"Les meurtriers de l'Homme, esquisse d'une sociologie "

Introduction générale

Contribution à la sociologie du nihilisme contemporain basé en France, première partie.


Introduction générale


A

Pour ce genre de nihilisme la volonté de l’acteur est réduite à une vulgaire accumulation d'"énergie" dont l'unique but devrait être de la dépenser ( dé-penser également ) le plus vite et le plus excessivement possible afin à la fois d'éviter de sublimer dans la concentration, celle, à terme, du pouvoir et donc du " kapital "; et à la fois de culpabiliser le fait que même dans ce cas de figure quelque chose comme du serein, de la joie, surgisse simplement, car ceci impliquerait une jubilation source de désir dominateur sans culpabilité, sans souffrance, ce qui est mal.

Par exemple Blanchot, qui s’avère être le chef de file de ce type de nihilisme, cherche à détruire cette “ pseudo-nature “ qu’est devenu la société construite par “ l’homme du travail et du besoin “ (Blanchot, l’Amitié, ed gallimard, p 103, voir ici l’analyse en seconde partie, ) l’homme démocrate en fait, qu’il s’agit d’effacer afin de retrouver le monde des hommes-dieux sans foi ni loi rêvés par le dernier Nietzsche.

Et pour accomplir la grammaire de ce programme, Bataille n'a de cesse d’attaquer ce qui permet la domination le contrôle le pouvoir sur soi. Par exemple en s’attachant à utiliser l’érotisme comme moyen d’ associer sexualité et saleté car la sexualité liée à une construction harmonieuse pourrait par trop justifier l’homme du travail et du besoin, ce qui est mal comme nous le verrons puisque ce qui compte c’est uniquement l’exubérance, le débordement, la force de l’instinct libéré du carcan de la civilisation rationnelle qui l’empêche de devenir cet homme-dieu tant rêvé par le nazisme.
De même Deleuze ainsi que Foucault et Lyotard s'ingénient pour le même objectif à utiliser le sado-masochisme comme outil, autonome, de destruction, débouchant en fait sur un fascisme libidinal ( tel que Pasolini l'a circonscrit dans Sâlo...et de façon plus ambigüe dans Théorème ) afin sinon d'étouffer du moins de corseter la volonté d'érection, dans tous les sens de ce dernier terme, car celle-ci secrête la "domination"...

Il s'agirait par exemple de pousser cette recherche forcenée de destruction jusqu'à concevoir que le fait même de réussir à aimer doit être remis en cause :

" (...) il faut qu'il n'y ait pas une telle infaillibilité, c'est notre ultime et grand recours contre la terreur du vrai et du pouvoir. Que baiser ne soit pas garanti ni dans un sens ni dans l'autre, ni comme preuve d'amour ni comme caution d'une indifférente échangeabilité, que l'amour, c'est-à-dire l'intensité, s'y glisse de façon aléatoire, et qu'inversement les intensités puissent se retirer des peaux de corps ( tu n'as pas joui ? ) et passer sur les peaux de mots, de sons, de couleurs, de goûts de cuisine, d'odeurs de bête et de parfums, voilà la dissimulation à laquelle nous n'échapperons pas, voilà l'angoisse et voilà ce que nous devons vouloir. Mais cette " volonté " est elle-même par-delà toute liberté subjective, nous ne pouvons rencontrer cette dissimulation que latéralement, neben, en aveugles et en fuyards, puisqu'elle est insupportable et qu'il n'est pas question de la rendre aimable. (...) " ( Lyotard, économie libidinale, ed de minuit, p 304, voir analyse plus loin ).


Il est d’ailleurs symptomatique de voir qu’à l'heure où à Weimar d’aucuns se demande, en priorité, si Goethe a été ( est et sera ? ) homosexuel, un certain cinéma français actuel véhicule précisément ce fascisme libidinal où l’on peut observer dans “ les nuits fauves “ et aussi dans un film récent et encensé actuellement par nos schampooineuses, ( “ nettoyage à sec “ d’Anne Fontaine ), le passage à l’homosexualité comme obligation, sanction, preuve ontologique, "radicale", pour trouver sa vérité, pour se purifier. Surtout si l’on est vieux et que l'on vit de façon “banale” , patron de bar tabac, de pressing, ce n’ est pas bien, vilain, c’est-à-dire décodé c’est “ petit-bourgeois”.
Mais plutôt que de le tuer, comme à l’époque triomphante du léninisme, classique, d’aucuns veulent le “ sauver “, le “ purifier “.
Et il est à remarquer que le (très jeune) préposé à la chose qui vient relever dans le film de Fontaine le degré de vérité ( d'usure) avec son thermomètre charnel, au lieu d’être un gentil noir comme chez Henri Miller ou Fassbinder, voire chez Marc-Edouard Nabe, ressemble étrangement à ces jeunes-vieux fantômes fadasses des pays de l’est, spectre sans âge du feu-communisme qui vient hanter les enfants perdus de Lénine tel un sniper plein de mort et vide de sens qui tire des coups, dans tous les sens justement, tout en errant d’erreur en erreur dans sa diff-errance inutile.

Ainsi la vérité aurait disparue au-delà d’un sexe, désaxé, et existerait pleinement absolument, et seulement, au sein de celui-ci, du moins détruit, et dont la dévastation serait alors élevée aujourd’hui au rang de religion, de politique sacrale, celui du "sexuellement correct " ( voir Xavier Lacroix à ce sujet in " les mirages de l'amour, 1997, ed Bayard ).
L'on se doit (fallen ) de passer sur le chemin obligé de l’homosexualité et/ou du sadomasochisme, consacrés par une bisexualité bien entendu nécessaire sous peine d'être frappé de ringardise. Et ceux-ci sont plutôt pensés comme mode de vie unique, qui cependant varierait en sexe suffisant au moment adéquat, plutôt qu’en tant que tendances conatives et pathologiques.
Ce qui implique d'ailleurs qu’elles échangent et corrèlent leurs signes lorsqu'elles sont consommés comme ambiance d'un narcissisme en kit.

Nos champooineuses s’en donnent d'ailleurs à coeur joie ces temps-ci. Ainsi d’aucunes parlent même de l’homosexualité comme un “ élément de progrès des civilisations " ( Hugo Marsan in Le Monde du 7/3/97 à propos d'un livre de Henning Bech : When men meet : homosexuality and modernity ),
tandis qu’une autre à propos du film de Fontaine cité plus haut en affirme l’aspect nécessairement “ politique au sens plein du terme “ ( Jacques Mandelbaum in Le Monde du 25/9/97 ).

Il serait d’ailleurs curieux d’observer le fait que certaines des prêtresses actuelles de cette obligation d’en passer par là pour éviter l’encroûtement petit-bourgeois, élèvent alors celle-ci au rang de praxis sacrale en exigeant comme préalable et comme ce fut le cas dans les années 6O que leur futur amant se fasse d'abord ainsi "nettoyer à sec" avant d’aller avec elles.
Comme si un égalitarisme des plus pernicieux venait se nicher dans les recoins les plus intimes, exigeant la transparence des désirs, refusant, à nouveau, la spécificité du fantasme, celle de son irréalité y compris au sens irréalisable du terme, réitérant dans ce cas cette gestuelle de l’Inquisition qui sommait d’abjurer ce qui était seulement pensé, ( comme le réitéra nous signala Mac Luhan le léninisme stalinien avec les procès des années trente ), la nouvelle police des moeurs obligeant, elle, à abjurer non plus seulement par la confession ( livresque ) mais à la réaliser en des espèces de psychodrames justifiés par une pseudo phénoménologie expérimentale dans laquelle même le plaisir hédoniste est banni au profit d’une plate observation des déclenchements physiologiques anatomiques du désir et de sa morgue.


Retenons donc qu'est aujourd'hui promu toute une esthétisation fascisante de la force prônant la destruction de tout ce qui pourrait l’empêcher d’être limitée.

Comme naguère :

( " J'ai rencontré Walter Benjamin au cours de l'une des réunions de Contre-Attaque- ainsi que se dénommait l'éphémère fusion du groupe d'André Breton et de celui de Georges Bataille, en 1935. Plus tard, il fut un auditeur assidu du Collège de Sociologie -émanation " exotérisante " du groupe fermé et secret d'Acéphale -(cristallisé autour de Bataille, au lendemain de sa rupture avec Breton). A partir de ce moment, il assistait parfois à nos conciliabules.
Déconcerté par l'ambiguïté de l'a-théologie " acéphalienne ", Walter Benjamin nous objectait les conclusions qu'il tirait alors de son analyse de l'évolution intellectuelle bourgeoise allemande, à savoir que la " surenchère métaphysique et politique de l'incommunicable " ( en fonction des antinomies de la société capitaliste industrielle ) aurait préparé le terrain psychique favorable au nazisme. Pour lors, il tentait d'appliquer son analyse à notre propre situation. Discrètement, il voulait nous retenir sur la " pente "; malgré une apparence d'incompatibilité irréductible, nous risquions de faire le jeu d'un pur et simple " esthétisme préfascisant ". (....) " Pierre Klossowski ( (...). 1969. P 586, " le collège de sociologie " denis hollier/ idées/gallimard ).

C’est-à-dire toute une fascination façonnée aujourd'hui politiquement de manière inédite par une filiation enfin admise mais de façon forcenée, perverse, déformée, barbare, à la force en ce sens que le rapport d'obéissance entre les individus se justifierait uniquement dans la mise à mort du plus faible, surtout lorsqu'il fait confiance ou tourne le dos...

Ce qui importe pour ce nihilisme ce n'est plus l'être humain en tant qu'être socialisé, qui "s'autodéveloppe" ( Nuttin 1991) en interaction conflictuelle avec autrui; et ce non pas seulement pour suppléer à des carences ou à des accroissements d’énergie comme le croyait Freud ( Nuttin 1991, pp 26,34,276, 288,289,) mais parce que l'être humain n'existe qu'en tant qu'il (se)transforme (dans)le monde ( Hegel, Marx, James, Piaget, Aron, Nuttin, Baechler... ), donnée universelle dont il appert que la démocratie comme morphologie politique en permet le déploiement le plus probant c'est maintenant un acquis universel ( Baechler 1985, 1994, 1995 ).
Or ce qui compte pour ce type de nihilisme c'est d'empêcher et l'homme et la démocratie qui l’accomplit en effet, de se construire,ordonnançant le possible malgré les intérêts conflictuels.
C’est réduire l'homme “ du travail et du besoin “ ( Blanchot op cit ) à ses contradictions tout en le sommant de les voir comme étant toutes désirables , de même que ses phantasmes ( qu'il est sommé de réaliser tel quel ), puisque son désir, s’il sait devenir ce surhomme que le dernier Nietszche appelait de ses voeux, n'aura pas d'autre but que l'effervescence inassouvie, sans solution, sans fin, ( dans tous les sens du terme ).
Le plaisir ne doit donc qu'être un outil permettant de chauffer le moi, le suspendre, en dis-solution permanente. Comme si en résumé il était possible d'extérioriser, tel quel, ce qui se fomente dans les profondeurs, sans tenir compte de quoi que soit puisqu'il n' y a rien, sinon des

" (...) rivages inaccessibles ou rivages inhabitables. Paysage sans pays, ouvert sur l'absence de patrie, paysage marin, espace sans territoire, sans chemin réservé, sans lieu-dit. (...) " ( Derrida, Parages, ed galilée, p 14 ).

Ce qui permet de justifier les crimes qui en résultent par ce souci de purification permettant de devenir ce dieu de l’ancien temps, celui d’avant le judéo-christianisme par exemple.
Et ce type là de purification est la légitimation même de l'intégrisme totalitaire que l'on voit aujourd'hui à l'oeuvre sous nos yeux :

" (...). Il y a des positions libidinales tenables ou non, il y a des positions investies qui d'un coup se désinvestissent et les énergies passent sur d'autres morceaux du grand puzzle, inventent de nouveaux fragments et de nouvelles modalités de jouissance, c'est-à-dire d'intensification. (...). Tel Algérien s'il s'est battu quatre ans dans les maquis ou quelques mois dans les réseaux urbains, c'est que son désir s'était fait désir de tuer, non pas tuer en général, tuer une partie investie, n'en doutez pas, encore investie, de ses régions sensibles. Tuer son maître français ?
Plus que ça : se tuer comme valet complaisant de ce maître, dégager la région de son consentement prostitué, chercher d'autres jouissances que la prostitution comme modèle, c'est-à-dire comme modalité prédominante de l'investissement. Pourtant en s'instanciant sur le meurtre, son désir peut-être restait pris encore dans la relation punitive qu'il voulait abandonner, peut-être ce meurtre était encore un suicide, la punition, le prix exigé par le mac, et la servilité. (...) ".
( Lyotard in Economie libidinale, 1974, ed de Minuit, p 136 ).

Tout ceci s'appuie donc sur une vision pseudo-eschatologique qui justifie la mort d’autrui pour mieux le “sauver”, le “libérer”.
Autrui, l’homme du travail et du besoin, l’homme de la démocratie, de l’enfermement, est donc ce zombi incapable de se défendre tout seul sans la lumière volée aux dieux ( aux ”élites”).
C’ est donc pour son propre bien qu'il est sinon tué du moins empêché de vivre comme un "dominé" et aussi comme un "dominant".
A charge pour ceux qui ainsi se targue d'être ses sauveurs, ou plutôt d'en agiter, sans le dire, le drapeau, de survivre pour leur propre compte, d'imiter, eux, le " Kapital " tout en le justifiant en s'auto-propulsant comme oeuvre d'art, en dominant tout ce qui bouge et dans tous les sens du terme. C’est ce que nous verrons amplement ici.
Car ils n'oublient pas, eux, de (se) réaliser en se posant non seulement comme oeuvre, comme sage, comme pur, mais comme dieux qui alors, tel Zarathoustra, daignent adresser aux mortels quelques sentences irréfutables puisqu'elles ont rang non pas de principes mais de commandements :

" (...) les dominés sont abandonnés à leurs seules armes; ils sont absolument dépourvus d'armes de défense collectives pour affronter les dominants et leurs psychanalystes du pauvre. Or il serait facile de montrer que la domination politique la plus typiquement politique passe aussi par ces voies : par exemple, dans La distinction, je voulais ouvrir le chapitre sur les rapports entre la culture et la politique par une photographie, que je n'ai pas mise, finalement, craignant qu'elle soit mal lue, où l'on voyait Maire et Séguy assis sur une chaise Louis XV face à Giscard, lui-même assis sur un canapé Louis XV. Cette image désignait, de la manière la plus évidente, à travers les manières d'être assis, de tenir les mains, bref tout le style corporel, celui des participants qui a pour lui la culture, c'est-à-dire le mobilier, le décor, les chaises Louis XV, mais aussi les manières d'en user, de s'y tenir, celui qui est le possesseur de cette culture objectivée et ceux qui sont possédés par cette culture, au nom de cette culture.
Si, devant le patron, le syndicaliste se sent, au fond, " dans ses petits souliers ", comme on dit, c'est pour une part au moins parce qu'il ne dispose que d'instruments d'analyse, d'auto-analyse, trop généraux et trop abstraits, qui ne lui donnent aucune possibilité de penser et de contrôler son rapport au langage et au corps. Et cet état d'abandon où le laissent les théories et les analyses disponibles est particulièrement grave -bien que l'état d'abandon où se trouve sa femme, dans sa cuisine de HLM, face aux boniments des entraîneuses de RTL ou d'Europe ne soit pas sans importance-, parce que des tas de gens vont parler par lui, et que c'est par sa bouche, par son corps, que va passer la parole de tout un groupe, et que ses réactions ainsi généralisées pourront avoir été déterminées, sans qu'il le sache, par son horreur des petits minets à cheveux longs ou des intellectuels à lunettes. " ( Bourdieu in " Chose dites " 1987, Ed de Minuit, p 43 )

Dans cet exemple parmi mille propre à cette gnose dégoulinante de suffisance est donc posé que la façon dont aurait Giscard de s'asseoir, le décor etc, serait à la fois le sommum de la distinction et l'unique possibilité de la réaliser; comme si Bourdieu "intérioriserait", "incorporerait", cet apriori et se proposait en entraîneur ( au sens sans doute de coach... ) alors que l'on voit vraiment pas au nom de quoi faudrait-il pour paraître en société effacer ses spécificités culturelles sinon au profit d'un centralisme des apparences qui forçaient autrefois à effacer les accents.
Et cette manière de poser les manières des élites comme seules manières possibles ( ce qui incite alors Bourdieu, par doctrine et/ou absurdité à exiger que tout le monde en soit membre) se lit y compris dans cette façon salace de percevoir les animatrices de RTL posées comme "entraineuses" ( ce qui ne diffère en rien d'un propos intégriste, voire réactionnaire classique ), le clou de cette manière de sur-élever tout ce qui vient de l'élite comme unique façon de vivre peut alors se lire dans ce que nous avons déjà montré plus haut :

- " (...) Les dominants du champ intellectuel et artistique ont toujours pratiqué cette forme de radical chic qui consiste à réhabiliter les cultures socialement inférieures ou les formes mineures de culture ( c'est par exemple Cocteau défendant le jazz au début du siècle). (...) " ( Bourdieu in " Réponses " 1992, ed de minuit, p 59 ).

Et tout ceci a pour objet de poser un Bourdieu comme étant le nouveau cadre, la matrice de distinction véritable, " scientifique", permettant alors d'accéder à l’élite en créant la classe nécessaire et suffisante :

(...) Nier l'existence des classes (...) c'est en dernière analyse nier l'existence de différences, et de principes de différentiation. C'est ce que font, de manière plutôt paradoxale, puisqu'ils conservent le terme de classe, ceux qui prétendent qu'aujourd'hui les sociétés américaine, japonaise ou même française ne sont plus qu'une énorme " classe moyenne " (...). Position évidemment intenable. Tout mon travail montre que dans un pays dont on disait aussi qu'il s'homogénéisait, qu'il se démocratisait, etc., la différence est partout. (...) Donc la différence ( ce que j'exprime en parlant d'espace social ) existe, et persiste.
Mais faut-il pourtant accepter ou affirmer l'existence de classes? Non. Les classes sociales n'existent pas ( même si le travail politique orienté par la théorie de Marx a pu contribuer, en certains cas, à les faire exister au moins à travers des instances de mobilisation et des mandataires). Ce qui existe, c'est un espace social, un espace de différences, dans lequel les classes existent en quelque sorte à l'état virtuel, en pointillé, non comme un donné, mais comme quelque chose qu'il s'agit de faire. (...) " ( idem p 28 ).

Ainsi la prétention du dieu va bien au-delà d'un Marx ( alors qu'elle se situe à des années-lumières en dessous ), puisqu'il s'agit de créer , de toute pièces, une “ classe “ comme ce " quelque chose qu'il s'agit de faire "...
Nous verrons que cette stratégie, au delà des différences, est commune à tous les auteurs disséqués ici car en fait il ne s’agit pas de détruire pour détruire mais en vue de se substituer à ce que l’on détruit. Tout en créant l’instrument politique adéquat, ce “ quelque chose qu'il s'agit de faire “...
C’est ce qu’il nous faut de mieux en mieux cerner.



B

Caractérisation de sa stratégie

Le type de nihilisme que nous allons étudier ici peut être caractérisé non pas d’irrationnel, qui lui s’apparenterait plutôt à de l’insaisissable ou de l’inpondérable, sans oublier le moment aporétique, et l’ état d’aposiopèse ; le nihilisme cerné ici sera défini d’anti-rationnel . Car il reste tout à fait logique, hyperlogique même.
Du moins dans la mesure où l’on peut être d’accord pour distinguer logique et raison :
La première s'apparente à du “ simple “cognitif en tant que séquence moyen-fin.
La seconde inclue la recherche du sens , de l’intention de cette séquence, ce qui implique celle de sa limite,
( voir sur ce point Hegel, Husserl, Weber, Aron, Baechler, Boudon...et aussi Nuttin, op cit, 1991, théorie de la motivation humaine ed puf, pp 286-287 ).

Par voie de conséquence est antirationnel, tout en étant hyperlogique, toute séquence cognitive moyen-fin dont l’objectif n’ est pas de tenter de soumettre tel réel au concept de raison qui présuppose l’accord d’autrui ( au sens large, institutionnel y compris ), ce qui déclenche la discussion ( polemos ), l’objectif, hyperlogique, de l’antirationnalisme est de se substituer concrêtement au réel convoité et non pas seulement abstraitement ou “ logiquement “.
Or,

"(...) C'est une tromperie que de transférer simplement à l'être et au non-être la différence qui existe entre le fait que j'aie ou n'aie pas les cent thalers. Cette tromperie repose sur l'abstraction unilatérale qui laisse tomber l'être-là déterminé toujours présent dans de tels exemples, et maintient simplement l'être et le non-être.(...)" ( Hegel. 1812. Science de la logique, l'être, livre premier, section 1, qualité, ed Aubier-Montaigne, p 64 ),

Et dans ce cas la discussion, c’est-à-dire l’accord ou le conflit, n’est plus nécessaire puisque autrui n’existe pas. Ou est seulement perçu comme facticité d’un solipsisme dont l’hyperlogicisme est se poser soi-même comme seul réel, concret.

