuelle ( ils citent Merleau-Ponty, Lévi-Strauss, Deleuze et Guattari et, abondamment, Serres ), va-t-elle au-delà d'une confluence tactique, tributaire des modes intellectuelles du moment ? Il serait triste que la " nouvelle alliance " ressemble à tant de vieilles coteries. (...) "

Observons ensuite que la deuxième ligne de force vient précisément valider cette sorte de panempirisme logique se posant en lieu et place du réel :
Ainsi le réel chez Deleuze ne peut pas être autre chose que ce jaillissement qui se doit de venir s'agencer à l'idée, fixe, l'idée faisant office de filament d’une lampe incandescendante, le concept momentané.
Chez Deleuze le concept n'est donc pas une réponse, une synthèse, ayant certains de ses aspects en intellection, c'est-à-dire ayant prise sur le réel ainsi synthétisé selon toute une procédure de validation s'exprimant en divers ordres sociaux qui envisagent ses conséquences multiformes et qui permettent au moi individuel de construire son moi sociable.
Chez Deleuze, le concept, dans sa téléologie, n'a pas en vue d'une part l'apodictique, et son accointance axiologique voire eschatologique d'autre part.
Chez Deleuze le concept est seulement une assertorique qui réduit le schème hypothèse-solution, au schème moyens-fin, c'est-à-dire le confine à une technique, ( ce que confirmera plus tard Foucault dans son histoire de la sexualité en employant ce terme même ).
C’est-à-dire une " problématique " ( différence et répétition, p 255 ).
Quelle est-elle ?
Celle de l’Idée deleuzienne qui veut poser en universel qu’un être humain n’existe socialement que dans le seul moment où il produit des concepts sans autre conséquence que celle de corseter leur sens dans une “ problématique “ car c’ est bel et bien là en fait amplifier, en pis, ce que Deleuze, et cie reprochent en d’autres textes à la “ raison “ occidentale.
A savoir ce souci de “ rationalisation “ qui subordonne tout autre sens à celui de son instrumentalisation.
Et l’ ”Idée” deleuzienne justifie cette dialectique de la paille et de la poutre par par une manipulation de l’histoire de la pensée.
Il est nécessaire pour Deleuze d’expliquer que sa réduction du penser à une “ problématique “ non seulement traverse en fait toute l'histoire de la pensée, mais est le seul “vrai mouvement de la pensée” ( sic ). Ce qui, du coup, valide, par ricochet, ( tel celui de la boule humienne, de son empirisme... ) sa propre trajectoire :

“ (...) Si nous disons : le mouvement ne va pas de l'hypothétique à l'apodictique, mais du problématique à la question -il semble d'abord que la différence soit très mince. D'autant plus mince que, si l'apodictique n'est pas séparable d'un impératif moral, la question, de son côté, n'est pas séparable d'un impératif, même d'une autre sorte. Pourtant un abîme est entre ces formules. Dans l'assimilation du problème à une hypothèse, il y a déjà la trahison du problème ou de l'Idée, le processus illégitime de leur réduction à des propositions de la conscience et à des représentations du savoir : le problématique diffère en nature de l'hypothétique. Le thématique ne se confond pas du tout avec le thétique. (...) "
( p 255 ).

Tout Deleuze est là.

Multiplication infinie du même thème, ou point ( de croix, celui du x sans x de Blanchot etc...dont " l'espace littéraire " est cité dans l'ouvrage de Deleuze) :

" (...) Les problèmes ou les Idées émanent d'impératifs d' aventure ou d'événements qui se présentent comme des questions. C'est pourquoi les problèmes ne sont pas séparables d'un pouvoir décisoire, d'un fiat, qui fait de nous, quand il nous traverse, des êtres semi-divins. (...) " (ibidem, p 255 )

A savoir un rien se posant comme " pouvoir décisoire ", un rien devenant tout, ( à l'instar du vide chez David Bohm ), et absorbant tout, telle une divinité.
Et si tout devient ainsi problématique, tout peut être posé comme problématique. C’est-à-dire non pas pour en découvrir un sens, seulement pour en happer l'énergie de son existence afin d'alimenter en permanence le Moloch, l’ “ Idée “, Sphinx monstrueux, dont les questions ne laissent pas sans voix :

" (...) Faut-il prendre l'exemple de la police pour manifester la nature impérative des questions ? " C'est moi qui pose les questions ", mais en vérité c'est déjà le moi dissous du questionné qui parle à travers son bourreau (...) " ( ibidem, p 255 )

Mise à la question...Celui d'un " moi dissous " qui se voit parler " à travers son bourreau ", ce qui est là, littéralement, le thème même, en son équation, du léninisme arrivé à compréhension totale :
Tuer par exemple l'ouvrier, oppositionnel, cette Eurydice, en son nom même.

Ce que le nazisme fut incapable de faire.

Ainsi chez Deleuze le “ le moi dissous du questionné qui parle à travers son bourreau “ peut entendre son propre arrêt de mort : ou ce thème que je ( l'ipse bataillien-blanchotien dont le bourreau est le vecteur imaginaire et Deleuze le récipiendiaire effectif ) a écrit : je thème, je t'aime, alors meurs afin que le je réel, lui, demeure...
Mais où donc ? En Orphée, en l' “Idée”...celle des "Seigneurs" ( in Blanchot : l’instant de ma mort voir plus haut ) éternellement (le) là, et jamais las du retour infini qui répète, comme l'écho, leur seul sol :

( P 383-384 ) : " (...) Zarathoustra, c'est le précurseur sombre de l'éternel retour. Ce que l'éternel retour élimine, c'est précisément toutes les instances qui jugulent la différence, qui en arrêtent le transport en la soumettant au quadruple joug de la représentation. La différence ne se reconquiert, ne se libère qu'au bout de sa puissance, c'est-à-dire par la répétition dans l'éternel retour. L'éternel retour élimine ce qui le rend lui-même impossible en rendant impossible le transport de la différence. Ce qu'il élimine, c'est le Même et le Semblable, l'Analogue et le Négatif comme présupposés de la représentation. Car la re-présentation et ses présupposés reviennent, mais une fois, rien qu'une fois, une fois pour toutes, éliminés pour toutes les fois. (...)

( p 388-389 ) : (...) L'ouverture appartient essentiellement à l'univocité. Aux distributions sédentaires de l'analogie, s'opposent les distributions nomades ou les anarchies couronnées dans l'univoque. Là, seulement, retentissent " Tout est égal ! " et " Tout revient ! " Mais le Tout est égal et le Tout revient ne peuvent se dire que là où l'extrême pointe de la différence est atteinte. Une seule et même voix pour tout le multiple aux mille voies, un seul et même Océan pour toutes les gouttes, une seule clameur de l'Etre pour tous les étants. A condition d'avoir atteint pour chaque étant, pour chaque goutte et dans chaque voie, l'état d'excès, c'est-à-dire la différence qui les déplace et les déguise, et les fait revenir, en tournant sur sa pointe mobile. "

" Tournant sur sa pointe mobile "... tel le spin d'une vrille, celle de la destruction permanente de tout ce qui n’est pas elle. Et lorsqu'elle atteint, éteint, tout autre qu'elle-même, disloque, efface tout visage toute figure au profit d'un
" seul et même Océan pour toutes les gouttes, une seule clameur de l'Etre pour tous les étants " ,
ce désir forcené de l'effacement maquillé par l'illusion univoque du divin n'est pas sans rappeler celle de Foucault :

" (...) on peut bien parier que l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable. " ( Foucault, Les mots et les choses, ed Gallimard, p 398, dernière ligne... ).

Seulement cet effondrement s'établit non pas en tant que conséquence historique d'une " clôture " qui exprimerait la fin de cette " invention récente " qu'est " l'homme " au dire de Foucault ( ibid ) mais en tant que décision, pré-méditée, d'en finir, réellement, avec l'homme dans sa réalité humaine arrivée aujourd'hui à compréhension de plus en plus certaine malgré le pire.
A savoir le fait que l' autodéveloppement du possible lié à tout un chacun semble de plus en plus et bel et bien l’idéal de l'espèce dont l'esprit démocratique serait comme l'intellection pratique qui atteint aujourd’hui la planète entière.
Les meurtriers de l'homme oeuvrent au contraire pour parfaire l'ère antirationnelle amorcée par les dérives idéologiques du 20ème siècle.
Ils posent leur interprétation du monde non pas comme explication et transformation nécessaire mais comme substitution, effacement pur et simple du réel, et dont ils justifieront le meurtre en désignant du doigt un autre qu’eux-mêmes ( le dit “ système “, ou la “ machine “ dans le parler actuel ) alors qu’ils ne peuvent échapper à leur identité sociale puisque toute cette “mort” est bien posée par des noms, quand bien même prétendent-ils ne jamais être là....

En conclusion dernière nous dirons que ce type de dédoublement de personnalité est spécifiquement lié à une particularité donnée de nihilisme en ce sens que le propre de son irréalité n’est plus imaginaire mais relève de l'hyperréalité effective, concrête.
Celle de l’idéologique imitant certes le gestuel scientifique dans la minitieuse attention de constituer un modèle du réel ; sauf que ce modèle, loin de seulement se substituer à celui-ci, est en fait réservé aux diverses victimes-lecteurs, Eurydices, afin de les piéger, de les attraper, qu’elles servent de gibier pour une gigantesque chasse à l’homme, une extermination du sens de l’homme tissée d’ excès, d’ exubérance, de viol, de violence, de mise à mort de tout ce qui n'est pas soi.
Et cet arrêt de mort est animé par les Brutus et autres Orphées, au visage d’ange, qui goûtent ensuite, en silence, dans le secret de “ l’amitié “, les extases implicites propres à la race forte ; extases qui la rendent légère si légère au fur et à mesure que les crimes deviennent lourds, de plus en plus lourds.
Deleuze est en fin de compte un exemplaire par excellence de ce type de stratégie morbide maquillée en étrangeté qui mériterait le détour pour ceux qui désirent se dissoudre.Sauf qu’il n’y a souvent pas de retour comme dans ces films d’horreur qui commencent par une innocente balade. Par exemple le fait que certains propos de Deleuze aient servi à illustrer un livre de dessins destiné aux enfants...

( in Libération du 29 mai 1997 à propos d’un livre de Jacqueline Duhême intitulé “ L’oiseau philosophe “ ed Seuil ).



MM

Lyotard


Avant de se recycler comme biographe de Malraux, et pourfendeur, offusqué, de Sokal et Ricmont, Lyotard eut lui aussi son petit quart d'heure de gloire dans les années 8O qui l'aida bien à se propulser médiatiquement par la suite comme " philosophe important " ( dixit Métropolis/Arte, octobre 96 ).
C’est avec son ouvrage " la condition post moderne " ( 1980, ed de Minuit ) que Lyotard activa sa version du relativisme intégral déjà amorcé par Bataille-Blanchot-Foucault-Deleuze-Derrida.
A savoir l'équivalence, sophiste, en apparence, des significations, baptisées officiellement " microrécits ", et dans lesquels ce qui importerait ce ne serait pas ce qui se dit, puisque les idées même de "critère " de “ critique “ depuis la supposée mort de l'absolu et donc de la vérité sont obsolètes, mais seulement que cela "parle ", et en divers " noeuds de communication ". Voilà pour la version légale, la couverture.
Alors qu'il s'agit pour Lyotard de jouer également son Brutus, comme les autres, et donc d'agir, à sa façon, dans la destruction dernière de toute signification autre que celle décidée par ce type de nihilisme, celui des meurtriers du sens de l’homme, de l’affinement, déjà institutionnel, de son hominisation.

