Prospectives heuristiques


L’évaluation critique de l’action




I. Comment évaluer ?


Définir un étalon de mesure à la fois suffisamment général, tout en étant adapté au terrain observé, signifie d’être en mesure de définir des critères objectifs sur lesquels ensuite peuvent se référencer les critères singuliers de chaque entreprise, chaque institution.
Cet étalon de mesure croise des données tombant sous le sens et des données expérimentales validées par les divers domaines de la psychologie du développement, de la motivation, de la conduite, en passant par la sociologie de l’action et l’histoire de la microéconomie.
Il s’agit tout d’abord de définir ce qui peut être entendu par « étalon de mesure général» qui croise l’évidence et l’expérience.

Quatre fonctions en composent la structure, sous-tendues par deux vecteurs à la segmentarité croissante (positif/renforcement) et décroissante (négative/restrictive) :

-
La fonction de conservation : il faut la percevoir comme un ensemble de variables telles que la persistance d’une trajectoire, (self consistency), la notion de motivation (ego involvement) d’autant plus accentuée lorsque le sentiment d’être la cause d’une action réussie suscite du plaisir (causality pleasure).
-
L’orientation positive/renforcée se dirige en moyenne vers un maximum qui sait délimiter un possible : le moyen et long terme dominent alors le court terme ; elle sait aussi ménager des ouvertures en vue de modifications multiformes permanentes.
-
L’orientation négative/restrictive vise essentiellement à se maintenir envers et contre tout, refusant toute ouverture : seul le court terme des rapports de force compte.

-
La fonction d’affinement : elle tire le maximum de la conservation positive vers son optimum. Et plus un optimum est atteint plus le plaisir d’être cause accentue l’implication et la confiance entre soi et l’entreprise.
- L’orientation positive/renforcée délimite le mieux qui soit l’optimum du possible en faisant en sorte que l’ensemble des acteurs soit réellement partie prenante.
- L’orientation négative/restrictive tourne l’optimum et ses récompenses uniquement vers les détenteurs de pouvoir, de capital, en oubliant/négligeant les demandes symboliques et matérielles des détenteurs du travail et/ou les acteurs engagés dans les rouages ; ce qui unilatéralise la perception du réel et peut fissurer la confiance.

-
La fonction de dispersion : elle conjugue flux tendu et aménagement de la performativité d’une part, diversité d’acquisition et modulation des rythmes d’approche suivant la nature de la demande (par exemple institutionnelle) d’autre part.

-L’orientation positive/renforcée consiste à faire en sorte que la confiance soit supportée et alimentée par des aménagements judicieux en terme de politique industrielle et d’organisation de l’activité, y compris sous les angles de la formation, et des possibilités offertes par le Comité d’entreprise ou d'Administration.

- L’orientation négative/restrictive disperse sans cohérence l’investissement et l’action dans des effets à court terme ou de prestige qui gonflent artificiellement le chiffre d’affaires ou creusent le déficit public au détriment du financement de programmes sociaux en direction des plus défavorisés.

-
La fonction de dissolution tend à suspendre des activités, arrêter des décisions.
- L’orientation positive/renforcée suspend le flux des analyses et prend ses responsabilités en temps et en heure.
- L’orientation négative/restrictive s’effectue dans l’urgence et l’improvisation, elle désorganise à terme la cohérence de l’ensemble.

Ces quatre fonctions sont à la fois spécifiques, corrélées de manière cohérente, et conflictuelles entre-elles, tout en pouvant « cohabiter » contradictoirement, du moins sur une période donnée. Ainsi il est possible d’être en affinement positif/renforcé, ici, (actifs, soutien au développement), en dissolution négative/restrictive, là, (dettes). Dans ce cas il faut intégrer deux autres critères : absolu/relatif pour observer par exemple si l’affinement positif l’est absolument partout.

Ces quatre fonctions et leurs orientations positives/négatives, absolues/relatives, forment l’étalon de mesure général qui permet d’évaluer l’allure et le rythme de l’action. Ensuite celle-ci peut y calibrer ses propres critères, même si elle ne pense pas pouvoir en respecter les recommandations générales.

Dans ces conditions le paradoxe de l’écart conflictuel (discrepancy) consiste à savoir ce qu’il faudrait faire pour se développer durablement et, pourtant, avoir en main la possibilité de ne pas l’effectuer en connaissance de cause.
Car il ne faut pas oublier que l’étalon mesure une situation générale ; c’est donc un objet abstrait-formel croisant certes l’évidence à l’expérience mais laissant libre choix aux acteurs d’en décider et d’en accepter les conséquences.

II. Accompagner au mieux les décideurs de l’action.

Lorque les décideurs sont conscients du paradoxe précédent, il s’agit de faire en sorte qu’ils se le rappellent; le mieux pour eux consiste à confier l’évaluation de leur trajectoire singulière à une instance externe qui cependant ne se contente pas de faire un audit comptable mais également stratégique, social, sociétal, aux items à la fois qualitatifs et quantitatifs.

Le conseil pensé de la sorte peut être ainsi en mesure de proposer des rectifications ou des basculements, y compris dans les aspects négatifs s’il y a lieu : tout dépend du degré d’écart toléré (discrepancy) entre l’étalon de mesure général et les critères singuliers qui recouvrent les motivation en propre des acteurs considérés.