Observons maintenant que cet anti-rationalisme va jusqu’à interdire toute possibilité de fondation. A l’exception d’eux-mêmes cependant, déjà objectivement.
Or c’est cela même qui vérifie, d’emblée, le caractère solipsiste de leur hyperlogicisme et surtout la fausseté de leur justification officielle réservée aux naïfs et aux intellectuels du “ troisième marché “ ( le “ marché des modes et des idées reçues “ in Raymond Boudon et F. Bourricaud, 1980, le bricolage idéologique, ed puf ) puisqu’en désignant ce qu’il y a à dé(cons)truire, ils se posent, d’emblée, comme référent dernier et donc bascule microsociologiquement comme force référentielle concrête dont les apriori influeraient de façon déterminante sur les rapports sociaux.
Ce qui est précisément là leur objectif final qui, somme toute, resterait dans l’ordre des choses s’il n’y avait pas cet aspect d’émerger comme la seule force référentielle convenable. Ce que démontre d’ailleurs, par excellence, leur refus de discuter avec tout ceux qui ne sont pas d’accord, implicitement, avec eux.

Et pour ce faire, pour devenir le seul réel possible, c’est-à-dire ici, le seul cadre de référence envisageable, il faut alors monopoliser ce lieu social qu’est la production des idées influant sur la construction des comportements et donc sur l’allure des relations sociales, ce qui implique de
détruire tout ce qui résiste. Détruire concrêtement.
Totalement. Jusqu’à par exemple, pour la majorité des auteurs étudiés ici, maintenir et détruire “ l’énergie “ psychique à son seul niveau sensori-moteur.
C'est-à-dire empêcher que le concept, émis par la réflexion en tant que synthèse, - ( et c’est précisément “ la faiblesse de la synthèse “ qui caractérise les “ paralysies sans lésion “ selon Janet ; in l’automatisme psychologique, 1899 )-, puisse construire l'ordonnancement d' une vie vers son moment pleinement rationnel, et donc adulte, comme l'a démontré Piaget ( en autres 1942 in “ la psychologie de l’intelligence “ ed 1967, Armand Colin, p 131 ) et donc puisse penser de mieux en mieux sa sociabilité.
Pour ce faire autrui doit donc être posé comme néant.
Mais il s’agit d’un néant qui n’agit plus comme catégorie logique voire d’existence, parmi d’autres, ou première, mais comme devant être la seule catégorie possible dans laquelle toute possibilité de synthèse est détruite.
C’est-à-dire sans aucune autre finalité que celle de la destruction totale de ce qui s’oppose à leur nihilisme.

" (...) Aussi la destruction du discours n'est-elle pas une simple neutralisation d'effacement. Elle multiplie les mots, les précipite les uns contre les autres, les engouffre aussi dans une substitution sans fin et sans fond dont la seule règle est l'affirmation souveraine du jeu hors-sens. Non pas la réserve ou le retrait, le murmure infini d'une parole blanche effaçant les traces du discours classique mais une sorte de potlach des signes, brûlant, consumant, gaspillant les mots dans l'affirmation gaie de la mort : un sacrifice et un défi (1) (...). ( 1 : " Le jeu n'est rien sinon dans un défi ouvert et sans réserve à ce qui s'oppose au jeu "( Note en marge de cette Théorie de la religion inédite que Bataille projetait d'intituler " Mourir de rire et rire de mourir " ) ( Derrida, 1967 " L'écriture et la différence ", ed seuil, p 403 )

Contrairement à ce qu’il prétend ce type de nihilisme sait donc ce qu’il fait et fait ce qu’il dit comme nous le verrons ici.


Revenons maintenant à la tentative de sociologie de la connaissance de Sokal et Bricmont afin de bien percevoir que face à un tel défi qui ainsi dénonce en apparence et se substitue à ce qu’il détruit en réalité, la tentative de Sokal et Bricmont malgré ses mérites, paraît, au bout du compte, assez limitée.
Ainsi par exemple, et selon les auteurs eux-mêmes ( in "Marianne " n°25 p 73 ), ni Derrida ni Foucault, ni Bourdieu, pourtant maîtres d'oeuvres dans la manipulation du savoir, de la pensée, et de la science à des fins destructrices, au sens littéral, concret, et non pas seulement théorique, n'ont été inquiétés. Ou alors à peine égratinés ( Derrida ).
Cette retenue n'a cependant pas empêché les tentatives d’intimidation, voire de diabolisation à l'encontre de Sokal et Bricmont,
( par ex dans Le Monde daté du 30/O9/97, ou dans Libération du même jour et du 6/10/97 ; diabolisation tout de même contrecarrée dans Le Monde du 11/10/97, et par l'indispensable Revel dans le Point du 11/10/97 ),
ce qui prouve bien que les idées des auteurs critiqués sont loin d'être moribondes comme d'aucuns le prétendent avec beaucoup de légèreté puisqu'elles influencent encore et même de plus en plus tout un ensemble de cercles de référence qui, reculant de l’économique, de moins en moins manipulable, vers l’éducation, les arts, et les moeurs, cherchent à exterminer tout ce qui pourrait ressembler au plus petit jugement objectif une limite éthique la prise en compte d’ une contrainte incontournable

La démarche de Sokal et Bricmont vient en fait compléter celles de Boudon (1986, l’idéologie, ed fayard) sur Bourdieu et Foucault, celles de Merquior (1986, le nihilisme de la chaire, ed puf) également sur Foucault, sans oublier la réserve de Marcel Gauchet sur " Histoire de la folie... " réitérée par exemple dans sa récente préface " De Pinel à Freud " ( in " Le sujet de la folie " de Gladys Swain, 1977, repris en1997, ed Calmann-Lévy ), sans oublier enfin celle de François Furet(1995, le passé d’une illusion, ed Laffont/Calmann-Lévy, pp 359-361) sur Bataille, et la récente défiance de Jacques Julliard vis à vis de Bourdieu et de son “populisme” ( 1997, la faute aux élites, ed gallimard, pp.146-148 )

Dans leur tentative, Sokal et Bricmont soulignent au fond que l’on ne peut s'amuser à raconter n’importe quoi sous le seul prétexte qu’il s’agit de sciences humaines ou de littérature. Surtout si “on” le fait exprès...
D'autant que Sokal et Bricmont démontrent en fait moins la supposée analogie métaphorique effectuée par certains des auteurs disséqués également ici,
-( comme Deleuze et Lyotard, auxquels nous ajoutons essentiellement Bataille, Blanchot, Foucault, Derrida et Bourdieu )-,
qu'une salutaire dénonciation d’une certaine réduction de la démarche scientifique réduite officiellement soit à son seul discours logicomathématique ou physicochimique ( Deleuze, Lyotard, Bourdieu et par certains biais Foucault ) de surcroît erroné dans la formulation.
Soit à n' être au fond qu' une narration parmi d'autres et uniquement déterminée dans sa vérité par le contexte social.
Tel par exemple Derrida décidément étrangement oublié par Sokal et Bricmont, tant il est vrai que celui-ci n’a guère employé de termes “scientifiques “ et sait se cacher, par exemple derrière un visage d’ange tout empli “ d’hospitalité “(1997 ed Calmann-Lévy ).
Raymond Boudon avait d’ailleurs déjà dénoncé à maintes reprises les diverses tentatives de relativisation du discours scientifique. Par exemple, en s’en prenant à Rorty ou à Feyerabend sans parler de Kuhn et par certains biais de Popper ( in 1992 “ L’art de se persuader “ ed Fayard et aussi 1995 in " le juste et le vrai " ed Fayard, p 500 ).
Or si Sokal et Bricmont avaient fait beaucoup plus attention à Derrida ils se seraient aperçus que la relativisation de la science au rang d'une narration trouve en premier lieu du renfort chez celui-ci dans la mesure où Derrida se garde non seulement de trancher ( officiellement...)
"entre la métaphore et le concept ", ( Derrida, 1981, les fins de l'homme, (...), ed Galilée, pp 458-459 )
mais surtout entre
" la mystagogie littéraire et la vraie philosophie " ( ibidem ).
Ce qui n'est pas rien, semble-t-il, puisque cela revient d'une part à refuser de distinguer non seulement leurs domaines de définition, mais surtout le vrai du faux. Et ce quand bien même existe-t-il un vrai circonstancié (Simmel-Boudon, 1990) et un faux comme moment logique (Hegel, 1807 ).
Or ce refus est non seulement cynique mais intrinsèquement pervers.
En ce sens qu’il déforme, sciemment, le penser, métaphore et concept, au nom d’une logique antirationnelle, c’est-à-dire antisociable, comme nous le verrons amplement.

En effet, il s'agit en fait moins de ne pas distinguer le vrai et le faux, la métaphore et le concept, que de les utiliser tactiquement quand il le faut, ( tel Lénine, et mieux encore...), afin non seulement de détruire la société mais aussi le psychisme et son sens de l’homme, en l’homme lui-même, c’est-à-dire le sociable, puisque non seulement rien n’est réformable mais rien ne doit être réformé.
Seule dans ce cas une apothéose dans l’apocalypse pourrait signifier, selon eux, non pas une fin mais précisément son absence dans laquelle surnagerait seulement la destruction sans fin, dans tous les sens de la locution.

Et si Sokal et Bricmont se seraient également et un tant soit peu penchés sur un Bourdieu, ce haut représentant de cette “ sociologie fumeuse “ dont parlent actuellement les travaillistes anglais, ils auraient non seulement vu ses larges capacités d'appropriation de la science, comme si elle était sienne voire parlerait par sa seule bouche,

-(ce qu'une récente polémique concernant son passage pompeux et dictatorial à une émission de la chaîne 5, " arrêt sur image " montra de façon aveuglante à ses divers protagonistes pourtant sympathisants et comme le prouva aussi la littérature qui en suivit)-,

mais auraient également remarqué dans son jargon une propension non quelconque à se servir non pas analogiquement mais quasi-déductivement lui aussi de concepts propre à la physique pour fonder son supposé discours " scientifique " :

" (...) Irréductible à un simple agrégat d'agents isolés, à un ensemble additif d'éléments simplement juxtaposés, le champ intellectuel, à la façon d'un champ magnétique, constitue un système de lignes de force : c'est dire que les agents ou systèmes d'agents qui en font partie peuvent être décrits comme autant de forces qui, en se posant, s'opposant et se composant, lui confèrent sa structure spécifique à un moment donné du temps.(...) " ( . Bourdieu 1966 in " Champ intellectuel et projet créateur " .Les Temps Modernes n° 246 p 865, voir analyse plus loin ).


C


Caractérisation de sa tactique

La tactique de combat de ce type de nihilisme qui dénonce et ensuite se substitue, déjà de fait, à ce qu’il détruit se déploie en deux temps :
D’une part il relativise, à l’usage d’autrui, la distinction entre vrai et faux. Il peut d’ailleurs intimider l’intellectuel moyen qui douterait de ce décret en lui lançant à la figure des résultats en microphysique qui n'ont rien à voir cependant avec le problème comme les relations d'incertitude d'Heisenberg ou la relativité d'Einstein.
Alors que la détermination selon la position et le temps n'enlève rien à l’ existence effective de tel ou tel phénomène et de ce qu'il peut impliquer comme effets éventuellement rétroactifs, au-delà de ses variations et de ses contradictions contingentes.
D’autre part, et à la suite d’Adorno et de Marcuse, il popularise de façon démagogique et parmi la piétaille des intellectuels populistes et prolétaroïdes, enragés et détraqués réunis, que ce projet de mort est en fait à l’oeuvre dans la technique même cette raison pratique du capitalisme. Celui-ci symbolise donc en acte la volonté de puissance occidentale à rationaliser le monde, c’est-à-dire à le réduire à l’intérêt proliférant grâce à la production du besoin artificiel.
Auchswitz est par exemple désigné comme une sorte de prémisse extrême de cette domination occidentale,

: " (...) Nancy voit la spécificité d'Auschwitz en ceci que " la fin de l'homme y est un projet à soi seul, et non l'essai d'un autre projet ", " Auschwitz inaugure le projet de la fin de l'homme, ce que veulent dire : extermination, solution finale. ". Lyotard doute que ce projet soit l'exclusivité du nazisme. Il est occidental, chrétien : le travail des Eglises du Nouveau Monde en Afrique, comme celui de Hegel sur le judaïsme, c'est la destruction de l'homme jugé non médié. (...) " ( 1981, in les fins de l'homme, (...) Colloque de Cerisy organisé autour des “travaux de Jacques Derrida”, ed Galilée, p 313 ),

aperçue d’ailleurs à nouveau de façon plastico-apocalytique par le nouvel écrivain populiste français à la mode, Viviane Forrester, qui, à propos de famine, dépeint des “bébés aux visages de vieillards, aux visages d’Auschwitz”...( in Julliard, 1997, ibid, p 129 ), alors que cette analogie, monstrueuse par bien des égards, confond, sciemment, effets pervers ( ibidem, p 130 ) et préméditation. ( Il en est d’ailleurs de même à propos de l’analyse vulgaire et démagogique effectuée par ce même écrivain sur la nature actuelle du chômage...) .
Or diaboliser de la sorte la volonté de puissance occidentale s’avère être complètement faux dans la mesure où il est éludé qu’il n’existe pas, en régime démocratique, une préméditation, centralisée, qui aurait pour unique objectif la domination du monde.
D’autant que, en règle générale, vérifiée par l’analyse historique, tout homme placé dans des conditions données de puissance peut tendre à les utiliser au faît de leur possibilité.
Exposer dans ce cas que la domination est seulement une donnée occidentale ou qu’elle se condense originairement dans la seule propriété privée est alors une vue de l’esprit, d’autant que celle-ci est constitutive de l’être sociable en tant que tel ; c’est ce qu’à démontré Baechler lorsqu’il fait état qu’à l’ère paléolithique des bandes il n’y avait
“ jamais de lieu public où chacun viendrait ranger après usage un arc et des flèches, un couteau, une pagaie...” ( démocraties, 1985, ed calmann-lévy, p 316 ).
De même à l’ère des tribus
“ la possession des terres effectivement cultivées est aux mains du groupement familial de base (...). ( ibid, p 331 ),
et ce quand bien même en effet l’agriculture
“ itinérante ne favorise pas l’attachement à la terre que l’on connaît dans les civilsiations paysannes eurasiatiques. On ne possède pas la terre à proprement parler, mais un espace défriché et mis en culture. “ ( ibidem ).

En fait la connotation péjorative opérée dans l’idée même d’ appropriation entre la domination et la possession,
-qui serait de surcroît le seul apanage de l’Occident alors qu’il s’agit pour une grande part d’une donnée de base exprimant la prolongation du soi dans des médiations diverses, accentuée ensuite par les contraintes démographiques ( Baechler 1985, pp 568-571 )-,
illustre bien un renoncement du penser à ne pas envisager que c’est au coeur même de la volonté d’exister comme cet être individuel et sociable, et non pas seulement comme volonté de puissance en général, que gît et agit l’espèce humaine ( Nuttin 1991 ).
Tout en sachant en effet que la forme de cette action dépend, elle, du contexte ( Baechler 1985 ).
Ainsi par exemple nous dit également Baechler le capitalisme est la conséquence de la démocratisation de l’ordre politique depuis le XI ème siècle. ( ibidem, p 391 ) et non pas seulement l’illustration d’un “arraisonnement” du monde car celui-ci n’en est que l’actualisation ( d’ailleurs perfectible grâce à la critique, c’est ce que nous voyons actuellement opérer ).
C’est en effet l’émancipation du serf en vilain puis en bourgeois actualisé dans l’émergence de la ville ; c’est l’individualisation, le surgissement de la science et de la technique, la découvertes des Indes et des Amériques relativisant la domination culturelle de l’Eglise, c’est cet ensemble là qui, au-delà du conflit séculaire, existentiel, entre les hommes pour s’accaparer une part de “pouvoir de richesses et de prestige ( ibidem )”, détermine le capitalisme comme forme sociale de la démocratie, cette extension du vouloir être au plus grand nombre, et qui, aujourd’hui, voit certaines de ses techniques s’universaliser, tout en n’étant pas exempte de remise en cause nécessaire.

Retenons seulement alors ici que volonté d’exister et actualisation donnée sont alors aussi inextricables que l’inné et l’acquis, le moi individuel et le moi sociable.
Vouloir isoler l’un de l’autre est non seulement strictement faux mais peut engendrer des diabolisations qui tour à tour mettent en cause la propriété, puis la raison; et enfin le besoin de la volonté de puissance à s’actualiser sociablement alors qu’il s’agirait pour les nihilistes actuels de seulement la percevoir, à la suite du dernier Nietzsche, dans son unique aspect ludique mystique et non pas également dans cet “effort” ( Maine de Biran, 1805, in Mémoire sur la décomposition de la pensée repris in la vie intérieure, ed Payot, pp 27... 53... ) à dépasser le déterminisme naturel pour créer en effet un monde “inégal” ( Hegel 1807, la phénoménologie de l’esprit, tra Hyppolite, ed Aubier, t1, p 32 ) dont la perception esthético-mystique est d’ailleurs elle-même dépendante.
Puisqu’il s’agit de créer un monde qui s’affranchit de la servitude du temps objectif pour s’élever dans le temps à hauteur d’homme, celui, ouvert, du devenir non prévisible ( Baechler, séminaires inédits ). Quand bien même la connaissance de ses tendances puissent être seulement probabilisées.


Plus prosaïquement cette fois nous dirons donc que personne ne peut prétendre, par exemple, qu’une guerre entre Amérindiens, avant que l’homme blanc arrive, aurait résultée uniquement d’un problème d’appropriation en général. Ou pour vérifier sa volonté de puissance, en soi. Sans doute faudra-t-il y voir plutôt la réponse à des contraintes spatiotemporelles et démographiques ( Baechler 1985 ) nécessitant l’émergence d’ une volonté d’affirmation territoriale permettant d’asseoir le socle du développement individuel et sociable choisi.
Il ne s’agit donc pas d’expliquer la volonté domination par la seule volonté d’appropriation qui elle-même serait cause ou découlerait de la seule volonté de puissance mais de la concevoir comme moyen universel permettant cette fin qu’est la souveraineté ( Baechler, op, cit, 1985, en particulier son analyse du passage de la bande à la tribu, p 566 et suivantes ).

De même personne ne peut prétendre que les affamés d’Ecosse et d’Irlande, arrivés en Amérique du Nord, aient eu comme motivation préalable de s’étendre vers l’Ouest pour tuer de l’Amérindien. Et l’on voit mal pourquoi ils n’auraient pas utilisé toutes leurs armes disponibles pour réduire les coûts.
Et quand bien même l’on puisse en effet dénoncer le fait que l’Etat américain ait plus d’une fois trahi sa parole et exterminé des populations ne signifie cependant pas qu’il l’ait effectué en tant qu’Etat en général et en tant qu’Etat occidental en particulier.
Nous nageons sinon dans la confusion généralisée qui, au fond, est profondément idéaliste et surtout profondément conservatrice tant elle secrète une sorte de nationalisme pur et originaire qui serait souillée soit par l’étranger, soit par l’occidental, ou par les deux à la fois.
Il existe d’ ailleurs aujourd’hui des concordances troublantes dans certains discours identitaires en apparence opposés et qui se retrouvent de plus en plus dans une sorte de diabolisation de l’Occident et surtout de l’Amérique dont par ailleurs les richesses seraient uniquement le produit de sa domination sur le monde. Comme s’il y avait possibilité d’établir des corrélations rationnelles entre le nombre de détenteurs et la croissance globale. Ou encore entre la famine de telle contrée africaine et l’explosion des technologies du futur pour la plupart basées aux USA. Quel est donc le rapport sinon l’idée obscurantiste et par quelques biais envieuse que le bonheur des uns-profitant certes de circonstances heureuses-se fait essentiellement au détriment des autres.

Seulement, loin de ce genre de subtilité les nihilistes et leurs alliés populistes préfèrent volontairement confondre préméditation et effets pervers, ce qui est plus payant, comme le disait d’ailleurs l’adage célèbre de la génération 68 :
“ Il valait mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron “.

En effet, il est préférable de simuler l’artiste maudit incarnant le miasme que le scientifique s’entêtant à analyser le(s) sens du réel malgré le risque de se tromper.



Il s’agirait donc pour les tenants du nihilisme dont nous parlons ici de déployer une tactique leur permettant de faire croire qu’ils sont à la fois l’apothéose et l’apocalypse de ce qu’ils “ analysent “.
Ce qui, stratégiquement cette fois, -en ce sens que c’est leur but final en réalité comme nous le verrons de mieux en mieux ici-, leur permet d’atteindre la seule figure enviable du moins sur la scène parisienne, voire londonienne et newyorkaise, celle de l’Enfant Terrible. Détesté officiellement, admiré et aimé secrètement.
Diable et dieu à la fois.
Et qu’animerait comme à son corps défendant la violence du contexte incarnée dans la mise à mort de victimes volontaires et surtout sacrificatoires.
C’ est-à-dire déjà “mortes”, noyées dans les désirs artificiels, et dont le meurtrier de l’homme, c’est-à-dire du sens, ne serait en fait que le “sculpteur”, le “peintre”, l’artiste maudit, et, au fond, le bourreau circonstancié, qui tue l’homme sociable du travail et du besoin, sources d’inégalité, de discrimination, et qu’ il faut “sauver” au plus profond de ce péril :

"(...) Si vous ne me tuez pas vous êtes un meurtrier. (...) Car pour ne pas être meurtrier, je dois lui donner la mort." ( Derrida travaillant sur du Blanchot dans " Parages " ed Galilée, p 161, voir plus loin ),

Et cette mise à mort sera déguisée en sacrifice :

" Regarder Eurydice, sans souci du chant, dans l'impatience et l'imprudence du désir qui oublie la loi, c'est cela même, l'inspiration. (...) " (Blanchot. L'espace littéraire p 231, ed Gallimard ),

" Sois toujours mort en Eurydice, afin d'être vivant en Orphée. " ( ibid p 329 ).

" Il ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus. " ( ibid p 284 ).


Observons donc l’ obligation performative ( “ il faut “ ) de ce devoir-être .