Et Lyotard se mit même à l'expliquer aux enfants de 68 ( il en fit donc un second livre ) en employant doctement le langage de la logique et de la linguistique.
C’est-à-dire en se voilant derrière un discours sinon scientifique du moins pseudo-théorique afin de faire passer la faillite de sa vision idéaliste de l'Histoire,comme étant la faillite des notions d'absolu et de vérités elles-mêmes.
Ainsi si le marxisme-léninisme,
-tel que l'exprimât la dite “dialectique matérialiste “ lorsque celle-ci considérait le mouvement historique comme simple support charriant les matériaux de son propre surgissement linéaire, quasi destinal-,
a échoué alors c’est qu’ il n'y a pas de vérité : cqfd



En fait, la sortie lyotardienne du " marxisme léninisme ", toute maquillée de termes propres à diverses sphères de la connaissance, ne se fait pas au profit d'une explication compréhensive qui ne confondrait pas l' histoire politique, en tant que résultat macrosociologique mettant en jeu non seulement des hommes et des groupes mais surtout des polities ( Baechler 1985 ), -mise en jeu qui incite nécessairement à la prudence quant à la prévision de sa configuration finale-, et l' histoire sociologique concrête des peuples dont l'on peut par contre considérer la configuration en quantifiant et en qualifiant les progrès en les divers facteurs nécessaires à l'émancipation, à l'épanouissement du soi, de tout soi, dans le cadre du respect d'autrui, qui est, là, le véritable message des Lumières et de la Renaissance, bref de l'Europe en tant que l'Europe, et qui aujourd’hui, se mondialise, s’universalise puisqu’elle semble bel et bien correspondre aux constantes nécessaires à la vérité de l’autodéveloppement du soi au delà de ses actualisations spécifiques.
Que " la " vérité soit, dans son absolu circonscrite à des phénomènes donnés, Simmel l'avait déjà dit nous rappelle Boudon, et avant lui Husserl, Hegel et Kant, sans parler d'Aristote en sa logique même, ni d’ailleurs de Platon et de sa caverne.
Or, Lyotard refuse de voir que c'est précisément dans la micro-articulation du développement technique industriel et démocratique que s'effectue au quotidien, et malgré les effets pervers, le projet, vécu, d'émancipation envers les servitudes de la condition naturelle, et envers l'inamovibilité des conditions objectives de la division sociale du travail, à savoir la sélection par la compétence,-( dont l'origine, elle, est multifactorielle et ne peut être seulement réduite par un agissement uniforme sur l'inégalité des conditions d'apprentissage ), qui peut être contrebalancée par une auto-transformation du soi de chacun afin non pas seulement de s’adapter mais aussi de créer de la réalité adéquate aux fins choisies, du moment que celles-ci ne nuisent pas à autrui.
Mais Lyotard, devant l’échec de l’expérience soviétique, décréta alors, après tant d'autres, la mort du nous, de l'homme, mauvais par essence ( ou par libido intempestive ), en promulguant le nihilisme intégral, en pourchassant toute recherche de globalisation, en exaltant le sophisme, le paradoxe, le subjectivisme à outrance, et aussi le témoignage mais en ce sens qu’il fait aussi partie de ces dits “ micro-récits “ qui sont moins des explications causales ou factorielles circonstanciées, contingentes, d'événements fortuits mais plutôt le refus de chercher à comprendre, à synthétiser, puisque le marxisme-léninisme n'a pas réussi à le faire, et il a pour preuve le monde soviétique.
Alors il s'agira pour Lyotard d'oeuvrer dans l' accentuation de la mort du général comme du limité.
Mort qu'il s'agit non pas seulement d'observer mais de promouvoir dans tout particulier, singulier, en des combinatoires fortuites, des jeux de langages, des " figures " ( 1972, voir plus loin ) des “noeuds de communication” dans lesquels " ça " parle mais sans plus.
Lyotard active donc lui aussi la longue litanie amorcée par Bataille-Blanchot ( et Adorno ) visant à extirper du sens toute velléité d’ordonnancement qui pourrait amener à l’actualisation, celle-ci étant considérée comme source ultime du désir de domination, qu’accentue la modernité, c’est-à-dire la marchandise.
Il s’agira plutôt de promouvoir l'impulsion de signes vidés de leur sens. Non pas seulement à la façon sophistique,ou romantique, mais hyperréaliste.
C’est-à-dire l'idéalisme intégral pour lequel le plastique surdétermine non seulement toute esthétique mais toute métaphysique puisque la radicalité consiste moins à oeuvrer vers la Révolution, avec un grand r eschatologique finaliste, que de distiller le moyen de sa permanence destructrice dans des formes plurielles afin d'accélérer plutôt les forces centripètes que les centrifuges.
Ce qui est là en fait actualiser le nihilisme.
C’est-à-dire produire microsociologiquement, même si l’on ne le veut pas, ( si p alors non p...), la nouvelle " race forte "léniniste amendée par du nietzschéisme à la Blanchot-Bataille, ou la sauvegarde des " Seigneurs " dans ce Château-Labyrinthe qu’est la pensée vidée de tout sens ( de tout sang ) et entourée, à force de destruction, d’une
espèce humaine en ruine.
Les micro-récits lyotardiens sont donc autant de lambeaux de sens prônant officiellement l'équivalence des grilles de lecture signifiantes alors qu'il s'agit officieusement de la surdétermination implicite de la seule grille signifiante qui sied à Lyotard :
Celle d'une Idée porteuse de destruction permanente se posant en lieu et place du réel. Les autres grilles de lecture venant alors comme maquiller, consolider, colorer ce tour de passe passe puisque les concepts ne sont pas là pour expliquer le réel mais le falsifier, le détourner, de façon vicariante.
Lyotard équivaut donc déjà au duo Blanchot-Derrida quant à la destruction, banalisée, du sens :
La vérité n'est qu'un moment, une règle parmi d'autres, puisque ce qui compte, ou l'enjeu, c'est qu'il n'y en ait pas, tout en faisant comme s’ i l y en avait un, afin de pouvoir " enchaîner " des ph(r)ases, au sens non pas d'un " il faut " mais " plus bête que ça ", au sens technique,
( in Lyotard,1981, in " Les fins de l'homme, à partir du travail de Jacques Derrida ", ed Galilée, p 312, 314, à propos de la règle, et également par exemple p 292 et suivantes ).

Et Lyotard est tout autant proche de Bataille-Foucault-Deleuze, surtout dans cet aspect physicaliste-naturaliste du " tensionnel " du " libidinal " qu'il s'agit moins de sublimer que de dépenser sans résultat ( ibidem, p 292 ), ce qui est là retomber également sur Blanchot, à savoir
" (...) comme si renoncer à échouer était beaucoup plus grave que renoncer à réussir (...) " ( l'espace littéraire p 231, voir plus haut ) qui est, là, le théorème fondamental du faisceau nihiliste des meurtriers de l'homme, toutes " variétés " ( Deleuze 1968 ) confondues.

Observons pour ce faire l' ouvrage de Lyotard intitulé " Dérive à partir de Marx et de Freud ", (1972, ed 10/18 ). Nous allons découvrir un exemple typique de la " dérive " lyotardienne qui en permettra d'en comprendre le mécanisme.
Néanmoins, avant de l'aborder de front, il n'est pas inintéressant d'y corréler d'abord quelques apriori fondateurs en quelque sorte, en ce sens qu’ils donnent déjà le ton de l'exemple qui va suivre.


NN

Structure des présupposés destructeurs lyotardiens


Dans sa préface ( pp 14-17 ), et s'en prenant à " l'activité critique ", Lyotard amorce son énonciation, d'entrée de jeu donc, ( pré-face ), en considérant que :

" (...) le critique reste dans la sphère du critiqué, il lui appartient, il ne dépasse q'un terme de position, non la position des termes. Et profondément hiérarchique : d'où le critique tient-il sa force sur le critiqué ? Il sait mieux ? il est le professeur, l'éducateur? Il est donc l'universalité, l'université, l'Etat, la cité se penchant sur l'enfance, la nature, la singularité, le louche, pour l'élever à soi ? le confesseur et Dieu aidant le pécheur à se sauver? Ce réformisme de l'identité de sphère fait très bon ménage avec le maintien intact de la relation autoritaire. On a beau multiplier les renversements et les retournements, on n'en sort pas. Dans toute cette machinerie de garage à réparations, il y a un privilège sourd donné à l'activité transformatrice, et c'est cela qui a perdu tous les groupes et groupuscules révolutionnaires gauchistes, contestataires et autres : se montrer mâles, forgerons, avoir l'initiative. Mais c'est la même idée de l'efficacité qui règne chez les patrons, grands bureaucrates, brasseurs d'affaires et d'hommes, officiers. Ne dites pas que nous, à leur encontre, nous savons ce que désirent les " masses " ( l'objet critiqué ) : personne ne le sait, elles-mêmes non plus, parce que le désir n'est pas objet de savoir ni de pouvoir. Celui qui prétend savoir cela, c'est bien l'éducateur, le curé, le prince. Donc rien ne sera changé si vous qui vous faites les servants du désir des masses agissez conformément à votre savoir supposé, et prenez leur direction. D'où donc faites-vous votre critique ? Est-ce que vous ne voyez pas que critiquer, c'est encore savoir, mieux savoir ? que la relation critique est encore inscrite dans la sphère de la connaissance, de la prise de " conscience " et donc de la prise de pouvoir ?
Il faut dériver hors de la critique. Bien plus : la dérive est par elle-même la fin de la critique. (...) Le désir qui donne forme et soutien aux institutions s'articule en dispositifs qui sont des investissements énergétiques sur le corps, sur le langage, sur la terre et la ville, sur la différence des sexes et des âges, etc. Le kapitalisme est l'un de ces dispositifs. Il n'y a en lui rien, aucune dialectique qui le conduira à être dépassé, surmonté dans le socialisme : le socialisme, c'est notoire à présent, est identique au kapitalisme. Toute critique bien loin de dépasser celui-ci le consolide. Ce qui le détruit, c'est la dérive du désir, c'est la perte d'investissement, non pas là où la cherchent les économistes ( la répugnance des kapitalistes à investir), mais la perte d'investissement libidinal sur le système du kapital et tous ses pôles, c'est que pour des millions de jeunes ( à peu près indépendamment de leur classe d'origine ) dans le monde, le désir ne s'investit plus dans le dispositif kapitaliste, c'est qu'ils ne se voient plus et ne se conduisent plus comme de la force de travail à valoriser en vue de l'échange, c'est-à-dire de la consommation, c'est qu'ils répugnent à ce que le kapital persiste à nommer le travail, la vie moderne, la consommation, toutes les " valeurs " de nation, famille, Etat, propriété, profession, éducation, " valeurs " qu'ils perçoivent comme autant de parodies de la seule valeur, la valeur d'échange. Cela est une dérive, à l'échelle de la civilisation et du monde.
Aucun dépassement là-dedans : en un sens ce n'est que l'accomplissement du kapital, qui n'est nullement progrès, éducation, paix, prospérité, humanisme, mais bonnement circulation d'énergie réglée par la loi de la propriété et le principe d'extension de ses circuits. Ce que la nouvelle génération accomplit, c'est le scepticisme du kapital, son nihilisme : il n'y a pas de choses, il n'y a pas de personnes, il n'y a pas de savoirs, il n'y a pas de croyances, il n'y a pas de raisons de vivre/mourir. Mais ce nihilisme est en même temps l'affirmation la plus forte : il contient la libération potentielle des pulsions par rapport à la loi de la valeur, par rapport à tout le système de maintien des propriétés destiné à imposer la conservation des termes de l'échange et donc de l'échange même comme d'une " nécessité de fer ". La religion de la nécessité ne nourrit pas seulement les pensées mélancoliques et hautaines des grands bureaucrates mondiaux, elle alimente l'esprit " scientifique ", ses rituels compulsifs se repèrent chez Freud, chez Spinoza, chez Marx, peut-être jusque dans Nietzsche : elle est ce qui reste à détruire. Si la croyance dans la nécessité est attaquée, c'est au ressort même du kapital, à la prétendue nécessité dans l'égalité en valeur des termes de l'échange, qu'atteinte sera portée. (...) "

Tout ceci, ce programme, cette matrice de destruction, se passe de commentaires, et, en fait, il suffit seulement de savoir lire.
Le pompon reviendrait, peut-être, à ce dernier extrait, cette dérive dernière : ( p 19-20 ) :

" (...) La région de déréalité où les formes s'embrasent, il est dépressif et nihiliste de la voir seulement comme un camp de la déportation ou comme un douillet asile d'irresponsables, socialement neutralisé et donc politiquement nul; il faut comprendre l'inverse : les " artistes " désirent que toute la société parvienne à cette déréalité, que le refoulement et la répression des intensités libidinales par le prétendu sérieux, qui est seulement celui de la paranoïa kapitaliste, soient levés partout, et ils montrent comment le faire en travaillant et faisant sauter les obstacles les plus élémentaires, ceux qui opposent au désir le Non de la prétendue réalité, la perception des temps, des espaces, des couleurs, des volumes.
Ils montrent donc des morceaux de corps rendus à leur errance, à leur puissance d'intensité libidinale, et des parcelles d'objets, des surfaces, des durées, des épaisseurs, des distributions chromatiques et tonales, des séquences, avec lesquelles quelque chose comme la jouissance-mort peut arriver. Ils pensent que rien n'est plus sérieux. Ils jugent redoutable et misérable le simili-sérieux des pouvoirs et du Kapital, leur " réalité " accouchée à force de peurs irréelles. Ils se méfient des politiques, de leur prétention à l'universalité, héritée des philosophes, et à la direction, héritée des pédagogues. L' " esthétique " a été pour le politique que j'étais ( et reste?) non pas un alibi, une retraite confortable, mais la faille et fissure pour descendre dans le sous-sol de la scène politique, une grotte à grande voûte pour en voir les dessous renversés ou retournés, un parcours pour la contourner ou la détourner. C'est qu'à partir des opérations du désir qui s'exhibent dans la production des " oeuvres ", celles qui s'exhibent dans la production des idéologies peuvent être induites. De là l'équation : esthétique = atelier à forger les concepts critiques les plus discriminants.
Mais cette équation, celle d'Adorno ( que je n'avais pas lu à l'époque de ces essais), n'est pas encore assez dérivante. L'art n'est pas, dans la fabrique de critique, un atelier d'outillage. Les courants les plus modernes, abstraits américains, pop et " hyperréalistes ", en peinture et sculpture, musiques pauvres et concrètes ( celles de Cage avant tout ), chorégraphies libres ( celles de Cuningham), théâtres d'intensité ( existent-ils? ), placent la pensée critique, la dialectique négative devant un défi considérable : ils produisent des oeuvres affirmatives, et non critiques. Ils avèrent cette position nouvelle du désir dont on vient de montrer des traces. Le philosophe et le politique ( celui que vous lirez ici) auraient aimé se contenter après Adorno de se servir des arts comme de matrices formelles de renversement, il faudra qu'ils aient un oeil et une oreille, une bouche et une main pour la position nouvelle, qui est la fin de la critique. Ils auront du mal à le faire : si elle était aussi leurs fin à eux-mêmes...? "

