L’ère techno-urbaine face au nihilisme

Pour la première fois les sociétés dites supérieures
sont en train de vivre une seule et même histoire.
Pour la première fois peut-être on peut parler de “ société humaine” “.

Raymond Aron.






Prélude

Hi-tech, partons de ce terme qui claque tant il symbolise l’ère techno-urbaine, celle de la société moderne aujourd’hui mondialement à l’épreuve dans toute sa splendeur et son mystère prométhéen. Il y incarne le meilleur outil pour vivre la ville, être du monde. Mais aussi son cauchemar lorsque son efficience est utilisée pour répandre le mal.
La hi-tech n’est pas la frivolité du gadget. Elle systématise les vertus de la technique humaine hissant dans l’objet utilité nouveauté et finesse des formes.
Dans cette optique la première épée en acier trempé, la caravelle de Colomb, une locomotive Micheline, le Concorde, ont été ainsi tout autant hi-tech comme optimum de la technique atteinte à leur époque et réunissant ainsi efficacité et beauté des lignes.
Cette dimension multiforme de la technique incarnée par la hi-tech se perçoit également dans l’extension du confort de vie mise à la portée du plus grand nombre d’humains.
Déjà en les dégageant peu à peu des tâches pénibles et répétitives par la robotisation et l’intelligence électronique et biocybernétique. Ensuite en démocratisant un mode de vie articulant facilité de la vie au quotidien et loisirs, ce qui était autrefois l’apanage des seules élites.

Pensez ainsi à tout ce qui est télé quelque chose, en attendant la voix synthétique intelligente, rassurante, celle du monde de Star Trek. Et non de 1984.
Cette voi(x)(e) nouvelle et confortable permettrait de nous faire gagner un temps considérable en gérant les mini-détails ménagers que règlerait certes tout un service de domestiques ; mais son emploi n’est pas à la portée de tout le monde et peut poser des problèmes éthiques. Pourquoi en effet se faire servir chez soi par un humain alors qu’une machine télécommandée pourrait fort bien y arriver ?

Soit alors ce truisme qu’il est bon de rappeler de temps en temps, et surtout actuellement : il ne faut pas uniquement voir le côté négatif, risqué, de la technique (et donc de nous-mêmes), surtout lorsqu’elle tombe entre des mains maléfiques ou tricheuses, mais il faut aussi examiner et sans partis pris ce qu’elle permet pour libérer l’humain de la servitude et le soulager au fil des travaux et des jours.
La nécessité de la maîtrise, mais aussi du risque, celui du premier navigateur s’élançant sur un océan inconnu, ne doit pas nous faire culpabiliser –plus qu’il ne faut- du fait que nous nous distinguons de plus en plus de l’environnement minéral végétal animal qui nous traverse de part en part pourtant.
Mais il se trouve que nous sommes aussi humains et devons vivre notre destin comme tel en le poussant cependant toujours vers le meilleur malgré le pire venant d’autrui et de nous-mêmes et assaillant chaque pas, chaque battement de pensée. Parce qu’il s’agit de conjurer le vertige de sa négation d’autrui et son illusion de liberté absolue. Du moins si l’on veut réussir à se développer, surtout durablement, c’est-à-dire en qualité et dignité.

Malgré ces limites rêvons tout de même sans retenue, mais un oeil toujours ouvert, au monde artificiel de demain, au tourisme spatial, aux ordinateurs-vêtements météomodifiables, à tout ce qu’une biotechnologie, maîtrisée, peut apporter contre les maladies incurables, les déficiences d’organes, contre les famines, la sécheresse, pour la vaccination de masse, l’accroissement de la longévité de vie, contre la pollution des nappes phréatiques par les pesticides.
C’est ce qu’il faut opposer à tout obscurantisme, même si la motivation des fabricants n’est bien entendu pas identique à celle de Mère Thérésa : le contraire aurait été étonnant , mais n’exclut pas des instances de régulation indépendantes pour empêcher les monopoles et les abus, en particulier sur l’agriculture et la reproduction génétique. Le non sens des farines animales et la volonté de certaines firmes à s’approprier le génome humain alimentent une appréhension légitime.
