La rationali

La rationalité ou principe oligomorphe

Au-delà du relativisme et du scientisme

(Vous pouvez aussi choisir de lire la même version sur le site de la revue Dogma)

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oligomorpheLa

Au-delà du relativisme et du scientisme

Conférence donnée le 1er Octobre 2003 à la Maison d'Auguste Comte.

La rationalité oligomorphe se veut dans son principe une méthode scientifique de construction et, en même temps, d’évaluation, de toute action. Il s’agit de dégager un nombre donné (oligos) d’éléments dont la mise en forme (morphê) au sein de chaque action indique à la fois sa réalisation et permet son évaluation.

Cette méthode est tout d’abord dite rationnelle parce qu’il s’agit de considérer que toute action a du sens. Elle est ensuite dite scientifique parce qu’elle tend à circonscrire en son sein un universel constitutif.

Nous étudierons tout d’abord la nature de ces éléments oligomorphes, au nombre de 10, mais uniquement dans le domaine vivant humain, puis nous justifierons la nécessité de les prendre en compte en montrant qu’ils ne se contentent ni de dégager des généralités sur l’action, ni de la réduire à leur combinaison.

1. Préliminaire

Commençons par énoncer ces éléments.
Ils sont au nombre de 10 regroupés dans trois ensembles distincts mais non séparés puisqu’ils interagissent en permanence.

Nous donnerons les définitions générales dans un premier temps, puis celles qui concernent le domaine vivant humain, et sur lesquelles nous travaillerons ici exclusivement.

Prévenons que ce qui compte ici consiste bien moins à s’arc-bouter, à tout prix, sur la formulation qu’à dégager un nombre donné d’éléments nécessaires.

*

1.1. Dénombrement

Soit trois ensembles distincts, mais non séparés, de l’être en général: déploiement, développement, organisation.

-
Le premier ensemble regroupe les principes ou finalités du déploiement de l’être, soit (au moins) trois éléments tels qu’une singularité, une capacité à agir, une pérennité.

- Le second ensemble indique ce qui permet à un tel déploiement de (se) développer. C’est-à-dire de perdurer et aussi de croître. Ce qui nécessite, en même temps, d’en évaluer le résultat car aucun effort n’est fait en vain (même s’il est voulu tel). Soit quatre éléments qui permettent une conservation de l’être, un affinement du résultat atteint, une dispersion ou distribution multiforme dans l’espace, une dissolution de ce qui ne sied pas. Ils oscillent dans deux directions: l’une renforce, l’autre amenuise.

- Le troisième ensemble organise ce qu’il faut pour ainsi déployer et développer, soit trois éléments qui délimitent des finalités, des moyens pour les réaliser, des formes qui en sont l’aboutissement, et qui cherchent leur intégration dans un environnement donné.

*


Voyons ces trois ensembles un par un et en général pour le moment afin de bien en percevoir l’unicité et, en même temps, sa diversité lorsqu’elle se phénoménalise ou apparaît.

*

1.2
Premier ensemble : le déploiement de l’être

1.2.1
Le sens général

Le premier ensemble regroupe trois éléments de base nécessaire à l’être, qu’il soit du domaine minéral, végétal, animal, humain : une spécificité d’existence, une capacité d’action, une consistance pérenne. Pourquoi ? Parce que l’être de tous les domaines cités n’est être qu’en tant qu’il déploie au moins ces trois éléments :

-
La spécificité d’existence implique par exemple une combinaison singulière de caractères, telle celle des genres, des espèces puis de chacun de leurs membres.
-
La capacité d’action intègre une possibilité d’intelligence, c’est-à-dire de mise en relation, limitée au niveau minéral, mais non quelconque au niveau végétal, et ainsi de suite par ordre croissant pour l’animal et l’humain.
-
La consistance pérenne traverse les quatre domaines de l’être, et détient une compacité évolutive s’étendant à des milliards d’années pour l’univers à quelques nanosecondes pour les particules.

*

1.2.2
Le sens singulier

Il s’agit de l’observer dans chaque domaine. Nous aborderons uniquement ici le domaine humain, (voir en 2).

1.3
Second ensemble: le développement de l’être.

1.3.1
Le sens général

Lorsque l’être déploie sa spécificité d’existence, sa capacité d’action, sa consistance pérenne, il le fait par le biais de quatre éléments qui seront appelés modulations du développement.

Pourquoi ? Parce que l’observation et l’analyse montrent que telle émergence de l’être à tel moment s’effectue sous un certain aspect qui indique en même temps un résultat. Plus précisément, celui-ci informe, d’une part, que l’être se déploie dans le cadre d’une certaine modulation, et, d’autre part, qu’il se développe dans le sens du renforcement ou de l’amenuisement, (de la néguentropie ou de l’entropie, de la régénération ou de la corruption).

Il est possible de repérer quatre modulations qui permettent ce double processus de détermination du déploiement et de son évaluation:

- La conservation,
- L’affinement,
- La dispersion,
- La dissolution.

Observons-les une par une, toujours en général, nous les verrons ensuite dans le cas particulier du domaine humain.

Conservation.

Nous avons vu que lorsque l’être, en général, se déploie, trois éléments sont indispensables : la spécificité d’existence, la capacité d’action, la consistance pérenne.
Or ces trois données doivent elles-mêmes se maintenir en état pour atteindre leur nature : elles doivent donc se conserver. C’est-à-dire d’être en mesure de se reproduire en l’état. Tout en étant capables de (se)modifier en fonction. Ce qui implique que la conservation peut osciller entre renforcement et amenuisement selon que l’être en position de conservation soit à même de s’ouvrir tout en restant en mesure de maîtriser au maximum le processus évolutif et/ou mutationnel.

Affinement.

Lorsque l’être se trouve en mesure de maîtriser la conservation en se déployant de mieux en mieux et en s’ouvrant aux changements, nous appellerons cette capacité l’affinement. Celle-ci peut également osciller entre renforcement et amenuisement.
Dans le premier terme, l’affinement accentue le maximum en optimum pensé non pas nécessairement en terme d’économie des moyens, mais de meilleure organisation de l’action.
C’est évident ou en tout cas plus probant dans le domaine humain. Cela se voit aussi cependant dans le domaine du vivant, par exemple lorsqu’une plante, un animal, se modifie sur plusieurs générations sans pour autant atrophier l’un de ses organes alors qu’en position de conservation y compris renforcée, il serait susceptible de le faire.
Par contre, dans le domaine de la matière, il ne semble pas que ce passage de la conservation vers l’affinement soit perceptible autrement que par réaction mécanique, l’affinement étant alors un résultat agrégatif qui renforce, en ce sens qu’elle place accidentellement l’objet dans une meilleure continuité.

Ainsi un tremblement de terre peut induire des modifications de territoire qui laissent émerger des fonds marins, augmente l’assise d’une chaîne montagneuse… Remarquons aussi que ce genre d’effets réactifs peut avoir des retombées positives évidentes dans les domaines vivants et humains.
Dans le second terme, celui de l’amenuisement, l’affinement peut signifier un excès de sophistication, par exemple une prolifération d’organes peut nuire à l’homéostasie d’ensemble.

Dispersion.

Au sens général, cela signifie par exemple qu’un point possède plusieurs sous-ensembles, faces ou aspects (ou l’un/être parménidien). Le renforcement implique qu’une telle multiplicité peut accentuer l’assise, si et seulement si cependant elle n’amenuise pas la cohérence de l’ensemble.

Dissolution.

Ce terme ne doit pas être restreint au sens logique d’un être qui serait identique au néant parce qu’il ne serait pas déterminable en soi. Car ceci est faux.

L’être, y compris logiquement, se distingue du néant par le fait ontologique de pouvoir se singulariser comme construction, ce que ne peut accomplir le néant, y compris dans l’idée. Dans ces conditions, la logique ne se sépare pas de l’ontologie, même si elle s’en distingue; ce qui implique que l’être va certes utiliser la logique en vue de (se) délimiter par rapport à tous les possibles; ce qui implique de dissoudre en quelque sorte les autres possibles par le fait d’en choisir un, et de dissoudre tout ce qui empêche d’y arriver.