Passons maintenant à l'exemple qu'il suffira également de présenter, de lire, tout bêtement, sans phraser donc autour tant son contenu est aveuglant.
Lyotard ( pp 240-243 ) y met en cause cette acception marxiste-léniniste "classique" prétendant " subordonner l'art à une fonction politique ".
Ainsi, dit-il,
"(...) admettre que la fonction d'éveil, d'exaspération du désir que remplit l'oeuvre doit avoir pour fin de susciter des motivations révolutionnaires chez les gens à qui elle est présentée, de sorte que ce travail d'exaspération du désir n'a pas sa fin en lui-même, mais dans l'autre chose, dans une attitude politique, cela veut dire, en fait, que l'art a une fonction idéologique. Mais il faudra y réfléchir; dans un sens strict, cela signifie qu'il a une fonction de leurre, que cette excitation du désir est en fait quelque chose qui fonctionne comme un écran pour autre chose. On va présenter des oeuvres qui vont en effet exaspérer le désir chez les gens, mais justement pour susciter une attitude de transformation pratique, au sens marxiste, transformation de la réalité des rapports sociaux et même plus profondément des rapports de production. Donc, l'oeuvre n'est là que comme moyen pour une fin, les opérations proprement esthétiques qu'on peut y voir, s'il s'agit de peinture en particulier, n'ont pas valeur révolutionnaire par elles-mêmes, mais indirectement par la fin. Cela n'est pas acceptable, il n'y a jamais d'illusion qui soit révolutionnaire. Si le désir peut s'accomplir dans l'oeuvre, alors l'oeuvre fait espérer quelque chose. Je crois que ce qui est révolutionnaire, c'est justement de n'avoir rien à espérer. L'extraordinaire force que peut avoir la critique dans l'oeuvre, c'est que, en tant qu'on a affaire à des représentations, plastiques ou musicales, on est toujours dans l'ordre du ici-maintenant; c'est ici et maintenant que le renversement critique s'effectue. Suspendre le sens de l'oeuvre à son effet politique ultérieur, c'est de nouveau ne pas la prendre au sérieux, la prendre pour un instrument, utile à autre chose, comme une représentation de quelque chose à venir; c'est rester dans l'ordre de la représentation, dans une perspective qui est théologique ou téléologique. Alors même qu'on a affaire à des oeuvres non-ou anti-représentatives, c'est les placer dans un espace ( social, politique ) de représentation, c'est laisser incritiquée la politique comme représentation. (...).
J'ai été frappé en Mai 68 par ceci : quelque chose s'est passé, précisément dans la mesure où ce genre de discours, s'il n'a pas cessé de se produire, du moins n'a eu absolument aucun rapport avec l'ébranlement réel des choses, il a même été en rapport inverse avec lui, les gens qui pendaient qu'ils étaient conscients continuaient à tenir ce genre de discours, et on voyait très bien que leur discours, bien loin d'aider à la transformation réelle des choses, aidait à les maintenir dans leur état. Le vrai problème, aussi bien politiquement que d'un point de vue " artistique " ( et il n'y a que l'anti-art qui soit possible ) est inverse. Le système tel qu'il existe absorbe tous les discours consistants, l'important n'est pas de produire un discours consistant, mais plutôt de produire des " figures " dans la réalité. Le problème est de supporter l'angoisse de maintenir la réalité en état de suspicion par des pratiques directes ; (...).
Les politiques se réfugient derrière cette certitude : de toute façon, le prolétariat " y arrivera " parce qu'il est bien placé, et puis il y a quelques petits bourgeois, étudiants, etc, qui sont à la traîne, qui doivent passer par la révolte formelle pour parvenir à la conscience révolutionnaire. Regardons ce qui se passe sans préjugés. Ne croyons pas que la rencontre du prolétariat et de l'art soit pour plus tard. Cette rencontre est en réalité la question immédiate qui se pose à la politique. Si le prolétariat ne saisit pas que la question maintenant est celle d'une déconstruction, ici et maintenant, des formes économiques et sociales dans lesquelles il est pris, s'il ne voit pas une relation directe entre l'anti-art ou la déconstruction au niveau du pop, et ce qu'il faut faire contre la politique des politiques, s'il ne perçoit pas qu'il y a à faire aujourd'hui sur la réalité sociale et ce qui se fait sur une toile ou dans l'espace sonore, il ne rencontrera jamais non seulement le problème de l'art, mais celui de la révolution. (...) "

Rien à commenter ici. Sauf peut-être articuler à ce lambeau de phrases, cette perle ( p 244 ) contradictoire avec le " n'avoir rien à espérer " énoncé plus haut :

" (...) j'espère bien justement que, dans une société socialiste, il n'y aura plus de peintres, mais des gens qui peignent (...) "

Ce qui est là, et ce au-delà du fait qu'espoir tout de même il y a ( du moins pour Lyotard, les autres, eux, ne doivent rien avoir à espérer...), une acception vulgaire de la peinture; ravalée en fait à une occupation de patronnage ou de détente. Ce qui non seulement l'articule à l'acception léninisto-lyssenkiste traditionnel sur la fabrication des " génies " en pagaille,
-( voir également Blanchot commentant le propos de Trotsky :
" L'homme moyen atteindra la taille d'un Aristote, d'un Goethe, d'un Marx. " in l'Amitié, p 85, voir plus haut...ce qui est, là, vraiment, à mourir de rire en effet )-,
non seulement donc cette fabrication " moyenne " mais surtout le fait que les gens " peignent " comme l'on dit qu'ils boivent un coup, se promènent en papotant.
Autrement dit même pas en tant que “des gens” "s'exprimeraient" par la peinture, mais surtout dans le fait que peindre soit relativisée à sa pratique de moyen expressif, voire de moyen technique permettant que " ça " parle, que les " pulsions " se “libèrent".
En ce sens la peinture, lorsqu'elle n'est plus manipulée comme " anti-art " est ravalée, dans cette espérance socialiste à la Lyotard, au rang du moyen permettant à la finalité libidinale de se déployer en une dépense individuelle de quanta d' énergie.
La peinture n’est donc plus du tout ce moyen singulier et cathartique à même de rendre visible l'ineffable, de le re-présenter, et, par là, de renforcer, éclairer, troubler, et donc interroger l'appréhension au monde, ce qui est interdit par un Lyotard et cie...
De plus, et l’on l'admettra peut-être, cette exigence là ne se fabrique pas par impulsion, entre la poire et le fromage, du moins en permanence...

Passons à un autre exemple.

Dans l'ouvrage intitulé " Economie libidinale " ( 1974, ed de Minuit ) Lyotard en prise avec la " (...) dissimulation des intensités dans les valeurs et des valeurs dans les intensités (...) " ( p 134 ) tente une explication sur le pourquoi de l'acception de la "domination", de "l'exploitation" et même de " l'extermination" ( pp 135-138 ) et surtout récuse tout autre explication qui chercherait seulement à souligner que " c'était ça, ou mourir " ( p 136 ).
Lyotard faisant ici les questions et les réponses, rétorque alors :

" Mais c'est toujours ça ou mourir, voilà la loi de l'économie libidinale, non, pas la loi : voilà la définition provisoire, très provisoire en forme de cri, des intensités de désir, ça ou mourir, qui est : ça et mourir de ça, toujours la mort dans ça, comme son écorce intérieure, sa mince peau de noisette, pas encore comme son prix, au contraire comme ce qui rend ça impayable. Et vous croyez peut-être que c'est une alternative, ça ou mourir ?! Et que si on fait ça, si on se fait l'esclave de sa machine, machine de machine, fouteur foutu par elle, huit heures par jour, douze heures il y a un siècle, c'est parce qu'on y est forcé, contraint, parce qu'on tient à la vie ? La mort n'est pas une alternative à ça, elle en est une partie, elle atteste qu'il y a de la jouissance dans le ça, les sans-travail anglais ne se sont pas faits ouvriers pour survivre, ils ont -accrochez-vous ferme et crachez-moi dessus- joui de l'épuisement hystérique, masochiste, je ne sais quoi, de tenir dans les mines, dans les fonderies, dans les ateliers, dans l'enfer, ils ont joui dans et de la folle destruction de leur corps organique qui leur était certes imposée, ils ont joui qu'elle leur soit imposée, ils ont joui de la décomposition de leur identité personnelle, de celle que la tradition paysanne leur avait construite, joui de la dissolution des familles et des villages, et joui du nouvel anonymat monstrueux des banlieues et des pubs du matin et du soir.
Et laissons être enfin une telle jouissance, elle est semblable, là-dessus la petite Marx voyait clair, semblable en tous points à celle de la prostitution, jouissance de l'anonymat, jouissance de la répétition du même dans le boulot, le même geste, les mêmes allées et venues dans l'atelier, combien de verges à l'heure, combien de tonnes de charbon, combien de barres de fonte, combien de futailles de foutre, pas " produites ", certes, mais subies, les mêmes parties du corps utilisées, usagées, à l'exclusion totale des autres, et comme le vagin et la bouche de la prostituée, parce qu'usagées, hystériquement insensibilisées (...). Vous avez compris, bien sûr, que nous le disons sans aucune condamnation, sans aucun regret, au contraire en découvrant que là a été, peut-être demeure la force extraordinaire, dissimulée-dissimulante, du travailleur, force de résistance, force de jouissance dans la folie hystérique des conditions du travail que les sociologues nommaient parcellaires sans voir ce que ces parcelles peuvent véhiculer d'intensités libidinales en tant que parcelles.
Comment continuerons-nous à parler d'aliénation quand il est clair pour chacun, dans l'expérience qu'il " a " ( et que le plus souvent il ne peut pas proprement avoir, parce qu'elle est réputée inavouable, et surtout parce qu'il l'est plutôt qu'il ne l'a ) du travail capitaliste même le plus bête, qu'il peut trouver jouissance et une étrange intensité, perverse qu'est-ce qu'on en sait ? (...) - quand il est clair qu'aucune métamorphose " productive " ou " artiste " ou " poétique " n'a jamais été accomplie et ne le sera par un corps organique unitaire et totalisé, mais que c'est toujours au prix de sa prétendue dissolution et donc d'une bêtise certaine qu'elle a été possible ; quand il est clair qu'il n' y a jamais eu et il n'y aura jamais même une telle dissolution pour la bonne raison qu'il n' y a jamais eu et il n'y aura jamais un tel corps rassemblé en lui-même dans son unité et son identité, que ce corps est une fantaisie, elle-même passablement libidinale, érotique et hygiénique =grecque, ou érotique et surnaturelle =chrétienne (...). Ce n'est pas pour reconquérir leur dignité que les ouvriers vont se révolter, casser les machines, séquestrer les chefs, virer les délégués,que les colonisés vont faire brûler les palais des gouverneurs et égorger des sentinelles, non, c'est tout autre chose, il n'y a pas de dignité; (...). Il y a des positions libidinales tenables ou non, il y a des positions investies qui d'un coup se désinvestissent et les énergies passent sur d'autres morceaux du grand puzzle, inventent de nouveaux fragments et de nouvelles modalités de jouissance, c'est-à-dire d'intensification. (...). Tel Algérien s'il s'est battu quatre ans dans les maquis ou quelques mois dans les réseaux urbains, c'est que son désir s'était fait désir de tuer, non pas tuer en général, tuer une partie investie, n'en doutez pas, encore investie, de ses régions sensibles. Tuer son maître français ? Plus que ça : se tuer comme valet complaisant de ce maître, dégager la région de son consentement prostitué, chercher d'autres jouissances que la prostitution comme modèle, c'est-à-dire comme modalité prédominante de l'investissement. Pourtant en s'instanciant sur le meurtre, son désir peut-être restait pris encore dans la relation punitive qu'il voulait abandonner, peut-être ce meurtre était encore un suicide, la punition, le prix exigé par le mac, et la servilité. (...) ".