En fait nous ne serons jamais saturés de hi-tech, et donc de techno-urbanité, c’est ce qu’il faudrait aussi écrire sur des banderoles aux réunions du G8 au lieu de se contenter de prétendre défendre le Sud contre le Nord, en empêchant le développement des échanges, en refusant en réalité le développement économique du Sud et donc sa prospérité. Puisque le fait de s’en prendre à l’existence même du marché mondial et à ses instances internationales revient à cela.
Ne faudrait-il pas d’ailleurs plutôt admettre que l’absence de développement effectif du Sud freine la croissance mondiale et ce d'autant plus que le Nord sur lequel elle repose voit ses marchés classiques saturés et ses marchés émergents de l’intelligence électronique balbutier ?
Il est clair que le Sud manque à l’appel en Afrique et en Amérique du Sud en particulier pour élargir la base de la croissance mondiale et surtout la transformer en développement : lorsque dans le choix de consommer la qualité et la durée primeraient sur la quantité surproduite à coups de subvention, et l’éphémère. Ce qui orienterait la systématique des économies d’échelle et des rationalisations vers un autre type de production d’objets et de services plus respectueux de l’environnement et des salariés : voilà l’enjeu même du développement durable.
Mais pour y arriver il n’y a pas, en tout cas jusqu’à présent, de meilleur moyen que les libertés de penser et d’entreprendre, le tout dans le respect de soi et d’autrui. Du moins si l’on veut, réellement, permettre au Sud de rejoindre le Nord.
Impossible ! disent certains puisque pour eux la puissance de ce dernier vient du pillage constant et minutieux qu’il effectue sur le premier.
Sauf que cette affirmation est fausse. La prospérité du Nord, aussi inégale et injuste soit-elle, ne s’effectue pas pour l’essentiel au détriment du Sud malgré les apparences du contraire qui soulignent surtout l’appât intemporel du gain facile et non son fondement même.
Car la prospérité du Nord vient plutôt des révolutions industrielles successives. Et quand bien même n’est-elle pas exempte d’inégalités (j’en reparlerai en I), elle n’a pas été pour autant importée du Sud mais exportée du Nord.
Ce n’est pas parce que le Nord « pille » ou achète à « vil prix « les matière premières du Sud ou oriente la production alimentaire de tels pays que ces faits, seuls, empêchent, en priorité, le développement de ceux-ci.
Dire le contraire revient à laisser croire qu’il suffirait, comme on l’a cru à l’époque des projets « auto-centrés » en Algérie, en Egypte, au Brésil, en Inde, de déployer une industrie lourde et une agriculture collectivisée pour faire démarrer les industries légères et le commerce : cela s’est avéré faux. Parce que les échanges ne marchent pas de la sorte mais repose sur une offre et une demande libre. Ce qui permet de bien adapter, du moins en moyenne, la production à la consommation en des temps et des coûts maîtrisés. Voilà ce que ne comprennent pas ceux qui n’ont pas encore tirés toutes les leçons de l’échec total des pays du « socialisme réel » en la matière...
Ceci ne veut cependant pas dire qu’il suffit de « laisser faire », comme on l’a vu dans les ex pays de l’Est, car les besoins de protection sociale, de formation, et de services publics forts s’avèrent nécessaire pour accompagner les mutations nécessaires. Mais ceci ne veut pas dire non plus que cela soit obligatoirement l’Etat qui doit prendre en charge techniquement les choses. Car il peut déléguer ces tâches au privé, et à des instances de surveillance indépendantes, tout en vérifiant a posteriori leur adéquation avec les cahiers des charges.
En fait le meilleur soutien au Sud serait déjà de combattre le protectionnisme du Nord qui encourage -déjà par son inertie, les dictatures à se tourner uniquement vers la vente des matières premières. Ce qui entraîne une croissance mondiale médiocre, un surcroît de pauvreté, une immigration en hausse puisque l’argent gagné ne sert pas au développement d’un marché local mais uniquement à la consommation ostentatoire de la mafia au pouvoir.
Les populations du Sud voient ainsi passer la couleur de leur argent sous forme de grosses berlines et de vitrines luxueuses .
Et elles restent confinées dans leurs bidonvilles. Qui s’accroissent.