Mais cela ne va pas être fait de n’importe quelle façon, surtout dans le domaine humain, puisqu’il s’agit d’agir ontologiquement dans le cadre du couple renforcement/amenuisement.
Le renforcement impliquera ainsi de (se) délimiter en vue de ce qui accroît le déploiement. Ce qui semble probant dans le domaine humain, mais aussi dans le vivant. Par exemple un lion ne tuera que lorsqu’il aura faim; ce qui n’est cependant pas le cas d’un tigre, encore moins de l’humain d’ailleurs….

Ceci reste cependant peu visible dans la matière inanimée, du moins à notre connaissance. Sauf à y inclure le système des réactions en chaîne qui font que, dans certains cas, la perte ou dissolution accidentelle (agrégative) d’un élément rend l’ensemble plus stable, plus pérenne.

Par contre l’amenuisement impliquera le fait qu’un être soit rendue plus instable, (une combinaison chimique plus explosive), et ne puisse n’exister que par la néantisation posée, de fait, comme perspective de l’être. C’est par exemple une combinaison génétique au turn-over accidenté rendant l’animal plus agressif, une épidémie de rage, ou l’agrégation hétérogène de matières qui donne un orage, une tempête.

*

1.4
Troisième ensemble: L’organisation de l’être

1.4.1
Le sens général

Pour déployer l’être et pour qu’il (se) développe, c’est-à-dire perdure et puisse (faire) croître, nous avons vu qu’il fallait que certains éléments comme la spécificité d’existence, la capacité d’action, la pérennité, puissent se conserver, voire s’affiner, tout en étant divers dans les angles de saisie et dans l’effort, tout en dissolvant ce qui n’est pas intégrable, et, enfin, tout en oscillant vers le renforcement ou l’amenuisement.

L’ensemble permet alors d’indiquer dans chaque modulation un résultat. Comment? En repérant trois éléments ou matrices d’action: la finalité, les moyens de la réaliser, la forme atteinte qu’il s’agit d’intégrer dans un environnement donné, bref, les trois éléments restants des dix présentés ici : une fin, un moyen, un résultat. Voyons-les, un par un.

La fin

L’effort d’être, qu’il soit programmé ou non, nécessite une finalité, celle de se déployer et de l’effectuer par le développement. Cette finalité diffère cependant selon les domaines et elle ne se présente pas sous la même forme en leur sein. Il n’en reste pas moins qu’elle existe comme but, quand bien même celui-ci n’apparaisse pas comme tel au sein de chaque élément y concourant comme le voulait le finalisme.

Mais le tout reste cependant distinct de la somme des parties en ce sens qu’il n’y est pas réduit. De même, chaque élément n’en est pas la seule émanation. La finalité signifiant dans ce cas que l’élément de l’être s’inscrit, finalement, dans une dynamique qui l’intègre en vue de quelque chose. C’est ce en vue de qui importe ici, c’est-à-dire au niveau général de l’appréhension de la fin comme commencement.

Le moyen

La fin c’est la direction, mais avec quel substrat? C’est là l’effort de l’être que d’être aussi le moyen de sa fin. Et il ne s’agit pas ici d’établir une distinction entre les domaines, par exemple entre les différentes sortes d’être, puisque autant une idée, qu’une particule, voire un vœu, a besoin pour finaliser son existence d’un moyen plus ou moins actif, ne serait-ce que le fait seul d’apparaître.

La forme

Lorsque la fin s’accomplit par le biais d’un moyen, elle apparaît sous une forme donnée. Ce dernier terme est important. Parce qu’il signifie que si la fin peut apparaître identiquement, elle peut aussi surgir autrement.Par exemple parce que, trivialement dit, les conditions changent. Ce qui joue également sur le moyen ou substrat nécessaire pour apparaître.

Dans cette perspective, il faut observer que la forme atteinte est un résultat qui permet à la fois d’évaluer comment la fin se déploie et se développe, et à la fois comment les moyens œuvrent à chaque fois en ce sens.

*

2.
Le domaine humain.


2.1 Introduction

L
e déploiement en général de l’être, voire l’être lui-même, implique, nous l’avons supputé plus haut, une spécificité d’existence, une capacité d’action, une consistance pérenne.
Il semble bien que dans le domaine humain cela se traduise, respectivement, en liberté de pensée, en liberté d’entreprendre, en respect de soi et d’autrui.

Pourquoi ? Parce que, d’une part, l’observation montre que cette traduction est un moyen indispensable pour que la finalité du déploiement développe une forme adéquate à son être. En effet, comment concevoir une spécificité d’existence si elle ne peut pas s’affirmer en tant que telle ? Ce qui implique la possibilité non seulement de penser mais de réaliser.
Il va alors de soi, dans ces conditions, que la pérennité s’accomplit lorsque le déploiement se développe en respectant l’être non seulement en son propre sein mais aussi en celui d’autrui. Parce que c’est en interagissant avec lui que le développement et, par là, le déploiement comme fin est atteint.
D’autre part, une analyse synthétisant un ensemble de travaux divers montre également que la spécificité d’existence se manifeste par une manière singulière d’être. Ce qui inclut la pensée; tandis que la capacité d’action s’inscrit dans une liberté d’entreprendre; surtout lorsqu’il s’agit de respecter en son sein et en autrui, ces diverses finalités.

Nous pouvons subdiviser le déploiement du domaine humain en trois territoires ou dimension spécifiques :

L’individuel (A).
L’institutionnel (B).
L’acte d’entreprendre (C).

Nous insisterons essentiellement sur le premier territoire en y appliquant ces trois ensembles généraux (ou ontologiques) de l’être: le déploiement, le développement et l’organisation.

*


A. L’individuel

A1. Le déploiement

A1.1. Le moi-je

Si l’être vivant humain est en mesure de déployer sa spécificité d’existence, sa capacité d’action, sa pérennité, comme liberté de penser et d’entreprendre tout en respectant soi-même et autrui, il l’effectue par une partie singulière à la fois donnée et façonnée par l’interaction avec un milieu donné que nous nommerons le moi.

Ce moi articule des orientations dynamiques innées (Nuttin, 1980) conativement structurées, (Reuchlin, 1990). C'est-à-dire des préférences ou tendances singulières qui montrent que leur façonnement (ou encartage pour employer un terme que Damasio affectionne, 2003), met plutôt l’accent sur telle façon native de (se) saisir du réel, renforcée ou amenuisée par tel milieu et par une organisation donnée de l’être.

Le moi articule également des réactions organiques et sensibles, et devient je lorsque des jugements subjectifs viennent interpréter ces réactions et ensuite se transformer en attitudes.
C’est là le rôle spécifique du cognitif en tant que tel, ce que nous nommerons ici la conscience (d’être), c’est-à-dire le je.

Il est cette instance, cette pointe immergée du moi, qui, en constituant les jugements, permet au soi d’être sujet de son propre verbe. Du moins au fur et à mesure qu’il se renforce. Parce qu’il s’agit de s’émanciper des amenuisements, comme les refoulements, ou blessures affectives et cognitives, inscrits dans telle incarnation, imprégnation, et dont la présence freine, infériorise, réitère les logiques d’échec en les posant comme seules sources d’estimation de soi dans les deux sens du terme.

Le moi-je confectionne ces jugements en triant des pensées. C’est-à-dire des mixtes composés d’impressions, de souvenirs, de réflexions, de références, de circonlocutions imaginaires permettant de créer des hypothèses, des représentations. Celles-ci, au fur et à mesure, auront besoin de voir leurs réflexions devenir objectives, (c’est le troisième volet de l’être, celui de l’organisation).

Nous appellerons (à la suite de Damasio) les réactions organiques et sensibles des émotions et les jugements subjectifs qui les interprètent des sentiments .
Nous les détaillerons plus loin, lorsque le moi et le je seront regroupés dans le soi.

Ces deux sortes d’émotions interagissent et permettent par leur ajustement réciproque de construire une enveloppe de pensées (ou les mixtes décrits plus haut) qui accompagne la matérialisation des orientations dynamiques conativement structurées par leur capacité d’informer, d’évaluer, de relier, d’encourager. Car il s’agit de sélectionner ce que ces pensées apportent ou retranchent au déploiement de l’être lorsqu’il tend à le développer. Aussi nous faut-il étudier le je de manière distincte.

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A1.2. Le je

Pour se déployer comme être, c’est-à-dire ici pour pouvoir réaliser ses aptitudes, ou tendances, structurées en des motivations diverses et supportées par telle combinaison d’émotions, le moi-je se délimite, il devient un acteur politique et un agent socialisé.