Première partie




D

Idée directrice


Ce genre d’ utilisation, tactique, de la contextualité historique, artistique, du désir individuel d’auto-destruction, voire de l’érotisme, de la contestation sociale et politique... a donc comme but, stratégique, de détruire, principalement, l’acteur politique, social, du travail, du besoin, de la démocratie ; ainsi que son support générique, l'homme sociable en situation d’ ”autodéveloppement” ( Nuttin, op cit 1991 ), car détruire la société ne suffit pas.
Et ce afin de se substituer à elle comme cadres référentiels et institutionnels qui testeraient leur existence par la vérification de leur capacité effective de détruire tout ce qui n’est pas eux.

Telle est, exposée sans formalisme, notre idée directrice, vérifiée cependant par une analytique de faits précis.

A savoir ici la dissection, objective, d’un certain nombre d’actions sociales nommées écriture d’ouvrages et interviews effectués par ces divers auteurs étudiés en ce domaine donné qu’est le terrain des idées.
Or qu’est-ce que celui-ci sinon l’ un de ces lieux centraux, principaux, des sociétés dans lequel chaque être humain vient créer ses points de repères nécessaires au développement de l’interaction fondamentale inextricable et multiforme sous-tendant la sociabilité et que nous nommerons ici le Soi.
C’est-à-dire l’articulation “bijective”, inter-rétro-active, entre un moi individuel ( idiosyncrasie ) et un moi sociable, articulation dont la forme évolue au fur et à mesure de son estime de Soi ( composée d’au moins quatre degrés :
ou affinement, conservation, dispersion, dissolution, du moins c’ est ce que nous développerons dans notre prochain travail ).

Mais retenons que nous partirons seulement ici de la thèse déjà vérifiée par “la” communauté scientifique, du moins en majorité, stipulant que le Soi est cette interaction morphologique entre moi individuel et moi sociable.

C’est ce que Joseph Nuttin, par exemple, appelle “l’interaction Individu-Environnement”,( op cit, in théorie... p 146 et suivantes ), et dont les divers éléments en interagissant forme, pour nous, estime de soi.
C’est-à-dire toute une réflexivité individuelle et collective discriminante ( Hegel, Durkheim ) effectuée par le biais des “ordres sociaux” ce “ mode social d’existence d’une dimension universelle de la condition humaine “( Baechler 1985, op cit p 63 ), tel l’ ordre politique, économique, technique, artistique, religieux, scientifique, ludique... et dans lequel chaque acteur s’actualise au sein de cercles de sociabilité .
C’est-à-dire au sein de “centres autonomes de décision”,( ibidem, p 62 ) qui activent les divers ordres sociaux et permettent à l’estime de soi de constituer ses points de repère en vue de l’action dans la réalité externe, et aussi interne.

Or c’est précisément cette capacité du moi individuel et du moi sociable ( ou soi ) à agir dans les ordres sociaux et aussi à inter-rétro-agir ( ou estime de soi ) qui sont la cible même de ce nouvel extrémisme puisque celui-ci ne veut pas critiquer telle ou telle action ou rétro-action du Soi mais ce nihilisme là veut détruire, littéralement, la notion même de synthèse, c’est-à-dire possibilité non seulement rationnelle, mais psychique, voire cognitive, de construire l’action.
Telle est sa stratégie voilée quoique divulguée partiellement afin de recruter de nouveaux adeptes et aussi d’attirer les victimes possibles susceptibles d’en être les offrandes sacrificielles, chose certes difficile à croire et c’est précisément pourquoi nous avons ici pris le temps pour le démontrer.
C’est là le but fondamental de notre travail.



Quel est le résultat attendu par ce type de nihilisme ?

Nous avons avancé plus haut l’hypothèse que ce serait en fait pour une cause tactique que la raison le capitalisme etc sont dénoncés comme justifications de leur destruction apriori de l’action humaine, c’est-à-dire avant même qu’elle puisse s’actualiser.
Autrement dit, est-ce là leur seul but ?
Car s’il s’agissait de détruire pour détruire, ou alors de détruire “ la” raison afin que par exemple de “ multiples rationalités” puissent voir le jour, ou encore de détruire ce qui dans la volonté de puissance cherche la domination réelle au lieu seulement de l’observer esthétiquement, sensitivement, ce nihilisme serait justement ce qu’il désigne apparemment, et ne serait donc qu’un type de nihilisme parmi d’autres.
Or nous persistons à penser qu’il n’en est rien.
La spécificité de ce nihilisme là n’est pas d’oeuvrer dans la pure destruction comme symbole d’un monde absurde dans lequel la vie n’a pas de sens, ou alors n’en aurait pas assez.

Le but réel de ce type de nihilisme est de détruire tout ordre afin de s’y substituer implicitement comme synthèse dernière, dans tous les sens du terme synthèse..

Si Dieu comme référent dernier est mort et si la société comme communauté de discussion des référents est morte elle aussi, pourquoi ne pas tuer l’homme qui supporte, qui porte la nécessité de la discussion, ( polemos ), ce qui alors permettrait de s’installer en lieu et place de ce qui est ainsi mort ?
Car il ne s’agit pas de se laisser rationaliser, comme “l’homme du travail et du besoin”, par la démocratie et sa raison discursive.
Il convient de revenir aux temps d’autrefois lorsque les hommes étaient des dieux qui se déchaînaient selon leur bon plaisir.
Mais il s’agit bien entendu de maquiller cette stratégie, et de faire comme Lénine l’a montré : investir dans le discours critique d’émancipation, le faire dérailler, le dévier en une éternelle dérive qui échouerait cependant à chaque fois aux pieds du nouveau principe dernier qui nie précisément cette position, ce statut, ( négation de la négation ) afin de briller, tel un astre mort, dans le désastre à généraliser.

Enoncé ainsi de façon massive nous dirons cependant en dernière approximation que ce que ces divers auteurs étudiés ici réalisent déjà est, d’un point de vue microsociologique, d’ être, eux-mêmes, le référent dernier, la communauté de discussion, voire la capacité même d’aprioriser, d’établir des liaisons pour constituer des jugements en vue de l’action au sein de divers centres autonomes de décision.
En un mot il s’agit pour eux de se constituer microsciologiquement comme l’articulation même d’un Soi ( moi idiosyncrasique et moi sociable ) maintenu tactiquement dans la destruction de ses éléments, dans la dispersion, la dissémination du sens; en lui interdisant donc toute reconstitution, centralité, concept, synthèse : ordonnancement d’un rassemblement.

Autrement dit, eux-mêmes se posent, implicitement, et surtout objectivement, microsociologiquement, comme l’articulation, la synthèse, entre le moi sociable et individuel.
C’ est-à-dire comme ce qui guide l’action du Soi.
Et ce par le biais d’identification-projection construite dans des livres et des interviews, tout en étant renforcée par des auto-biographies dévoilant leur moindre geste et pensée, depuis l’enfance ( ex Derrida actuellement ).

Ce qui, d’ailleurs, leur permet, à l’instar des saints d’autrefois qui servaient ainsi de modèle, d’imitatio, ou mieux encore à l’instar des dieux d’autrefois implorés à chaque action, de devenir des référents derniers auxquels l’adorateur se réfère constamment à la moindre pensée, au moindre geste, puisque tout autre référent a été dé(cons)truit.
Seulement ceci est là moins la piété du religieux que celle du fanatique.
D’où l’aspect éminemment nuisible de ce type de nihilisme pour la sociabilité présente et avenir puisqu’il s’agit, répétons-le, moins de dé(cons)truire le Soi afin de permettre à tout un chacun d’y réfléchir, ( version officielle ) que de se substituer à lui en se mettant à l’intersection même : entre Individu et Environnement.
C’est-à-dire non pas en se proposant mais en s’imposant comme référent unique puisque tout ce qui pourrait faire de la concurrence est détruit, dans tous les sens du mot, ce qui, depuis Lénine et Hitler, est cependant connu, et revient au fond à se poser comme nouveau dieu, sans le dire, et comme nous allons le voir ici amplement.


E

Contexte idéologico-historique

Concédons-le, ces auteurs tiennent actuellement le haut du pavé médiatique, bien qu’ils s’en défendent...

C’est qu’ il existe potentiellement un certain public urbain moyennement cultivé et qui préfère, souvent, faute de mieux,
-et surtout parce qu’ “ être européen “ signifie depuis le 18ème siècle nous dit Besançon ( 1977, les origines intellectuelles du léninisme ed Calmann Lévy, coll Agora, p 88 ) entretenir “une perception critique de soi”-,
s’exciter superficiellement dans des mises en question de pacotilles portées par les cadres de référence mondains qui s’occupent de la forme contemporaine des moeurs depuis la décrue des structures traditionnelles liées à l’Eglise et au mouvement ouvrier et avivée par les affres de la guerre froide et de la reconstruction.

Par ailleurs ces auteurs bénéficient de la politisation à outrance de la scène intellectuelle française où chacun est d’abord authentifié par cette position parfaitement idéologique et superficielle séparant les bons ( la gauche ) des méchants ( la droite ); division morale s’il en est supplantant à partir des années du Front Populaire, celle séparant les “ irresponsables marxistes ” ( la gauche ) des “responsables républicains” ( la droite ).
Le tout sans doute accentué à l’époque par le fait que l’ex-URSS représentait une espèce de pauvre petit poucet empêché de grandir par les méchants ogres bourgeois et nazis. Tandis que la seconde guerre mondiale et l’incroyable enrichissement des pays développés durant les Trente Glorieuses ainsi que le processus pénible de décolonisation activèrent par la suite une image égoïste aux divers émules de la droite politique.

Enfin ces auteurs bénéficient surtout de l’incroyable accélération de la démocratisation ( Baechler 1995, le capitalisme, ed folio gallimard ) qui pose l’expérimentation comme préalable à toute adoption de moeurs, relativisant alors d’office la coutume ou la tradition comme étant peu à même de retranscrire l’expérience singulière surtout lorsqu’elle se cherche dans l’extrême limite du désir moderne.
A savoir celui de l’envie narcissique posant autrui comme simple reflet de son insatiabilité posée d’autant plus comme compensatrice que le besoin de reconnaissance sociale n’est pas suffisamment satisfait.
Ce qui est là l’ effet pervers de l’individualisation.qui fait de surcroît du passé table rase lorsque les choses s’aggravent alors qu’il s’agirait plutôt de le suspendre pour en tirer le meilleur qui permettrait de créer les formes nouvelles propres à l’époque moderne faite d’urbanité et de modification permanente des apparences.

Cet effet pervers, popularisé en fait par une sorte d’existentialisme pratique qui s’imagine être seulement jeté dans le monde pour avoir l’obligation de tout réinventer, est de plus en plus avivé par la dérive “ chrématistique “ ( Baechler ibid ) qui agit comme forme de repoussoir et donc active une fuite en avant de certains dans des expériences anti-économiques pour y échapper, y compris des expériences autodestructrices .

C’est que cette dérive chevauche de plus en plus l’essor mondial de l’économique et semble devenir, grâce à la propagation de l’image télévisuelle, le seul modèle social triomphant puisqu’il permet au besoin de reconnaissance sociale d’ affirmer plus facilement une notoriété par une ostentation croissante et multiforme des signes de la réussite.
Seulement celle-ci ne peut pas échapper à la critique nécessaire tant l’existence, la reconnaissance, sociale ne peut se contenter de la seule course au quantitativisme suffisant. Surtout lorsqu’il se conjugue avec un individualisme au narcissisme exacerbé dont un certain type d’ “ épanouissement”, unilatéral, s’étend, comme le nota Fukuyama dans un essai dont on ne retint que le petit bout de la lorgnette, jusqu’à concevoir la famille selon des principes strictements utilitaires, ce qui déclenche la rupture à la moindre disjonction d’intérêts
( in “ La fin de l’histoire, le dernier homme “ 1992, ed Flammarion, pp 360 et suivantes ).

Pourtant notons en passant que l’ articulation entre “l’échange le partage et l’exploration”( Baechler, 1995, le capitalisme, op cit ) propre à l’économique et qui s’étend aujourd’hui à l’ensemble des interactions entre êtres sociables ne peut pas ne pasdépasser le strict rapport.de forces quantifiables pour atteindre une dimension qualitative, celle de l’estime de soi dans son meilleur degré, celui de l’affinement, car c’est celui-ci qui est le mieux à même de maîtriser la complexité des variables internes et externes permettant justement d’accroître la surface de son existence sociale.
De ce fait celle-ci est, par définition même, indiciblement peu réductible à sa seule surface quantifiable de façon monétaire .
Autrement dit le meilleur antidote contre l’effet pervers du quantitativisme est de considérer que le devenir de la reconnaissance sociale, y compris pour un puissant, un homme couvert de prestige et un riche, se situe morphologiquement, et en premier lieu, semble-t-il, dans la teneur en vérité de la “perception critique de soi “ ( Besançon, op cit, 1977 ).
Car il appert que celle-ci loin d’être un voeu pieux ou un moralisme, s’avère être une source pratique nécessaire pour dépasser la seule conservation de l’estime de soi vers son affinement articulant nature et grâce, et qui, en retour, permet justement une plus grande prise concrête sur le quantitatif...qu’il soit lié au pouvoir au prestige et à la richesse, ces trois donnes fondamentales de l’aventure humaine pour Baechler..., ce qui implique que la recherche du quantitatif, pour lui-même, ne peut avoir le primat....y compris d’ailleurs si l’on n’a seulement que celui-ci comme but ultime...( nous développerons tout ceci dans notre prochain travail )



En résumé retenons donc que ce nous voudrions démontrer ici stipule que ne s’opère pas chez ces auteurs étudiés ici une analyse critique de l’individualisation mais sa destruction au sens littéral.
De même et contrairement à leurs dires officiels il n’existe pas non plus chez eux une destruction de présupposés à la manière d’un Heidegger qui, paraît-il, selon ses propres termes, voulait "dépoussiérer" quelque peu le langage de ses " représentations banales ou vides " (in Contribution à la question de l'être...Questions 1, ed Gallimard, pp 239-240 ).
Il n’y a pas chez eux une destruction de préjugés d'un supposé " logocentrisme " ( Derrida, Positions, p 70 ) comme il est prétendu dans leur discours et qui bégaye en fait sur ce plan là le relativisme et ses ethno-vérités, ethno-méthodologies, tel que l'a circonscrit Boudon,( par ex 1995, in " le juste et le vrai " ed Fayard, p 500).

Il s’opère par contre, et plutôt, une destruction, réelle, de tout ce qui n'est pas leur discours, posé comme seule réalité et nichée tactiquement, gnoséologiquement, et bien chaudement, au sein de ce qui est à détruire.
Et ce afin de s’y substituer de façon vicariante comme seul contenu de ce qu’il y a à penser ( ainsi ces temps-ci après avoir infiltré Heidegger, Hegel, Husserl, Freud...Lacan, Derrida lance une OPA sur Lévinas...et sur... Socrate...)
En un mot ce type, là, de nihilisme, est antirationnel, tout en niant bien entendu le fait ( négation de la négation ) en ce sens qu’il se pose gentiment comme philosophie critique particulière, alors qu’il vise à devenir ce particulier qui, comme l’a montré Lénine, ( voir ses cahiers sur Hegel ) devient le seul général admis puisque tout autre cadre que le sien est en fait attaqué, montré comme ennemi ( de classe disait-on autrefois, ennemi non dit aujourd’hui, nommé “ humaniste “, voire ennemi de “ Dieu “ aussi... ).
L’unique cadre de référence se pose alors, dans les faits, non pas comme ce relativisme, humble devant les faits, et
qui avance avec prudence ses observations, cela est réservé aux autres ou est agité en version officielle, mais comme ce seul réel qui somme, sur un ton grand seigneur, que se dissolve ce qui n’est pas lui.
A l’instar d'ailleurs d'un Lénine, et surtout de Staline, qui ont remarquablement réussi à devenir socialement ce fondement dernier, même si ,logiquement, l’on parlait naguère en effet ( il n'y a pas si longtemps), et à l’instar de “ commandements “, des “ lois “ de la dialectique matérialiste appliquée à l’Histoire, etcetcetc....

Et tout ceci fut accompli beaucoup mieux que sous Hitler qui était un piètre stratège malgré quelques éclairs tactiques puisqu’il réussit à coaliser tous les autres contre lui, ce qu’un Lénine et un Staline évitèrent toujours... .

Voyons-en maintenant les fondements, ultimes.


F

Détruire pour devenir dieu

Ainsi donc il s’agit de devenir dieu.
Tout en niant le fait bien entendu, ou en l’effectuant au nom du bien, du dieu des pauvres, de la lutte contre l’homme du travail et du besoin, le logoeurocentrisme etc....
Devenir dieu, c’est ce que Nietzsche ( dont tous ces auteurs se réclament ) implorait de ses voeux :

" 17 (4) (...) Que les jeunes races fortes de l'Europe du Nord n'aient pas rejeté le Dieu chrétien, voilà qui ne fait guère honneur à leur sens religieux, sans même parler de leur goût. Elles auraient dû avoir facilement raison de ce monstre cacochyme engendré par la décadence. Mais ce sera leur malédiction de n'avoir su en venir à bout : elles ont absorbé dans tous leurs instincts la maladie, la vieillesse, la contradiction -et, depuis lors, elle n'ont pas créé un seul Dieu! Presque deux millénaires, et pas un seul Dieu nouveau! Mais, encore et toujours, et comme s'il existait de droit, comme un ultimatum et maximum du pouvoir de créer des dieux, du creator spiritus en l'homme, ce pitotable Dieu du " monotono-théisme " européen! cet hybride produit de la déchéance, fait de nullité, de concepts abstraits et de grand-papa, où tous les instincts de décadence ont trouvé leur sanction !... (...)
- Et combien de nouveaux dieux sont encore possibles!...Moi-même, moi en qui l'instinct religieux, c'est-à-dire créateur de dieux cherche parfois à revivre : avec quelle diversité, quelle variété, le divin s'est chaque fois révélé à moi!... Tant de choses étranges sont passées près de moi, en ces instants hors du temps qui nous tombent dans la vie comme de la lune, et où l'on ne sait tout simplement plus combien on est déjà vieux et comme on sera encore jeune...Je ne veux pas douter qu'il y ait de nombreuses espèces de dieux...(...) " ( Nietzsche, oeuvres complètes XIV, fragments posthumes, ed Gallimard, pp 272-273 ).

Nietzsche qu’affectionne tous ces auteurs comme nous l’explique si bien Foucault :

" (...) Je sais très bien pourquoi j'ai lu Nietzsche : j'ai lu Nietzsche à cause de Bataille et j'ai lu Bataille à cause de Blanchot (...) ( Foucault. Dits et écrits, T.IV. p 437, entretien ).

Ou encore :

" (...) L'intérêt pour Nietzsche et Bataille n'était pas une manière de nous éloigner du marxisme ou du communisme. C'était la seule voie d'accès vers ce que nous attendions du communisme. (...) " ( Foucault. Dits et écrits, 1980, ed Gallimard T.IV, p 50, entretien ).

Et pourquoi était-ce “la seule voie d’accès vers ce que nous attendions du communisme ? “ Jean Baechler nous indique, quoique indirectement ,une piste :

(...) ni les désirs ni les besoins ne sont des critères pratiques de distribution de biens rares, parce qu'ils sont indéterminés. Par conséquent, la seule possibilité pour les facteurs est d'aller à " qui peut ". Il s'instaure de ce fait une lutte sauvage entre les demandeurs, et les attributions se font au profit des plus forts, tant qu'ils demeurent les plus forts. (...) " ( Baechler, 1995, le capitalisme, ed Folio-Gallimard, t2, l'anti-développement, p 340 ).

En ce sens la lecture de Nietzsche comme “seule voie d’accès vers ce que nous attendions du communisme “ permet d’être, implicitement, de façon duplice avec tout plein d'ourlet sur le malheur etc, ces “ dieux “ qui s’octroient les biens “ tant qu'ils demeurent les plus forts “ nous précise Baechler.
Or la notion de “ fort “ est fondamentale chez Nietzsche. Ainsi dit-il :
" (...) notre désir, notre volonté même de connaissance, est un symptôme de monstrueuse décadence...Nous aspirons au contraire de ce que veulent des races fortes, des natures fortes -
-la compréhension est la fin de quelque chose... " ( Nietzsche, oeuvres complètes XIV, fragments posthumes, ed Gallimard, p 167 ).
La notion de “ race “ accolée à celle de “ forte “ doit alors être lue à la façon non strictement biologique du terme du moins au sens ethnique, mais bel et bien dans un tout autre sens que souligne Heidegger et qui s’inscrit bel et bien dans dans ce désir de Nietzsche de créer de nouveaux dieux, de devenir dieu :

(...) Pas plus que la Volonté de puissance n'est biologiquement conçue alors qu'elle l'est bien plutôt ontologiquement, la notion nietzschéenne de race n'a une signification biologique, mais métaphysique. " ( Heidegger in " Nietzsche". Ed Gallimard. T 2 p 246 ).
Un dieu pour qui la connaissance serait le “symptôme de monstrueuse décadence...” car devenir un élément de la “ race forte “, c’est-à-dire un “dieu” signifie tout autre
chose :

" 14 ( 192 ) Notion d' " égoïsme "
Ce qui définit l'être vivant, c'est qu'il est obligé de croître -c'est qu'il accroît sa puissance, et par conséquent, doit absorber des forces étrangères. Dans les vapeurs de la narcose morale, on parle d'un droit de l'individu à se défendre : dans le même sens on devrait également parler de son droit à attaquer : car les deux -et le deuxième encore plus que le premier -sont des nécessités pour tout être vivant -l'égoïsme agressif et l'égoïsme défensif ne sont pas une question de choix ni même de " libre arbitre ", mais la fatalité même de la vie.
En cela, peu importe que l'on ait en vue un individu ou un organisme vivant, une " société " ambitieuse. Le droit de punir ( ou l'autodéfense sociale ) n'est au fond associé au mot " droit " que par un abus : un droit est acquis par contrat, -mais se défendre et résister ne repose sur aucun fondement contractuel. Du moins, un peuple pourrait avec tout autant de sens définir son besoin de conquête, sa soif de puissance, que ce soit par les armes ou par le négoce, les transports et la colonisation, comme un droit -le droit à la croissance, par exemple. Une société qui, définitivement et par instinct, refuse la guerre et la conquête, est en déclin : elle est mûre pour la démocratie et le gouvernement des boutiquiers...Dans la plupart des cas, il est vrai, les déclarations pacifiques ne sont que des anesthésiques " ( idem p 152 ) .