Car l’absence de développement industriel n’empêche pas l’exode rural. Au grand dam de ceux qui, au Nord, empêchent, de fait, le passage du Sud à l’ère industrielle et aujourd’hui techno-urbaine en militant contre son intégration dans le système économique mondial.
Puisque lutter contre l’existence même de ce dernier revient à cela, répétons-le sans cesse.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas réguler en profondeur ce dernier .
Certes, Il est de bon ton pour certains de fonder ce refus par une protection du Sud contre «l’horreur économique», « l’enfer capitaliste » en mettant en avant l’histoire de celui-ci et l’exploitation actuelle des enfants et autres populations pauvres dans certaines contrées. Et il est alors loisible pour eux, vivant dans un Nord repu et confortable où même les « défavorisés » ont un pouvoir d’achat bien supérieur à leurs semblables du Sud, d’imaginer plutôt pour celui-ci un retour à un supposé âge d’or des sociétés ou plutôt des communautés agraires où, paraît-il, il faisait toujours bon vivre, vivant ainsi ce fantasme par population interposée.
Or l’histoire du capitalisme non seulement ne se réduit pas à la discipline militaire des fabriques anglaises, à l’appropriation privée des terres communales, et à la dureté des mines. Mais en plus n’en relève pas aussi directement. Car autrement il faudrait lui mettre aussi sur le dos les dégâts collatéraux de la construction des pyramides et des grands barrages sibériens sous Staline qui ont « consommés », consumés, des centaines de milliers voire des millions d’hommes ; en accuser le capitalisme, mais aussi la propriété privée, serait bien entendu plus aisé : supprimons les et l’âge d’or, enfin, renaîtra.
Cette chanson fut chantée à l’Est : l’aurait-on oublié ? Répondre qu’en France tout sera fait en mieux pour pacifier à jamais, relève de la supériorité bête et méchante un tantinet ethno-centriste, comme si les russes, les allemands, les chinois, issus de civilisations séculaires, auraient été incapables de bien lire les textes sacrés du marxisme léninisme : avouons que la ficelle est un peu grosse...
Ne pourrait-on pas plutôt admettre qu’au-delà des circonstances historiques qui trament toujours la forme des tragédies les monstruosités humaines pourraient surtout relever de la volonté de puissance intrinsèque au désir de se développer comme liberté absolue ? C’est-à-dire de créer un monde adéquat à ses fantasmes tant que des limites internes et externes ne viennent pas en délimiter un visage humain ?
Si l’on admet que l’humain en tant que tel peut se saisir de circonstances favorables pour développer aussi loin qu’il le peut son désir d’ascendance sur la nature et sur le groupe afin de se prouver la réalité de son existence il n’y a alors pas de raisons qu’il n’en soit pas de même pour l’époque des pyramides et aussi pour l’époque dite « sauvage » du capitalisme.
Dans cette optique ce dernier est en fait une technique pour asseoir économiquement la puissance d’être. Celle d’une nouvelle catégorie sociale composée à l’origine de métayers de négociants et de commerçants utilisant les services de serfs et de vilains fuyant la servitude des seigneuries, l’ensemble étant désireux de croître à l’ombre de la ville.
Leur but, lorsque le temps de la fabrique vint, n’a alors jamais été d’enfermer des hommes en vue de les maintenir esclaves de la machine mais de les utiliser comme outils afin d’asseoir et de développer leur puissance d’être à l’époque sans limites. C’est donc celle-ci qui est à la source de l’utilisation des hommes. Le capitalisme n’a rien à y voir sinon à en spécifier la forme historique.
Lorsque les hommes furent utilisés en bêtes de somme affamées comme ce fut le cas dans les camps de travail nazis, soviétiques et actuellement chinois, l’origine de cette infamie ne vient pas du capitalisme.
Dans ces conditions l’idée stipulant que les systèmes soviétiques et nazis ne sont que la systématisation de la logique capitaliste est donc foncièrement erronée.
Elle néglige, -volontairement sans doute afin de ne pas creuser plus à fond les causes de la monstruosité soviético-nazi, que le but de la « logique capitaliste » n’est pas de détruire des hommes ou d’asseoir à tout prix une ambition, une conception utopique du monde, car celles-ci relèvent plutôt de la volonté de puissance débridée avide de créer un monde selon ses vues.