Le je devient cet acteur qui, d’une part, organise sa capacité d’action (troisième découpe), et, d’autre part, fait en sorte qu’en tant qu’acteur de sa singularité d’existence et garant de sa pérennité, il soit aussi agent socialisé, au sens d’être à même de s’insérer dans une division sociale donnée, déjà pour se déployer, ensuite pour pouvoir valider l’organisation de son développement.

Ainsi le moi, en se déterminant ainsi, s’énonce toujours comme je, ce reproducteur et/ou créateur de réalité modifiant en conséquence l’existant déjà présent, mais dont l’actualisation, comme acteur et agent, renforce le déploiement, sauf accident.

Observons quelque peu dans le détail maintenant l’articulation moi-je, ou soi, avant d’aborder les quatre modulations du développement que sont la conservation, l’affinement, la dispersion, la dissolution.

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A.1.3. Le soi (moi-je)

Le soi, qui articule le moi (orientations+émotions sensibles et jugements subjectifs ou sentiments) et le je (conscience d’être acteur et, dans ce dessein, devient agent), se déploie sur trois niveaux:

A.1.3.1/le physique ou chair,
A.1.3.2/l’appartenance-attachement ou souffle,
A.1.3.3/la mise en valeur ou esprit.


Nous verrons en A.1.4 comment cela s’articule en les étudiant ensemble, en A.2 la façon dont les quatre éléments du développement en module le rythme le tracé et l’allure, en A.3 enfin comment cela s’organise et s’évalue.

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A.1.3.1
Le soi comme chair

La chair articule, ensemble, du sensible (de l’émotion et du sentiment) et du cérébral (de la pensée ou symbolique).

Voyons tout d’abord l’aspect sensible:

A.1.3.1/a :

Le sensible regroupe les réactions organiques (et autres capteurs sensitifs) allant de l’attraction à la répulsion, de l’agréable au désagréable. Ces réactions se manifestent par les émotions allant de la peur à la joie en passant par la tristesse et le rire, le sublime et le dégoût, l’agressivité et la tendresse, et par des sentiments parcourant la gamme du bon au mauvais, du beau au laid, de la fierté à la honte.

Chacun de ces émotions et de ces sentiments oscillant entre un excès et un manque qui peuvent surgir comme compensation. Il en sera par exemple pour ces excès que sont l’orgueil, la fureur, l’adoration, ou ces manques que sont la lâcheté, l’apathie, l’indifférence.

Il peut être étonnant de classer le bon et le mauvais, la fierté et la honte, le laid et le beau, parmi le sensible génétiquement programmé, alors que ces termes apparaissent plus comme étant des réflexions de surcroît construites socialement comme nous le verrons dans le troisième niveau, celui de l’esprit.Ce n’est pas contradictoire.

Il existe, dans l’interaction, des réactions définissant par exemple l’agréable et le désagréable, en fonction de ce qu’elles apportent intuitivement (dans l’espace immédiat du temps) comme effets émotionnels de cohérence, d’harmonie, entraînant un bien-être parce que le soi lorsqu’il se déploie cherche constamment à renforcer sa spécificité d’existence, sa capacité d’action, la pérennité de sa consistance.

Il en est de même pour la fierté et la honte, par exemple le cri de triomphe de certains animaux repéré par Janet et Lorenz.
Mais si la réaction est immédiate, sa continuité ne l’est pas, elle est filtrée; les réactions et les émotions sont réfléchies de façon cérébrale pour observer si elles correspondent à ce qui peut être nommé des sympathies et des antipathies.
C’est-à-dire des sentiments, ou jugements subjectifs, qui les confirment et les attirent ou les éloignent et les repoussent.

Autrement dit, ces sentiments de la sympathie et de l’antipathie prélèvent dans les émotions déclenchées par les diverses réactions organiques ce que cela apporte (bon) ou retranche (mauvais), en termes d’harmonie, de ravissement, (beau) et de difforme, (laid), ce qui rend fier ou fait honte au déploiement de l’être. Ensuite sympathie et antipathie participent, en tant que cartes empirico-déductives, à la formation du goût qui se doit de s’organiser pour s’affiner objectivement (troisième découpe).

Observons-en l’aspect cérébral.

A.1.3.1.b:

Nous supposerons que ces réactions organiques enveloppées émotionnellement et orientées par les jugements comme la sympathie, l’antipathie, regroupant les jugements du bon et du mauvais , du beau et le laid, de la fierté et de la honte, dégagent des sensations tactiles et des images assemblées spontanément (union, intersection, exclusion,) en impressions à la recherche de significations pour éviter cet entre-deux du doute qui se nomme le malaise et peut aller jusqu’à l’angoisse.
Cette recherche va déclencher des décodages, des souvenirs, et des imaginations; cette dernière fonction permettant la constitution d’hypothèses mais aussi ce jeu ludique en mesure de faire perdurer les impressions en fonction de ce qui y est visé.
Ce mixte articulant des réactions (agréable-désagréable) qu’enveloppent des émotions (joie-tristesse), qu’orientent des jugements ou sentiments (sympathie-antipahie, beau-laid, fierté-honte), et qu’alimentent les souvenirs et le jeu de l’imagination, le tout constituant des impressions (ou images) à la recherche de leur réflexion,forme ce que nous avons appelé plus haut des pensées.
Posons maintenant que celles-ci peuvent se traduire en attachements, en appartenances au monde, ou, au contraire en rejet, en dénigrement du monde.

Convenons dans ce cas d’appeler amour, le processus d’attachement et d’appartenance, et haine le processus de rejet et de dénigrement, les deux pôles mobilisant les émotions et les sentiments qui y correspondent.

La séquence amour-haine se doit cependant d’être triée (et dans la mesure où il n’existe pas de lésions qui l’empêche ou déforme le tri), parce qu’il s’agit aussi de dégager des attachements et des appartenances susceptibles d’être des réponses ou solutions permettant de donner réellement au déploiement de l’être l’allure susceptible de l’aider à se développer dans la conservation, l’affinement, la dispersion, la dissolution.

Le subjectif a en un mot besoin d’objectiver ces types de rapports que sont l’appartenance et l’attachement pour les traduire en terme d’attitudes. C’est ce que nous verrons plus loin dans la troisième découpe.

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A.1.3.2

Le soi comme appartenance-attachement :
le souffle


La consistance pérenne perçue comme effort nécessite autrui, ce qui implique des concordances, des souvenirs partagés, des demandes de validations réciproques, de reconnaissances mutuelles. Surtout lorsque les mêmes pensées semblent être en mouvement.

Bref, lorsqu’une sympathie s’institue, allant jusqu’à l’amour d’un être ensemble qui peut constitutionnaliser ce sentiment d’appartenance et de là accroître les conditions objectives de validation des réponses, et de protection de la concordance des temps spécifiques d’existence et des capacités d’action.

Tout cela peut alors s’attacher émotionnellement par des sensations d’amour comme cette chair de poule à l’écoute de tel hymne, à l’annonce d’un exploit. Ou des sensations de haine lorsque tels propos, surtout lorsqu’ils sont institutionnels, vont à l’encontre du sentiment d’appartenance, ce miroir intérieur qui confirme, légitime, la spécifité d’existence.

Le soi comme appartenance et attachement cherche alors sa mise en valeur comme esprit non seulement du temps, du présent, mais comme espace et comme temps.

Dans ces conditions l’esprit n’est pas l’incarnation du temps, mais l’espace-temps de la mise en valeur comme souffle (pneuma) c’est-à-dire le biais par lequel le soi non seulement respire dans sa spécificité, mais s’auto-appartient et s’y attache; tout en y incluant autrui parce que c’est aussi par lui qu’il acquiert son propre temps comme espace de déploiement.

Tout dépend cependant comment ceci est mise en valeur lorsqu’il s’agit de conserver, d’affiner, de disperser, de dissoudre, pour (se) développer. C’est ce que nous verrons (en A4 et en A5).

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A.1.3.3

Le soi comme mise en valeur ou esprit


L’esprit regroupe les points de repère, principes et valeurs qui permettent au soi non seulement d’exister mais d’être cet humain. Ce qui nécessite de se mettre en valeur au sens littéral, donc de (se)développer, ce qui incite à rechercher les moyens qui permettent une telle mise en valeur.
Nommons ces moyens des motivations.