Or ce “droit à l’attaque” , c’est précisément ce que permit le communisme, version Lénine, (et ce qu’ interdit l’Etat de droit, fût-il bourgeois...). Ce “ droit à l’attaque “, ce refus de la raison, de la “compréhension “, qui est “ la fin de quelque chose “, cette recherche visant au fond à libérer les pulsions ( seule version acceptée du terme de liberté...), à l’instar des nazis qui visaient à libérer l’instinct vital, c’est cet accès même, le “ seul “, qu’au fond s’octroie les divers auteurs étudiés ici.
Celui de s’installer en lieu et place de la transcendance posée comme “ morte “ et dont le lieu serait devenu vide; ce dont alors il ne s’agit pas de comprendre, mais de prendre. A la façon de Lénine, c’est-à-dire en diabolisant tout ce qui n’est pas soi.
Cette affiliation à Lénine est patente ( comme nous le verrons en seconde partie). Il s’agissait par exemple, dans les années 1970, de recommençer à se réclamer non seulement du Lénine pur et dur, par exemple Derrida suivant là le retour d’Althusser vers le Lénine guerrier, mais de tenter d’aller encore “plus loin” que Lénine ( sic) dans la manipulation de la dialectique, ( Derrida dans “Positions”,1972, entretien 1971, ed de minuit, p 86, ) là où “ la négation “ est en fait seulement utilisé comme “ moment de liaison “ ( Lénine, cahiers sur Hegel, ed sociales, p 215 ).
C’ est-à-dire lorsque la critique est seulement utilisée comme grain à moudre, comme moyen en vue d’une fin, celui d’ avoir ( toujours ) le dernier mot, tel un principe vivant : un auguste, un führer, non pas au sens de leader, mais de dieu ( il suffit de parcourir les interventions de Lénine aux congrès du pcus pour s’en rendre compte ) .

En ce sens il est alors vain de chercher à dialoguer avec un Lénine ou avec un Derrida, voire un Bourdieu, puisqu’ils ont, par avance, raison.
Ils sont la raison même alors que pourtant ils en représentent l’ennemi le plus sûr,( ce que nous nommons ici l’antirationnel).
Surtout dans cet aspect holiste propre au positivisme durci en seul discours concevable qui connaît tout dès le départ.
Ainsi chez eux il n’y a pas de synthèse possible qui apporterait quelque chose de non préalablement inscrit dans le concept.
Il n’existe seulement que de l’analytique, du connu, incluant toute la critique possible qui n’est chez eux de toute façon, rappelons-le, qu’un prétexte, un “moment” éventuellement maquillée en éthique de la discussion, par journaliste complaisant interposé, pour donner le change, dans tous les sens de cette dernière locution...
De ce fait, -c’est-à-dire, dans cette façon de se constituer en apriori vivant, tout en détruisant tout ce qui n’est pas soi,
" (...) C'est, dit-il, une " hyperanalyse ". Il s'agit en effet de " défaire, désédimenter, décomposer, déconstituer des sédiments, des artefacta, des présuppositions, des institutions " (...) " ( in "entretien exclusif avec Jacques Derrida. Le nouvel observateur, n° 1633, 22-28/02/96, par Didier Eribon, p 84 )-.

Il ne s’agit donc même pas de préparer l’avènement d’un vrai dieu susceptible de sauver vraiment l’humanité de cette mise à la raison du monde, comme l’espérait officiellement Heidegger.

D’ailleurs, et soit dit en passant dans une rapide digression utile à notre propos, il semblerait qu’Heidegger cherchait, du moins officiellement, à dépasser la coupure entre technique poésie religion et philosophie par un néomysticisme qui fut néanmoins moins créateur de sacré que de terreur sacrale.
Celle emplie de cette fascination envers ces hommes se prenant pour ces dieux des temps homériques, voire même des temps aryens, et que Heidegger crut, un temps, voir incarner dans la “ racine” du national-socialisme, -et semble-t-il dans sa version révolutionnaire-populaire ( celle de Röhm, voir Ferry et Renaut, 1988, p 71 ), avant de se poser, lui-même, Heidegger, et officieusement, en lieu et place, incarnation vivante, et de cet Etat et de ce dieu attendu.
Ce qu’imitèrent en fait les divers auteurs étudiés ici.


En substance donc il ne s’agit pas pour ces auteurs de critiquer “la” raison occidentale mais d’en détruire les fondements afin de s’y mettre à la place. Il ne s’agit donc pas de préparer ou de critiquer la venue d’un nouveau dieu ou d’un nouveau fondement mais de se poser en lieu et place et de ce dieu et du fondement.

De même enfin il n’est pas non plus question pour ces auteurs étudiés ici d’armer un éventuel nouveau prolétariat sensé incarner la vérité comme le pensait Marcuse en insufflant diverses minorités critiques.
Le soutien de Foucault, de Deleuze, voire de Derrida et de Bourdieu, à diverses minorités est d’un tout autre ordre en réalité.
En effet, autant, et à la différence d’Heidegger, ils abandonnent tout dialogue vespéral, théo-philosophique, avec “ l’être “, tout en privilégiant sa seule destruction dialectique, c’est-à-dire sa mise à plat comme un “ ça “,
un sas, un “ champ de tous les champs”, servant uniquement de réservoir d’énergies, de combinatoire façon anneau de Moëbus, et sa réduction en “ économie libidinale “, bref, en “ instinct vital “ soucieux de dé-border là où il “ veut “ dirait le nietzschéisme vulgaire, autant il s’agit bel et bien pour ces divers auteurs de poser en même temps les “ minorités “ non pas comme émancipatrices, au côté de la " classe ouvrière ", du genre humain, mais comme incarnations, matrices mères, échevaux, de ce qu’ils concoivent, eux, comme
“ humanité “
C’est-à-dire tout en se posant, eux, comme sculpteur, créateur, d’une “matière” humaine nouvelle dont ils sont l’ unique fondement , en lieu et place donc et du dieu et de la classe élue.
Un peu comme le Stirner de Marx.
Et surtout à l’instar de cette définition que donne Heidegger du rôle du “ Führer " :

“ Le Führer, lui-même et lui seul, est la réalité allemande présente et future, et sa loi.” ( Appel aux étudiants de Fribourg. 1933, cité par Ferry et Renaut 1988, p 69 ).

Ce qui est ,notons-le en passant, le principe ultime ( l’anté-prédicatif...) du pseudo-fondamentalisme “ islamiste “actuel, surtout l’algériano-soudano-égypto-talibano-khomeinyste, qui non seulement veut imposer une seule loi mais réaliser une seule interprétation de celle-ci , bien que pourtant cette interprétation change à chaque fois qu’un de leur amas provisoire prétend mieux savoir ce qu’il en est.

Cependant il appert que ce pseudo-fondamentalisme fut admiré par un Foucault ( par exemple sur l’Iran ) qui non seulement sembla en partager les critiques antidémocratiques mais même ne les jugea pas assez radicales.
Arrêtons-nous d’ailleurs sur cet aspect là afin de montrer en quoi ces divers auteurs sont fondamentalement contre la démocratie moderne, au sens régressif du terme contre, c'est-à-dire au sens réactionnaire :

( “ (...) On dit souvent que les définitions du gouvernement islamique sont imprécises. Elles m'ont paru au contraire d'une limpidité très familière, mais, je dois dire, assez peu rassurante. " Ce sont les formules de base de la démocratie, bourgeoise ou révolutionnaire, ai-je dit; nous n'avons pas cessé de les répéter depuis le XVIIIè siècle, et vous savez à quoi elles ont mené. " Mais on m'a répondu aussitôt : " Le Coran les avait énoncées bien avant vos philosophes et si l'Occident chrétien et industriel en a perdu le sens, l'islam, lui, saura en préserver la valeur et l'efficacité. " ( Foucault, “ à quoi rêvent les Iraniens? “ Le nouvel Observateur n°727, 1978, repris in “dits et écrits”, ed gallimard, p 692 )

Ainsi ceci serait peu “rassurant” non pas du fait de l’essence plus totalitaire que communautariste de ce dit “ gouvernement islamique “ mais du fait que “les définitions du gouvernement islamique” sont “ les formules de base de la démocratie, bourgeoise ou révolutionnaire, ai-je dit; nous n'avons pas cessé de les répéter depuis le XVIIIè siècle, et vous savez à quoi elles ont mené “.
Qu’est-ce à dire ? Elles ont “ mené “ où ? Vers le plus d’enfermement, d’ordre, dans la version officielle du vocable foucaldien. Vers l’impossibilité en réalité de permettre à quiconque d’imposer sa conception du bonheur, ce qui rend plus malaisé la manipulation idéologique sous couvert de lutte contre les travers de la démocratie alors qu’il s’agit autant d’effets pervers de la modernité voulues par personne que de la séculaire motivation humaine à rechercher son propre intérêt dans l'action, la forme et l'allure de ceux-ci étant contingents.
Seulement Foucault en a cure bien entendu, tout soucieux de réitérer, sans le dire, ( dans tous les sens de la locution ) le geste heideggerien voulant renouer avec l’acception théocratique pliant les hommes à une seule loi.
Ce que même Dieu, celui qui est supposé “ mort “, n’accomplit pas puisque s’il chassa Adam et Eve du Paradis, il ne les tua point parce qu’ils avaient désobéi d’une part, et, d’autre part, les laissa s’organiser comme ils l’entendaient...Mais de ceci Foucault ne s’en soucie guère tant il est fasciné par cette capacité de traduire dans les faits la complète domination d’une “ volonté politique “.


Et c’ est justement cette stratégie absolutiste totale que Ferry et Renaut n’ont, semble-t-il, pas vu dans leur critique.
Y compris par ailleurs dans celle qu’ils portent contre Heidegger, arrêtons-nous y un instant.
Ferry et Renaut se limitent par exemple à souligner sans plus l’attitude quelque peu antimoderne de ce dernier vis à vis de la démocratie alors que pour Heidegger comme pour Foucault cette mise à distance de la démocratie est cruciale en ce sens que celle-ci ne porte pas “ authentiquement “ ce qui agit dans la technique.
A savoir pour Heidegger ( dont tous se réclament à l'exception de Deleuze ) le fait que ce qui agit dans la technique concerne non seulement l’être de l’homme, c’est-à-dire cette capacité née en Grèce de mettre à la raison, de séparer visible et invisible, mythe et science, mais aussi l’être de l’être, en quelque sorte, et qui exigerait, d'après Heidegger, une telle séparation tout en cherchant à la surmonter, en la mettant à l’abri ( voir le Nietzsche de Heidegger, tome II ed Gallimard ) dans le giron de l’homme-dieu, cet au delà ( ou deçà ) de la démocratie, ce surhomme qui allierait à la fois la technique, son efficacité, et le retour à une préservation des racines dont la pousse destinale serait néanmoins d’assumer, de subsumer la modernité, celle de la domination technique devenue mondiale.
Il s’agit alors, semble-t-il, pour Heidegger de surmonter cette division entre modernité et sens du sacré, en étant cette division même.
Et c’est en ce sens qu’il a cru en un retour possible vers cet “ authentique” incarné dans le national-socialisme qui en même temps porterait l’être de la technique, cet “ esprit du temps “ dans sa dimension totale, celle de la guerre multiforme hautement mécanisée, tout en visant à cette permanente présence du spirituel dans la vie politique, le Führer en étant la loi même, nous l'avons lu plus haut.
Mais voyant que cette dimension là ne pouvait en fin de compte être incarné dans le “ temps “,

" (...) La tentative dans Etre et Temps, S70, de ramener la spatialité du Dasein à la temporalité, n'est pas tenable "(...) ( p 47, Temp et être. Questions IV Gallimard)-,

le dernier Heidegger abandonne la gestion du politique au marxisme,

" (...) C'est parce que Marx, faisant l'expérience de l'aliénation, atteint à une dimension essentielle de l'histoire que la conception marxiste de l'histoire est supérieure à toute autre historiographie. Par contre du fait que ni Husserl, ni encore à ma connaissance Sartre, ne reconnaissent que l'historique a son essentialité dans l'Etre, la phénomènologie, pas plus que l'existentialisme, ne peuvent parvenir à cette dimension, au sein de laquelle seule devient possible un dialogue fructueux avec le marxisme. (...) " ( Lettre sur l'humanisme. Questions III, ed gallimard, p 116 )-,

tout en s’arrogeant par la mystique, le souci d’interroger le devenir de l’être afin d’éclairer son advenue comme étant unifié mondialement, l’interrogation fondamentale s’accomplissant alors en se branchant, par l'extase, l'illumination, “ l’ébranlement “ de son existence, au “ Quadriparti “ cette union entre la terre le ciel les divins et les mortels, ( in " Batir, habiter, penser ", Essais et conférences, ed gallimard, p 176 ), dont Heidegger se voulait comme l’intercesseur.


Retenons pour ce qui nous concerne ici que Heidegger crut que ce sacré là, cette capacité de dialogue avec l’Etre, fut un temps incarné dans “ l’éclaircie “ du troisième Reich ( Baechler, séminaire inédit ), puis, voyant qu’il n’en est rien, tout en restant néanmoins une espèce de compagnon de route, Heidegger, sautant alors le pas au delà, tente d’en parler non seulement à la façon prophétique, celle d’une espèce de nouvelle gnose articulant tous les discours en même temps et dont il serait comme le gardien, mais bel et bien comme s’il était, lui-même, le dieu attendu, incarnant par celà même le vers d’Hölderlin : “ mais là où est le péril croît aussi ce qui sauve “ : non plus cette fois incarné dans Hitler auquel l’Etre aurait autrefois parlé mais incarné dorénavant dans Heidegger himself.
Nous ne nous demanderons pas, pas ici, si cette tentative est plausible ;en quoi se différencie-t-elle par exemple de celle de Hegel dont l'acception de l'Esprit, bien que par trop linéaire comme le souligne Baechler dans ses derniers séminaires, nous parle beaucoup plus puisqu'il s'agit d'y percevoir cet aspect de plus en plus unifié de l'Histoire de l' Espèce en vue de son auto-appropriation de plus en plus libre, c’est-à-dire de plus en plus inégal ( op cit, 1807 ) envers le déterminisme de la nature.
Relevons seulement que de façon apparemment identique, quoique de manière infiniment plus médiocre bien entendu, les auteurs que nous analysons ici prétendent, eux aussi, sinon être ce sacré même, du moins l’utiliser comme créateur de réalité fascinante ( y compris par le biais d’une certaine lecture de Sade et du fétichisme masochiste ).
Or,c'est ce que n’ont pas vu Ferry et Renaut, car ils ont, semble-t-il, sous-estimé l’influence de Nietzsche d’une part sur Heidegger, d’autre part sur les Bataille, Blanchot, Foucault, Derrida, Deleuze, Bourdieu, qui ont tous fait leur la définition non biologique de la race supérieure façon Nietzsche. A savoir devenir dieu. Puisque la notion de supérieur est à déchiffrer comme étant cette capacité de la “ volonté de la volonté “ de se comporter comme principe vivant, cadre social de référence dernier que le marxisme version Lénine Staline Mao sut par ailleurs beaucoup mieux accomplir que le nazisme .
Et c' est précisément là , dans cette volonté non pas de devenir dieu, sans le dire, mais d’y parvenir par le meurtre du sens, en vue de s’y substituer, que nous voudrions ici porter le fer.


G

Exemples de destruction-manipulation du sens pour s’y substituer


Premier exemple : Foucault.

Pour lui la " folie " ( dont “ l’histoire “ sera sériée plus loin ) est appréhendée comme mythe et imaginaire jusqu'à la Renaissance.
Puis animalité jusqu'au début de l' âge classique ".
A partir de celui-ci, le " fou " devient un " malade ".
Or c’est ceci même qui illustre, pour Foucault, dans “les mots et les choses" ( 1966 ed Gallimard ) une classification réductrice qui exprime bien selon lui l'envol de " l'Ordre ", de " l'enfermement " propre à l’âge moderne.
En effet, pour lui, cette transformation dans la désignation prouve bien le fait que. de la " représentation " l'on passe à la " signification "( p 58 ), c'est-à-dire à " l'Ordre " ( p 71 ) qui s'oppose à " l'Interprétation " propre à la " Renaissance " ( ibidem ).
Bref des " similitudes " de la " prose du monde " ( p 32 ), de son " Discours " ( p 397 ), l'on passe à " l'objectivité " qui permet de " connaître empiriquement " ( ibid ).
En un mot l'on passe de l'interprétation, de l'imaginaire, aux divers " langages ", biologiques, physico-chimiques...c'est-à-dire vers de plus en plus " d'ordre ".
Seulement, ce dit processus est aussi ce dont s’empare alors Foucault pour à la fois le dénoncer et en même temps l'imiter, l’accélérer.
Comme s’il prenait fait et cause pour cette réduction en l’admettant au fond comme fin destinale dont il s’agirait de clore l’irréversible, à la frontière de la finitude et de la mort, tel le veilleur apocalyptique, tel le dernier homme.

Ainsi le fait que devant cette vision, scientiste, de l’histoire qui pose uniquement la nature de l’unité humaine en terme de complexes de langages, " l'homme ", pourtant, résiste à cette décantation, alors qu'il pourrait redevenir lui aussi une " (...) inexistence sereine où l'avait maintenu jadis l'unité impérieuse du Discours (...) " ( p 397 ), cette résistance ne cesse pas d'étonner Foucault.
En d’autres termes, " l'homme " qui dit-il est au fond "une invention récente " ( p 398 ) celle de " la culture européenne depuis le XVI è siècle " ( ibid ), ne " faudrait-il pas plutôt renoncer à l'homme, ou, pour être plus rigoureux, penser au plus près cette disparition de l'homme -dans sa corrélation avec notre souci du langage ? " ( p 397 ).
Quel " langage "? Mais celui décrit plus haut, celui de " l'objectivité " ( p 397 ). C’ est-à-dire de " l'épistémè moderne - celle qui s'est formée vers la fin du XVIIIè siècle et sert encore de sol positif à notre savoir, celle qui a constitué le mode d'être singulier de l'homme et la possibilité de le connaître empiriquement - toute cette épistémè était liée à la disparition du Discours et de son règne monotone, au glissement du langage du côté de l'objectivité et à sa réapparition multiple. (...) " ( p 397 ).
Or, et tel est le paradoxe élevé au rang de logique ordinaire, ce qui intéresse Foucault, et en ce sens il s'accorde tactiquement avec cette supposée " épistémè moderne " c'est d'en finir lui-aussi, et plus violemment encore, avec " l'homme ", celui du XVIè. L'homo democraticus de Baechler au fond ( 1985 in "démocraties" ed Calmann-Lévy ), articulant, liberté et science, représentation et signification ( poésie et objectivité de l'hypothético-déductif), d’autant que :

" (...) Rien, ni dans la physique ni dans la poésie, ne permet de démontrer ni que le physicien comprenne mieux la physis que le poète, ni que le poète la comprenne mieux que le physicien. "
( Boudon. 1968. A quoi sert la notion de " structure "? ed gallimard, p 226 ),
et ce, comme l’a bien montré Goethe, en vue non pas de s'enfermer, se restreindre, mais s'affranchir, dans tous les sens de ce terme :
C’est-à-dire à la fois comprendre et entreprendre en les n dimensions de la chose même, ce qui, bien entendu, ne va pas de soi. puisqu’il s’agit de ne pas mélanger les “niveaux de réalité” ( Baechler 1985 ).
Or ce qui importe à Foucault, dans cette fausse opposition, toute positiviste, entre la représentation qui ne serait que subjective et la signification qui, elle, serait la seule à pouvoir être objective, est d’accélérer cette supposée fin de l’homme qui gît dans le projet, a priori, de la raison occidentale.
En ce sens il s’agira non pas seulement de pousser le système à bout et jouir de sa destruction dans quelque rêverie néronienne mais aussi en vue de créer le dernier spectacle, la dernière mise en scène, celle de l’apocalypse finale sans autre but que celle de la mise à mort du monde.