Le capitalisme, comme le souligne Max Weber ( voir note 1 ), consiste à déployer strictement une technique d’organisation du travail et d’optimisation des coûts qui ne trouve par ailleurs uniquement son amplitude que sous un régime démocratique tempéré : là où la liberté de penser et de vivre à sa guise se développe en respectant autrui, soit par décision intime soit par la loi constitutionnellement accepté.
Parler alors d’ » impérialisme » de « l’Empire » du Nord sur les pays du Sud est donc un non sens puisqu’il confine la possibilité de son existence à la seule dimension économique, c’est-à-dire en excluant à chaque fois que la motivation de la puissance n’est pas nécessairement cupide mais relève également de la volonté de pouvoir, du désir de fonder un réel nouveau adéquat à ses visions intérieures.

J’ai fait un tel détour pour arriver à la conclusion suivante concernant les rapports Nord-Sud :
Il est loisible de s’apercevoir, lorsque l’on écarte ainsi certaines idées reçues, que le Sud de la planète sert de plus en plus aujourd’hui de matière première symbolique à toute une frange d’utopistes passéistes, au Nord comme au Sud, opposant communauté et société, oubliant l’Histoire, lorsque, dans le Nord, les serfs, devenus vilains, fuyaient la monotonie et la disette des campagnes pour aller vers la technique et vers la ville . Comme c’est d’ailleurs le cas actuellement dans le Sud.
Aujourd’hui la reconstitution fantasmagorique d’un Sud aseptisé de toute contamination industrielle viendra hanter la haine de tous ceux qui économiquement, intellectuellement, artistiquement, sont en perte de vitesse au Nord comme au Sud.
Ils ne sont plus les notables d’antan qui suscitaient l’admiration ou l’envie.
Celles-ci vont plutôt maintenant aux nouvelles catégories sociales s’affairant dans la consommation de masse en passant par les médias, le sport, la musique, l’ingénierie internationale multiforme, la vente de drogues légales et illégales.
Et dépités de ne plus compter dans le temps mondial certains éléments issus des catégories sociales ainsi dépassées sont les plus remontés contre « la mondialisation libérale ».
Ils hantent tout le spectre de l’échiquier politique mondiale en agitant de plus en plus et sans honte un réel néo-colonialisme réactionnaire puisqu’ils veulent empêcher les populations du Sud d’avoir accès au développement tout en le maquillant bien entendu par divers « soucis », tel que penser à leur place.
Par exemple en confondant d’une part lutte pour avoir de meilleurs salaires et de meilleurs droits et lutte contre la mondialisation, même « néo-libérale », et, d’autre part, en croyant que toute hostilité violente venant du Sud serait précisément dû à un rejet de celle-ci. Alors qu’il s’agit plutôt d’un rejet des valeurs universelles permettant un développement effectif du phénomène humain, valeurs découvertes en Orient et non en Occident, c’est-à-dire en Palestine, en Chine également ; l’Occident ayant cependant développé, avec la Grèce, puis Rome, leur contenu civilisationnel universel. La puissance rédemptrice de ces valeurs étant de toute façon bien plus forte que l’ambition limitée des hommes, fut-il occidentaux...
Ce rejet des valeurs universelles est au centre de la stratégie léniniste et elle est aujourd’hui au coeur de la stratégie du totalitarisme islamiste puisque celui-ci veut corseter le développement humain dans une grille de lecture singulière qui n’a pas bougé depuis treize siècles et qui repose uniquement sur une parole théologique imposée, récusant tout l’effort historique mondial d’admettre d’autres paroles plus à même au fond d’admettre que l’humain a été fait libre, y compris pour désobéir.
Par ailleurs ce rejet veut également effacer l’Histoire pour revenir au temps où le tout de l’énergie du développement était uniquement tournée vers la guerre.
Ces deux objectifs démontrent déjà que les gens qui les promeuvent, issus du Sud, ne sont donc pas du tout des produits américains ou les fruits non voulus de l'Histoire, comme le soutiennent ceux qui prétendent penser à la place du Sud, en particulier l’entourage du politicien Jean Pierre Chevènement en France -sans que celui-ci les décourage. Ces grands analystes, -le candidat vert de l’époque s’était s’ajouté à la liste- nient en réalité que les acteurs au Sud puissent aussi avoir leur propre stratégie qui n’est pas seulement réactive mais offensive.