L'intérêt de cet extrait réside déjà en ce qu’il montre cette contraction vulgaire et fausse de tout un ensemble de données dont certaines sont nécessairement locales, contextuelles, liées au cas par cas. tel que ce désir en effet d'aller là où ça se passe, à la ville, dans sa mobilité, son anonymat, dans le mouvement de sa plastique multiforme, plutôt que de seulement reproduire la lenteur, immobile, du village.
Autrement dit l'intérêt de cet extrait ne réside pas dans cet oubli d'explication quant au pourquoi non seulement économique mais psychosociologique des migrations de la campagne vers la ville, mais bien dans la piètre réduction du "jouir" à son intensité, quasi-physiologique, et surtout, disloquée.
C'est l'incompréhension en effet radicale, à la racine même, de ce qu'apporte non seulement comme dignité, reconnaissance, mais aussi comme joie, le fait d'appartenance à un groupe.
C'est par exemple n'avoir jamais fait attention à la gravité du mineur, du fondeur, qui se sentent investis non pas par le " kapital ", car c’est là une contrainte de situation, mais plutôt par leur action de transformation dont le résultat concret forge comme la preuve que l’action n'est pas vaine. Ce qui déclenche la satisfaction voire la joie devant le travail bien fait. Au delà du fait de savoir qu' " on " les " exploite "et qui répond plutôt à un problème politique. Ce qui renvoie à une lutte entre compétences pour statuer sur la nature et le coût. Sans oublier les positions de monopole, décisionnel et de marché, de tel ou tel qui pousse alors son degré de conservation jusqu'à ce qu'il soit stoppé par la lutte pour la justice distributive, c’est-à-dire que chacun puisse avoir réellement le sien, ( Baechler, 1994, in “ précis de démocratie “ ) ce qui ne se fait pas sans mal.
Autrement dit il est important de constater que sur ce point précis de la joie au travail, c’est-à-dire de cette récompense scandant le fait de se sentir exister dans l'acte de création quoique ce dernier soit en effet rendu par trop abstrait dans le travail à la chaîne induit par le passage à la consommation de masse, elle-même alimentée par l’attirance des campagnes pour la Ville, il n’en reste pas moins que la " jouissance " -même par " parcelles "- qui en résulte ne vient pourtant pas mesurer le degré de l' acceptation en tant qu'elle serait "prostituante". Ou “masochiste”.
La “ jouissance “ ainsi déclenchée vient plutôt et d’abord mesurer le fait d'atteindre le but. Voire de le dépasser. C’est un challenge. Permanent. Et ceci n’existe pas seulement en vue du quantitatif, pour les primes. Ceci, cette joie là d’atteindre l’objectif, se déclenche en vue du qualitatif, celui du prestige qui en résulte. Et qui permet d’affirmer ainsi, de justifier, son appartenance au monde de l’usine et de la Ville. Et c'est ceci, cette “effervescence”, cette fierté, là, liées à l’ appartenance et au prestige, qui se traduisent par une joie compensant l'inanité en contenu, et éventuellement en salaire. Ce qui n’a rien à voir avec de la prostitution.
De même, ne parlons pas de cet " Algérien " qui s'auto-punirait par le meurtre.
Ce tissu de bêtises résonne d’ailleurs étrangement au moment même où nous écrivons. Comme s’il pouvait fonctionner en tant que ce cadre référentiel actualisable qui justifierait la transsubstantiation du meurtre en catharsis ou abréaction, et, pourquoi pas, en une purge nécessaire des régions libidinales contaminées par l'Occident, ou en voie de l’être...

Retenons donc que dans cet extrait se condense au plus haut point la plate compréhension physicaliste, supra-behavioriste, et sous couvert référentiel de la trieb version freudienne, des besoins d'appartenance et donc du développement de soi en tant que soi .
C’ est-à-dire en tant que personne sociale et non point seulement en tant que " moi "idiosyncrasique.
Or chez Lyotard, et il n’est pas le seul, la volonté, le désir, d’ appartenance au monde est réduit à n'être au fond que de la sublimation. Ou de la projection d'intensités venant de " ça ", du manque ou de sa frustration.
Et pour Lyotard c’est l’illusion d’unité et d’identité nommée “ corps” qui empêcherait l'impulsion du discontinu, du ça va ça vient comme on l'entend, le tend dans un “ tenir “ qui fascine plus haut Lyotard tant il perçoit seulement celui-ci dans son seul aspect énergétique, dans sa seule tension exclusivement en extension selon le “tenseur” du moment.
Et si “ joie “ il y a pour parler dans le langage commun, il s’avère qu’elle semble être pour Lyotard beaucoup plus de l’ordre de la vibration qui dans son tremblement, ses interférences, se fait entendre, “ s’échoïse “. A la façon d’un ressac. Et qui serait comme le bruit ronronnant propre à ce sac d'ondes qu'est au fond le " corps ", cette unité de " fantaisie " dit Lyotard plus haut, et dont le " jouir" est le crissement, lorsque le pli se fronce en catastrophe, pour baragouiner de façon postmoderne.

Seulement il ne s’agit pas là d’une sorte d’extrapolation littéraire ( comme le croient également Sokal et Bricmont ), mais de cette nécessité stratégique ( et donc politique ) qui vise à combattre des positions théoriques, pratiques, telles que les notions d' affirmation, de corps, d' unité, qui toutes, en renvoyant, par quelques biais, à la notion de pouvoir ne peuvent alors que s'investir dans "l'économie libidinale" du " kapital " qui se " dissimule " partout, et qu'il s'agit de traquer, d'extirper dans la moindre parcelle .
Du moins si ceux qui choisissent l’au-delà de la critique pour la dérive permanente veulent en finir non seulement avec l’économie politique mais avec la société elle-même.
Il s'agira alors, en pratique, d’accentuer la “ (...) déconstruction, ici et maintenant, des formes économiques et sociales (...) “ ( op cit, plus haut, in “ dérive...” pp 240-243 ) en l’élargissant au “ corps “ cette “ unité de fantaisie “.

Ainsi dans “ l’économie libidinale “, Lyotard, peut-il également avancer ( p 304 ) :

" (...) " Il faudrait opérer les verges, les vagins, les culs, les peaux de façon que l'amour devienne la condition de l'orgasme. " Voilà ce que rêve l'amant, l'amante, afin d'échapper à l'effroyable duplicité des surfaces parcourues par les pulsions. Mais cette opération serait une appropriation ou propriation, comme dit Derrida, et une sémiotique finalement, dans laquelle les érections et décharges signaleraient infailliblement les motions pulsionnelles. Or il faut qu'il n'y ait pas une telle infaillibilité, c'est notre ultime et grand recours contre la terreur du vrai et du pouvoir. Que baiser ne soit pas garanti ni dans un sens ni dans l'autre, ni comme preuve d'amour ni comme caution d'une indifférente échangeabilité, que l'amour, c'est-à-dire l'intensité, s'y glisse de façon aléatoire, et qu'inversement les intensités puissent se retirer des peaux de corps ( tu n'as pas joui ? ) et passer sur les peaux de mots, de sons, de couleurs, de goûts de cuisine, d'odeurs de bête et de parfums, voilà la dissimulation à laquelle nous n'échapperons pas, voilà l'angoisse et voilà ce que nous devons vouloir. Mais cette " volonté " est elle-même par-delà toute liberté subjective, nous ne pouvons rencontrer cette dissimulation que latéralement, neben, en aveugles et en fuyards, puisqu'elle est insupportable et qu'il n'est pas question de la rendre aimable. (...) "

Ainsi dans l’oeuvre de destruction il existe un " il faut ", celui d’ un " vouloir " se situant au delà de " toute liberté subjective " et qui exige. Et c’ est seulement ceci qui serait vraiment "insupportable". Seulement cette remarque s’inscrit dans le cadre d’un référentiel tactique afin de dissimuler que ce sont le " vrai et le pouvoir " qui sont visés. Puisqu'il s'agit stratégiquement d'empêcher toute preuve d' " amour " et donc d' “ unité”, de “ corps “ obstacle au flux éternel du ça, seul un, unité, seul support intense : unique est sa propriété...
Nous avons donc là toutes les prémisses onto-théo-cosmologiques d’une idéocratie en attente de sa mise en forme politique...



OO


Applications de la destruction lyotardienne


Pour ce faire, et pour démontrer qu’il peut être digne de “ l’amitié entre criminels du même rang, Lyotard
va nous montrer sa façon de manipuler, de jongler avec la "dialectique", dans l'ouvrage consacré aux innombrables génuflexions effectuées " à partir du travail de Jacques Derrida " ( ed galilée, 1981 ):

( P 292 ) : " (...) Il s'agirait en somme d'éluder le Résultat. De concevoir, - et donc de faire marcher déjà dans cette conception même-, une dialectique qui ne serait pas un moment dans le discours spéculatif. Elle obéirait par exemple aux règles d'équivocité et de dérivation permanente, elle négligerait celle de l'expression. (...) "
( P 291 ) : " (...) Une règle de dérivation immanente, (...) qui pourrait se formuler : si p, alors non-p ; si non-p alors p, p étant indifféremment un terme ou une phrase. On reconnaît la figure de l'Epinémide ou de l'antinomie de Russel, la figure qui menace toute logique ou propositionnelle, l'anti-principe de contradiction. ( Un analogue prescriptif en est donné par Aristote : Désobéis ) (...) ".

Le but à atteindre, officiellement, tactiquement, -ce qui n’enlève rien à son degré de nuisance-, est donc, tout d’abord, de dé(cons)truire le langage, ses phrases, et surtout son rapport à un " nous ", pour en faire une espèce de jeu formel sans issue. Sans autre enjeu que son enchaînement sophistique, combinatoire créant ses propres règles selon la combinaison atteinte, éteinte, dans son contenu, puisqu'il ne se passe rien, sinon que " qui gagne perd " ( p 305 ).
Mais ce faisant, et décodé brutalement, il s'agit de (se) (di) viser entre les phrases, de se (dé)placer à l'intersection des lignes de sens ( comme Lénine, Derrida etc ), et donc de veiller à ce que, dans le fait d' "enchaîner", cela soit le fait de " disjoindre " qui prédomine :

( P 307 ) " (...) Enchaîner est disjoindre. La calme complétude de l'infini actu reposant dans une phrase, se discontinue. ( Il y a encore trop de substantialisme, de res, dans l'idée qu'elle se diffère.).
L'un ( une phrase ) n'est pas premier, ni dernier, ni les deux, il est entre les autres qui sont dans lui. (...) "

Et le plus étonnant consiste en que ce qui vient d’être dit plus haut par Lyotard soit précisément ici effectué dans un texte commentant le " Mourez " d'Auschwitz, c’est-à-dire écrit à partir du mot d'Adorno sur l'impossibilité d'aucune parole de penser " après Auschwitz " sans se transformer.
De ce fait ce que nous avons lu plus haut est comme le résultat de cette dite transformation. A savoir qu’il n’y ait plus de résultat. Puisque cette recherche, permanente au fond de ce dernier, a donnée Auschwitz. Voilà donc la justification tactique ultime. Lyotard va alors chercher du côté de l’innommable ce qui justifierait tactiquement la destruction du langage, du corps, de l’unité.