En ce sens il faut formater, fabriquer, comme imaginaire et référence cognitive capable de forger les nouvelles générations ce que Foucault annonçait dans " histoire de la folie ".
A savoir un supposé âge d'or de l'homme imaginaire et mythique, celui du seul homme qui vaille, l’ homme-dieu, homme-démon, doublé par un supposé âge d'or de son animalité de légende, celle de sa “force”, cette figure du discours dyonysiaque du sur-homme nietzschéen revisité par le romantisme de la force dé-chaînée, antre et phénix de la destruction, de la mort et du désir. Démesure prométhéenne que la culture judéo-socratico-chrétienne et moderne enferme pour s'en servir seulement à dominer le monde, à le mettre en ordre, alors qu'il s'agirait d'en accentuer l'ébullition pour en contempler les retombées, celles d'une lave, insouciante, sauf de sa plasticité in(dé)finie ( l'apeiron nietzschéen ) :

" (...) Notre apocalypse now : qu'il n'y ait plus de place pour l'apocalypse comme rassemblement du mal et du bien dans un legein de l'aletheia, ni dans un Geschick de l'envoi, du Schicken, dans une co-destination qui assurerait au " viens " de pouvoir donner lieu à un événement dans la certitude d'une destination. Mais que fait alors quelqu'un qui vous dit : moi je vous le dis, je suis venu vous le dire, il n'y a pas, il n'y a jamais eu, il n'y aura pas d'apocalyspe, l'apocalypse déçoit ? Il y a l'apocalypse sans apocalypse. Le mot sans, je le prononce ici dans la syntaxe si nécessaire de Blanchot qui dit souvent X sans X. Le sans marque une catastrophe interne et externe de l'apocalypse, un renversement de sens qui ne se confond pas avec la catastrophe annoncée ou décrite dans les écrits apocalyptiques sans pourtant leur être étrangère. Ici, la catastrophe serait peut-être de l'apocalypse même, son pli et sa fin, une clôture sans fin, une fin sans fin. (...) " ( Derrida 1981 in Les fins de l'homme... ed Galilée, pp 477-478 ).

Concrètement il s’agira donc, rappelons-le, de promouvoir diverses expériences intérieures. mises à la disposition du lecteur-victime puisque nous avons vu que l’apocalypse sans nom passe par la mise à mort indifférenciée du produit de la raison occidentale, à savoir cet homme enfermé, corseté et à qui l’on dit officiellement, pour l’anesthésier, qu’on l’ aide, par la destruction du sens et autres ( diff)errances absurdes, à se “libérer”, et ce afin qu’il devienne cette la(r)ve divine.

Du moins est-ce là version officielle, alors qu’en fait le jeu consiste à piéger de telle sorte l’homme rationnel, ce produit à détruire, qu’il devienne en quelque sorte un examen de passage, une sorte d’initiation herméneutique pour devenir membre de cette race forte dont parle Nietzsche.
C’est-à-dire ce dieu vivant capable de montrer, -et ce grâce aux découvertes mêmes de la science ainsi détournées-, que la plasticité de la chair humaine est telle que cette dernière ne sert pas seulement de modèle pour faire des statues, comme aux temps anciens, mais peut devenir le matériau même d’un devenir chose.
Ce qui implique alors de fabriquer, dans le cadre de “l’apocalypse sans nom”, des produits à base de matière humaine. Et ce de façon non seulement similaire au “ capitalisme “ mais exacerbée, accélérée : à l'échelle industrielle donc. A savoir la production d’une sorte de statues à double face : mortes vivantes. Et que l'on peut officiellement nommer Eurydice-Orphée dans le langage de Blanchot,

" (...) " Sois toujours mort en Eurydice, afin d'être vivant en Orphée. " ( Blanchot, " L'espace littéraire " ed gallimard p 329 ).

Morts-vivants, zombis, ou " variétés " de " Je fêlé " et de " moi dissous " chez Deleuze ( in " différence et répétition " 1968, ed PUF respectivement p 223 et p 332 ). Du moins le moi des autres, puisque l’auteur, lui, c’est-à-dire le dieu, se délecte du spectacle, celui de cet “apocalypse sans nom”.


Second exemple : Deleuze.

Observons, en une seconde et un peu plus longue dissection emblématique (après Foucault plus haut ), et en même temps pour répondre à Sokal et Bricmont qui se demandent pourquoi Deleuze commente ( si faussement d'après eux ) les équations de Lagrange ( calcul différentiel ) et de Carnot ( thermodynamique ) ( Deleuze, in différence...pp 226-227 ), observons maintenant que Deleuze a besoin de cette justification théorique pour montrer que cette " matière " qu'est le corps humain est un banal complexe d'intensité, voire un cyclotron miniature, matière expérimentale en tout cas, et qu'il s'agit de détruire afin d'assêcher en elle toute vélleité de puissance humaine ; c’ est-à-dire de lui arracher toute racine dominatrice au sens d'ordonnatrice, afin de lui laisser seulement son énergie animale, végétale, minérale, simple répétition du même mais que l'on peut faire éventuellement chauffer de telle sorte qu’ à l’instar de drosophiles manipulées, d’autres formes, des “ variétés “ inédites surgissent.
Comme si la chair humaine était appréhendable comme un espace asbtrait de distorsion.
C’est-à-dire une sorte de barre de matière dont les contorsions émises par diverses excitations productrices de chaleur, ( telles celles données par les drogues et l'excitation sexuelle, émotionnelle, surtout celles visant à violenter les sensations de honte, de fierté, de malaise ), permettraient de créer à chaque fois des plis “ différents “.
A savoir des "variétés". Et au gré des conditions de chauffe. Mais sans conséquences conflictuelles internes ou externes. Car le conflit, la distinction entre un interne et un externe, voire la différence de temps, ne veut rien dire chez Deleuze puisqu'il s'agit d'une même fronce qui déploie ses arabesques éternellement positives.
Ce que Deleuze nomme pompeusement, froidement, tel un savant foldingue, des "différentielles". Et peu importe le sens et la forme de leur déroulement, puisqu'il s'agit, à la base, de contorsions qui n'ont pas pour objectif bien entendu le développement socialisé d'un moi mais sa destruction minutieuse, précieuse ( comme chez Blanchot, Foucault, Derrida... ).
Et celle-ci doit être pensée, vécue, comme une " joie " par la victime volontaire.
Elle se doit de déclencher une sorte d'effroi paradoxal, volontaire, dans lequel la victime, l'Eurydice de Blanchot, s'auto-aperçoit qu'elle s'auto-réfute comme "moi dissous", "je fêlé" et en jouit. Tout en décevant cependant toute joie excessive qui pourrait la faire dériver vers une sensation de triomphe qui doit être bannie, “ expiée “ ( Blanchot cité par Bataille in “ l’expérience intérieure, ed tel gallimard, p 68 ) de manière rigoureuse.
Le "moi" doit donc être détruit. Il le "faut".
Car il est cette source d'ordre parmi le désordre constant dû aux interactions diverses de la vie humaine, ce qui est insupportable pour Deleuze ( et Cie...).
Il s' agit donc de le dissoudre, très très minutieusement. Puisque, en son sein, c'est l'idée même d'unité qui est le problème.
En effet, qui dit unité dit cohérence, régulation, accumulation et donc accroissement de présence, ascension sur une seule arête, celle de la maîtrise alors qu'il s'agit pour Deleuze de concevoir celle-ci, et seulement, comme un moment technique en quelque sorte. Par exemple lorsqu'il s'agit de réussir la dissolution assujettie à une matrice mère, celle de la dérive permanente, sans fin. Et dans tous les sens du terme sans.
D'ailleurs Derrida, à la suite de Blanchot, fit un a, au sens non pas latin mais an-archique de ce "sans" ( sang, cent etc in Position p 55 ) le plaçant ensuite en lieu et place du e de différence afin de bien signifier l'objectif de sa grammatologie : celle de neutraliser le sens du gramme afin de le rendre si in-signifiant qu'il puisse s'effacer tout signifié tout en restant là comme voile qui neutralise le soupçon
( par ex in Marges....Les fins de l'homme...ed de Minuit, pp 3, 161-164, voir détails plus loin ).

C'est également en ce sens là que Deleuze emploie ce terme géométrico-algébrique de " différentielle" :
Ainsi l'ordre, l'unité, le moi, ou support intégratif, n'existe qu'en tant que " variation " ( ibid p 224 )de la dérive permanente, seule constante admise, " rapport ", " Idée " (op cit ) dont les contorsions créent alors des " variétés " ou " différentielles ". Et celles-ci chez Deleuze n'existent pour elles-mêmes, ou " variétés" qu'en tant qu'elles expriment l'aspect illimité, in(dé)finie de la matrice mère, celle de la dérive permanente.
Pour ce faire la distorsion s'effectue en agissant sur elle par sa mise en condition, telle l'onde qui a besoin d'un obstacle pour se réfracter car elle est incapable de le faire de façon interne puisqu'il n'y a ni impétus, ni différentiation interne-externe, c'est un non sens chez Deleuze.
La " différentielle" n'est donc pas la variation circonstanciée, limitée, d'une variable indépendante, telle que, à notre niveau, la constance du Soi ( ou le moi en inter-rétro-action ), élément nécessaire qui ne fait certes pas nécessairement partie de ce qu'il y a à résoudre comme condition suffisante mais surgit comme cette condition a priori permettant de hierarchiser les priorités et donc de réfléchir le moi en tant que ce Soi en une position et une situation donnée, qui oriente le sens de l'agir pour le meilleur comme pour le pire.
Or chez Deleuze il n'y a ni orientation, ni hierarchie ni priorité, ni meilleur ni pire, il n'existe qu'une seule chose, unique, celle de la dérive, et ce tout en sachant qu'il n'y a même plus de rives, sauf celle du dissoudre, supra verum, "Idée" suprême. Ce que confirme par ailleurs Derrida travaillant sur du Blanchot :

" (...) rivages inaccessibles ou rivages inhabitables. Paysage sans pays, ouvert sur l'absence de patrie, paysage marin, espace sans territoire, sans chemin réservé, sans lieu-dit.(...) " ( 1986 In " parages " ed Galilée, p 15, voir analyse plus loin ).

( Observons en un bref apparté que l' on comprend alors bien, en lisant ces lignes, pourquoi un Derrida est actuellement le chaud partisan de l'ouverture ( ou “ hospitalité “ ) intégrale des frontières françaises, sans critères, aux sans papiers....( nouvelle idole, avec l'homosexuel, alors que le sadomaso c'était plutôt il y a trois ans, mais le trois en un est possible, nous en reparlerons.plus loin )-, tout en ayant le souci tactique de dire que seuls les actuels sans papiers sont concernés. Seulement il y a un hic : quels "actuels" ? Qu'est-ce-à-dire? Selon le caprice énonçant qu'à minuit une de tel jour ce sans papier, là, sera refoulé...pauvre diable...pauvre Eurydice...) ).

Mais peu importe l'incohérence de cette absence de rives sauf une celle de la dérive ( autoréfutation dirait Rorty...et avec lui Sokal et Bricmont...) puisque la contradiction n'a point de nécessité ni aux yeux de Derrida ( nous verrons comment ) ni à ceux de Deleuze ( ibid p 221 ), car dans la contradiction il est question de dépassement, de résolution, de conflit, même provisoire, ce qui est impossible pour Deleuze, puisque ni la résolution ni le conflit ne sont envisageable, ( ibid p 262 ), aucun négatif n'est concevable
( p 303 ), l'opposition des termes entre eux servant seulement de ressource ( ce qu'admettent également Bataille et Derrida à la suite de Lénine nous le verrons ), levier provisoire pour expérimenter en sens contraire, c'est-à-dire au sens purement directionnel du terme, sa signification sociale étant évacuée comme culpabilité, préjugé, ordre moral.
C'est donc également en ce sens là que Deleuze utilise le vocable " différentiel ", pour que tout soit possible sinon en même temps du moins à terme.Ainsi lorsque plusieurs séries de faits semblent contradictoires, il s'agit d'éteindre leur opposition et préférer laisser agir dans la " profondeur " ( ibid p 304 ) ou " intensité " ( p 315 ) chacune de leur variation aussi valable l'une que l'autre.

En fait il s'agit chez Deleuze moins de voir en cette gnose qui se cache derrière des pseudo interprétations d' équations mathématiques et physique ( comme l'ont montré Sokal et Bricmont ) l'essai d'une nouvelle philosophie de la nature que la plate réduction hyper-positiviste de l'énergie humaine à une matière dont l' excitation en diverses expériences intérieures a pour objectif d'annihiler toute forme de jugement global.
C'est l'advenir de la grenouille sans tête dont la pauvre petite cuisse s'excite à chaque goutte de différentielle deleuzienne.
Sans tête car dans la drôle de physique de Deleuze il s'agit d'agir avant que l'énergie humaine se développe en forme déterminée.sous l'injonction de telle décision d'action.
Il faut donc circonscrire dans l'énergie de la volonté sa seule intensité, son émotion, son tremblement ( tremendum ) dirait Otto ( in " Le sacré " ed payot ). Mais ce même pas en vue du tremblement lui-même tel un hédoniste ou un sensualiste extrême mais pour sa seule dépense répétitive ( on voit là poindre Bataille comme nous le verrons ).
Ce qui est absurde sauf dans le pathologique. C'est-à-dire dans la suspension programmée d'une idée qui devient fixe ( ibid p 283 ), se constitue en obscession, en névrose volontaire.
.
Et pour atteindre cette pathologie Deleuze bégaye en effet d'une part Bergson qui avait déjà énoncé qu'existe dans " la somme " des " sensations organiques ", un " élément psychique irréductible " telle par exemple celle " de frapper ou de lutter dont parle Darwin " et qui va devenir cette idée qui " imprime à tant de mouvements divers une direction commune " en ce sens qu'elle " détermine la direction de l'état émotionnel " ( in Essai sur les données immédiates de la conscience, ed Quadrige p 22 ).

Et, d'autre part, Deleuze s'empare alors de cette analyse, banale au fond, mais qu'il travestit minutieusement de thermodynamique ( Carnot ) et de calcul intégral ( Lagrange ), tout en lorgnant sur Geoffroy St Hilaire et son " Animal en soi " ( op cit p 239 et p 278 ), -qui fascine également René Thom-, tant il est tentant de penser l'évolution comme une suite "topologique", une espèce de combinatoire chauffée à la température idéale...tandis que chez Deleuze c'est le corps de l'homme qui est ainsi pensé comme combinatoire ( " potentialité pure " p 226 ) dans laquelle la modification volontaire des réseaux de relations ferait que certains des organes pourraient non seulement accélérer mais changer carrément leur mode de fonctionnement... ce qu'il expliqua d'ailleurs dans l'Anti-Oedipe par exemple dans Mille Plateaux, (voir plus loin).

En résumé il s'agit essentiellement pour Deleuze de poser qu'existe au départ de toute série émotionnelle une idée, ( " L'Idée " op cit pp 237 et suivantes), directrice, ajouterait La Palysse, et que Deleuze nomme pour faire savant omniscience genre dix septième siècle : " L'élément pur de la potentialité ".
Etre étrange, celui en fait de la dérive permanente acceptée comme seule continuité et qui peut être alors posée chez Deleuze comme " premier coefficient ou la première dérivée " , qui va ainsi déterminer " les autres dérivées et par conséquent tous les termes de la série résultant des mêmes opérations; (...) ",
et ce non pas en tant qu'expression d'un quelque chose, la recherche d'un plaisir par exemple, non, ceci serait de la " variabilité ", de la " qualitabilité " que Deleuze exècre ( p 224 ) ou s'en sert comme moyen ( comme nous le verrons plus loin ) car ce qui lui importe c'est non pas le plaisir mais le déclenchement du désir, et ce qu'il apporte comme image, plan, forme absolument illimitée, in(dé)finie, déclic permettant la dérive dans l'hallucination généralisée.

En ce sens, ce qui est calculé par Deleuze c'est moins la recherche de la " différence " comme inédit, surprise, par exemple le fait qu'un lapin puisse donner l'heure, que celle de la répétition, seule, au sein même du réel décomposé, ou le déplacement, à chaque fois, de " L'Idée " en soi, comme si cet " élément pur " devenait le seul réel possible, hyperréalité s'hypostasiant par delà les écueils et les résistances éventuelles, niées, écartées.
Ainsi ce qui compte c'est surtout que le lapin, le miroir, permettent de dériver, seule " Idée ", et non pas ce que peut signifier, déclencher, vouloir dire cette dérive posée comme élément premier ,ou " Idée ".
Et " précisément " ajoute Deleuze " tout le problème est de déterminer ce premier coéfficient (...) " ( p 227 ) qui permet ainsi une sorte de mise en parenthèse in(dé)finie du réel croisé dont chaque partie peut être alors effacée, surmultipliée à l'in(dé)fini, comme dans un dessin animé ou un rêve éveillé...mais ce non pas par ludisme mais servitude volontaire à la destruction programmée il ne faut jamais l'oublier. C'est justement cela " l'Idée, " ce, " premier coéfficient " dont la force, l'amplitude à intégrer sera telle qu'elle peut suppléer éventuellement à telle ou telle perturbation ou s'arracher à telle attraction plus intense qui voudrait l'empêcher de se détruire si infiniment.
Traduit en clair cela signifie qu'il va alors falloir au préalable pour alimenter ce dieu-Baal qu'est "l'Idée" de destruction trouver dans le réel réduit à l'état de matériaux, d'intensités diverses, un point provisoire de fixation suffisamment hallucinatoire ( le sadomasochisme et les drogues aident en ce sens ), un fétiche, une Vénus à la fourrure, par exemple, ou l'appréhension d'un coup, d'une couture, à venir ( in " Mille plateaux", voir plus loin ), et qui va servir à la fois de déclic et de justification référentielle à la production de chaleur nécessaire, -( car tout acte exige du corps vivant et a fortiori humain le sens à la fois logique et psychosociologique de son déclenchement, et la chair meurtrie deleuzienne ni échappe pas...)- c'est-à-dire en clair, au détournement émotionnel projeté . Puisque c'est la direction d'action globale, la "conduite " dirait Janet ( 1926) qui donne sens aux comportements ( Lacroix, op cit, 1997 ) et donc permet le déclic, le tremblement d' Otto ( in “Le sacré” ed Payot ), ce qui faisait dire à Bergson ( op cit p 25 ) :

" Mais on pourrait se demander si le plaisir et la douleur, au lieu d'exprimer seulement ce qui vient de se passer ou ce qui se passe dans l'organisme, comme on le croit d'ordinaire, n'indiqueraient pas aussi ce qui va s'y produire, ce qui tend à s'y passer. "

Ainsi dans une expérience sado-maso, aux confins d'une forte prise d'opiacés nécessaire semble-t-il pour s'auto-anesthésier, surtout quand il est question de coutures, de brûlures ( in Deleuze, Anti-Oedipe II Mille Plateaux, voir plus loin ), " l'Idée " de la dérive deleuzienne commandant " ce qui va s' y produire " peut être si obsessionnelle, la drogue peut être si efficace qu'elles peuvent rendre indifférentes les sensations émises désespérément par les émotions protégeant le corps.

Ceci permet alors de relativiser l'origine et le pourquoi de la douleur, en y substituant toute une justification à la Artaud, s'identifiant à un martyr, ( voire au Christ chez Bataille et Foucault ) ou à la science, compensant la douleur par une fétichisation extrême de tel ou tel point fixe ( le malheur d'être du monde, la béance de sa puissance incarnée en telle ligne de force ) qui permet comme le montre également certaines pratiques d'art martiaux asiatiques, de transcender la douleur, ( ce qu'arrivaient à faire aussi certains résistants politiques mais pour tout autre chose ).

Notons, in fine, et soit dit en passant, que c'est ce genre de manipulation des mathématiques et de la thermodynamique opéré par Deleuze qu'a pu faire remarquer Sokal à Lyotard dans une émission d'Ardisson sur Paris Première, ( 10 octobre 1997). Or Lyotard, -et tout en ayant la prétention de comparer la polémique actuelle avec celle qui opposât Carnap à Heidegger, ce qui est à mourir de rire... à moins de laisser supposer que Lyotard s'inscrit dans la même perspective que celle de Heidegger...-, aura alors le cynisme de répondre que Deleuze cherchait " essayait " quelque chose avec, tout en maquillant que ce quelque chose est bel et bien le dérèglement des émotions par la drogue et le sadomasochisme et même pas par plaisir extrême mais uniquement comme outils expérimentaux, ce qui dégage en effet une certaine intensité de chaleur sans signification autre que la dérivation des sens à partir d'une même matrice de détournement visant à tester jusqu'où l'élasticité ( l'intégrale ) du solide humain peut être testé avant d'exploser son unité, puisqu'il s'agit stratégiquement, politiquement, de le maintenir sans solution ou nouvelle solution finale...

Le nec le plus ultra cependant, et ceci fut plus l'apport de Blanchot que de Bataille, consiste alors en ce que l'auteur qui propose de telles expériences se protège, lui, et les fasse plutôt faire par lecteur interposé recruté de la même façon qu'Orphée recruta en quelque sorte Eurydice.
C’est ce que tente actuellement Derrida avec son acception de la “ mort “ ( voir détails plus loin en troisième exemple et aussi dans l’analytique par auteur ) :

" (...) la mort comme le maître. (...) " ( Derrida in " Résistances...de la psychanalyse..." 1996, p 146 ).