Pourquoi existent-elles ?

Le soi pourrait se contenter de se déployer, de se reproduire dans le même. Juste se conserver. C’est un choix possible. Mais il ne peut pas être le seul, d’une part. D’autre part, se déployer est un terme extensif qui ne se limite pas nécessairement à l’extériorisation d’un intrinsèque fini.

Comme l’a montré Nuttin (1980) c’est une dynamique d’autodéveloppement scandée par des motivations conativement déterminées (Reuchlin, 1990) et dont la mise en forme est historiquement située.

Enfin, le soi n’est pas seul; plus encore, il n’est qu’en interaction avec le monde; ce qui ne peut pas ne pas amener (par rétroaction), des modifications, des offres et des demandes, des désirs non seulement d’adaptation mais de transformation, et donc d’accentuation possible de tel aspect.

Cependant, le déploiement ainsi pensé comme mise en valeur ou développement se doit également d’évaluer l’apport non seulement pour soi, mais aussi vis-à-vis d’autrui puisque celui-ci fait partie intégrante du soi comme appartenance-attachement.

Chaque action du moi décidée, confirmée, par je tente donc de correspondre au mieux qui soit au déploiement du soi, ce qui comprend son développement, c’est-à-dire la croissance et son évaluation. Car autrement le sentiment de fierté peut s’inverser dans l’amenuisement en sentiment d’orgueil.

Mais comment arriver à cette justesse ? Par la prise en compte de l’existence de jugements objectifs ou principes les plus vertueux qui soient -comme le courage, la prudence, la justice- dont la présence vérifiée par l’histoire des appartenances et des attachements, à commencer par celle de l’imprégnation familiale-, accompagne nécessairement l’émergence de l’action.

Comment ? En mettant en forme les comportements traduisant les émotions et les sentiments qui y correspondent. Ainsi le courage permettra à la fierté de se réaliser, mais évitera la témérité, donc s’entretiendra avec cette valeur suprême qu’est la prudence. Et ainsi de suite concernant les vertus. Ce qui les structure comme pivots de toute action. C’est-à-dire comme des jugements objectifs, au-delà du fait qu’ils se déclinent cependant dans des formes sociales historiquement déterminées.

Ainsi le sentiment de fierté complexifié socialement en honneur, n’a pas le même sens pour un aristocrate et un bourgeois, il n’empêche que chacun d’entre-eux, tout comme un chinois et un maori, en seront dotés. Nous verrons dans la troisième découpe que cette mise en valeur est précisément l’enjeu de l’organisation de l’être.

*

A.1.4

Le soi perçu d’un seul tenant


Observons pour ce qui nous concerne ici que ces trois niveaux du soi (chair, souffle, esprit) accompagnent et évaluent en même temps la réalisation de chaque motion, tout en se tournant de plus en plus vers la socialisation pour en comprendre de mieux en mieux la signification, afin d’ en justifier la manifestation et/ou sa limitation.

La séquence, résumée, pourrait être donc la suivante : dans chaque interaction s’instituent des sensations qui déclenchent des réactions liées aux orientations conatives, ce qui stimule à chacun des trois niveaux (chair, souffle, esprit) la construction de pensées ou représentations qui doivent cependant être légitimées et donc trier pour continuer parce qu’elles déclenchent un comportement donné.

Par ailleurs chaque moment de la séquence s’accompagne de gestes, distincts de réflexes, qui semblent scander, envelopper, les motions du corps d’un hâlo de mouvements significatifs.
Orientons l’analyse d’ensemble du soi sur cet aspect kinesthésique, parce qu’il confirme l’articulation entre la chair le souffle et l’esprit dans chaque micro-geste et attitude, et qu’il s’appuie sur plus de vingt ans d’observations personnelles sur des centaines de personnes et d’animaux, -(le nombre d’années d’observation ne préjugeant cependant en rien de leur validité).

A.1.4.1 L’aspect kinesthésique

Une première série, classique, d’observations montre que les choix de vêtements, d’amis, d’objets en général, les poussées brusques de désirs, les juxtapositions de styles, les entrecroisements en apparence fortuits de vêtements, de disques, de livres, de lettres, au fil du quotidien, charrient un ensemble non quelconque mais connues d’informations qu’il est possible néanmoins d’affiner en étudiant le sens du développement, c’est-à-dire ce qui renforce ou amenuise la façon dont le déploiement de l’être se conserve, s’affine, disperse, dissout.

Nous le verrons plus loin parce qu’il nous faut brosser tout d’abord l’ensemble du tableau propre au soi perçu dans son entièreté (chair, souffle, esprit) avant de le moduler.

D’autres séries d’observations m’ont par exemple montré que tel éternuement, une toux, le fait de se gratter ou de se toucher telle partie de la tête, du corps, n’est pas seulement le fruit du hasard des interactions électromagnétiques internes et externes, mais aussi le fruit d’une stimulation opérée dans l’interaction par tel hémisphère contrôlant telle fonction cognitive et/ou émotionnelle activant tel regoupement de pensées articulant des émotions réactives, des sentiments-jugements, des souvenirs, de l’imagination, des raisonnements.

J’ai repéré par exemple que l’éternuement n’est pas le seul résultat d’un courant d’air, mais le fait, parfois, qu’en face d’une hésitation, le moi ne sachant pas dans quelle attitude apparaître, le signale de façon externe pour que le je en prenne acte et donc conscience.

J’ai donc fait l’hypothèse que chaque attitude est une découpe, que celle-ci recoupe un volume donné de combinaison chimique liée à l’air respiré et au souffle expiré, qu’il faudrait percevoir ce que chacun des composants de l’air joue comme support fonctionnel lorsqu’il s’agit de déployer une action ne serait-ce qu’une seule pensée.

Y aurait-il un trop ou un pas assez d’un quelque chose dans les éliquibrations humorales accompagnant la combinaison émotionnelle et motivationnelle, ce qui déclencherait l’éternuement dont les picotements azotés laissent penser que leur sédimentation en attidude ne se fait pas ou mal ?

Pourquoi ? Est-ce par manque de découpe donc d’oxigène, de vecteur également, donc d’hydrogène ? Est-ce que ces manques, qui font que l’azote livré en quelque sorte à lui-même excède ses propres capacités et donc le signale par l’éternuement, ne viennent-ils pas justement d’un rétrécissement du souffle au sens littéral ? C’est-à-dire de cette hésitation qui font que le volume d’air n’est pas suffisant pour gonfler en quelque sorte l’attitude choisie, elle-même exprimant une façon d’être c’est-à-dire une manière de réagir, de juger, de se déployer dans, comme, (le) monde ?

Je n’en sais rien et cela nécessiterait des expériences.

Il en est de même pour la toux, le reniflement, qu’un jugement trop hâtif réduit à n’être qu’un symptôme pathologique, ce qui ne veut pas dire néanmoins qu’il ne l’est plus dans certaines circonstances comme l’affaissement immunologique qui, étant là, et au-delà du fait de savoir si son origine est psychosomatique, nécessite d’être traité autrement que par la seule prise de conscience de sa signification.

Poursuivons. Pas plus que l’éternuement n’est réductible systématiquement aux effets d’un courant d’air car il peut être aussi perçu comme l’expression d’une hésitation, le baillement signifierait seulement la fatigue physiologique: la fatigue peut être aussi psychologique comme l’a montré Pierre janet dans ses études sur la neurasthénie.

Il peut certes s’agir de l’observation banale soulignant l’ennui. Mais le baillement peut également signifier qu’il existe une saturation émotionnelle, un excès d’espoir, que, par prudence, le soi tend à éteindre en se mettant au ralenti, en désirant changer de réel, tourner la page de l’instant.

Ajoutons que ces gestes doivent être également lus selon la découpe hémisphère droit/hémisphère gauche.

Posons que selon les informations en possession issues des sciences du vivant, le premier hémisphère regroupe la source immanente des jaillissements émotionnels et réflexifs dans l’espace et dans le temps; simplifions en l’appelation en le nommant immanent. Le second hémisphère regroupe les fonctions du langage et de la logique décisionnelle, convenons de parler de transcendant.