Lyotard phrase, enchaîne donc, autour de ce thème en travaillant sur Auschwitz, sur son " mourez, je l'édicte " ( p 296 ). C’est-à-dire en tentant de trouver en le " nom ", le "nom du sans-nom ", d’Auschwitz, non pas un " exemple " précisément celui de l'innommable mais celui d'un " modèle " ( p 286 ).
Quel " modèle " ? Celui de la fin d'une " dialectique affirmative ", du moins, d'après Adorno, avance Lyotard ( p 289 ).
Qu'est-ce à dire? Le fait précisément que Auschwitz soit un " résultat " ( p 287 ). Quel " résultat " ? Celui de la " dialectique affirmative "...Qu'est-ce à dire ? Celui de l'Occident au fond. Ainsi qu'est-ce qu'Auschwitz ? Le résultat atteint par la dialectique affirmative, et donc par l'Occident, ce qui justifierait alors pour éviter un nouvel Auschwitz de ne plus chercher de résultat, de disjoindre, bref, de dériver. Lyotard se valide, se falsifie, via l'impensé, l'innommable : Auschwitz.
Lyotard se sert de l'impossibilité qu'est Auschwitz pour démontrer en quelque sorte, -car on ne voit guère dans le cas contraire ce que viennent faire là ces phrases sur le fait de chercher à "éluder le Resultat " ( p 292 ), qu'il s'agit pour lui de viser plutôt la " dérivée immanente " celle du " si p alors non p, si non p, alors p " ( p 291 ), puisque la démonstration, la raison, le sens, voilà où cela mène :
à Auschwitz : à son " mourez ", son " mourez, je l'édicte " ( p 296 ).
De ce fait, si Auschwitz n'est pas seulement un "exemple" mais un "modèle" ( p 286 ), un pattern en quelque sorte, alors le sens, ce sens qui, en tant qu'expression de cette "dialectique affirmative", a donné Auschwitz comme résultat, ce sens, donc, lui aussi, doit mourir comme " dérivée immanente " ( p 291 ) de ce " mourez, je l'édicte " ( p 296 ).
Ainsi par exemple Lyotard discute le " après Auschwitz " d'Adorno, en s'interrogeant sur le sens du terme " après " ( p 286 ) :

" Après comporte une périodisation. Adorno compte le temps ( mais quel temps ? ) à partir d' " Auschwitz ". Ce nom est-il celui d'une origine chronologique ? Quelle ère s'achève et quelle ère commence avec cet événement ? La question paraît ingénue quand on se rappelle quelle dissolution la dialectique fait subir à l'idée de commencement, au premier chapitre de la Science de la logique, et déjà dans la deuxième Antinomie kantienne. Adorno l'a-t-il oublié ? "

Ainsi Hegel et Kant sont convoqués par Lyotard pour justifier que le terme " après " ne veut rien dire.
Après... Après quoi ? Et Lyotard, très à l'aise, dans " la question (...) ingénue " en pose une qui est pour le compte innommable :
"Ce nom est-il celui d'une origine chronologique ? "
Et il surenchérit : " Quelle ère s'achève et quelle ère commence avec cet événement ? "
Puis Hegel et Kant sont sommés de phraser sur le fait que le "commencement", en fait, c'est la fin, c'est le Resultat, le fait qu'il ne puisse pas avoir un après Auschwitz, " Adorno l'a-t-il oublié ? ", puisque Auschwitz était déjà là comme fin, c'est-à-dire comme Début.

Poursuivons le même paragraphe :

" Auschwitz " est un modèle, non un exemple. Dans la philosophie depuis Platon jusqu'à la dialectique hégélienne, l'exemple, dit Adorno, a pour fonction d'illustrer une idée ; il n'est pas en relation nécessaire avec ce qu'il illustre, mais lui reste "indifférent ". Le modèle au contraire " porte la dialectique négative dans le réel ". (...) " en ce sens qu'il y va de la " fin " celle d'une " dialectique affirmative " ( p 289 ).

Platon vient maintenant à la rescousse pour signifier qu'Auschwitz est un " modèle " non un " exemple ", un modèle y compris donc pour Lyotard dont la stratégie redouble celui-ci en le " portant " dans le " réel ", celui du sens, de la raison, de “l'espoir” ( voir le “ il y a rien à espérer “ in la “dérive... 1972 ).

Ainsi le modèle Auschwitz " répond à ce renversement du destin de la dialectique : il est le nom d'un quelque chose ( d'une para-expérience, d'une parempirie ) où la dialectique rencontre un négatif non niable, et s'y tient dans l'impossibilité de la redoubler en un " résultat ". (...) ".
Et c’est pour cela que Lyotard nous explique ensuite ( 1981, p 292 ) :
" Il s'agirait en somme d'éluder le Résultat " .
Ce qui implique comme moyen ou tactique celle de la " dérivation immanente " ( p 291 ). A savoir mettre à mort le sens, vidé, de tout rapport au réel, déporté, dérivé, ( sans rivet, rives sans rivages etc...) celui du " qui gagne perd "
( p 305 )
C’est-à-dire tout ce qu'énoncent Blanchot Bataille et Derrida sur la nécessité d'échouer dans tous les sens du terme, sauf un :
Le fait qu'eux-mêmes restent vivant en Orphée...en Brutus...
Ce qui implique bien entendu de (dé)voiler la stratégie par une tactique du camouflage qui ici au fond se sert de l'horreur comme tremplin, étalon expérimental, comme modèle précisément, celle de la fin, à suivre, littéralement. Il sera alors toujours possible de dire que la destruction généralisée est l’oeuvre du système dont Auschwitz est d’ailleurs le modèle : crime parfait en effet puisqu’il n’y a non seulement pas de coupable mais pas de responsable non plus...

Ainsi le “ après “ Auschwitz signifie le début de la nécessité du détruire élevé à un rang universel au sens littéral ( univers compris ).
C’est un modèle à dupliquer à imiter en généralisant le meurtre non plus à une classe ( léninisme ) à une race ( nazisme ) mais à toute l'humanité, tout en commençant d'abord par celle du sens, etc...

Lyotard se sert donc de l'inommable comme étalon pour valider sa propre dérivation qui généralise le modèle dans ce qu'il a de total et en même temps permet de s’en déresponsabiliser : la mort vient, la mort comme extermination sans distinction, indifférente, devient. Elle est le modèle, comme le maître..( ajoute ensuite Derrida en 1996 ). Mais ce n’est plus qu’un effet de structure, toute forme de mise à mort est alors possible...


Observons par ailleurs que la chose également intéressante dans cette utilisation de l'immonde comme justification par Lyotard, ce sont les dialogues et les comptes rendus après scéance car, comme dans certains jeux, l'on donne, parfois, sa langue au chat ( celui de Joyce bien entendu... ).

Ainsi sur Auschwitz ( p 313 ) :

" (...) Nancy voit la spécificité d'Auschwitz en ceci que " la fin de l'homme y est un projet à soi seul, et non l'essai d'un autre projet ", " Auschwitz inaugure le projet de la fin de l'homme, ce que veulent dire : extermination, solution finale. ". Lyotard doute que ce projet soit l'exclusivité du nazisme. Il est occidental, chrétien : le travail des Eglises du Nouveau Monde en Afrique, comme celui de hegel sur le judaïsme, c'est la destruction de l'homme jugé non médié. (...) "

Ou ailleurs, sur le pourquoi de la rencontre Derrida-Lyotard en ce colloque ( p 484-485 ):

" Derrida : " (...) Il faudrait ouvrir ici une longue analyse quant aux prémisses du colloque, à ce qu'il a de politique, à la signification de votre présence ici. Je ne peux en dire que quelques mots. On ne sait jamais qui dit " viens " le premier. Jean-Luc (Nancy) et Philippe ( Lacoue-Labarthe ) ayant eu toute l'initiative ( l'esprit et la lettre d'un contrat ont été scrupuleusement respectés pour l'organisation de ce colloque ), ils vous ont invité. Je m'en suis réjoui quand je l'ai appris. Je croyais que vous refuseriez. Je me réjouis que vous ayez accepté en principe. Je croyais qu'au dernier moment vous en viendrez pas. Vous avez fait un geste politique décisif en venant, et qui n'était pas simplement un geste. Vous avez certes approuvé ou scellé quelque chose de politique qui existait déjà mais vous l'avez aussi transformé, politiquement, en venant, et moi je vous en suis très reconnaissant. (...) "

Quoi dire, disséquer, en plus ?

La spécificité de Lyotard dans la stratégie nihiliste léninisto-nietzschéenne arrivée à compréhension totale, c'est-à-dire ayant comme objectif la destruction de l'espèce et surtout de son étalon civilisationnel, d'aujourd'hui, " l'homo democraticus "de Baechler, c'est également d'avoir poussé les arts, en France, à s'auto-détruire ( 1972 voir plus haut ).
Mais il n'est pas le seul. Derrida par exemple avec son ouvrage " la vérité en peinture " ne fut pas en reste.

Lyotard participe donc à la création, mondiale, de cette nouvelle race forte pour laquelle la jouissance à l’oeuvre dans la mise à mort de l’espèce, en son entier, est la matrice de destruction. L’écheveau. Le modèle: l'über alles. A venir.



PP

Bourdieu

Pour l'essentiel, Bourdieu n’explique rien.
Comme nous le verrons dans son lexique même, il décrit seulement ce qui existe. Ou plagie tout en le déformant, ce que Marx, Elias et Lukacs ont dit, respectivement, sur le primat des conditions sociales dominantes, sur les mécanismes de conditionnement social, et enfin sur la constitution de la conscience qui est à la fois de l’ordre de l’inconscient et se construit comme éthique.
Ainsi pour Elias,
“(...) l'habitus" est semblable à un " mécanisme d'auto-contrainte psychique " découlant d'un " mécanisme de conditionnement social " dû à la " monopolisation de la contrainte physique et à la solidité croissante des organes sociaux centraux " ( par exemple dans " La dynamique de l'Occident " p 193-194 ).
Nous verrons que l’acception bourdieuienne de l’habitus y ressemble à s’y méprendre. Et il en est de même lorsqu’Elias établit une relation entre position sociale et capacité d'interprétation, ( par exemple dans " La société de cour " ed Champs-Flammarion, p 82 ).
Bourdieu semble avoir également plagié de bout en bout Lukacs chez qui la " conscience de classe " est posée à la fois comme une " inconscience "( in " Histoire et conscience de classe " ed Minuit, p 74 ). Et à la fois comme étant “ l' " éthique " du prolétariat “, dans la mesure où “ (...) l'unité de sa théorie et de sa praxis est le point où la nécessité économique de sa lutte émancipatrice se transforme dialectiquement en liberté. (...) idem p 64 ).

Marx, enfin, est quasiment pillé,

" (...) les catégories économiques ne sont que les expressions théoriques, les abstractions des rapports sociaux de production " Marx in " Misère de la philosophie, éd Costes, p. 127, cité par Lukacs, ibid, p 54 )-,

le tout dans un langage tel que celui-ci par sa lourde syntaxe semble vouloir dire quelque chose alors qu’il ne fait rien d’autre que s’énoncer lui-même.
En lieu et place du réel à étudier. Il est le tout du réel. Plus besoin dans ce cas de chercher à comprendre. Le réel est devenu dans la langue de Bourdieu, un musée dont il est, en plus, le seul guide, l’unique oeuvre.


Ainsi,-( et tous les mots entre guillemets qui vont suivre sont de Bourdieu et spécialement de trois livres : " raisons pratiques", "choses dites", et "questions de sociologie"... que nous étudierons dans le texte ensuite )-,
il enfonce par exemple des portes ouvertes.lorsqu’ il aperçoit, après quelques tonnes de statistiques ( à la façon soviétique, chinoise ou comble de l’ ironie, cubaine...), et surtout après Marx, Elias... une "relation" entre des " conditions d'accumulation " de "capital social " ou " symbolique ", se subdivisant en divers agrégats ( " capital culturel, scolaire, économique... ") et des "positions" ( "dominantes" ), dans tel ou tel " espace social " ou " champ " .
Comment ? Tout simplement par automatisme, par mécanisme, sociologique. C’est-à-dire dans la mesure où il s’avère que ces “ conditions d’accumulation “ se distribuent en "dispositions" ( "habitus" ou " goût " ou " sens du jeu ") et ce de telle sorte qu’elles permettent alors d'atteindre, après une “ exposition “ donnée en leur sein, les “positions dominantes “ convoitées : CQFD.
Bref, il suffit en gros d’être bien exposé, et disposé, pour atteindre conserver et accroître la position dominante convoité.
La Palice n’aurait pas plagié autrement.
Et pour que la sauce passe, pour faire encore plus genre intellectuel éclairé, Bourdieu se doit tout de même de simuler une once non pas d’explication mais de solution ( au sens quasi chimique du terme ) politique :
Il suffirait donc d'augmenter cette " exposition " pour que " l'habitus " varie et, par là, entraîne la réduction des “ inégalités”, des " écarts ", entre les " agents " : CQFD.
La preuve par neuf est même possible dans cette arithmétique symbolique, énoncée bien entendu sur un ton sans réplique.
En effet les “ agents “, à ne pas confondre avec les sujets, qui n'existent pas le moins du monde chez Bourdieu, tout comme chez Foucault, Deleuze, et compagnie, sont en fait des " produits " ( Ce dont Marx se moquait dans la troisième thèse sur Feuerbach ). Car en fait les “ agents “ découlent de cette " relation " décrite plus haut entre des "conditions d'accumulation de capital symbolique", et leur "disposition" en "catégories de la perception" ou "goût" ou "sens du jeu" .
La combinaison entre conditions et dispositions qui caractérise cette relation productrice d’agents permet donc d'atteindre telle "position sociale" dans le " champ considéré " et donc telle ou telle fabrication de produits, multiformes, qui y correspondent.
Le cercle est bouclé...