Avançons alors maintenant que par quelques biais ce nihilisme, issu du léninisme et du nietzscheisme, s’apparente en fait à une espèce de nazisme supérieur, c'est-à-dire rectifié théoriquement dans le sens qu'il ne s'agit plus de tuer une race ou une classe mais tout ce qui dans le genre humain s'apparenterait à l'animal rationnel, tueur de dieu.
Nazisme ontologique, authentique, originaire. Celui de la “ Race des seigneurs" pour lequel il n’est plus question de biologie mais de métaphysique, de volonté titanesque, de création par et dans le chaos, celle de la guerre, totale, qui se sait exister dans la seule présence de la Force.
Observons pour étayer ce dire sans doute quelque peu surprenant, effrayant, que par exemple Blanchot, sur lequel s'appuie en priorité Derrida ces temps-ci, ( in "Parages", "Spectres de Marx"... ed Galilée...), a été membre dans les années 30 d’un mouvement d’extrême-droite se nommant la “ Jeune droite”, ( in Julliard, dictionnaire des intellectuels français ) et, également, a été disciple de Maurras, écrit Sartre dans une note ( Situations, 1, ed idées/ gallimard, p 150 ), tout en étant également une espèce de guide es extase pour Bataille ( par ex, " l'expérience intérieure ", ed tel/gallimard, p 67 ).
Et Blanchot avoue, avec délectation, son appartenance à cette " Race des Seigneurs " des nazis, dans son livre intitulé " L'instant de ma mort " ( 1994. ed fata morgana).
En effet, non seulement les Allemands, dans ce livre qui se situe dans le cadre de la seconde guerre mondiale, deviennent brusquement, soudainement, Russes ( p 12 ), et ce d'une ph(r)ase, l'autre,
-( tout en se servant de Russes ralliés aux nazis afin de maquiller l’annonce, ce que cache bien entendu Derrida qui a récemment commenté le “testament” phrase par phrase )-,
mais, page quinze, Blanchot écrit en parlant des propriétaires ( dont il fait partie comme narrateur ) du " Château " ( kafkaien ) et sur lequel était inscrit la date " 1807 " ( ou l'appel au parrainage de la dialectique de Hegel à qui l'on fait dire n'importe quoi...) : " Les Seigneurs avaient été épargnés " .
Certes, cet aveu, là, est aussi littéraire. Et d'autant plus.
Car, étant littéraire, voilé donc, ceci permet non seulement de se camoufler pour recruter les victimes nécessaires mais permet de tenir plus longtemps politiquement, et de nos jours idéologiquement ( "vidéologiquement" également ), c'est en ce sens que les léninistes sont de très loin supérieurs stratégiquement aux nazis première mouture.
Observons d'ailleurs que le fait d'effacer ainsi les traces est déjà possible via le léninisme " classique ". En effet, grâce à celui-ci, l' on peut acquiescer, réellement, au " merveilleux chaos mental " qu'est " l'action bolchevique dans le monde ", ( Bataille, la part maudite, ed de Minuit, p 186 ), puisque la " Révolution d'Octobre " n' est plus "seulement l'épiphanie du logos philosophique, son apothéose, ou son apocalypse. Elle est sa réalisation qui le détruit (...) " ( Blanchot, l'Amitié, ed Gallimard, pp 102-103 ).
Seulement acquiescer au fait de tuer, d' exterminer, programmatiquement, implique, dans le camouflage idéologique, de pervertir la dialectique, c'est-à-dire non pas de supprimer , surmonter, dépasser... mais de déformer... la notion de meurtre comme nous l'avons déjà avancé plus haut. La mise à mort ne se nomme plus en effet telle quelle dans le nihilisme issu du léninisme et du nietzschéisme dernière période.
Elle devient "sacrifice" ( Bataille, ibid, par ex p 87 et surtout Oeuvres complètes, VI, La Somme Athéologique, tome II, ed Gallimard, p 329 ),
c'est-à-dire là où l'on tue sans souci, mais ce au nom d'un tiers plausible et non pas injustifiable comme dans le nazisme " classique ", tels que la négation, la révolution, Dieu, ou, ces temps çi, :
" (...) Il ( Foucault ) aurait renvoyé dos à dos la maîtrise et la mort, c'est-à-dire le même, la mort comme le maître. " ( Derrida, Résistances... de la psychanalyse... 1996 ed Galilée, p 146 ).

Pour ce faire il s'agira alors de manipuler, logiquement, mais anti-rationnellement, en cherchant une autre sorte de tiers, un outil, une référence gnoséologique capable d'intimider par autorité, ce que nous allons illustrer maintenant.


Troisième exemple : Derrida.


Observons en un troisième exemple ( après Foucault et Deleuze ), essentiel, tant l’auteur authentique de ce type de propos est parasité sans vergogne depuis plus d’un siècle maintenant, que cette nouvelle usurpation montre dans l’extrait cité plus haut un Derrida vicariant, parasitant, par l’outil Foucault interposé, la même expression employé par le Jeune Hegel en... 1807 ( date également inscrite comme par hasard sur le Château kafkaien de Blanchot dans cet aveu qu'est " l'instant de ma mort " cité plus haut...).
Par exemple :
" leur maître, la mort ", ( Hegel, 1807. Phénoménologie de l'esprit, ed Aubier, T2, tr Hyppolite p 23 ).
Ou encore :
" leur maître absolu, la mort " ( ibidem p 138 ).
Le Hegel de 1807, désigne dans ces passages son explication de 1807 sur le moment du pourquoi de la guerre ( p 23 ) et le pourquoi du moment de la Terreur pendant la révolution française ( p 138 ).
Hegel écrit d'ailleurs ces phrases ( ibid, p 136 ) qui désignent le moment de la Terreur comme étant, dit-il, celui de la " liberté absolue ":

" (...) L'unique oeuvre et opération de la liberté universelle est donc la mort, et plus exactement, une mort qui n'a aucune portée intérieure, qui n'accomplit rien, car ce qui est nié c'est le point vide de contenu, le point du Soi absolument libre. C'est ainsi la mort la plus froide et la plus plate, sans plus de signification que de trancher une tête de chou ou d'engloutir une gorgée d'eau. (...) ".
Hegel tente donc de comprendre, -avec sa façon d'articuler, dans un seul tenant, logique et histoire-, le sens historique, relatif, de la Terreur, dans le cadre de la Révolution française.
Pour Hegel, la révolution française croît devenir " conscience de soi universelle " ( p 135 ), en laissant " la liberté absolue " prendre le pouvoir total comme Un ( la Nation ) et Etre ( Robespierre ). Le travail de l’Etre sur l’Un va alors “ concentrer “.permettre la “ suppression “ ( p 133 ) de ce qui n’était que " masses pirituelles distinctes " ( p 133 ) : religion culture éthique état.
Mais pour Hegel cette “ conscience de soi universelle “ en ce moment qu’est la Terreur ne l'est seulement qu'en tant que pure capacité de négation destructrice, celle de la " furie " ( p 135 ) qui pose ce qu'elle veut.

Ainsi la " liberté universelle ", ne peut " donc produire ni une oeuvre positive ni une opération positive; il ne lui reste que l'opération négative; elle est seulement la furie de la destruction”.
C'est-à-dire ( p 137 ) :
" (...) En soi elle est justement cette conscience de soi abstraite qui détruit en elle-même toute différence et toute subsistance de la différence. C'est comme telle qu'elle est à soi-même objet; la terreur de la mort est l'intuition de cette essence négative de la liberté ( note d'Hyppolite : " Il ne faut donc pas dire : " la liberté ou la mort ", mais la liberté absolue est elle-même la mort ); (...) "

Cette " Terreur " modifia donc profondément la morphologie sociale et politique sur le Continent.
Et Hegel ajoute, sur ce résultat-là de la Terreur,
qu' à sa suite,( pp 137-138 ), la " foule des consciences singulières " ayant alors " ressenti la crainte de leur maître absolu, la mort " ( paraphrasé donc par Derrida ), implique non seulement que
" de nouveau se façonne l'organisation des masses spirituelles auxquelles la foule des consciences singulières est attribuée ",
mais que celles-ci ayant donc, pendant la Terreur,
" ressenti la la crainte de leur maître absolu, la mort, se prêtent encore une fois à la négation et à la différence, s'ordonnent sous les masses; et si elles reviennent à une oeuvre fractionnée et bornée, elles reviennent par là aussi à leur effectivité essentielle. "
Ce qui fait dire à Hyppolite dans une note :
" (...) Cette refonte de la société est particulièrement l'oeuvre de Napoléon. Les classes sociales ne sont plus d'ailleurs ce qu'elles étaient auparavant. (...) "

Observons alors que Derrida, bien loin de l’ analyse hegelienne qui corrèle déploiement conceptuel et effectivité historique dans le social et dans le politique, se contente, lui, d'isoler les concepts " mort " et " maître " puis d'en détourner le sens pour l'hypostasier en général, et à l'instar de Bataille-Blanchot, comme mêtre...celui de la dé-mesure...déterminée...celle de la " Terreur".

Détaillons quelque peu maintenant le concept de “ mort “ chez Hegel pour percevoir comment le parasitage léninisto-nietzschéen s’effectue.


Ces propos hegeliens ne peuvent donc que fasciner les Bataille-Blanchot, et cie, en mal de cadre de référence intimidant. Seulement il appert que la notion de " mort ", pour s’en tenir à elle désigne chez le Hegel de 1807 ( T1, p 29 ) le fait que, ( les mots entre guillemets sont de Hegel en cette page 29 ), "l'entendement", et c'est là sa " force " et son " travail ", dans " l'analyse ", " sépare " , "divise" " déchire " parce que c'est un " moment essentiel que ce séparé, cette non réalité effective; c'est, en effet, seulement parce que le concret se divise et se fait non effectivement réel qu'il est ce qui se meut ".

Il s'agit alors de se maintenir en mouvement dans cet " absolu déchirement", ce " séparé ", cette
" non réalité effective ", c'est-à-dire ce " concret " qui, parce qu'il " se divise " dans " l'entendement ", dans " l'analyse ", se fait " non effectivement réel " en ce sens que ce qui " se divise " dans " l'analyse " est comme ajouté introduite par l'homme qui par ce fait même se comporte comme "sujet".
Et il semble bien effet que le “ sujet “ chez Hegel soit cet absolu qui se nomme dans l’Histoire humaine non seulement " entendement ", comme chez Kant, mais également entendement social, c'est-à-dire le Soi.
Ou encore l’Esprit ( d’un, des, peuples ), qui, en séparant, en représentant, en distinguant ainsi, ne reste pas seulement " substance " qui répète le même à l'instar du reste de la nature mais s’émancipe comme Esprit qui se sait lui-même " sujet " ( p 29 ) en réalisant dans " l'analyse ", le " non effectivement réel ". C'est-à-dire constitue, dans l'entendement, “l'inégalité” humaine envers la nature ( p 34 ) qui ensuite se concrétise, dans le conflit, comme étant ce réel en propre, c’est-à-dire l’Histoire.
Ainsi Hegel peut-il énoncer :
"(...) Selon ma façon de voir, qui sera justifiée seulement dans la présentation du système, tout dépend de ce point essentiel : appréhender et exprimer le Vrai, non comme substance, mais précisément aussi comme sujet. (....).
(...) La substance vivante est l'être qui est sujet en vérité ou, ce qui signifie la même chose, est l'être qui est effectivement réel en vérité, mais seulement en tant que cette substance est le mouvement de se-poser-soi-même, ou est la médiation entre son propre devenir-autre et soi-même. Comme sujet, elle est la pure et simple négativité; c'est pourquoi elle est la scission du simple en deux parties, ou la duplication opposante, qui, à son tour, est la négation de cette diversité indifférente et de son opposition; c'est seulement cette égalité se reconstituant ou la réflexion en soi-même dans l'être-autre qui est le vrai -et non une unité originaire comme telle, ou une unité immédiate comme telle. Le vrai est le devenir de soi-même, le cercle qui présuppose et a au commencement sa propre fin comme son but, et qui est effectivement réel moyennant son actualisation développée et moyennant sa fin. " ( Préface à la " Phénoménologie de l'esprit ", tr. Hyppolite, ed Aubier, pp 17, 18 ).

Retenons seulement ceci : il n' y pas chez Hegel d'un côté une substance " originaire " et de l'autre des " médiations ": la substance " vivante " n'est qu'en tant qu'elle est "le mouvement de se-poser-soi-même, ou est la médiation entre son propre devenir-autre et soi-même ".

L’ absolu devenu sujet ne fait donc pas que se reproduire au sein de la nature comme toutes les autres espèces, mais, en tant qu’esprit , affirme une " liberté distincte ": celle du " cercle qui repose en soi fermé sur soi " , à savoir la " puissance prodigieuse du négatif, l'énergie de la pensée, le pur moi " , qui, dans ce " séjour ", ne vise pas le " négatif " pour lui-même, sauf dans l’immédiateté du premier moment lorsqu'il s'agit de séparer et par là de s'affirmer comme " pur moi ", comme " pure et simple négativité " mais celle-ci est à son tour effacée,

" (...) Comme sujet, elle (§ la médiation ) est la pure et simple négativité; c'est pourquoi elle est la scission du simple en deux parties, ou la duplication opposante, qui, à son tour, est la négation de cette diversité indifférente et de son opposition; (...) op cit plus haut )

en ce sens que cette négation est à son tour niée et non pas maintenue comme une lecture stratégiquement nihiliste le laisse accroire, car ce
" séjour est le pouvoir magique qui convertit le négatif en être. Ce pouvoir est identique à ce que nous avons nommé plus haut sujet (...) " ( T1, p 29 ), en ce sens que le “ pur moi “ dont l’activité est de “ diviser “ devient ce “(...) sujet, qui en donnant dans son propre élément un être-là à la déterminabilité dépasse l’immédiateté qui seulement est en général, et devient ainsi la substance authentique, l’être ou l’immediateté qui n’a pas la médiation en dehors de soi, mais qui est cette médiation même “ ( ibid)
C’est-à-dire constitue la possibilité de maîtriser son propre destin en se servant de la réflexion, cette “médiation” qui donne forme à la capacité d’extension absolue. Ce qui, au fond, est une manière certes incisive de délimiter la façon de se mouvoir sur cette “ terre ferme “ qu'est le cogito cartésien.
Ajoutons cependant, mais seulement en passant, que chez Descartes lorsqu'il pose la pensée comme axe majeur, il l' effectue de telle façon que la pensée ne repose pas seulement sur l'analyse alimentée par le doute. Car la pensée, pour être, délimite aussi le sens de cette raison sur une borne fondatrice : la nécessité, l'idéal, du parfait,
( Descartes, Principes, lemmes 14, 15, ed Vrin, pp 30-31 ) qu' il s'agit aussi de voir en permanence comme le suggérait d'ailleurs Malebranche ( au grand dam d'Arnauld...) puisque le résultat atteint n’est jamais la réplique du parfait mais son adéquation.
Autrement dit il n’est pas possible que cela soit seulement l'acte même de lier, d'effectuer la médiation en tant que tel, qui soit le tout du sujet.
Ceci, chez l’homme, se fait donc en fonction d'un sens qui le dépasse car autrement c'est l'acte, logique, de lier qui se prendrait pour le parfait, ce qui n'est pas possible.
En effet cette sacralisation de l’acte même de lier oublie que son contenu peut être susceptible de ne pas aller dans le sens du parfait, qu’il est sujet à l’erreur, au “ faillible “ ( Baechler 1994 ) par exemple en n’expliquant pas suffisamment le réel étudié. Ou encore en altérant autrui par un refus de la limite. Ce qui nécessite estimation réciproque, et engendre dans ce cas le conflit entre la logique du lier et ce qui la limite, à savoir la réflexion sur le sens de cette logique, c’est-à-dire, semble-t-il, la raison dont par ailleurs la forme sociale peut être multiple allant par exemple du religieux à l’éthique en passant par le droit.
Et vu sous cet angle là, c’est-à-dire l'impossibilité au fond d'effectuer, du moins, intégralement, le parfait, et en même temps cette volonté de la conjurer, de rendre impossible l'impossible, suggérons que c’est cette tension qui, dans le conflit qu'elle engendre entre logique et raison, crée le problème du sens de l'Histoire né en Occident :
A savoir le contenu minima de la limite...permettant l’autodéveloppement, singulier, du soi...


Arrêtons-nous encore un instant, à proximité de Hegel puisque celui-ci sert de paravent aux Bataille, Blanchot et Derrida et consorts,

-( tel par exemple un Nancy qui a le troupet d'énoncer dans son "Hegel " ( 1997 Hachette, pp 7,8 ) que le " sujet hégélien " est
" (....) essentiellement, cela ou celui qui dissout toute substance, toute instance déjà donnée, supposée première ou dernière (...) " alors que ceci n'est qu'un moment comme nous l'avons vu plus haut dans l'extrait-)-,

suivant là par ailleurs moins Marx-Engels que Lénine.
Car au moins chez les premiers il est tout de même question de conserver, de façon critique, ce qui est dépassé. Alors que chez le second, ainsi que chez ses “ suivants “ il s’agit plutôt de dépasser pour dépasser, dissoudre pour dissoudre; la conservation et sa critique n’étant qu’un moyen pour se mouvoir ( s’émouvoir) comme automouvement unique.

Revenons au propos du Jeune Hegel sur cette métaphore comparant la “mort” et le “travail du négatif”, c’est-à-dire le travail de ce qui sépare, et donc détermine, juge, en vue d’agir au lieu de seulement contempler.
Observons que tout ce jeu, dangereux, palpitant, entre l'entendement actif et la beauté passive, ( cette immobilité dont parle Baudelaire ) est, semble-t-il, le souci, propédeutique, du Jeune Hegel.
Car en effet lorsque l’on commence à comprendre le monde, le drame à supporter est bien l’arrêt du simple déroulement de soi dans l’unité du monde, celle de son infinité, alors qu’il s’agit pour être, en tant qu’homme, -c’est-à-dire non seulement un " pur moi " qui nie mais aussi ce qui nie cette négation pour surgir comme cette forme donnée ou l' Histoire actualisée, celle d’ un soi-,
il s’agit d’agir aussi dans la suspension qui limite la fusion avec lui ( ou le " non effectivement réel" op cit ).

Quid de la (dé)limitation de ce flux dont parle Heraclite et dont Hegel disait que toute sa philosophie s’y inscrivait...

Le drame est celui de la nécessité du choix. Celui qui sépare le non séparé. C’est-à-dire l'Amour même qu’il s’agit alors de hiérarchiser en écartant les " non ceci ".
Ce qui implique d’agir comme " inégalité "( p 34 ) au sein de "l'universel" (, ibid, p 84 ) abstrait.
C'est-à-dire en introduisant, en lui, en le flux, le trait du “ ici “ ( ibid p 84 ) qui plie une identité en un jet, isolant l'ob-jet, alors que pourtant le "ici" reste abstraitement un "aussi" ( ibid p 101 ) qui est par ailleurs seulement perceptible dans un " maintenant " ( p 83 ).

Or c'est justement tout le travail du "négatif", cette force de l'entendement et de sa perception, c'est-à-dire l'emploi de "l'inégalité" entre la conscience et la chose ( pp 32, 34 ) que de retenir, choisir, hiérarchiser, suspendre, supporter le fait de supprimer ici tel “aussi” afin que ce “ici” devienne cette " effectivité" nécessaire en ce "maintenant".

C'est là l'action autonome, souveraine, du " sujet " qui ainsi convertit le " négatif en être " ( p 29 ).

En d’autres termes il s'agit de transformer le "négatif en être" en vue de l'action . Ce qui nécessite de " séparer ", de " retenir fermement " ( p 100 ), de doubler la chose dans la représentation,
" (...) la conscience introduit le en tant que par lequel elle maintient les propriétés séparées les unes des autres et maintient la chose comme le Aussi " ( p 101 ).

Ce qui signifie aussi semble-t-il que lorsque cette façon de procéder est projeté de façon extensive sur l’ensemble de la société, cela permet non seulement de penser la division de la chose selon le contexte mais aussi de s’identifier, empathiquement, à tous les rôles sociaux tout en maintenant cette chose qu’est la société comme un “ aussi”, ce qui permet alors de la comprendre.
C’est-à-dire de la rassembler en représentation intelligible.
A savoir un enchaînement de concepts qui tente de saisir la vie sociale au delà des séparations fonctionnelles afin de la percevoir d’un seul tenant.
Comme s’il s’agissait d’ un seul esprit réunissant les consciences en interaction.
Tous les soi sont alors saisis comme un seul soi, ( ainsi “ l’Etat “, “la” nation, “la” société, “l’”opinion, “les” entreprises, “le”marché...).
Certes ceci est un acteur fictif. Mais l’analyse de sa représentation permet néanmoins de saisir, quoique seulement rétrospectivement, précise Baechler, “le” sens, conjugué accidentellement, de toutes les actions individuelles, c’est-à-dire le résultat. Le tout en s’appuyant à la fois sur les bonnes raisons qui les animent implicitement dirait Boudon et à la fois sur leur combinaison qui forme texture sociale, évènement, époque, esprit du temps.
En d’autres termes encore cette façon de procéder, la spécifité profonde de la méthode de Hegel consiste donc à s’imaginer divisé non plus seulement dans l’entendement comme chez Kant, mais au sein même de la chose étudié.

Ce qui implique de s’identifier, mais aussi de se déterminer également réellement lorsqu’il s’agit d’aller au réel externe en endossant tel ou tel rôle.

Ce qui est là à la fois une manière de penser et une manière d’agir puisque si le flux n’est pas seulement circonscrit à ce que l’on sait déjà sur lui, le passage à l’action peut arrêter le mouvement du “aussi” en un “là” nécessaire “ici” et “maintenant”.
Ce qui n'empêche pas, ensuite, de revenir à nouveau vers la liberté, celle de l'infinité de la liaison dans l’entendement ( Kant) qui est non seulement limitée par la "raison pratique" mais aussi et surtout par la raison éthique comme la concevait déjà Descartes et qui pousse alors à limiter l'acte même de lier en rapport avec le devenir en propre d'autrui . Et ce en fonction non pas seulement de l'intérêt mais aussi de la justice qui tente d'articuler juste et justesse ( Baechler, 1994 ), ce que nous appelons ici le conflit entre logique et raison.

Or, pour en revenir à notre préoccupation ici, c'est, semble-t-il, tout ce mouvement là, ce travail là, cette “aliénation “ au sens de Hegel, c’est-à-dire celle de la division, du pourquoi de la détermination, de sa signification, qui est le souci même, le drame, majeur, la clé de sol, du Jeune Hegel, ( ce que souligne Meyerson et Weil relate Koyré dans ses “ études philosophiques “ ).