Ainsi selon que la main gauche touche le menton, un sourcil, le nez, la paupière, une oreille, le cou, il s’agira d’y défalquer toute autre cause fortuite, et, en parallèle, de mettre en rapport ce que chacun de ses organes peut exprimer comme informations signifiantes que la main gauche, liée à l’hémisphère droit, ou immanence, vient engranger et/ou impulser.

Que se passe-t-il par exemple si la main gauche touche la paupière droite?

En posant que cette dernière est commandée par l’hémisphère gauche et que celui-ci regroupe les fonctions du langage et de la logique (ou le transcendant), et que la paupière en tant que tel exprime à la fois la capacité physiologique de protéger l’œil, et, aussi, la capacité logique de dénombrer la vision, il est possible de conjecturer que la main gauche, émissaire en quelque sorte immanent des émotions et de la spatialisation (hémisphère droit), vienne rappeler à l’hémisphère gauche (transcendant : langage+logique) qui contrôle la paupière droite, de prendre en compte, ou en charge, ce qui dans l’immanence des visions et des émotions doit être logiquement étudié et verbalisé, c’est-à-dire mis sous impression jusqu’à éventuellement la conceptualisation, autrement dit la désignation formelle.

Prenons d’autres exemples. Lorsque la jambe gauche (hémisphère droit) vient reposer sur la jambe droite (hémisphère gauche) cela peut par exemple signifier que l’immanent s’appuie sur le transcendant pour accomplir telle action parce qu’il s’agit de dénombrer, de conceptualiser.

Lorsque, à l’inverse, la jambe droite (hémisphère gauche) vient reposer sur la jambe gauche (hémisphère droit) cela indique que le transcendant s’appuie sur l’immanent pour que l’action se réalise.

L’immanent accomplit ce que le transcendant décide, le transcendant décante ce que l’immanent engrange.
Si, par exemple, l’oreille droite, (hémisphère gauche) se fait gratter par la main gauche (hémisphère droit), cela peut signifier, que le transcendant n’est pas assez à l’écoute ou n’a pas compris les demandes d’éclaircissements venant de l’immanent.

Reprenons le croisement des jambes.

Dans une conversation avec autrui, le fait de ne pas croiser les jambes et de laisser les bras sur les accoudoirs, l’observation peut montrer qu’il s’agit d’une position neutre, c’est-à-dire attentive plus qu’attentiste aux informations attractives tout en soulignant sans plus les informations redondantes, ce qui fait peut-être intervenir les deux hémisphères en même temps mais modérément en ce sens qu’aucun d’entre-eux n’a besoin de signaler à l’autre l’accentuation de son activité.

C’est une conversation qui peut être plus technique que générale ou intime.

Par contre, lorsque l’un des interlocuteurs se met en position décrite plus haut, à savoir qu’une de ses jambes se croise sur l’autre, l’observation peut signaler, en fonction de la position transcendante/immanente des interocuteurs, ce qui se joue entre-eux en terme de significations.
Une littérature sur cette gestuelle tend également une explication.
Observons par exemple les propos de Joseph Messinger, psychologue, auteur du Sens caché de vos gestes (Edition First):

«
Le croisement des jambes est commandée par la partie émotive du cerveau, c’est un geste qui traduit la météo de nos humeurs en temps réel. Les droitiers croisent la jambe droite sur la gauche quand ils maîtrisent leur sujet (position attractive). En cas de malaise, vous inverserez naturellement la position pour passer en position répulsive (le principe est inverse pour les gauchers et les femmes). Au cours d’un rendez-vous, vous devez toujours vous arranger pour conserver votre interlocuteur en position attractive. » (L’Expansion, février 2003, numéro 672, p. 144).

La jambe droite est donc commandée par l’hémisphère gauche, la jambe gauche par l’hémisphère droit.
Lorsqu’une jambe est en contact avec la terre et l’autre jambe est posée sur elle, cela peut signifier que c’est à l’hémisphère concernée de prendre la direction de l’action.

Pourquoi par exemple croiser la jambe droite sur la jambe gauche ? Il ne s’agit pas d’être en «position attractive » comme le dit Messinger (plus haut), il s’agit pour l’hémisphère gauche, qui commande la jambe droite, c’est-à-dire la logique et le langage, de laisser faire l’hémisphère droit, qui commande la jambe gauche,d’organiser le moment dans son espace à la fois émotionnel et formel.

De même passer ensuite en situation inverse ne veut pas dire qu’il existe un « malaise » comme le croît Messinger mais que l’hémisphère droit a besoin de l’avis de l’hémisphère gauche, c’est-à-dire de la logique et du langage pour évaluer et choisir.

Il faudrait donc reprendre toute l’analyse en y intégrant autre chose que l’analytique des rapports de force parce qu’il s’agit aussi de répérer le jeu intrinsèque des hémisphères modulant les interprétations afin de calibrer en quelque sorte les attitudes adéquates.

L’analyse des gestes peut aller plus loin encore, jusqu’à l’étude des mouvements organiques, allant du moment précis et assez classique où l’on décide d’aller aux toilettes avant d’accomplir telle action ou encore lorsque l’on arrive dans un endroit nouveau, ou lorsque la tension monte avant d’intervenir pour la première fois devant une assemblée réputée, ou encore lors d’ un premier rendez-vous amoureux, ou à la première de telle ou telle activité d’un être cher, -(Valéry disait que s’il n’avait pas le trac juste avant de sonner à la porte d’une réception, il savait qu’il ne s’y passerait rien…).

L’observation des mouvements en externe peut aussi montrer la façon dont la démarche s’affirme dans un espace symbolique donné en contrebalançant la pression des regards, ce qui nécessite de se redresser, (de s’aider en toussant éventuellement, avec quelques gestes de raffermissement réajustant ici une mêche, là un vêtement).

Par ailleurs, l’observation des mouvements en interne peut montrer que les organes ne sont pas si silencieux que cela ou, plutôt, que lorsqu’ils sortent du silence cela ne signifie pas la maladie, (pour rebondir sur cette pensée célèbre de Claude Bernard), ni même le stress, mais, aussi, qu’ils viennent scander, redoubler, telle action (comme le rôt, le couinement de la râte, des intestins).
Des expériences plus systématiques pourraient venir coroborrer cette observation.

Attaquons-nous maintenant aux quatre éléments qui permettent à la fois au soi individuel de moduler son développement et, en parallèle, d’effectuer son évaluation. Nous en avons vu le sens général plus haut.

*

A.2

Les modulations du développement

Le sens singulier

Pourquoi le développement ? Parce que le déploiement de l’être dans chaque action et déjà comme action ne s’effectue pas linéairement. Il existe des strates qui agissent à la fois comme des points de passage obligés, des nécessités, des motivations, des évaluations.

Les quatre modulations agissent dans ces diverses déterminations. Elles ne sont pas le tout de l’action, mais sans elles celle-ci ne s’effectue pas. C’est cela qui importe, plus que l’énumération exhaustive de ce qu’«est» l’action comme manifestation du déploiement de l’être.

Mais comment être sûr que tout cela ne soit pas subjectif? Qui nous garantit que ces modulations existent et pourquoi les appeler telles? La réponse à la dernière question est aisée malgré l’apparence: l’appelation importe moins que la désignation, celle qui permet de répondre à la première question en indiquant que pour une action s’accomplisse, il faut bien qu’elle déclenche certaines opérations, or les quatre modulations ici présentées en font parties, même si elles ne sont pas les seules.

C’est ce que nous allons démontrer.

Conservation.

Comme chair (moi-je), souffle (appartenance), esprit (mise en valeur), le soi en position de conservation cherche tout d’abord à déployer l’être. C’est-à-dire à maintenir sa singularité d’existence par la liberté de penser, sa capacité d’action par la liberté d’entreprendre, la pérennité de sa consistance par le respect de soi et d’autrui.

Pour la chair, la conservation nécessite d’aller vers le réel en y imprégnant sa spécificité dynamique conative (moi) que le je (conscience) conduira. Il en sera ainsi lorsqu’il s’agit du choix d’objets, si par exemple l’utilité y est en priorité visée. Il est possible aussi que dans le style et la forme choisis, la chair s’y dessine en homothétie.

Pour le souffle, la conservation implique de maintenir les liens d’appartenance tout en choisissant parmi les nouveaux ceux qui les confortent.