L’on peut déjà observer que disparaissent dans ce jargon marxiste vulgaire à la sauce structuraliste et physicaliste toutes les notions de sujet, d'acteur, de motivation, de rôle, d'interaction... au profit d'une linéarité atomistique de type mécaniste, logiciste, du genre si a, alors b, si b alors c, etc...
Et tout dépend de " a " en définitive ou "premier coefficient" chez Deleuze tout soucieux de substituer l’idée de “problématique” à celui d’ ”hypothèse” nous l’avons vu.
Ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler également les " lois " de la fameuse dialectique matérialiste appliquée à l'Histoire...
Si donc a est le " volume " de " capital symbolique "; b, étant sa " disposition " ou " habitus " ou " goût " ou " catégories de la perception " ou " sens du jeu ", c, étant la " position sociale " atteinte, d, en est alors le " produit " éventuel se cristallisant de façon spécifique selon l'amont et l'aval ( ou produit fourni, ou bien acquis ).

Ainsi pour le “produit” nommé “ agent “ Bourdieu, sa pratique d'écriture serait uniquement induite par la double action du " champ " considéré. C’ est-à-dire l’action des rapports de force en son sein et la proportion de " capital symbolique " disposé en " habitus " chez l’agent Bourdieu.
Point d'ambition comme motivation, non. Seulement un automatisme, telle une précipitation chimique.
La pratique de l’agent Bourdieu est donc uniquement le résultat en fait de la relation donnée entre le " capital symbolique ", “disposé” en tel “goût”, ou “ distinction “ chez lui et le " champ " considéré.
La "position sociale", dominante, qu’a alors atteint l’agent Bourdieu sur la scène, ou plutôt le “ champ “ médiatico-littéraire est donc directement proportionnelle avec l'augmentation de la relation CS ( h) /Ch=PS=produit Bourdieu ( "capital symbolique" disposé en "habitus" et ayant le "sens du jeu" dans un "champ" considéré le tout formant "position sociale", les "écarts" entre "positions" formant "l'espace social" dans lequel s'échangent les " produits " émis par des produits genre Bourdieu ).
Ceci implique que l'on pourrait, du moins si l'on applique très strictement cette formule de production dans une fabrication à la chaîne, matérialiser, cloner, des milliers de petits Bourdieu puisque sa concrétion actuelle n'est, au fond ,qu'une somme de facteurs soumis à la température de bonnes conditions initiales.
Mais réussir est mal vu, et cela se voit d’autant plus que l’on n’a de cesse de dénoncer l’idée même de réussite, source indûe de domination, ce qui est mal ( du moins pour les autres).
Il s’agit alors d’expier en faisant subodorer de façon populiste que la prolifération de ces bonnes conditions et leur distribution suffirait, principiellement, à créer le meilleur des mondes possibles où il n’y aurait que des Goethe et des Aristote comme le formulait plus haut Blanchot commentant Trotsky.
Pour ce faire il faut donc créer ces bonnes conditions initiales là. A l’instar de Lénine-Trotsky d’ailleurs qui pensaient qu’il fallait créer le plus vite possible l’industrialisation afin que de celle-ci sorte automatiquement le socialisme puis le communisme, c’est-à-dire les génies attendus, que l’on pourra bientôt ramasser à la pelle.


En fait nous nommerons ce physicalisme et cette philosophie de l’histoire de bas étage un nihilisme instructionniste . C’est-à-dire dont l’instruction aurait pour fonction non seulement d’éclairer mais de faire office d’intellect afin d’étudier le seul réel possible : ici l’agent Bourdieu. ( le dieu bourdieu ) comme avant avec le dieu Lénine, Staline, Mao, et de nouveau ces derniers temps, du moins en France, Bakounine ou Trotsky...

Cet instructionnisme là n'a rien à voir, bien entendu, avec de la sociologie, malgré les apparences du vocabulaire employé.

Proposons alors cette définition en hypothèse directrice :

Est nommé instructionnisme nihiliste, et tombe ici, sous la typologie du nihilisme destructeur du sens de l’homme, de sa sociabilité et de son filtre rationnel, tout ce qui tend à établir des corrélations, en apparence de type statistique qui ne veulent en fait très strictement rien dire , et ce en vue de se poser, pratiquement, microsociologiquement, en lieu et place du réel à expliquer.
Tel est au fond l’optique de ce nihilisme désigné ici et auquel Bourdieu s’alimente, quoique tactiquement de façon spécifique.
Car il appert en effet que Bourdieu y opère aussi à la façon léniniste classique, tout en maquillant adroitement l’objectif avec du jargon différentialiste, relativiste, pseudo-épistémologico-psych-analytique.
En d’autres termes il s’agira chez Bourdieu de maquiller l’analyse en en en appelant implicitement à la destruction ciblée. C’est-à-dire à la révolte contre ce qui est supposé être acquis de façon indue, entendez contre ceux qui bénéficient ainsi de si bonnes conditions dont ils ne sont que les produits interchangeables par ailleurs.
C’est en ce sens là que cet instuctionnisme nihiliste est spécifique car il s’avère être aussi un idéalisme de type populiste, à ranger également du côté du léninisme classique.
Autrement dit l’agent Bourdieu ne relève pas du seul nietschéo-néoléninisme, mais du léninisme pur et simple, puisqu’il s’agit comme nous le verrons ici, non seulement d’en appeler à la destruction de la science, de la pensée autre que la sienne, -ne serait-ce qu’en imposant son seul discours, en refusant de discuter, etc,- mais aussi d ‘ oeuvrer en vue de la destruction des élites, déjà montrées du doigt comme bénéficiaires de bonnes conditions initiales.
Et à cela se substituerait, comme nouvelle élite en quelque sorte, les produits fabrication made in Bourdieu qui sortirait comme autant de “ différences “, c’est-à-dire de “ fréquences “ propre à la “ relation “ combinant “ bonnes conditions “ et bonne distribution de celle-ci en “habitus “ ou “ distinction “ ou “ sens du jeu “, dont Bourdieu serait à la fois le géniteur et l’arbitre : l’analyste...
Et ceux qui y “ résistent “ seront montré du doigt.


Plus prosaïquement nous dirons, pour commencer à entrer dans le détail, que Bourdieu applique mécaniquement ( au sens de l’automatisme psychologique de Janet que nous avons approché en étudiant Deleuze ) la logique du si a alors b à des fins politiques.
De ce fait cette logique n’est pas exposée au sens de Tarski ou de Quine ( in "Philosophie de la logique", ed Montaigne, pp 24,25 ), à savoir le fait que :
Si a alors b, si et seulement si a alors b, ce qui n’est pas la même chose....
Chez l’agent Bourdieu la seule pondération s’effectue plutôt au sens pseudo-thermodynamique, du genre : si + ou - a, alors + ou - b, tout dépend de " l'exposition durable " à des " conditions semblables d'accumulation de capital "- entre cette relation CS (h)/ Ch=PS et la possession de tel ou tel bien.
Certes toute cette pseudo-déduction est vérifiée, soit- disant, par des statistiques, mais elles ne font qu'exposer en réalité ce que l'auteur veut bien leur faire dire en faisant en sorte que cela soit la seule variable explicative des “ bonnes conditions initiales “ qui détermine leur “ causalité “.
( voir Boudon sur ce problème de “ l’analyse mathématique des faits sociaux “, 1966, ed Plon 1971, par ex pp 22, 27 ).
Ce qui permet de souligner des banalités et ce afin de les manipuler pour susciter du malaise, voire de la révolte devant une telle “ inégalité “.
Par exemple :
Dans telle position sociale vous pouvez donc jouir de tel ou tel bien ( une maison à Neuilly, un clavecin... ).
Or pour Bourdieu ce n’est pas la position mais cette possession même qui s’avère relever de l’ordre du " mal ".
C’est ce qui est sous entendu.
Puisqu’il y est implicitement présupposé que cette position qui permet ainsi une telle possession aurait été également atteinte par tout un chacun s’il avait bénéficié de bonnes conditions initiales.
En d’autres termes, la position atteinte, et surtout qui perdure lorsqu’il s’agit par exemple d’un chef d’entreprise, n’est pas dûe pour Bourdieu au fait de l'acquisition d'une fonction de rareté multiforme dans la division organique, donc technique du travail, et ce grâce aussi à du travail personnel, mais, uniquement, du fait de meilleures conditions initiales, et d’un bon sens du jeu.
Or la seule exposition à de bonnes conditions initiales et un bon sens du jeu ne produisent pas nécessairement l’appartenance à une fonction sociale hautement négociable du fait de sa rareté, sans parler du maintien et de l’expansion en son sein.
Et du fait de cette analyse réductrice, toute possession induite de tel bien est alors implicitement montré du doigt à la vindicte populiste ( et gare à celui qui regarde celui qui ainsi désigne du doigt...au lieu de se contenter de voir ce que l’on exige de lui...).



En résumé cet instructionnisme, qui se donne l'apparence de la scientificité, veut prouver que la possession de tel bien est uniquement dûe au degré " d'incorporation " de " capital symbolique " et la manière dont sa " disposition " en " habitus " permet d'acquérir tel ou tel " sens du jeu ".
Il suffirait donc de placer n'importe quel " agent " en " exposition durable " dans les mêmes conditions initiales pour " produire " l'agent nécessaire et suffisant, y compris bien entendu " l'élite " dont les différentiations internes par ailleurs s'expliquent aussi de cette manière là.

Cette analyse, à l’instar d’une idéologie, voire d’une annonce commerciale, fait miroiter ainsi qu'il suffit, pour acquérir les biens convoités, de s'exposer aussi durablement à ces conditions données par la relation CS (h) / Ch, ce qui permet d'atteindre les positions à même de produire et/ou de donner accès à ces biens tant convoités : cqfd.
Seulement il faut en même temps maquiller ce populisme par de la tactique politique classique à base d’eschatologie à portée de main, ce qui permet de rallier quelques décus du marxisme et autres idéologues.
Ainsi note Bourdieu comme s’il découvrait brusquement le fil à couper le beurre, il ne faut pas oublier que ces positions si enviées sont celles des " dominants " de " l'espace social ", à savoir les " élites ", qui se les sont accaparées grâce à une relation CS (h) / Ch, favorable, celles-ci vont alors empêcher " l'arrivée des nouveaux entrants ".
Il suffirait donc, selon l’agent Bourdieu, d'éliminer les " inégalités " entre " conditions d'exposition " pour que toutes les positions dites privilégiées soient occupées par n'importe quel détenteur-opérateur de CS(h)/Ch, nous l’avons vu ; mais aussi, et là Bourdieu se fait moraliste, pour que les enjeux mêmes au sein de ces positions deviennent, atteignent, une dimension non " utilitariste ", ou " désintéressée ".
En ce sens les " intérêts " ne seraient plus alors d'ordre économique ou politique, mais seulement de l'ordre d'un " investissement " de type “ libidinal”, celui d’un désir qui permettrait la constitution d'une véritable " économie " “ désintéressée “ dans la mesure où elle n’aurait comme unique but que le seul désir de posséder, de saisir, le " sens du jeu " de tel ou tel " champ ".
C’est-à-dire pratiquement pour le geste lui-même. Et non pas pour s’accaparer une position dominante dans du pouvoir, du prestige, de la richesse, ( Baechler 1976,1978,1985,1995 ).

Bien entendu cette analyse teintée de néo-aristocratisme dédaigneux qui privilégie le jeu pour lui-même et non pas le travail propre à la société dite bourgeoise ( ou civile ) ne tient évidemment pas la route puisque même dans ce cas de figure, l’intérêt se confine au prestige.
En effet, l’enjeu, quand bien même ne serait-il que ludique, consiste tout de même à être celui qui sait au mieux détenir le sens du jeu, sinon aucune distinction ne serait distinguable...
De ce fait le détenteur de prestige ne peut pas ne pas toucher les dividendes de son gain, même ludique, ne serait-ce que par un accroissement du nombre de ses admirateurs ( Baechler 1978, 1985 )...