De ce fait, ils nient qu’au Sud certains acteurs politiques puissent ne pas seulement vouloir incarner les victimes éternelles du capitalisme conquérant mais aussi et surtout avoir leurs propres raisons, leur propre lecture de l’Histoire, qu’ils se sont construites eux-mêmes.
Dans cette optique, mettre par exemple en avant les victimes de l’embargo irakien, comme le fait Chevènement mais également Le Pen, ne sert à rien si l’on ne comprend pas que ces victimes sont d’abord celles de Saddam Hussein qui refuse de mettre à bas ses menaces en matière d’armement chimique (expérimenté sur les Kurdes) malgré sa défaite lors de son invasion du Koweït.
La volonté du dictateur irakien n’est alors pas le simple produit réactif d’une émotion libératrice visant à détruire le joug occidental, mais le résultat d’une stratégie visant d’une part à conquérir la suprématie dans la région, -( la guerre Iran Irack, qu’il a déclenché, a fait bien plus de morts que ce que les amis de Chevènement et Le Pen attribuent à l’embargo onusien)-, puis d’autre part dans tout le monde arabo-musulman. Son attaque du Koweït en 1991 ne s’explique pas autrement.
C’est ce que vise aussi Ben Laden qui est, comme Hussein, le résultat de sa propre décision sculptée dans la matière des enjeux historiques passés et présents.
Cette décision d’action se nourrit bien entendu des tensions et des incohérences du moment historique, - tels que les soutiens américain et français aux pays de l’islamisme extrême, et elle est tactiquement soutenu par tous ceux qui en veulent au capitalisme. Mais il est faux d’affirmer qu’une créature totalitaire est le jouet des circonstances, surtout lorsqu'il fomente ses actes prémédités.
Certes l'on peut admettre qu'un individu, poussé à bout puisse servir de jouet aux "artistes" dont parle Stockhausen , en fonçant par exemple avec son bus dans une foule israélienne. Mais il n'est guère crédible de laisser croire que la colère et la haine soient des motifs suffisants pour réaliser le passage à l'acte du 11 septembre 2001 planifié sur des mois. Seule une motivation supérieure peut accompagner, supporter, tout le long de l’effort, ce type d’action.
Quelle motivation ? L'enfermement comme raison. Le drainage de toute l’énergie de développement vers la guerre de conquête puisqu’elle n’a plus aucun autre endroit, aucun autre besoin, dans lequel se projeter sinon la tension d’aller de l’avant, toujours, au profit d’un purisme politico-religieux qui entraîne toute civilisation vers sa perte. Les « Talibans » - le terme signifiant « étudiants », ne sont pas une spécificité afghane mais l’avant garde mondiale de ce que désirent toute cette mouvance totalitaire se servant de la religion comme justification et propagande pour revenir à une époque et surtout une manière d’être qui fut précisément son instrument de disparition.
Aujourd’hui les reportages sur la fabrication des « martyrs » au Liban montrent tous que ce qui est d’abord rejeté ce sont les mutations dans la projection de l’énergie de développement qu’apportent la civilisation moderne, ce support précisément décisif des valeurs universelles.
L'attentat à la discothèque de Tel Aviv n'était alors pas seulement l'expression exacerbée de désespérés plus ou moins manipulés pour certains d'entre eux mais aussi et surtout le signe d'un totalitarisme en marche qui interdirait toute discothèque, même palestinienne.
Dans ces conditions stratégiques l’attentat multiple aux USA du 11 septembre 2001 n’intervient pas contre la politique de soutien à Israël, même s’il s’en nourrit, mais contre la société moderne dont les USA sont et restent l’un des emblèmes, au-delà des reproches divers et variés que l’on peut leur faire lorsqu’ils ont profité de leur hégémonie à l’époque de la guerre froide pour s’allier avec des dictatures.
Les attentats totalitaires du réseau Ben Laden et du réseau intégriste palestinien ne sont donc pas l’avant garde d’un Sud exacerbé contre « l’Empire ». Néanmoins ils savent se servir des incohérences du développement mondial, en particulier l’oppression militaro-mafieuse maintenant les populations du Sud dans la pauvreté et la disette, comme ingrédients pour nourrir leur stratégie de conquête mondiale. Il ne faut pas la sous-estimer. Le groupe d’Hitler se comptait en poignées dans les années 20.