Pour l’esprit il s’agira de faire en sorte que la mise en valeur en terme de délimitation de points de repère aille puiser parmi eux ce qui œuvre au maximum dans ce sens.

*

Le sens oscillatoire: renforcement/amenuisement.

Le renforcement

Pour la chair cela signifie que le moi non seulement déploie sa singularité dynamique conative, mais peut chercher à la faire croître. Pourquoi ? Parce que d’une part se maintenir au même niveau n’est pas, dans le domaine humain, une constante programmée, le dépassement est donc possible, sauf décision contraire.

D’autre part la présence d’autrui, l’évolution permanente de l’environnement, pousse à dégager des surplus d’énergie à défricher et déchiffrer leur réel. Pour le souffle il en sera de même: il ne suffit pas de préserver les liens, il faut les étendre. Pour l’esprit, cette extension implique que l’on teste l’efficacité de la mise en valeur, ce qui implique un tri dans l’organisation de l’être comme nous le verrons.

L’amenuisement

Pour la chair cela veut dire que le moi entrave sa dynamique jusqu’à ce que le je se ferme au monde, y compris lorsqu’il s’affirme dans l’ostentation. Pour le souffle, l’appartenance s’uniformise en (se) dupliquant tandis que l’esprit se réduit au strict minimum, miroir sans reflet, mensonge à répétition.

*

Affinement.

Lorsque la conservation se renforce, l’affinement s’affirme comme l’étape supérieure.

Pourquoi? Parce qu’il ne s’agit plus déployer l’être et le développer le plus possible, mais de faire en sorte que cette extension améliore son contenu afin que le déploiement tende plutôt à aller dans le sens de ce qui le dynamise le plus. C’est-à-dire renforce ce qui dans la chair, le souffle, et l’esprit, se tourne vers le mieux être.
Cela veut dire par exemple que pour la chair l’affinement signifie que le moi comme le je cherchent à ce que l’imprégnation du réel soit activée dans le sens des orientations, des émotions et des sentiments les plus à même de soulager l’effort et aussi de le ravir.

Les personnes et les objets seront ainsi choisis et sélectionnés dans ce sens.
Pour le souffle, cela veut dire que les attaches soient si fortes et si positives qu’elles renforcent les sentiments d’appartenance. Enfin pour l’esprit cela signifie que seules les valeurs suprêmes, les vertus, sont susceptibles d’être choisies comme canevas pour l’action.

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Le sens oscillatoire: renforcement/amenuisement.

Le renforcement

Pour la chair, l’affinement ainsi perçue active dans le moi et dans le je tout ce qui peut élever le déploiement vers son optimum pensé non pas au sens d’un croître maximum mais d’un développement qui prend en compte toutes les conséquences non seulement vis-à-vis de soi mais aussi d’autrui.Les recherches d’inédit, de renouveau, d’originalité, d’absence d’apriori non fondés, forment la gamme d’une chair à la recherche de son accomplissement.

Pour le souffle, le renforcement signifie que les attachements sont pensés également en ce sens, ce qui implique que les sentiments d’appartenance et les signes objectaux et culturels qui les incarnent ne se partagent pas seulement parce qu’ils ont un même contenu, celui de l’affinement, mais parce qu’ils visent à le faire partager y compris avec ceux qui pensent ne pas pouvoir en être socialemet dignes alors que tout dans leur esprit les désigne pourtant tels.

La mise en valeur œuvre alors en ce sens et choisit uniquement les repères qui se dirigent vers ce genre de sublime.

L’amenuisement

L’absolu d’une telle position, surtout lorsqu’elle est renforcée, peut induire une sophistique de perfectibilité qui confond par exemple luxe et luxure et ne voit pas que le don de soi peut se transformer en ostentation si ce don ne perçoit pas qu’il ne suffit pas de donner pour aider à être.

Pour la chair cela signifiera que l’affinement devient un raffinement qui ne cherche pas à s’améliorer dans le monde, mais seulement à faire en sorte que ce dernier devienne le miroir de son propre don.

Dans ces conditions le souffle cherchera à se gonfler de suffisance en glosant sur ce qu’il inspire; à s’attacher les appartenances qui la reconnaîtront comme indispensable, tandis que l’esprit clamera partout que son propos est indépassable.

*

La dispersion

L’effort humain est oligomorphe par essence en ce sens qu’il n’est pas plus uniforme qu’infini. Un certain nombre d’aspects lui sont nécessaires pour apparaître, ne serait-ce que les divers éléments qui composent l’être, ou qu’il s’agisse de niveaux d’être comme le déploiement, le développement, l’organisation.

Pour la chair cela implique que le moi tout comme le je sachent déployer sous l’effort sous tous ses aspects et celui-ci sous d’autres apparences que la croissance ou le développement. Pourquoi? Parce que tout réel ne surgit pas sous un seul angle, et sa saisie ne peut pas satisfaire qu’un seul élément de l’être.

Pour le souffle cela veut dire qu’il faille s’attacher autrement qu’à un seul lien d’appartenance.

Pour l’esprit la valeur ne se mesure pas seulement à l’aune de la vérité mais aussi de la volupté et de la grâce.

*

Le sens oscillatoire: renforcement/amenuisement.

Le renforcement

Pour la chair, cela signifie que l’articulation entre les divers aspects de la réalité et les aspérités composant le soi est autant respecté par le moi que par le je.

S’agissant du souffle, les attachements quoique diversifiés accentuent le sentiment d’appartenance; quant à l’esprit, la pluralité formelle des repères et des valeurs multiplie les points de vue, tout en n’y relativisant pas le contenu par ce fait même, puisqu’il n’est par exemple pas contradictoire qu’une vérité se décline sous plusieurs formes.

L’amenuisement

Pour la chair, cela veut dire la dispersion se métamorphose en dissipation en ce sens que la diversité devient un obstacle plutôt qu’un enrichissement.

Il en est de même pour le souffle si les attachements souffrent de superficialité et d’expédients affaiblissant en même temps le sentiment d’appartenance.

Quant à l’esprit, la confusion entre l’existence d’une pluralité formelle des valeurs et le fait que cette pluralité ne possède pas, à elle seule, la garantie qu’elles «valent» , implique qu’elles ne soient pas mises en rapport avec ce qu’elles apportent pour le déploiement de l’être et son développement, ce qui l’amenuise à terme .

*

La dissolution

Il s’agit de déployer et de développer et donc de mettre en rapport le nécessaire en écartant le reste. De ce fait des choix s’effectuent, dissolvant de ce fait d’autres possibles.

Pour la chair cela implique de déterminer des mises en rapport en écartant pour le moi comme pour le je ce qui ne sied pas à leur déploiement et à son développement.

Pour le souffle, des préférences s’effectuent dans les attachements, ce qui inspire des sentiments donnés d’appartenance. Quant à l’esprit, il regroupera tout ce qui permet la mise en valeur à l’exclusion du reste.

*

Le sens oscillatoire: renforcement/amenuisement.

Le renforcement

Il implique pour la chair que le moi et le je sachent non seulement sélectionner, mais passer au crible ce qui leur sied au mieux. Ce qui veut dire au niveau du souffle le fait que les attaches soient de plus en plus choisies en fonction de ce qu’elles apportent et non pas en fonction de ce qu’elles représentent.

L’amenuisement

Dans cette optique, la dissolution s’annnihile comme discrimination et devient une indétermination qui prend éventuellement forme selon les circonstances, mais sans tenir compte du nécessaire pour le déploiement et son développement dans l’élément de l’être.

Pour la chair cela veut dire que les jugements n’existent plus à l’état de sentiments qui viennent envelopper le flux émotionnel. Seules les impressions, du fait de leur itération mécanique, surnagent, sauf qu’elles ne sont pas réfléchies et donc coexistent en prenant forme au gré des circonstances.

Pour le souffle ce manque de discernement tend paradoxalement à précipiter les détachements ou désocialisations au moment même où les attachements semblent se multiplier. Mais comme ils n’existent que par effet de position et non par choix, le sentiment d’appartenance s’essouffle précisément dans ce cas.

Un tel manque de discrimination entraîne pour l’esprit la profusion des points de vues, sans aucune possibilité d’y voir des références sur lesquelles un déploiement et son développement pourraient s’ancrer puisque toute aspérité est gommée au profit d’un flux de représentations et de conceptualisations sans aucune autre contradiction que leur propre simultanéité. Le rêgne du mensonge commence.