QQ

Expérimentation-vérification de la “théorie” bourdieuienne


Avançons maintenant l’hypothèse que dans ces conditions si dénuées d’intérêts, paraît-il, et dans lesquelles l’unique visée serait de posséder au mieux le “sens du jeu”, cette façon de concevoir “ l’économie " sous l’optique uniquement “libidinale” permettrait, en fait, d'engranger n'importe quel enjeu, d'où qu'il vienne, de manière totalement opportuniste puisque ce qui compte c'est d’y désirer le " sens du jeu "...
On pourrait peut être nous objecter que dans ce cas " l'habitus " donné d’une éthique pourrait interférer avec ce genre d’ " énergie " qui déploierait des données devant être non assimilable politiquement, et serait donc rejetée par " l'agent ".
Seulement ce rejet renvoie nécessairement à la question du conflit cognitif ( Nuttin 1991 ) au sein même de "l'agent". Or ce conflit est impossible du point de vue de Bourdieu, ou, du moins, ne peut être, en tous les cas, déclenché par " l'agent " lui-même puisque tout dépend del’ " habitus " “ incorporé “.
Or comme celui-ci, ainsi que son “ incorporation “, est forgé et distribué selon une " exposition " à une " accumulation " donnée de " capital symbolique " il suffit que celui-ci se mette à manquer pour que “l’habitus” nommé éthique qui y corresponde disparaisse puisque celui-ci est dépendante de son exposition permanente aux conditions initiales. Si celles-ci viennent à manquer, “l’habitus” périclite. Aucune résistance n’est donc possible.
Car comme “l’agent” ne peut la fabriquer sinon tout seul du moins en interaction ( car dans ce cas il serait sujet ) la pression de la position dominante dans le champ et ayant des données pourtant incompatibles d’un point de vue éthique pourra alors faire office de “conditions initiales” qui créeraient à leur tour un tout autre “habitus” plus compatible.
Et si la donnée dominante, fonctionnelle, de tout “habitus” selon Bourdieu est plutôt d'avoir le “sens du jeu”, on ne voit alors pas comment, si le sens du jeu de tous les champs est par exemple dominé par un nouveau “capital symbolique” produisant des données nazies, comment les dits “agents”, uniquement exposés de surcroit à un tel capital symbolique tourné vers le désir de puissance absolue qui correspond d’ailleurs parfaitement à cette idée prédominante chez Bourdieu consistant à viser en priorité le meilleur sens du jeu comme fin, on ne voit guère comment l’on pourrait interdire aux “ agents” de ne pas " incorporer " ces données et donc à terme d’ atteindre les meilleures positions sociales, même s’ils n’en veulent pas...
Autrement dit l’hypothèse est celle-ci :

Si les conditions initiales du capital symbolique ayant comme données ce qui permettrait de forger un habitus éthique viennent à disparaître, comment une résistance à l’oppression pourrait-elle exister, persister ?

Si les normes régulatrices font seulement parties de la dite accumulation de départ de “ capital symbolique “ productrice de " l'habitus " éthique ; et si, cependant, celui-ci se doit d’y être exposé en permanence pour être pratiquement efficace comme “ catégories de la perception “ alors ceci implique déjà que ces dites conditions initiales productrices d’éthique ne “chargent” pas nécessairement l’ ” habitus “ qui y correspond une fois pour toutes.
Surtout si l'on se range sous l'hypothèse du frayage neuronal à la Changeux , ce qui nécessite de nouvelles " expositions durables " suscitées en permanence ( à la manière de la sonnerie de Pavlof ).
A moins d'admettre qu'une fois " incorporé " cet " habitus " est comme fixé de manière permanente; ce qui semble contraire à la formule de base qui récuse tout apriori, tout sujet, d'une part, et, par ailleurs, n'explique pas comment tout ceci fonctionne, par exemple, comme " catégories de perception ".
Car l’on ne devient pas nazi par désintérêt ou par calcul spontané, non rationnel, par seul sens du jeu, y compris pour le plus grand des opportunistes.
Ainsi les Allemands trouvaient leur compte à adhérer au nazisme même s’il faut pondérer ce fait par l’effet de masse : à partir d’une certaine “accrétion” toute résistance contraire est perdante : il faut plier ou partir vers d’autres lieux de résistance...
La question cruciale est donc celle-ci :
Comment empêcher l’ absorption d’ une “énergie” dominante incompatible par exemple éthiquement.? Il faut bien nécessairement ré-activer quelque chose. Mais à partir de quoi ? D’un “habitus "antinazi . Mais comment se fixe-t-il ? Il faudrait que "l'agent" se place, comme de lui-même, en " exposition durable " dans les conditions initiales qui ont permis de produire cet habitus.
Mais si elles n'existent plus ? Et comment l'agent, de lui-même peut-il l'effectuer ? Il lui en faudrait comme le souvenir mais ceci suppose des capacités apriori.
Comment se stabilisent-elles ? Par " exposition durable " ; mais là nous tournons en rond car si les conditions, qui permettent cette exposition, n'existent plus, ( en cas d'anomie, de délisquescence institutionnelle...) nécessairement le dit habitus ne peut plus se régénérer du point de vue des données informationnelles à disposition immédiate, mais, par contre, peut automatiquement " incorporer " de nouvelles données venant du champ dominé par une énergie pourtant incompatible.
Autrement dit, et puisque le dit agent est entièrement dépendant, dans ses " principes organisateurs ", d'un habitus façon Bourdieu, qui agit comme " catégories de la perception " comme " goût " comme " sens du jeu " etc, cet " habitus " se doit d'être alors nécessairement, par définition même, en constante exposition avec les conditions initiales de sa production, puisqu'il est exclusivement acquis. Et ce non pas en tant qu'il serait constitué par l'agent comme rationalité donnée ( Bourdieu exclut cette possibilité comme nous le verrons plus loin ) mais en tant que l'" habitus " est exclusivement " incorporé ". Ce qui alors implique, nécessairement, que "l'agent" se doit sans cesse de butter sur le pourquoi de cette réincorporation qu'il ne renouvelerait au fond que par essai-erreur à l'instar d'une position de frayage qui suppose une mécanique de réflexes non automatique :

" (...) Mécaniquement, c'est-à-dire dans l'hypothèse d'un simple frayage, les erreurs devraient se reproduire autant que les essais couronnés de succès. (...) " ( Piaget in " La psychologie de l'intelligence, ed Armand Colin, p 106 ).

Ainsi si tel ou tel " habitus " est incompatible par certains aspects avec "l'énergie" ( la " libido " ) dominante dans le "champ" à savoir par exemple une libido nazie, comment "l'agent", sous la pression, et "l' investissement libidinal " d'avoir, en constance, le "sens du jeu" qui est la dominante même de la définition bourdieuienne de " l'habitus ", comment " l'agent " peut-il décider de résister à cette pression, comment peut-il continuer à s'exposer durablement au capital initial interdisant une telle "incorporation", alors que, d'une part, ces conditions initiales peuvent avoir disparues?
Et comme la conception bourdieuienne suppose, en fait, l'hypothèse psycho-physiologique du frayage, l'" habitus " dans ce cas se rétracte à sa dimension purement topique d'"incorporation" immédiate de toute "énergie" en vue d'en posséder la meilleure position, et ce, d'autant plus que, d'autre part, lorsque "l'agent" ne s'adapte pas ainsi, il peut alors perdre sa position sociale, qui, dans l'analyse bourdieuienne est le über alles lui-même...

Certes, l'on peut rétorquer qu'il peut comme s'agglutiner à d'autres "agents" dans le même cas.
Mais, même là, il n'est pas sûr du tout que cela fonctionne, les coupures et autres déconnections peuvent être brutales et fréquentes, surtout si, au départ, les "conditions d'accumulation " du "capital symbolique" ont plutôt posées comme principe dynamique majeur le fait d' "incorporer " le nouveau " sens du jeu " afin de préserver la position dominante, surtout si le fait d'"empêcher l'arrivée de nouveaux entrants" a échoué.
Or, et sous réserve que l'on accepte le cadre métaphorique de l’ utilisation de concepts venant d'un autre domaine, si l'on raisonne alors uniquement en terme d'économie énergétique, mais ce plutôt de l'ordre de la cinétique des gaz et/ou de la mécanique des fluides, que de la seule mécanique et surtout de la thermodynamique des solides, on ne voit pas vraiment ce qui pourrait comme créer une résistance, une densité dont le potentiel atomique permettrait une gravitation d'ordre supérieur qui interdirait d'incorporer l'énergie, la libido nazie dominant tel ou tel champ alors que celle-ci est susceptible d'apporter des positions sociales non quelconques...


En conclusion il appert, en fait, et donc pratiquement, qu' à l'instar de l'économie bataillienne, blanchotienne, derridienne, lyotardienne, deleuzienne, dont nous avons vu qu'elles cherchent précisément à se poser comme aléatoire pure, à l'instar d'une agitation brownienne, tout en ayant un seul thermostat, celui de la décharge impulsive, l'économie bourdieuienne ( parasitant Kant, Marx, Husserl, Elias...), elle, est, en fait, à même également d' "incorporer" toute "énergie", d'où qu'elle vienne, du moment qu'elle permet de dominer le champ, tout en disant le contraire.
En posant par exemple que cette domination est désintéressée. Ce qui est pis en un sens puisque la recherche d’un meilleur sens du jeu ou le fait d’empêcher l’arrivée de nouveaux entrants, comme n’a de cesse d’effectuer, en pratique, Bourdieu, n’a pas en vue d’apporter un meilleur produit qui finaliserait le désir de dominer le sens du jeu mais seulement de dominer celui-ci en se présentant, soi-même, comme étant le produit même à consommer. Ce qui, là, au-delà du narcissisme, bascule en néo-aristocratisme dégénéré, barbare, se posant non plus comme lieu tenant de dieu mais dieu lui-même...

Il appert donc que cet instructionnisme de type en apparence léniniste " classique" c’est-à-dire relevant d’une idéologie scientiste hyperquantitativiste assez grossier et besognieux en fait, s'avère être de la même veine que la production des autres auteurs néo-léninistes étudiés ici.
Il peut alors intéresser essentiellement tous ceux qui ont de plus en plus besoin de légitimer leur adhésion au populisme actuel à la mode en France en se déchargeant sur l’ “ inégalité “ des " conditions d'accumulation " et des " habitus " acquis et en vogue dans la fraction de l'espace social convoité.
De ce fait, Bourdieu peut donner une arme ( une dague ) théorique brutale et sans doute efficace à tous les ( Brutus ) envieux , à tous ceux dont le comportement politique s'apparente aux rancoeurs petites bourgeoises de la lumpen-intelligentsia qui ont fait le lit du léninisme et du nazisme/fascisme.
Incapables de comprendre le vrai sens du jeu sociétal, en réalité, ils montrent de plus en plus du doigt les biens d'autrui en soulignant uniquement les conditions initiales, et, jamais, le travail socialement nécessaire pour maintenir et surtout accroître telle position dans le cadre donné d'une division du travail.
C’est que dans cet instructionnisme, le travail de la personne, son effort, ( Biran, 1811, Janet 1926 , Nuttin 1991 ) disparaît, tant il est dilué.
Ainsi pour leur grand prêtre, l’agent Bourdieu, il suffirait seulement de "s' abandonner " ( par ex : in " choses dites " p 21 ) aux " intuitions " données par le " sens pratique ", lui-même produit par " l'exposition durable " à des conditions favorables ( idem ) et médiées par leur " disposition " en " goûts ", ou " habitus " "produits" par un tel " héritage " .
Le travail personnel, la volonté, l'ambition, la motivation, situés, bien entendu, dans des conditions et des contraintes données souvent injustes et ingrates, tout ceci est broyé, détruit, réduit à une vulgaire bouillie idéologique à même de séduire les frustrés, les enragés et les opportunistes.

Bourdieu, en ce sens, poursuit donc le tracé du léninisme, qui, lui-même, accentuait, exacerbait, et déviait, la lecture de Marx, en posant uniquement "l'être social" comme résultat d'un ratio. De ce fait, il suffit de se mettre en position d'assistance en attendant que dans " la " société les bonnes conditions soient réunies
Attendre en position d’assistance signifiant bien entendu non pas se former pour trouver une niche dans la division du travail à un instant donné de son évolution mais uniquement faire pression sur l'Etat pour que celui-ci accentue la ponction sur la richesse nationale ( on appellera ça fonction de redistribution ) et ce afin de créer comme le clamaient déjà Lénine et Trotsky, des conditions initiales favorables puisqu'il est dit que ce sont celles-ci qui, quantitativement, sont la cause de toute différence, inégale.
Ainsi loin de concevoir que l’inégalité est une réalité autrement plus complexe en ce sens qu’elle ne peut être réduite au seul facteur des causes puisque dans le concept même d’inégalité s’institue déjà un rapport dépassant la somme des parties pour s’affirmer aussi comme spécificité, comme singularité, ce qui implique de ne pas la confondre avec la notion d’injustice, il s’avère en fait que cette notion par son aspect édulcoré tend à étendre le principe d’égalité non plus seulement en droit mais en fait.
Ce qui s’inscrit là non pas dans la nécessaire réflexion sur les causes pouvant freiner le développement des moins chanceux en conditions initiales, mais plutôt dans une tentative populiste de semer le trouble en vue, au bout du compte, de se mettre en position de devenir une nouvelle élite, en pis, puisque la possibilité d’y entrer sera entravée pour les nouveaux entrants qui n’auraient pas embrassés le nouveau dogme.