Il est donc vrai que pour la contrecarrer il faut aussi réduire les foyers de tension qui peuvent alimenter une telle stratégie, quand bien même celle-ci se servira toujours du moindre défaut. Comme le faisait en son temps de gloire le mouvement léniniste. Et comme l’accomplit actuellement les courants antimodernistes antidémocratiques qui en sont issus et prolifèrent de façon dégénérée comme je le montrerai (en II), prêts d’ailleurs à faire alliance avec les courants intégristes pour abattre l’ennemi commun : la démocratie et l’ère techno-urbaine devenues mondiales.
Mais les reproches, même justifiés, contre ceux-ci ne peuvent de toute façon pas légitimer l’acte barbare du 11 septembre 2001 . Même si la date du 11 septembre rappelle celle de la chute de Salvador Allende fomenté par Pinochet et ses soutiens de la CIA.
Pourquoi ? Répétons le encore : parce que cet acte ignoble et lâche n’est pas un acte « terroriste » vengeant les « crimes américains « ou les « dominés », même s’il peut en agiter la rhétorique et bénéficier de leur frustration en donnant l’illusion qu’il s’est érigé au nom de tous les « damnés de la terre » alors qu’il s’agit uniquement pour lui de manipuler la symbolique des injustices impunies en vue d’ imposer son système totalitaire : soit la domination mondiale d'un système crypto-religieux dans lequel les femmes sont effacées, écartées de la vie sociale, les homosexuels tués, les danses interdites, les cafés, la diversité de l’habillement, la télévision, l’image, la musique, de même que les applaudissements aux évènements sportifs et les cerfs-volants.
Dans ces conditions « le sentiment de satisfaction « existant paraît-il dans « le Tiers monde » comme l’a prétendu le Vert Alain Lipietz à la vue des dégâts d’un tel acte, semble être en porte à faux lorsqu’il montre du doigt comme justification les « crimes du capitalisme ».
Mais admettons que dans le cadre de la fabrication des croyances ce lien illégitime soit établi quand même par les manipulateurs de frustrations.
Y aurait-il alors deux poids et deux mesures entre « crimes » du Nord et « crimes » du Sud ? A cette question une réponse, objective, doit être donnée.
Elle consiste par exemple à distinguer l'acte totalitaire du 11 septembre et tel acte de représailles israélien en ce sens qu'il ne s'agit pas de tuer du Palestinien en tant que tel (sauf exception intégriste et aussi erreur politique comme je le développerai plus loin ).
Il ne faut donc pas confondre acte intentionnel, prémédité, et acte de représailles, certes regrettable et que l’on a vu maintes fois en Inde, en Afrique, en Amérique lors de la colonisation, mais qui peut s'expliquer de la manière suivante, du moins pour l’exemple ci-dessus : contrairement à ce que prétend l'aile "dure" palestinienne qui veut faire capoter à chaque fois les cesser le feu proposé par Arafat, il ne s'agit pas pour elle de "résister" sur des territoires, gagnés en 1967 par Israël à un contre trois, et que le plan Barack voulait rendre à 95%, ( j’en reparlerai plus loin), il s'agit de s'en servir comme première étape, base arrière, pour détruire ensuite Israël puis enfin s'emparer de la Jordanie de l'Egypte, aller vers l'Arabie Saoudite parce que son pétrole s'avère nécessaire pour acheter les armes fatales qui apporteront la domination mondiale que prépare l'attentat du 11 septembre.
D'un côté donc le meurtre prémédité se veut fondateur, c'est la règle. De l'autre il reste réactif, et c'est l'exception. C'est toute la différence entre les démocraties et les régimes totalitaires. Mettre sur le même plan, comme le font les totalitaires et leurs alliés, les massacres d’Amérindiens, l’Holocauste, les bombardements, classiques, de Dresde, nucléaires, d’Hiroshima et de Naguasaki, au napalm du Vietnam, et certains massacres de Palestiniens au Liban, c’est confondre crimes de guerre, crimes expansionnistes, certes inexcusables, mais qui n’ont pas pour objet la destruction systématique d’un peuple ou d’une classe, en tant que tel, et précisément les crimes contre l’Humanité qui puisent leur existence dans cette réalisation même.