*

Conclusion

Les modulations prises ensemble

Les modulations interagissent et les processus de renforcement et d’amenuisement sont sans cesse à l’œuvre. Si, selon le modèle ainsi dégagé, il serait préférable de toutes les stabiliser comme il le faut et au moment adéquat, la réalité humaine est faite de telle sorte qu’il est possible d’observer dans les choix relationnels et objectaux des contradictions patentes, des manques et des excès.
En un mot les modulations n’échappent pas à la nécessité de les organiser, même s’il peut être considéré que cela n’a pas être le cas. En effet, il est possible de considérer que le refus d’organisation, ou encore le fait d’avancer que toute mise en rapport est par elle-même sujette à caution, ou ne peut être qu’une convention parmi d’autres, sont autant d’évaluations organisationnelles qui n’échappent pas à leur estimation quant à l’être.

*

A.3
L’organisation de l’être

Le sens singulier

N
ous avons vu en 1.4, ce que cela veut dire «organiser» au sens général. Il y a été question de fin, de moyen, de forme atteinte. Dans le domaine humain les subdivisions semblent y correspondre puisqu’il y est question également de fins ou buts, de moyens ou outils, de forme atteinte ou résultat validé par tel cadre et cercle de référence.

Par ailleurs, les recherches confirment, en psychologie et en sociologie cognitive par exemple, que les individus peuvent ériger tel ou tel choix, surtout lorsqu’il semble diriger leur vie, au rang d’une croyance autour de laquelle leur psychisme s’organise si fortement que la remise en cause de tel ou tel aspect du choix émis donne l’impression au psychisme d’être lui-même mis en question, et en priorité.

Ces diverses analyses nous amènent à reconsidérer la séquence fin-moyen-résultat en la mettant certes toujours en rapport avec la constitution de l’action d’une part, mais, d’autre part, en y ajoutant une autre mise en rapport, celle qui met en scène les modulations du développement, et, de là, le devenir du déploiement de l’être. Ce qui ne peut pas ne pas donner une autre dimension à chaque élément de la séquence.
Autrement dit, si le choix de tel but est à mettre en rapport avec telle motivation, il est aussi possible d’évaluer une telle mise en rapport en observant ce que sa réalisation apporte ou retranche objectivement à l’être individuel du domaine humain puisqu’il n’existe pas autre chose que le sens du déploiement et avec lui les modulations de son développement pour nous servir d’ultime étalon de mesure.
Dans ces conditions, nous nous servons de ce dernier comme finalité, mais aussi comme moyen puisqu’il nous permet d’effectuer et d’évaluer. Nous l’utilisons également comme forme, par exemple celle d’une méthode que nous proposons ici pour l’analyse et la construction du développement.

Nous pourrions d’ailleurs aller plus loin encore dans l’exemple en considérant que cette méthode dite oligomorphe va tenir pour nous le rang d’une croyance. Pourquoi ? Parce que nous passons suffisamment de temps avec elle et pour elle, ce qui ne peut pas ne pas engranger des phénomènes d’appartenance qui vont faire de cette méthode un objet de plus en plus précieux, non critiquable, sacral peu à peu. Sauf que nous ne le ferons pas parce que la critique est au fondement de la gestuelle scientifique.

Mais cette affirmation même n’est-elle pas, comme détermination ultime d’un principe, l’équivalent d’une sacralisation?
Posons que cette fixation d’une finalité en phénomène quasi sacral, du fait qu’il est le pivot central d’une vie, ou qu’il semble mouvoir toute une hiérarchie de principes, s’inscrive dans le cadre de ce que nous nommerons la dimension ou limite eschatologique.

Le terme semble chargé d’Histoire, en particulier théologique, mais il exprime bien le fait que certains jugements deviennent des principes intangibles, y compris ceux prétendant le contraire. Ce qui indique une fonction symbolique ontologique: celle d’appuyer un but sur une raison dernière.

Elle peut fort bien être mise en doute. Mais elle laissera la place à une autre raison dernière. Jusqu’à la suivante. Aussi ce qui nous importe c’est bien l’espace de la fonction comme lieu originaire, source, axiome qu’il n’est pas possible de remettre en question au moment même où il se trouve utilisé.
Il en est par exemple ainsi pour la critique des éléments du déploiement de l’être. On peut en effet considérer que les libertés de penser et d’entreprendre sont des chimères. Sauf que le fait même de désigner ainsi bascule en eschatologie puisque l’énonciation ne peut pas dire le contraire au moment même où elle s’érige, même si elle le pense en disant ensuite l’inverse. L’énonciation se désigne d’abord elle-même avant de prononcer son contenu. C’est ce moment précis qui indique l’effort eschatologique appelé ainsi parce qu’il devient le commencement tout en se présentant comme fin.
Posons ensuite que pour réaliser le contenu de cette finalité dernière, il faille un moyen; sa raison sera alors circonscrite à ce que nécessite la finalité pour réaliser son sens dernier.

Nous proposons de nommer l’aire de cette circonscription la limite téléologique.

Celle-ci aura pour objet de délimiter l’adéquation des outils aux fins posées eschatologiquement, et à tout ce
qui nécessite pour y arriver. Cela induit également la recherche, parmi divers ordres sociaux, de cadres et de cercles de référence en permettant la réalisation.
La limite téléologique se distingue de la limite eschatologique en ce que la première consiste à réaliser la seconde.
Cette réalisation donne un résultat. Ce dernier est perçue sous trois aspects qui nous importent ici afin de déterminer le troisième élément de l’organisation de l’être appliquée au domaine humain.
Le premier aspect indique donc comment le moyen actualise la fin.
Le second aspect exprime ce que cette réalisation donnée apporte ou retranche au déploiement de l’être qui l’accomplit en désignant dans quelle modulation du développement cela s’effectue.
Le troisième aspect désigne le fait que le résultat atteint peut être saisi comme un réel donné dont la forme peut correspondre aux dimensions de la fin, mais dont la valeur se doit d’être reconnue comme telle par les cadres et les cercles de référence, du moins si l’être qui la produit veut s’en servir comme moyen d’échange.

Posons que ces trois aspects, l’actualisation, l’apport ou l’amenuisement, et enfin la valeur de la forme atteinte, soient les éléments de ce que nous nommerons la limite entéléchique.
Pourquoi?

L’entéléchie désignera ici la délimitation proprement dite comme résultat ou somme donnée d’éléments et de leur combinaison aboutissant à une forme donnée. Parce que tout résultat en tant qu’apparaissant décline sous une enveloppe historiquement située, qu’il s’agit de penser non pas seulement en terme de conditions de production, mais aussi de situation et de position allant de l’esthétique au politique et retour.

Autrement dit la limite entéléchique regroupe ce qui permet d’indiquer à la fois une correspondance entre une fin et un moyen, à la fois une actualisation donnée du déploiement en désignant la ou les modulations du développement qui s’y manifestent, et enfin ce que cette forme détient comme valeur à même de s’insérer dans les cadres et les cercles de référence allant du particulier vers l’universel.

En résumé, dans chaque action du soi, de la pensée au geste externe, les trois limites organisent leur agencement et leur manifestation en réalisant ce que le moi exige avec l’accord du je.

*

A.4 Conclusion

S
i l’on prend maintenant toute la séquence d’un seul tenant, il est possible d’observer que lorsque le soi se trouve en position de se déployer, et, donc, lorsque la décision s’effectue, elle s’accomplit, d’une part, dans une modulation donnée du développement, (atteinte ou déclenchée selon l’état singulier du soi), et, d’autre part, elle se réalise dans le cadre des trois limites permettant d’organiser l’action de l’être.
Autrement dit le déploiement de l’être s’effectue dans le cadre d’un développement donné qui lui-même se réalise par le biais d’une organisation qui actualise et légitime.

*

B.
L’institutionnel
.

Nous dirons juste ceci: qu’il s’agisse du déploiement, du développement, de l’organisation, chacun de leurs éléments s’applique à l’étude de toute institution posée ici comme structure permettant aux divers soi de persister dans leur être, du moins s’ils arrivent à dépasser le fait qu’ils n’ont pas voulu nécessairement être ensemble.
Autrement dit, la méthode oligomorphe regoupant les trois sortes de grilles peut fort bien s’appliquer à l’étude institutionnelle en y construisant un diagnostic et donc des perspectives.
Nous verrons en conclusion ce qu’elle apporte en plus de toutes les autres méthodes.