RR

Analytique du dogme bourdieuien dans les textes

Passons maintenant à l’explication de texte. Prenons les pincettes, et, commençons, lentement, l'observation, anatomique.de ce qui est nommé traditionnellement un livre, daté de 1994, intitulé " Raisons pratiques " :

" (...) Cette philosophie, qui se trouve condensée dans un petit nombre de concepts fondamentaux, habitus, champ, capital, et qui a pour clé de voûte la relation à double sens entre les structures objectives ( celles des champs sociaux) et les structures incorporées ( celles de l'habitus ), s'oppose radicalement aux présupposés anthropologiques inscrits dans le langage auquel les agents sociaux, et tout spécialement les intellectuels, se fient le plus communément pour rendre compte de la pratique ( notamment lorsque, au nom d'un rationalisme étroit, ils considèrent comme irrationnelle toute action ou représentation qui n'est pas engendrée par les raisons explicitement posées d'un individu autonome, pleinement conscient de ses motivations ).
Elle ne s'oppose pas moins aux thèses les plus extrêmes de certain structuralisme en refusant en refusant de réduire les agents qu'elle tient pour éminemment actifs et agissants ( sans en faire pour autant des sujets ) à de simples épiphénomènes de la structure ( ce qui l'expose à paraître également déficiente aux tenants de l'une et l'autre position ).
Cette philosophie de l'action s'affirme d'emblée en rompant avec nombre de notions parentées qui ont été introduites sans examen dans le discours savant ( " sujet ", " motivation ", " acteur ", " rôle ", etc ) et avec toute une série d'oppositions socialement très puissantes, individu/société, individuel/collectif, conscient/inconscient, intéressé/désintéressé, objectif/ subjectif, etc., qui paraissent constitutives de tout esprit normalement constitué. " ( p 10 ).

Ainsi, observons déjà, que cette " philosophie de l'action " afin d'apparaître comme étant non seulement le seul cadre de référence possible mais le seul réel à expliquer doit nécessairement écarter de sa route tout ce qui peut empêcher son avènement, et ce jusqu'à exclure le réel lui-même du champ de son action.
Et ce que nous venons d'avancer est bien loin d'être seulement un argument polémiste et métaphorique mais correspond parfaitement au réel du texte, que nous n'avons pas inventé, qui ne fait pas partie de nos présupposés, et qui existe hors de nous.
A savoir, ce texte même, que nous avons retranscrit, tel quel, plus haut, et dont l'objectif, très explicitement affiché en tant que " philosophie de l'action " s'appuyant elle-même sur une " philosophie de la science " qui s'apparente plus ou moins à " toute la science moderne ", son objectif, est de non seulement " s'opposer radicalement " aux " présupposés anthropologiques inscrits dans le langage ", -comme par exemple celui des " intellectuels " qui " rendent compte " de la " pratique", au " nom " d'un " rationalisme étroit " ou d'un " certain structuralisme "-, mais, aussi, et surtout sans doute " s'affirme d'emblée " en " rompant " avec " nombre de notions patentées ", et "toute une série d'oppositions socialement très puissantes " notions et oppositions qui, pourtant, " paraissent constitutives de "tout esprit normalement constitué ".
Ainsi, Bourdieu non seulement " s'oppose radicalement " mais " rompt " avec tout ce qui paraît constitutif de tout "esprit normalement constitué ".
En fait, Bourdieu, rompt, sous nos yeux avec "le" réel et, partant, avec " la " sociologie elle-même. Bourdieu se met à la fois hors du réel et de la sociologie, ou du moins de leur " langage ".
Pourquoi faire ?
Pour s' édifier à leur place, nous l’avons formulé dès le début, ce texte plus haut ne fait que le confirmer.
Il va de soi, dans ce cas, que ceci paraisse étrange pour " tout esprit normalement constitué ".
Mais, à vrai dire, cette étrangeté s'explique.
Car nous avons à faire non pas une théorie parmi d'autres qui chercherait le dialogue dans un cadre démocratique, celui de la “communauté des savants” chère à Husserl, à Aron, à Boudon et à Baechler, mais à une idéologie non seulement de type instructionniste mais nihiliste.
C’ est-à-dire en tant qu'elle prétend non seulement instruire le réel en attente d’une révélation mais être déjà le réel qu'elle est censée pourtant seulement analyser.

La Science façon Bourdieu s'auto-instruit devant tout le monde à l'instar de Louis XIV qui cependant disait seulement " L’Etat c’est moi “ et ce même s'il s'habillait mangeait dormait etc aussi devant "la " bonne société ( Elias in " La société de cour " ).
En d'autres termes il ne s'agit pas, pour Bourdieu, de seulement critiquer, voire même de s'opposer " radicalement " il s'agit, en définitive, de “rompre”.
C’ est-à-dire, de viser une fin eschatologique.
A savoir celle de retirer, vraiment, du langage, tout un ensemble de notions qui ne sont pas quelconques comme

" motivation ", " sujet ", " acteur ", " rôle ", " individu/ société ", " individuel/ collectif ", "conscient/ inconscient", "intéressé/ désintéressé", "objectif, subjectif" ( idem op cit ).

Or ces "notions", ces "oppositions", qui agissent comme " concepts fondamentaux " ne sont pas là, gratuitement, ou pour faire joli, mais expriment une action sociale sur des réalités données. C'est-à-dire en tant que les concepts sont des catégories sociales mettant en forme des contenus empiriques selon des limites données, leur définition pouvant fluctuer selon l'action, l'espace, le temps, le cadre, le cercle de référence considéré , c’est ce que formulait autrefois Durkheim:

" (...) nous disions précédemment que les concepts avec lesquels nous pensons couramment sont ceux qui sont consignés dans le vocabulaire. Or, il n'est pas douteux que le langage et, par conséquent, le système de concepts qu'il traduit, est le produit d'une élaboration collective. Ce qu'il exprime, c'est la manière dont la société dans son ensemble se représente les objets de l'expérience. Les notions qui correspondent aux divers éléments de la langue sont donc des représentations collectives.
Le contenu même de ces notions témoigne dans le même sens. Il n'est guère de mots, en effet, même parmi ceux que nous employons usuellement, dont l'acceptation ne dépasse plus ou moins largement les limites de notre expérience personnelle. Souvent un terme exprime des choses que nous n'avons jamais perçues, des expériences que nous n'avons jamais faites ou dont nous n'avons jamais été les témoins. Même quand nous connaissons quelques-uns des objets auxquels il se rapporte, ce n'est qu'à titre d'exemples particuliers qui viennent illustrer l'idée, mais qui, à eux seuls, n'auraient jamais suffi à la constituer. Dans le mot, se trouve donc condensée toute une science à laquelle je n'ai pas collaboré, une science plus qu'individuelle ; et elle me déborde à un tel point que je ne puis même pas m'en approprier complètement tous les résultats.
Qui de nous connaît tous les mots de la langue qu'il parle et la signification intégrale de chaque mot ? (...)
(...) Si les concepts n'étaient que des idées générales, ils n'enrichiraient pas beaucoup la connaissance ; car le général, comme nous l'avons déjà dit, ne contient rien de plus que le particulier. Mais si ce sont, avant tout, des représentations collectives , ils ajoutent, à ce que peut nous apprendre notre expérience personnelle, toute ce que la collectivité a accumulé de sagesse et de science au cours des siècles. Penser par concepts, ce n'est pas simplement voir le réel par le côté le plus général ; c'est projeter sur la sensation une lumière qui l'éclaire, la pénètre et la transforme. Concevoir une chose, c'est en même temps qu'en mieux appréhender les éléments essentiels, la situer dans un ensemble ; car chaque civilisation a son système organisé de concepts qui la caractérise. En face de ce système de notions, l'esprit individuel est dans la même situation que le " nous " de Platon en face du monde des Idées. Il s'efforce de les assimiler, car il en a besoin pour pouvoir commercer avec ses semblables ; mais l'assimilation est toujours imparfaite. Chacun de nous les voit à sa façon. Il en est qui nous échappent complètement, qui restent en dehors de notre cercle de vision ; d'autres, dont nous n'apercevons que certains aspects. Il en est même, et beaucoup, que nous dénaturons en les pensant; car, comme elles sont collectives par nature, elles ne peuvent s'individualiser sans être retouchées, modifiées et, par conséquent, faussées. De là vient que nous avons tant de mal à nous entendre, que, souvent même, nous nous mentons, sans le vouloir, les uns aux autres : c'est que nous employons tous les mêmes mots sans leur donner tous le même sens. (...).
(...) il ne faut pas perdre de vue qu'aujourd'hui encore la très grande généralité des concepts dont nous nous servons ne sont pas méthodiquement constitués ; nous les tenons du langage, c'est-à-dire de l'expérience commune, sans qu'ils aient été soumis à aucune critique préalable. Les concepts scientifiquement élaborés et critiqués sont touours en très faible minorité. De plus, entre eux et ceux qui tirent toute leur autorité de cela seul qu'ils sont collectifs, il n'y a que des différences de degrés. Une représentation collective, parce qu'elle est collective, présente déjà des garanties d'objectivité ; car ce n'est pas sans raison qu'elle a pu se généraliser et se maintenir avec une suffisante persistance. Si elle était en désaccord avec la nature des choses, elle n'aurait pu acquérir un empire étendu et prolongé sur les esprits. Au fond, ce qui fait la confiance qu'inspirent les concepts scientifiques, c'est qu'ils sont susceptibles d'être méthodiquement contrôlés. Or, une représentation collective est nécessairement soumise à un contrôle indéfiniment répété : les hommes qui y adhèrent la vérifient par leur expérience propre. "
( Emile Durkheim. Formes élémentaires de la vie religieuse. Conclusion. Ed. Quadridge, puf, pp 620,621,622, 624,625 )

Retenons ici seulement ceci :

(...) Si les concepts n'étaient que des idées générales, ils n'enrichiraient pas beaucoup la connaissance ; car le général, comme nous l'avons déjà dit, ne contient rien de plus que le particulier. Mais si ce sont, avant tout, des représentations collectives , ils ajoutent, à ce que peut nous apprendre notre expérience personnelle, toute ce que la collectivité a accumulé de sagesse et de science au cours des siècles. "
Et :
"une représentation collective est nécessairement soumise à un contrôle indéfiniment répété : les hommes qui y adhèrent la vérifient par leur expérience propre. "

De ce fait des mots-concepts comme :

" motivation ", " sujet ", " acteur ", " rôle ", " individu/ société ", " individuel/ collectif ", "conscient/ inconscient", "intéressé/ désintéressé", "objectif, subjectif",

aucune pensée, sociable, ne peut " rompre " avec.

Ils peuvent être certes " méthodiquement contrôlés " critiqués mais point être écartés surtout aprioriquement.
A moins de sortir déjà du sociologique, et aussi et surtout de l'humain tel que, de plus en plus, divers savoirs le circonscrive en tant que soi en autodéveloppement inter-rétro-actif.
Mais, là, cela concernerait le choix gnoséologique de Bourdieu. Car c’ est son droit de considérer que tous ces concepts ne le concernent pas s’il n’avait pas de prétention scientifique et préférait plutôt se situer en dehors de tout savoir normatif pour viser la seule dimension sectaire , à la “ marge” dirait sans doute Derrida.
Or il est loisible d’observer que ces concepts écartés correspondent précisément à nombre de théories en sociologie et en psychologie sociale envers lesquelles Bourdieu s'oppose " radicalement " sans jamais les nommer cependant sinon en parlant parfois de " Rational Action Theory "...
Autrement dit sous le couvert d'une sorte d'attaque, très logique, elle, d'une supposée raison toute tournée vers le calcul alors que la pensée bourdieuenne, elle, serait purement désintéressée ( à l'instar des seigneurs d'autrefois ? ), Bourdieu voile en fait qu'il s'en prend à ses concurrents directs mais dont il nie farouchement par contre la légitimité.
Et le moyen de s'en débarrasser ce n'est même pas de discuter avec ces diverses théories mais de ne plus se servir des concepts qu'elles utilisent et ce bien que ceux-ci n'ont pas été produits par elles mais par l'histoire humaine.
Cette affaire de vocabulaire n’en est alors pas une dans la mesure où il est question chez Bourdieu non pas de proposer une théorie mise en position de concurrence sur le marché des idées mais de s’accaparer celui-ci afin de s’y placer en position de monopole.
Ce qui permet également de le fermer aux nouveaux entrants. Surtout si de bonnes manoeuvres tactiques ont permis d’inflitrer quelques centres décisionnels névralgiques pour y placer quelques clones.