Ainsi en 1805, Hegel, qui, là, parlait de " nuit " ( celle de Novalis ) peut-il écrire :
" (...) L'homme est cette nuit, ce néant vide qui contient tout dans la simplicité de cette nuit, une richesse de représentations, d'images infiniment multiples dont aucune précisément ne lui vient à l'esprit ou qui ne sont pas en tant que présentes. C'est la nuit, l'intérieur de la nature qui existe ici -pur soi- dans les représentations fantasmagoriques ; c'est la nuit tout autour ; ici surgit alors subitement une tête ensangletée, là, une autre silhouette blanche, et elles disparaissent de même. C'est cette nuit qu'on découvre lorsqu'on regarde un homme dans les yeux -on plonge son regard dans une nuit qui devient effroyable, c'est la nuit du monde qui s'avance ici à la rencontre de chacun. " ( " la philosophie de l'esprit ". 1805. Ed puf/ épithémée, tr Planty-Bonjour, p 13 ).

Or ce genre de propos, extrait de son contexte non pas lexical mais propre auvécu de Hegel, ne peut donc que fasciner les Bataille-Blanchot et cie qui s’emparent des termes de Hegel encore imbibés de ce romantisme angoissé qui caractérise la littérature allemande de l’époque, et s’en servent de cadre de référence en vue d’une certaine fin.
Celle de l’utiliser en tant qu’argument d’autorité et ce afin de voiler qu’ils n'ont, eux, de cesse de survivre, de vivre sur la vie, à ses dépens donc, et sous forme de plus en plus industrielle : livres, conférences, soldes diverses... tout en détournant de plus en plus les jeunes notions hégéliennes de " négation ", de " nuit ".

Ainsi Blanchot à propos de la " négation " ( qu'il prétend rattacher à celle de Hegel, et que nous étudierons en seconde partie ) peut-il écrire :

" (...) Qui séjourne auprès de la négation ne peut se servir d'elle. Qui lui appartient, dans cette appartenance ne peut plus se quitter, car il appartient à la neutralité de l'absence où il n'est déjà plus lui-même. Cette situation est, peut-être, le désespoir, non pas ce que Kierkegaard appelle " la maladie jusqu'à la mort ", mais cette maladie où mourir n'aboutit pas à la mort, où l'on n'espère plus dans la mort, où celle-ci n'est plus à venir, mais est ce qui vient plus. " ( In " l'espace littéraire ", ed gallimard, p 125 )

Autrement dit loin de tenter de comprendre ce qu’a vraiment dit Hegel, l'on peut plutôt lire une manip généralisée visant à justifier sa propre déformation.
Toute une monstruosité que l’on par ailleurs également lire sous la plume de Derrida :
"
(...) Hegel s'est aveuglé par précipitation sur cela même qu'il avait dénudé sous l'espèce de la négativité. Par précipitation vers le sérieux du sens et la sécurité du savoir. C'est pourquoi " il ne sut pas dans quelle mesure il avait raison " ( Bataille). Et tort d'avoir raison. D'avoir raison du négatif. Aller " jusqu'au bout " du " déchirement absolu " eu négatif, sans " mesure ", sans réserve, ce n'est pas en poursuivre la logique avec conséquence jusqu'au point où, dans le discours, l'Aufhebung, ( le discours lui-même ) la fait collaborer à la constitution et à la mémoire intériorisante du sens, à l'Erinnerung. C'est au contraire déchirer convulsivement la face du négatif, ce qui fait de lui l'autre surface rassurante du positif, et exhiber en lui, en un instant, ce qui ne peut plus être dit négatif. Précisément parce qu'il n'a pas d'envers réservé, parce qu'il ne peut plus collaborer à l'enchaînement du sens, du concept, du temps, et du vrai dans le discours, parce qu'à la lettre, il ne put plus laborer et se laisser arraisonner comme " travail du négatif ". Hegel l'a vu sans le voir, l'a montré en le dérobant. On doit donc le suivre jusqu'au bout, sans réserve, jusqu'au point de lui donner raison contre lui-même et d'arracher sa découverte à l'interprétation trop consciencieuse qu'il en a donnée. (...) " ( Derrida, l'écriture et la différence, ed gallimard, p 381 ).

Seulement le "sujet" hegelien, y compris chez le Hegel de 1807, est loin d'être dans cette " convulsion ".
Il convertit, lui,le " négatif en être " ( Hegel, op cit, plus haut ). C’ est-à-dire dépasse, suspend, le moment de la " beauté sans force " ( ibid ), celle qui " hait l'entendement "( ibid ) car elle préfère seulement s' auto-observer infiniment dans le spectacle, la contemplation du monde sans chercher à s'y prolonger effectivement dans l'objet .

Et c'est ce mouvement là, mais hypostasié comme seul moment possible, désirable, qu'imite, extatiquement, Bataille ou Blanchot anonné plus haut par Derrida.
C'est leur sensibilité même : elle -même
C’est elle qui aspire ainsi à devenir, sous nos yeux, cette " beauté " qui " hait l'entendement ", cette " beauté sans force " dit Hegel, et qui, dans l'interprétation des meurtriers de l'Homme, devient celle d'un auto-mouvement néo-aristocratique qui ne fait rien d’autre que détruire en vue de persister comme infinité abstraite, hypostase, divinité barbare.
C'est-à-dire sans aucun autre objet qu'elle-même.
Mais accentuée dans sa vitesse ( puisque débarrassée de la nécessité de convertir le négatif en être ) pour atteindre le mouvement " pur ".
C'est-à-dire vide, avide, ou comment : " déchirer convulsivement la face du négatif, ce qui fait de lui l'autre surface rassurante du positif " écrit Derrida...

Ou comment atteindre une cinétique du vide, du moins métaphoriquement, et qui, dans cette gravité quasi nulle, dans cette relativité, dite générale, et dans laquelle la matière du sens reprend la forme de l'énergie avant la matière, celle-ci se met alors en attente qu'une force, de force, ( viol et violence de l'Histoire ) lui soit transmise pour avoir le gramme désirée par ces physiciens du dif-forme, et dont Lénine fut le premier grand chimiste...

Bref toute une intention antirationnelle de destruction volontaire du sens qui explique pourquoi n'ont-ils, tous, que mépris pour la " raison discursive " ( par exemple Bataille et Blanchot in " l'expérience intérieure, ed Gallimard, p 67, ).
Et Derrida amende cette analyse ( dans " l'écriture et la différence ", par ex, p 384 ) en parlant de la " servilité " comme " désir du sens " celle qui, telle la belle âme, a " horreur " de se " déchirer " ( Hegel, ibid, T1, p 29 ), et donc qui " recule " et préfère se " préserver pure " ( Hegel, ibid ).


Notons également et ceci nous sera utile pour tenter de circonscrire un peu plus la notion de limite du point de vue des sciences humaines que ce souci, exacerbé, du jeune Hegel envers le non séparé, le " non ceci " ( 1807 T1, p 84 ), bref, de l'infini, est encore présent d'ailleurs en 1812 lorsque Hegel parle de la " faute " de Newton ( science de la logique, premier tome, premier livre, l'être, ed Aubier, tr Labarrière et Jarczyk, p 268 ).
Par exemple lorsque celui-ci en calculant l'infinitésimal dans ses " Principes mathématiques " laisse " tomber " les derniers "incréments".
C'est-à-dire, expliquent Labarrière et Jarczyck ( ibid note 366 ), Newton substitue " à la notion d'incrément ( dont le calcul n'est pas toujours possible ) la notion de différentielle ( dont le calcul est toujours possible). (...) " .
Ce que Hegel trouve " incorrecte " tant du point de vue " algébrique " que du point de vue de " la signification géométrique " notent Labarrière et Jarczyck, qui tentent de comprendre le différent entre Newton et Hegel :

" (...) il est évident que Newton le savait. (...). " Mais Newton " n'agissait pas en tant que mathématicien élaborant une théorie rigoureuse : il se situait au niveau pratique qui est celui de l'utilisation commode d'une théorie. Tandis que ce qui importe à Hegel c'est de montrer que l'incrément correspond à la différentielle augmentée d'une quantité infinitésimale,-puisque c'est cette quantité qui, pour lui, révèle la présence de l' " infini " au coeur du calcul mathématique. Ainsi Hegel a-t-il raison formellement contre Newton, tout en étant injuste à son égard puisqu'il situe son jugement à un autre niveau que le sien. Newton serait en effet convenu de ce que l'égalité qu'il pose n'est vraie, en toute rigueur, que dans la perspective d'un passage à la limite. Tandis que Hegel se situe avant ce passage, pour souligner ( ce que Newton ne contestait nullement à un plan de stricte rigueur mathématique ) que la différence, fût-elle infinitésimale, ne peut alors être évacuée. "

Or notons que Deleuze, lui, se gausse de cette compréhension mathématique et non pas métaphysique de Newton puisqu' en bégayant Hegel qu’il se targue pourtant de réfuter, par exemple en écartant la notion de “ négation “ par trop lié à une nécessité de continuité dans le devenir ( auf- gehoben ), Deleuze parle lui non pas de " faute " mais de " tort " de Newton ( op cit, 1968, p 223 ).
C’est que Deleuze, et comme l’avons vu
( second exemple ), est omnibulé à manipuler la notion de limite en tant que " véritable coupure " à la façon au fond d’un hyper tiers-exclu. C’est-à-dire comme une limite valable non pas comme variation d’une fonction ou " variabilité " mais soudaine "variété", ( in " différence et répétition " pp 223,224 ).
Comme si A’ n’était plus aussi A+X, mais un total nouveau A.
C’est-à-dire opérant une totale disjonction avec le donné de départ. Comme si le mouvement se déroulait alors seulement pour lui-même, et rendrait équivalent toutes les arabesques dessinées (comme l’avait déjà montré les Cyniques d’ailleurs nous dit Hegel...).
Or si ceci est possible cognitivement, logiquement, il ne l’est pas rationnellement.
C’est-à-dire du point de vue du sens à donner à la cognition donnée, à telle ou telle “ variété “ qui n’est pas à être admise uniquement parce qu’elle émerge.
Ceci n'est pas possible puisque l’émergence de telle “ variété “, telle “ limite “ supposée être une “ coupure radicale “, surtout dans ses “ derniers incréments “peut ne pas être du goût non seulement d’autrui mais du Léviathan démocratique. C’est-à-dire de cette Loi qui garantit à tout un chacun sa propre arabesque dans la limite déterminante de ce qui ne peut pas ne pas être d’une part, et de ce qui peut certes exister de façon inédite d’autre part, tout nécessitant cependant discussion, critique, polémique.

Et à notre niveau, celui des sciences sociales, cette question de la " séparation ", de la limite, est fondamentale.

Car si 'a' peut être absolument 'non a', posé logiquement, par exemple dans la spéculation et l'imaginaire, il n'en est pas de même psychologiquement, sociologiquement...

Ainsi il n'est point besoin de tout retenir dans la pensée,
( à l'instar des stoïco-cyniques...),puisque déjà l'actualisation dans tel domaine de définition rend nécessaire la suspension de tel infinitésimal.
En ce sens, il est alors morphologiquement nécessaire, et ce déjà du point de vue de cette condition première de possibilité, à savoir que ce ' a' puisse continuer à être désigné comme ce ' a ' là, sans oublier nécessairement qu'il peut être autre chose à un autre " niveau de réalité " ( Baechler 1985 ).
Sinon, si ce ' a ', le a concret, pourtant déterminé, est seulement posé comme devant être seulement et uniquement en tant qu’ indésignable, c’est-à-dire comme devant rester vide, ( à l'inverse de la scolastique qui pouvait le poser seulement comme plein y compris logiquement et ce afin d'éviter en fait que l'imaginaire échauffe la sensibilité... ) alors c'est là, à l'évidence, une " tromperie " ( Hegel, 1812, op cit, p 64 ).
C'est donc ré-enchanter le monde mais en pis.
C'est-à-dire retomber dans une logique infiniment plus restrictive que celle de la scolastique, celle d'une logique absolutiste qui pose son ' non a ', pourtant déjà déterminé, comme seul ' a ' non seulement déterminé mais seul abstrait possible...
Ce qui a pour voie de conséquence de confondre, exprès, tous les niveaux de réalité :
Ainsi, " si p alors non p... si non p alors p... " à l'infini... ( Lyotard 1980, p 291, " Les fins de l'homme. A partir du travail de Jacques Derrida, ed galilée.)
Bref si 2+2 alors cela doit faire 5 disait Orwell ( in1984 )....
Or pouvoir séparer, c'est aussi le fait de dire non à telle (pro)position qui insiste pour que l'on lui dise oui ( telle que prendre en compte la totalité des significations sur un même plan : vol d'oiseaux, hasard d'une rencontre, d'une toux, d'un regard, prolongement, implication donnée, faire de cet enfant un objet, un sacrifice...).

Or il s'agit de suspendre , de nier, de supprimer, donc, c'est-à-dire non pas détruire au sens vulgaire mais séparer, limiter rationnellement, et donc suspendre tout ce que ce oui pourrait laisser entrevoir comme linéaments possibles dans l'absolu,
-( ce que refusait de faire les stoïciens nous dit Hegel, qui
" en sont restés à leur entendement abstrait " in " Leçons sur l'histoire de la philosophie ", tome 4. La philosophie grecque. Ed vrin, pp 679, 680 et suivantes ou 467-468 )-,
mais qui ne sont pas nécessaires à cet instant T pour cette action là.
Ce qui implique que dire non à ce oui qui insiste, se pose, en effet, à un certain moment, dans un certain "rapport " comme téléologie qui peut durcir par ailleurs son non en en appelant à l'axiologie, voire même à une eschatologie, surtout si ce oui insiste ( et en ce sens l'on peut, peut-être, expliquer pourquoi Malebranche voyait " l'Idée " en Dieu : afin d'en préserver le meilleur item, au grand dam d' Arnauld qui voyait là du spinozisme...).
Cette eschatologie, sécularisée, peut être éventuellement protégée par une entéléchie donnée du Léviathan qui sous-tend la position téléologique choisie ( nous en reparlerons dans un autre essai intitulé " l'estime de soi " ); par exemple, tel cadre, tel cercle social de référence de tel ordre social au sens baechlerien ( c’est-à-dire comme angle fondamental de la condition humaine,1985 ).et dont Léviathan empêche que la force "pure", ou univoque, puisse, comme en mathématiques, en logique, dans l'absolu religieux ou dans l'apesanteur du (f)(ph)antasme, se déployer sans retenue, jusqu'à ses derniers incréments, ce qui déjà, en physique naturelle, n'est pas nécessaire nous dit Newton... encore moins en "physique" sociale...



Et pour conclure ce point sur Hegel, retenons essentiellement que dans l'utilisation par Hegel de la notion de " mort " il s'agit, en fait, d' un Hegel, surtout en1805/1807, imprégné encore de la terminologie de Novalis ( la Nuit ) nous l’avons vu, et aussi de Schiller :
( " Du calice de ce royaume des esprits écume jusqu'à lui sa propre infinité "),
formule citée par Hegel et placée par lui comme dernière phrase de la Phénoménologie...( op cit, ed Aubier, tra Hyppolite, T2, p 313 ),
Alors qu'en 1821 ( Principes de la philosophie du droit, ed Vrin, par ex p 73 ), Hegel prend définitivement ses distances avec cette terminologie même :

" (...) Certes, l'aspect de la volonté que nous venons de préciser, cette possibilité absolue de m'abstraire de toute détermination dans laquelle je me trouve ou me suis placé, la fuite devant tout contenu, comme s'il s'agissait d'une limitation, est bien ce à quoi la volonté se détermine ou la possibilité qui, pour soi, est tenue par la représentation pour la liberté elle-même.
Toutefois, ce n'est que la liberté négative ou la liberté de l'entendement. C'est la liberté du vide, qui peut prendre une figure réelle et devenir passion. Si elle reste purement théorique, elle sombre dans le fanatisme religieux de la pure contemplation propre aux Hindoux; si, par contre, elle se tourne vers l'action, que ce soit dans le domaine politique ou dans celui de la religion, elle sombre dans le fanatisme destructeur de tout ordre social existant, dans l'élimination de tout individu suspect de vouloir une certaine forme d'ordre, dans le délire d'anéantissement de toute tentative de réorganisation. Ce n'est que dans la mesure où elle détruit quelque chose, que cette volonté négative éprouve le sentiment de son existence empirique. Elle croit sans doute qu'elle veut un état positif, par exemple un état d'égalité universelle ou de vie religieuse universelle, mais, en fait, elle ne veut pas la réalité positive de ces états ; car celle-ci conduit aussitôt à l'établissement d'un ordre quelconque, qui comporte une particularisation aussi bien des institutions que des individus. Mais c'est de la destruction de cette particularisation et de cette détermination objective que la liberté négative tire la conscience de soi. C'est pourquoi, ce qu'elle croit vouloir ne peut être, pour soi, qu'une représentation abstraite et la réalisation de celle-ci que la fureur de la destruction. "
( Hegel, Principes de la philosophie du droit, ed Vrin, p 73 )

Or c 'est ce Hegel là que ne prennent jamais en compte ceux qui ( Bataille, Blanchot, Derrida, Lyotard...), à la suite de Marx, et surtout de Lénine, se servent du Hegel post-romantique ( 1805,1807, jamais 1821 ) comme légitimation de leur nihilisme nietzschéen vicariant le stoïcisme vers, un léninisme-nazisme intégré,

-(" Ce n'est que dans la mesure où elle détruit quelque chose, que cette volonté négative éprouve le sentiment de son existence empirique. " ( Hegel, op cit ),-

c'est-à-dire un " quelque chose " généralisé à toute l'espèce humaine mais duplice ou l'assomption programmatique de la " mort " réelle comme seul horizon transcendantal. Tout en se servant parfois du même passage de 1807 déjà exposé plus haut concernant le travail de séparation, de "division", effectué par l'entendement (-Préface, tr Hyppolite t1, p 29-), le travail de cette chose pensante qui n'est qu'en tant qu'elle se développe, infiniment, comme res extensa .
Pour le meilleur comme pour le pire, ce qui nécessite, pose, répétons-le encore le problème de la limite.

H

Ce nihilisme n’est pas un mysticisme

Pour ce type de nihilisme la destruction du langage, de l'éthique, de l'esthétique, du corps, du mystère également, et en définitive de tous les ordres sociaux au sens baechlerien ( 1985 ), sont donc seulement les variables intermédiaires, les moyens téléologiques pour atteindre le but, leur solution finale :
L'eschatologie de l'apocalypse, dont ils seraient les héraults. Sans autre étendard que l'énoncé de destruction qui toucherait non pas eux-mêmes mais tout ce qui n'est pas eux, posés, vivants, comme dernier lemme et donc premier, ou ce commencement infini, cet éternel recommencement d'une apocalypse, sans fin, tel le cheminement d'un vaisseau fantôme s'enfonçant positivement dans le vide interstellaire, in(dé)finiment ( l'apeiron nietzschéen ) puisque tout autour est détruit, devenir du rien.
Ce qui, là, n'a alors non seulement plus rien à voir avec une quelconque contorsion romantique comme nous l’avons déjà signalé. Mais aussi avec un quelconque mysticisme tel que par exemple l'a analysé Denis de Rougemont. Mysticisme de " l'amour " par exemple,
( in " l'Amour et l'Occident " ed 1956, ed 10/18, ) et pour lequel le désir de sombrer vise à la fusion dernière avec ce qui consume afin de retrouver dans ce " calice " sa propre " infinité " ( Hegel1807 tr Hyppolite, t2, p 313 ) alors que dans ce nihilisme négativiste dont nous parlons, l'objectif est de ne pas manquer le fait même de sombrer, du moins pour les victimes, les habitants de leur idiome, et dont la perdition leur permet de devenir, eux, les sombres, ombres, de l'au-delà :
Car il s'agit d'ordonnancer le fait de mourir non pas de cette langueur qui désespère de ne pas mourir afin de pouvoir rejoindre enfin l'objet aimé comme l'énonce la mystique de Sainte Thérèse ou de Saint Jean de la Croix, mais il s'agirait de "mourir " , c'est-à-dire de tuer toute forme d'humanité, de culpabilité, de maîtrise de soi, afin de répandre la mort , puisque ce qui compte c'est, nous l'avons vu dans les extraits, de ne pas " échouer de manquer l'échec " ( Derrida, 1967, p 389 ) ou encore de considérer que " renoncer à échouer " serait " plus grave que renoncer à réussir " ( Blanchot, L'espace littéraire, p 231 ), du moins pour les victimes puisque les bourreaux eux écrivent publient ont pignon sur rue, stars du non au nom hypostasié sacralisé.


I

Exemple de tactique de manipulation, celle des moeurs



En résumé la spécificité du nihilisme dont nous parlons consiste donc précisément officiellement de s'identifier à la mort de tout absolu, de tout universel, mais en vue officieusement, de se poser à leur place.
Car, en fait, en tant que résultat sociologique objectif, c'est l'appropriation de la position dite traditionnellement première , c'est la position divine, elle-même, qu'ils visent afin de la corrompre en posant la mort comme unique destinée, ce qui permet de justifier leur crime, présent et à venir, leur crime de l'avenir.
En s'emparant ainsi de la mort à la fois comme visée et justification, -( qu'ils peuvent même éventuellement repérer dans "la" science " ce qui incite à accélérer de peur que celle-ci les devance et donc devienne dieu à leur place...)-, ils s'accaparent de ce moment précis où la vie tue en vue de continuer son tracé, mais ce dans certaines limites, alors qu'il s'agit pour les meurtriers (du sens) de l’ homme d'hypostasier ce moment même comme seul but véritable, qui vaille la peine, qu'il s'agit de ne pas manquer.
La destruction de l'Homme, occidental au départ, puis le pouvoir même d'être un homme à l'arrivée, sera donc une étape nécessaire vers l'accomplissement de ce projet : détruire l'espèce humaine, ou du moins les élites intellectuelles, dont ils seraient alors les seuls sur vivants et pourraient servir de principe de coordination, de liaison, d'entendement donc, pour animer une humanité réduite en lambeaux, monceaux d'intensités, différentielles éparses dont ils seraient les intégrales, l'unité unique.
Le meurtre se justifierait par une dénonciation, tactique, de la civilisation urbaine et industrielle actuelle basée sur la personnalisation de la liberté d'être, de penser et d'entreprendre, et la forme réalisée, prolongée, de cet être en diverses homothéties mobiles et immobiles, ce qui est mal, pour ces meurtriers, puisque ce faisant la civilisation moderne, c'est-à-dire démocratique, détourne l'énergie humaine, l'éparpille, ou à l'inverse la concentre l'accumule au lieu de s'en servir pour détruire la vie et jouir de ce spectacle, tout en adorant ceux qui prônent ainsi le fait de donner la mort ( Bataille, Blanchot, Foucault, Deleuze, Derrida ).