III. Cerner la progression des nouvelles prises d’attitudes.

Lorsqu’il s’agit d’ évaluer objectivement l’action selon le double rapport de l’étalon de mesure et les critères locaux qui en accentuent ou en freinent en quelque sorte la réalisation, il est aisé d’en concevoir également la progressivité en l’appliquant à chaque trajectoire considéré.
Ainsi si une entreprise, une institution, est incitée à fonctionner en affinement positif, elle y conformera ses propres critères et de telle sorte que les acteurs, mis au préalable au courant, seront évalués en conséquence : c’est-à-dire selon que leur action traduise ou non la fonction choisie qui peut se décliner en un certain nombre de gestes et d’attitudes clés à la progressivité mesurable.

Mais celle-ci peut être cependant traversée par le paradoxe désigné ci-dessus : l’écart conflictuel (discrepancy) entre une mesure objective à caractère universel et des critères à caractère local qui découlent beaucoup plus d’un choix d’orientation, lié par ailleurs à l’histoire donnée des rapports de forces, que de contraintes singulières objectives.
Dans ces conditions la progressivité serait mesurée en fonction de critères locaux dominants, et à leur histoire, sans tenir compte des résultats effectués lors de l’application de l’étalon de mesure.

A l’inverse, il se peut que certains des acteurs, mais aussi d’autres décideurs innovateurs, prennent principalement en compte l’étalon de mesure pour défendre plus efficacement leurs intérêts et/ou leurs prospectives contre les critères dominants qui leur seraient opposés.
Bien sûr il se peut que l’accroissement de l’écart conflictuel entre étalon de mesure et critères particuliers dominants puisse être suffisamment justifié.
Sauf que même dans ce cas l’on n’échappe pas plus à l’évaluation selon les quatre critères universaux de l’étalon de mesure puisque selon que, par exemple, telle direction ou syndicat accepte ou non les décisions d’application de celui-ci, l’équilibre des forces en présence s’évaluera également en fonction des aspects positifs/négatifs, de renforcement/restriction, en absolu/relatif, de la conservation, de l’affinement, de la dispersion et de la dissolution.

Par exemple l’accentuation ou la réduction de l’écart entre les décisions découlant de l’étalon de mesure et les critères à caractère local varieront selon l’importance accordée au contenu d’évaluation propre à ces quatre critères.

Ainsi lorsque des revendications exposées ou des performances demandées pousseraient l’institution ou l'entreprise vers l’affinement positif il n’y aura pas d’écart, du moins si les acteurs sont également orientés dans cette fonction.

Si maintenant ces demandes découlent d’une conservation positive un délai peut être demandé car elles ne prennent pas en compte l’ensemble des intérêts existant dans l’institution ainsi que les conditions dans lesquelles se trouve celle-ci.

S’agissant de la dispersion positive ces diverses demandes seraient évaluées selon qu’elles renforcent les ajustements et l’organisation de l’institution. Concernant la dissolution positive elles pourront être estimées en fonction de leur capacité à accroître la fluidité de décision entre les acteurs.

Par contre si l’aspect négatif des quatre critères est plutôt dominant, il est vraisemblable que les demandes de revendications et d’innovation seront mutuellement écartées et que seuls les critères à caractère local liés à une histoire donnée de rapports de forces primeront.

L’évaluation de la progressivité d’une performativité variera donc en fonction de l’intérêt respectif concédé à l’étalon de mesure et aux critères à caractère local.

En conclusion l’importance méthodologique d’une telle approche universelle d’évaluation se vérifie par le fait qu’elle cherche à optimiser objectivement l’effectuation de l’action dans ses dimensions internes et externes et qu’elle l’effectue pour tout acteur en faisant la demande.

Voir également 'Estimum":

Ou comment optimiser le développement : Nouvelle méthode d'évaluation articulant diagnostic et probabilité des risques

Trois références :


Joseph Nuttin, Théorie de la motivation humaine, PUF, à propos de la notion de plaisir de causalité et la détermination du concept de motivation comme dynamique de l'auto-développement.

Maurice Reuchlin, les différences individuelles dans le développement conatif de l’enfant, Paris, Puf, 199O, à propos de la notion de "conation" (de tendance, de préférence idiosyncrasique), il se sent très proche de Nuttin.

Raymond Boudon, L'axiomatique de l'inégalité des chances, L'Harmattan, 2000, (j'en parle dans l'article "La sociologie ne se limite pas aux variables sociodémographiques"), pour l'idée d'un tutorat qui permette d'accompagner l'élève en situation d'échec plutôt que de dire seulement que "tout se passe dans les familles" et qu'il faut donc simplifier les programmes.

Boudon montre, chiffres à l'appui, que des expériences en Suisse indiquent que les situations d'échecs sont moindres lorsque le soutien par bourse et tutorat, existe.

En fait si l'évaluation apparaît comme un couperet, cela ne motive pas en effet, mais s'il s'agit de l'aboutissement d'un processus dans lequel l'individu est accompagné en tenant compte de sa singularité, de sa part d'initiative, de l'écoute qu'il peut avoir, alors il peut accepter l'évaluation comme une sorte d'épreuve finale, comme le permis de conduire par exemple, dans laquelle le moniteur l'accompagne par sa présence, l'encourage, etc.

En ce qui concerne les sur-diplômés il faut par exemple une autre motivation comme celle du prestige, l'image de soi, etc...

* *

*