*

C.
L’acte d’entreprendre.

I
l en sera de même pour ce domaine. Le fait d’entreprendre est parfaitement analysable par la méthode oligomorphe . Il suffit qu’elle s’adapte au cas étudié en y appliquant des items qui correspondent au champ, à la fonction, circonscrits. L’acte d’entrependre peut être en effet saisissable lorsqu’il se déploie par les modulations du développement; et il est possible d’observer comment le substrat, l’entreprise x, y, z, s’organise pour les réaliser, et ce que le résultat atteint apporte ou retranche.

*

Conclusion générale



L
a rationalité oligomorphe prétend dégager dans son principe un certain nombre d’éléments clés, classés dans des ensembles, et des sous-ensembles donnés, et dont la combinaison constitue des formes à même d’indiquer le comportement d’un domaine de l’être et de l’expliquer de telle sorte que l’analyse peut aller du plus général au plus singulier des détails.

C’est donc une méthode généraliste qui évite cependant les écueils d’une vision uniformisante en ne prétendant pas indiquer comment l’élément étudié devrait faire pour être, ou qu’est-ce que doit être l’être pour être, mais en quoi ce qu’il fait indique où il en est, et ce qu’il est possible pour lui-même de rectifier, s’il le veut, par exemple lorsqu’il s’agit du domaine humain.

Qu’apporte-t-elle de spécifique? Peut-être une coupe transversale des actions de l’être en tentant d’en étudier l’état atteint et d’en comprendre le résultat. Cette approche implique dans ce cas de se servir d’une part de diverses connaissances validées scientifiquement parce qu’il est nécessaire d’accroître la probabilité, mais aussi, d’autre part, de tout ce qui peut être caractérisé comme signifiant parce que toute formation de sens est une indication de l’être sur l’être.

De ce point de vue l’approche scientifique n’est pas posée par la méthode de la rationalité oligomorphe comme contradictoire à l’approche religieuse, éthique, ou artistique, puisqu’elle ne conteste ni leur spécifité d’existence ni leur fonctionnalité ni même leur contenu, à partir du moment cependant où celui-ci ne prétend pas être le tout de la vérité.

Qu’est-ce cela veut dire ?

Ceci: la vérité peut être prise en deux sens : elle signifie qu’une chose est vraie dans son existence, mais qu’elle peut être fausse dans ce qu’elle désigne comme exactitude.

Ainsi le faux en tant qu’existant est vrai ou plus précisément est un moment du vrai.

Mais si la vérité peut être considérée comme une mise en correspondance absolue et relative entre des concepts et les réels étudiés, cela signifie que la vérité est dite par exemple exacte lorsque son énonciation décrit et explique tel réel, et non pas seulement parce qu’elle existe.

Deux corollaires importants suivent cette énonciation.

D’une part cette distinction dans la vérité entre exactitude et existence ne signifie pas que l’utilisation de l’exactitude échappe en elle-même à son évaluation du point de vue de la vérité.

Ainsi l’utilisation doit en elle-même prouver son exactitude pour valider et affirmer sa dénotation.
D’autre part, cette distinction est perceptible y compris dans les savoirs qui n’ont pas besoin d’une systématicité et d’une vérification absolue pour valider leur contenu.

Il ne suffit pas d’énoncer que tel écrit «est» de la poésie pour qu’il soit déclaré tel. Des processus de vérification au sein même des cercles de poésie incarneront intersubjectivement, institutionnellement, la distinction délimitant l’objet.

Dans ces conditions la rationalité ou principe oligomorphe peut fort bien prendre en compte les contenus non scientifiques, s’y opposant cependant parfois lorsqu’ils considèrent que leur point de vue doit être accepté comme supérieur ou lorsqu’ils prétendent empêcher que soit étudié tel ou tel aspect de l’être.

Le propos de la science en un mot n’est pas d’expliquer que puisque l’essentiel du contenu cosmologique de la Bible s’avère faux, tout le reste est sujet à caution, en particulier l’existence de Dieu. Ou encore qu’une telle existence est impossible puisqu’elle n’a pas été rendue visible jusqu’à présent.

Pourquoi ? Parce qu’il semble bien que l’approche scientifique n’a pas pour objet d’induire de la sorte. Mais de considérer qu’au vu de ce que nous connaissons jusqu’à présent, c’est-à-dire au vu de ce qui est vérifiable et de moins en moins contesté parmi ceux qui font office d’appliquer ce genre de méthode dite scientifique, la cosmologie proposée par la Bible ne correspond pas avec ce que nous savons sur l’univers.

Elle est donc fausse en rapport avec ce que nous savons, et non pas en soi. Peut-être qu’un jour il sera démontré qu’il est possible de construire un univers et son animation manifeste en six jours. Mais pas pour le moment.

De même ce n’est pas parce qu’une chose reste invisible qu’elle n’existe pas. Il en a été ainsi pour les microbes, et il en est encore de même pour les 80% de l’univers intitulés matière noire, masse manquante, etc…

Aussi la question n’est pas de prouver l’existence de Dieu ou son inexistence, mais de faire remarquer que jusqu’à présent les manifestations décrites par les textes religieux ne se sont pas réitérés et que dans ces conditions l’acte d’y croire ou non dépasse le champ de compétence de la science.

Celle-ci ne s’y oppose donc pas puisque son absolu n’implique pas l’obligation d’accepter ce genre de sentences. Elle s’y oppose, comme il a été dit, si et seulement si, le contenu religieux est posé comme équivalent à un énoncé scientifique ou si celui-ci est rendu identique à un énoncé fictionnel. Parce que l'approche scientifique vérifie ses inductions et qu’elle vise à une correspondance avec le réel en ce sens qu’elle se distingue de lui tout en l’expliquant.

De ce fait, ce que nous appellerons ici la science n’est pas réductible à l’observation, pas plus au réalisme, au sens matérialiste, même si elle effectue des descriptions. Mais elle n’est pas non plus réductible au constructivisme, à l’idéalisme, au nominalisme, même si elle établit des concepts qui n’existent pas tels quels dans la chose étudiée.

Pour nous, la science tend à la fois à comprendre , à expliquer, et aussi à probabiliser les comportements des domaines de l’être.
Dans ce cas, cela veut dire que la méthode oligomorphe se valide lorsqu’elle arrive à saisir tel objet comme il vient d’être dit. Ce qui implique qu’elle puisse mettre au point une sorte d’oligodisciplinarité qui fasse que différentes sciences et autres savoirs s’associent pour étudier l’objet considéré.

Précisons.

Il ne s’agit pas d’interdisciplinarité au sens où des représentants donnés viendraient interagir pour créer une vision d’ensemble sans objet précis. Il ne s’agit pas non plus de sommer certaines sciences et savoirs posés comme «inférieurs» de servir les sciences dites «supérieures», mais de signifier que l’objet à étudier peut être saisi à partir d’une synthèse de diverses déductions empiriques issues de divers champs de la connaissance et de la représentation qui appliqueraient, aussi, à leur niveau de compétence, cette méthode oligomorphe.

Mais comment la méthode oligomorphe pourrait-elle être ainsi choisie ? D’autant qu’il existe dans les sciences dites humaines une prolifération de méthodes.

De plus les interférences institutionnelles, qu’elles soient publiques (politique) ou privées (entreprenarial) font que certains écrits vont posséder une «appellation d’origine» qui s’effectue bien moins par le test des énoncés émis que par l’adoubement effectué dans le cadre de cercles données de référence.

Ainsi certaines méthodes ont beau être invalidées par leur application, leur connotation reste supérieure à leur dénotation. Et donc elles s’appliquent le plus sérieusement du monde comme on peut le voir tous les jours, un peu à la façon de ces étoiles dont la lumière nous parvient encore alors qu’elles sont mortes.

Ce n’est pas cette destinée que nous recherchons. Cette méthode, au-delà même de sa dénomination, de la fixation du vocabulaire, dépassera sa vérité d’existence si et seulement si l’exactitude de ses applications semblera de plus en plus probante. C’est là la seule eschatologie possible. Du moins en science.

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