Et maintenir ainsi l'énergie de l'homme sans solution, épars, flux sans forme, lacs de néant, c'est par exemple agrandir démesurément quelques fantasmes jusqu'à leur dimension irréversiblement pathologiques afin de les utiliser comme moyens tactiques de lutte politique qui permettent d' accélérer la mise en oeuvre de cette mort de l'homme, observons-le dans cet exemple permettant de cerner le concret de la destruction :

"(...) Soit l'interprétation du masochisme : quand on n'évoque pas la ridicule pulsion de mort, on prétend que le masochiste, comme tout le monde, cherche le plaisir, mais ne peut y arriver que par des douleurs et des humiliations fantasmatiques qui auraient pour fonction d'apaiser ou de conjurer une angoisse profonde. Ce n'est pas exact ; la souffrance du masochiste est le prix qu'il faut qu'il paie, non pas pour parvenir au plaisir, mais pour dénouer le pseudo-lien du désir avec le plaisir comme mesure extrinsèque. Le plaisir n'est nullement ce qui ne pourrait être atteint que par le détour de la souffrance, mais ce qui doit être retardé au maximum comme interrompant le procès continu du désir positif. C'est qu'il y a une joie immanente au désir, comme s' il se remplissait de soi-même et de ses contemplations, et qui n'implique aucun manque, aucune impossibilité, qui ne se mesure pas davantage au plaisir, puisque c'est cette joie qui distribuera les intensités de plaisir et les empêchera d'être pénétrées d'angoisse, de honte, de culpabilité. Bref, le masochiste se sert de la souffrance comme d'un moyen pour constituer un corps sans organes et dégager un plan de consistance du désir. Qu'il y ait d'autres moyens, d'autres procédés que le masochisme, et meilleurs certainement, c'est une autre question; il suffit que ce procédé convienne à certains.
(...) Soit un masochiste qui n'était pas passé par la psychanalyse : Programme...Brider la nuit et attacher les mains plus étroitement soit au mors avec la chaîne, soit à la grande ceinture dès le retour du bain. Mettre le harnais complet sans perdre de temps, la rêne et les poucettes, attacher les poucettes au harnais.
(...) Qu'est-ce qu'il fait ce masochiste? Il a l'air d'imiter le cheval, Equus Eroticus, mais ce n'est pas cela. Le cheval, et le maître-dresseur, la maîtresse, ne sont pas davantage images de mère ou de père. C'est une question complètement différente, un devenir-animal essentiel au masochisme, une question de forces. Le masochiste la présente ainsi: Axiome du dressage -détruire les forces instinctives pour les remplacer par les forces transmises. En fait, il s'agit moins d'une destruction que d'un échange et d'une circulation (...).
Le cheval est dressé : à ses forces instinctives l'homme impose des forces transmises, qui vont régler celles-ci, les sélectionner, les dominer, les surcoder. Le masochiste opère une inversion des signes : le cheval va lui transmettre ses forces transmises, pour que les forces innées du masochiste soient à leur tour domptées. (...).Résultat à obtenir : (...) il faut qu'au seul rappel de tes bottes, sans même l'avouer, j'en aie la crainte (...). Les jambes sont encore des organes, mais les bottes ne déterminent plus qu'une zone d'intensité comme une empreinte ou une zone sur un Cso. De même, ou plutôt d'une autre façon, ce serait une erreur d'interpréter l'amour courtois sous les espèces d'une loi du manque ou d'un idéal de transcendance. Le renoncement au plaisir externe, ou son retardement, son éloignement à l'infini, témoigne au contraire d'un état conquis où le désir ne manque plus de rien, se remplit de lui-même et bâtit son champ d'immanence. Le plaisir est l'affection d'une personne ou d'un sujet, c'est le seul moyen pour une personne de "s'y retrouver " dans le processus du désir qui la déborde; les plaisirs, même les plus artificiels, sont des reterritorialisations. Mais justement, est-il nécessaire de se retrouver? L'amour courtois n'aime pas le moi, pas plus qu'il n'aime l'univers entier d'un amour céleste ou religieux. (...)
( Deleuze-Guattari. Capitalisme et schizophrénie. Mille plateaux. PP 191,192,193,194. Minuit. 1980.)

Ceci implique, déjà, que pour toute personne s'appropriant ainsi le pathologique, celui-ci est d’emblée pensé comme étant de la même nature que l'état dit normal au sens d'Aristote ( entre l'excès et le défaut ). C'est-à-dire n'en diffère même plus par degrés mais par simple parallélisme différentiel :
" Qu'il y ait d'autres moyens, d'autres procédés que le masochisme, et meilleurs certainement, c'est une autre question; il suffit que ce procédé convienne à certains ".
Ou encore : " De même, ou plutôt d'une autre façon, ce serait une erreur d'interpréter l'amour courtois sous les espèces d'une loi du manque ou d'un idéal de transcendance. Le renoncement au plaisir externe, ou son retardement, son éloignement à l'infini, témoigne au contraire d'un état conquis où le désir ne manque plus de rien, se remplit de lui-même et bâtit son champ d'immanence. Le plaisir est l'affection d'une personne ou d'un sujet, c'est le seul moyen pour une personne de "s'y retrouver " dans le processus du désir qui la déborde; les plaisirs, même les plus artificiels, sont des reterritorialisations. Mais justement, est-il nécessaire de se retrouver? "

C'est-à-dire autant de "choix" équivalents et ne pouvant souffrir d'une comparaison.
Bref, et ce n'est qu'un exemple possible de légitimation, le fascisme libidinal deleuzien s'est ainsi, tactiquement, placé à l'extrême du degré de dissolution, en tant que grandeur non seulement négative, mais négativiste, c'est-à-dire comme cet instructionnisme physicaliste-naturaliste-positiviste, celui du " désir positif " ( p 192, ibid, ).
A savoir ce "désir" qui se vide du sens de son déclenchement, du sens de son choix, du sens de son plaisir, comme l'on vide un poulet, coupe une tête de choux, ou que l'on abat une bête ( et plus encore éventuellement...) tel est le but stratégique.
Et ce même pas par plaisir ou pour manger mais pour répéter, à l'infini, le fait d'abattre, de vider, de tuer, puisque c'est cette répétition même, sans frein, qui semble être l'apanage de l'acte gratuit : divin.

Car s' il s'agit de détruire jusqu'à plus soif, ceci concerne seulement autrui pas soi-même bien entendu, tel est l'amendement de Blanchot à la dérive bataillienne.

La destruction permet alors d'éviter que les victimes
soient encore liées à la constitution du sens, et donc du lien humain entre action effort succès récompense. Ce qui peut en effet engranger un souhait d'autodéveloppement politique, voire d'émancipation y compris envers ces nouveaux "seigneurs" es " radicalités "
C'est donc une chose qui est à éviter, à détruire, pour ce type de nihilisme croisant à la fois du léninisme et du nietzschéisme...
L'expérience intérieure proposée aux victimes-lecteurs sera donc de " dénouer le pseudo-lien du désir avec le plaisir comme mesure extrinsèque " ( Deleuze, op cit ). Or dénouer la relation du plaisir au désir c'est détruire le sens du plaisir, pour y viser uniquement l'aspect intensif, physiologique.
C'est-à-dire cette excitation dans laquelle le désir n'a pas en vue un prolongement psychique par un plaisir qui représenterait en effet " l'affection d'une personne ", mais celui de l'intensité, pour elle-même : " le désir ne manque plus de rien, se remplit de lui-même et bâtit son champ d'immanence " ( Deleuze, ibid ).

Du moins c'est là la première couche, le piège, l'appât, pour appâter les esthètes naïfs car ce qui est visé stratégiquement, par Deleuze-Guattari, chantres de " l'autonomie prolétarienne " dans les années 70, avec Foucault, c'est rendre impossible toute " reterritorialisation " et donc toute appropriation, tout sentiment d'accord.
C'est alors viser l'unité, elle-même, de la personne, car c'est elle qui est à détruire:

" Axiome du dressage -détruire les forces instinctives pour les remplacer par les forces transmises. ".

Et installée, déplacée ainsi la personne dissoute devient " nomade " ( p 473, 633...) de sa propre entité explosée-implosée.
Bref : " est-il nécessaire de se retrouver? "
Et cette idée fait alors office de modèle pour nombres de " nomades ".
Et que dit-elle cette idée? Elle énonce tout simplement que le soi n'a au fond qu'une identité sérielle.
C'est-à-dire est en fait composée d'autant de personnalités qu'il existe d'interaction entre x unités de temps et x éléments organiques , psychiques.
Ce qui implique que ce n'est pas moi qui frappe, coud ( p 187...), ( et dans ce cas tue, viole...) mais ce moi à cet instant T' et dans cette autre façon, cette différentielle, qui n'est déjà plus celui-ci à T '' mais lui", elle, eux, ils, le capitalisme... .
C'est que la synthèse opérée par le soi est perçue par ce type de nihilisme issue en priorité du léninisme non pas comme effectué dans l'entendement , mais, et suivant là la théorie marxiste du reflet, seulement imposé, transmise par le " dehors " c'est-à-dire " l'ordre établi " ou " ne suscitez pas un Général en vous " ( p 36, idem ) etc....

Ainsi :

" Est-ce si triste et dangereux de ne plus supporter les yeux pour voir, les poumons pour respirer, la bouche pour avaler, la langue pour parler, le cerveau pour penser, l'anus et le larynx, la tête et les jambes? Pourquoi ne pas marcher sur la tête, chanter avec les sinus, voir avec la peau, respirer avec le ventre, Chose simple, Entité, Corps plein, Voyage immobile, Anorexie, Vision cutanée, Yoga, Krishna, Love, Expérimentation. Là où la psychanalyse dit : Arrêtez, retrouvez votre moi, il faudrait dire : Allons encore plus loin, nous n'avons pas encore trouvé notre CsO, pas assez défait notre moi. " ( p 187, ibid ).

Il s'agira alors de vivre cette diffusion comme celle d' une " (...) joie qui distribuera les intensités de plaisir et les empêchera d'être pénétrées d'angoisse, de honte, de culpabilité ".

C'est-à-dire qui produira la légitimation d’ un lâche soulagement, celui de l'abandon de soi à plus fort que soi, puisqu'il peut " transmettre " sa propre intensité que l'on pourra alors adorer non pas comme prolongement de soi,

(...).Résultat à obtenir : (...) il faut qu'au seul rappel de tes bottes, sans même l'avouer, j'en aie la crainte (...). Les jambes sont encore des organes, mais les bottes ne déterminent plus qu'une zone d'intensité comme une empreinte ou une zone sur un Cso. "

mais moyen permettant de se dissoudre plus encore, " au seul rappel de tes bottes "...
Ce qui est là, typiquement, au symbole ( guerrier ) près ( les bottes ) l'économie même du fascisme.
Car l'on ne voit pas au nom de quoi ce processus resterait bien sagement dans son angle plastico-morbide et n'entrerait pas en équivalence générale avec le reste, c'est-à-dire avec ce qui est transmis en même temps par le coup, à savoir une manière d'être dans le monde, de décider, de commander ( et donc d’aller hanter les Châteaux des maîtres en se vendant comme esthètes, esclaves : objets divers ).
Bref, pourquoi ne pas devenir aussi fasciste, ( surtout si l’on est déjà léniniste...) tout en l'avouant bien entendu en silence, tout en commençant déjà à parler, à voir fasciste, par exemple en tant que soumis, esclave sexuel.
C’est-à-dire commencer à s'adresser à des bottes, puis à faire en sorte de peu à peu " détruire les forces instinctives pour les remplacer par les forces transmises. ", ce qui, alors, rend de plus en plus illusoire le fait de se retrouver lorsqu’il s’agira de combat politiquement ces bottes que l’on désire tant psychophysiologiquement.


J

Tactique de maquillage politique


Seulement l’on fera croire le contraire.
Car désirer des bottes qui ne seraient pas de gauche n'est, politiquement, pas correct, mais pas du tout.
C'est que la duplicité, la conservation, politicienne, de soi ne le permet pas en réalité.
Il s'agit en effet tactiquement de se suspendre, officiellement, aux guêtres éventuellement gauchistes, du léninisme classique, en respectant la dichotomie politicienne entre gauche et droite.
Ce qui fait que politiquement l'on sera de gauche, l'on acceptera même des bottes de gauche d’ailleurs, ce qui permet de faire une pierre deux coups tout en saupoudrant le tout avec moultes critiques dénonçant le " culte de la personnalité " .
Mais " libidinalement" dans le secret des moeurs, l'on sera en réalité de plus en plus d'extrême droite, tout en hurlant le contraire, puisque, là, et déjà plastiquement, érotiquement, l’éloge de la puissance, de la force, peut sinon se dévoiler telle quelle, du moins mieux se légitimer, surtout depuis les années 60 et toute la fameuse " libération " totale des " désirs ".

Et plus l'on chargera plastico-éro-morbidement la barque, plus on se déchargera frénétiquement, à l'instar d'un pylône effondré sur la route, tout en tentant cependant de crier au loup.
Par exemple en nommant (son propre visage pourtant, comme dans le portrait de Dorian Gray ) du nom " d'extrême droite " non seulement le fascisme-nazi classique, ce qui est facile, et est tactiquement excellent, mais surtout de nommer " fasciste ", et " réactionnaire ", tout ce qui réagit, normalement, à cette destruction programmatique : intentionnelle.

Il s'agira alors d' hurler contre " l'ordre moral " etc, mais ce tout en jouissant, en secret, de la force qui " transmet ", qui suscite la " crainte ", qui crée cette " zone d'intensité comme une empreinte " ( Deleuze, op cit ) bref qui se transforme en cette "joie" qui " distribuera les intensités de plaisir et les empêchera d'être pénétrées d'angoisse, de honte, de culpabilité ".
Bref, tout un comportement (micro)politique se posant à la fois comme antinomie radicale, "anomalie", anti-démocratie, et à la fois comme préméditation, programmatique, de la mise à mort de tout ce qui n'est pas en fin de compte" fort " .
Il s'agira donc de vivre, intensément, la "force" tout en disant le contraire bien entendu et tout en tachant d'effacer , " d'empêcher ", ce qui pourrait la limiter, lui donner un visage.


Tous ces auteurs prônent donc, soit en sourdine, en bruit de fond, comme nous l'avons vu ( et le verrons un peu plus loin dans quelques détails de leur infrastructure théorique ), soit en clair, et de façon provocante ( surtout Bataille et Deleuze) la mort de l’homme, et donc de l’individu, ce suppôt de l’ordre.
Du moins est-ce là la litanie, officielle, de ce “bien” politiquement correct. Et ce propos n’est même pas un effet de manche.
Ainsi par exemple pour Foucault le livre de Deleuze "l’anti-oedipe" , bible par excellence de la destruction nihiliste du moi réduit donc à un amas conjoncturel et conjecturel de polarisation d’intensités comme nous l'avons entre-aperçu plus haut, est considéré par Foucault comme un livre d’éthique, le
“ seul livre d’éthique écrit depuis longtemps" ( préface à l'édition américaine de "l'Anti-Oedipe" de Deleuze-Guattari : Anti-Oedipus : Capitalism and Schizophrenia, New York, Viking Press, 1977 , également p 134 et suivantes de " Dits et écrits " année 1977 ).

Et d'ailleurs Libération , à la recherche d’une "énergie" théorique substitutive à celle de Sartre, va même jusqu'à décorer Deleuze, à sa mort, officielle, de " penseur du siècle " ( Derrida et Bourdieu ont dû sauter au plafond ).
Nous verrons à cet effet plus loin qu’existe effectivement un lien théorique entre Sartre et Deleuze sans parler de Foucault et qui tourne principalement autour d’une même fascination-fétichisation envers la force du champ social incarnée par autrui, qu’il s’agisse de son regard qui surprend chez Sartre ou qui ordonne chez Deleuze.
Autrui étant non pas perçu comme celui qui révèle mais qui structure. Ce qui est là une confusion entre le fait de comprendre la loi par un acte volontaire d’obéissance ( Baechler 1978 ) et le fait d’attendre que cela soit autrui incarnant le Léviathian qui ramène à l’ordre.
Or c’est cela même que cherchent ces diverses variantes, l’avènement d’un ordre qui suspendra définitivement leur infinité inutile...







Seconde partie






Analyse auteur par auteur


K

Introduction à leur dissection


Ce qui caractérise et rassemble ces divers auteurs c’est qu’il s’agit donc non plus de se réclamer d’un tiers, voire le représenter-dans tous les sens du terme- ce qui est périmé depuis que la révolution, après Dieu, est morte, mais, en fait, d’être-de façon voilé- ce tiers même.
Et ce au moment même où l’on nie pourtant cette perspective....
Seulement ce tour de passe passe est celui très classique des idéologues et des illuminés qui arrivent mal à masquer qu’en hurlant “ il n’y a pas de vérité “ ils se désignent d’office en lieu et place de cette vérité même.

Il s’agira donc d’une part non pas seulement d’en appeler à la révolution permanente ( Blanchot ), à la négation pour elle-même ( Bataille ), la folie ( Foucault ), la mort ( le dernier Derrida), mais de tenter de faire croire, comme dans les sectes religieuses, que l’on incarne la chose,elle-même. Par exemple la folie, la mort, que c’est elle qui parle, et qu’ils en sont seulement les instruments.
Ce qui n’est pas une mince affaire ( et on le voit ce n’est pas la modestie qui les étouffe ) puisqu’il s’agit en même temps de se préserver, de prouver sa capacité à rester dieu, mais sans le dire.
Car, d’autre part, il s’agit d’effacer les traces de leur propre “ moi “ en insistant sur leur fonction de simple transmetteur et dont la mise sous tension peut être exigé non plus par eux mais par les adeptes et autres victimes volontaires qui en appellent à la visibilité du dieu :
“ Si vous ne me tuez pas vous êtes un meurtrier “. ( Derrida citant travaillant sur du Blanchot in Parages 1986, voir plus loin ).

Ainsi officiellement le problème n’est donc pas pour ces gens, et comme le croyait Marx, de dominer le rapport de force, de dominer le bâton du pouvoir en vue d’approfondir la révolution sociale amorcée depuis le moment bourgeois.
Le problème est de détruire, dans l’oeuf, toute force possible, tout “ bâton “ précise Foucault, (et c’est en ce sens là que ces divers auteurs tournent le dos à Marx ) ; de disperser toute accumulation ( Bataille ). Afin d’éviter que quelque chose comme la domination, le pouvoir ( Deleuze, Derrida ), puisse exister puisque ceux-ci sont à la base de la mise à la raison du monde, celle en fait de l’Etat de droit aujourd’hui en extension, inégale, et complexe.
Seulement comme la force est là, physiquement, en chacun, il s’agira de la dilapider, de la réduire, la miniaturiser, la détruire.
L’érotisme sera par exemple sale et violeur. C’est un outil politique, et donc un instrument de destruction lié au sadomasochisme à l’urologie scatologie, zoophilie, nécrophagie, pédophilie, tout ce qu’autrefois, l’on nommait les “perversions”.
C’est d’ailleurs en ce sens qu’il faut voir l’hostilité de Foucault et Deleuze envers la psychanalyse.
Tandis que Derrida tentera de se servir de la faille de Freud voyant en le ça une force mécanique automatique enfermée par un moi-sur moi alors qu'il s'agit de le libérer, telle une précipitation chimique pour Derrida et Deleuze.
C’est-à-dire disperser, empêcher la concentration.
Afin que le moment surhomme, celui qui vit sur ses pulsions et elles seules ( l’instinct vital, originaire, dira le nietszchéisme vulgaire version nazi ) soit dépassé par le moment “survie”, celui du dernier homme ( du dernier Nietzsche ) :
là où la force se force, précisément, à toujours rester à l’état de flux et jamais ne se concentre comme concept final, raison dernière, mais juste comme idée de l’idée, répétition, sans fin, d’un même pas, un seul no(n)m : dialectique infinie d’un dieu... réel.
Car, pour ce qui nous concerne ici, observons qu’ il faut bien quelques forces pour détruire ainsi la force...
Ce qui implique que par un tour de force invraisemblable ceux-là même qui prônent la mort de tout pouvoir, de tout point d’appui, référence, apriori, se sont, en fait, propulsés en lieu et place de ce qu’ils détruisent.

Quand bien même clament-ils le contraire. Puisque, par un effet de remplissement objectif, qui n’est pas sans rappeler le fait que la nature ait horreur du vide, ces critiques les plus critiques, y compris de l’idée même de critique, deviennent en même temps le fondement même, et par là le nouveau pouvoir, à savoir le principe premier sur lequel viennent socialement, politiquement, s’appuyer ceux qui, pour diverses raisons, cherchent, ont intérêt, àdéraisonner.