Les affamés d’Irlande, tous les immigrés d’Europe qui fuyaient la famine et se sont affrontés aux Amérindiens en allant vers l’Ouest ne se sont pas déplacés là bas pour tuer de « l’Indien ». Mais pour s’installer. Il en est de même pour les descendants de forçats ou pour les exilés de la Commune installés de force en Algérie.
Les nazis, eux, avaient comme projet, fondateur, de détruire tout Juif. Pour tuer le capitalisme et la civilisation moderne en même temps comme le disait Léo Strauss (1941).
Certes, les bombes nucléaires ont irradiées des centaines de milliers de civils. Mais si elles n’étaient pas tombées sur le Japon, peut-être que la conquête terrestre aurait nécessité des millions de victimes, dépassant le nombre des morts irradiés, car les Japonais, de par leur fidélité à l’Empereur, se seraient fait hachés jusqu’au dernier tandis que l’URSS, lui ayant déclaré la guerre le 8 août 1945 ! l’aurait envahi et coupé en deux comme en Allemagne et en Corée, avec les résultats que l’on connaît.
Les centaines de milliers de morts de faim en Corée du Nord s’effectuant sous nos yeux ne suscitent d’ailleurs pas la même indignation alors qu’ils sont pourtant la conséquence même du système totalitaire qui préfère affamer sa population de peur qu’elle se révolte. Le peu d’indignation a été tout autant édifiant pour les millions de morts de la Révolution Culturelle chinoise sans parler du Grand Bond en Avant, les millions de morts en Ukraine, au Goulag, et j’en passe...
Le problème n’est pas d’accuser, d’excuser, compter les morts, mais de laisser croire qu’il existe une similitude d’une part entre des injustices liées ici et là au débordement donné de la volonté de puissance non régulée et des injustices institutionnalisées, et d’autre part entre des crimes de guerre circonstanciés et des crimes totalitaires qui se fondent sur la destruction même de l’autre en tant qu’autre, race et/ou classe.
De même, mais sur un registre plus socio-économique, le fait par exemple qu’il y ait plus de noirs et de pauvres en prison que de riches aux USA ne veut pas dire que le but même des riches est d’enfermer les pauvres. D’autant qu’ il faut s’entendre sur les arguments puisque l’on accuse également les riches d’exploiter les pauvres or si ceux-ci sont tous mis en prison il y a problème : l’on confond en fait la Chine et les USA...
En réalité s’il y a plus de noirs en prison c’est surtout parce qu’il n’est plus accepté qu’être pauvre justifie la criminalisation aventuriste et nihiliste de la révolte contre l’injustice.
Les luttes pour l’émancipation sociale au 19ème siècle, à une époque où le confort chez les pauvres était un rêve debout, se sont toujours démarquées de la tentation pseudo révolutionnaire et en fait petite bourgeoise prétendant lutter non pas contre l’injustice mais contre la notion même d’ordre social ( j’en reparlerai en II).

Dans ces conditions historiques, qui atteignent aujourd’hui leur réelle dimension, ce qu’il faut, pour que le Sud puisse échapper à cette double emprise et accède enfin au développement, ne peut donc se résumer stratégiquement à diaboliser le Nord et tactiquement de demander l’annulation de la dette.
Observons cette dernière.
Ce n’est pas la « dette » qui empêche en priorité le développement dans le Sud mais l’absence de libertés de penser et d’action, bref, d’entrepreneurs capables de créer des industries matérielles et immatérielles. Et de syndicalistes à même de limiter leur égoïsme.
Certes cette croyance illusoire dans l’annulation de la dette comme solution ultime aux déboire du Sud donne bien entendu bonne conscience à ces nouveaux petits blancs du Nord qui se croient politiquement à gauche mais ne voient pas que ce cautère ne sert à rien s’il ne s’accompagne pas de réformes structurelles. Il permet seulement à la corruption locale de se perpétuer en demandant de plus en plus d’argent qu’elle ne remboursera de toute façon jamais puisque les belles âmes au Nord l’exigeront lorsque des photos de disette circuleront.
Pendant ce temps là l’aile réactionnaire intégriste peut d’autant plus trouver, au sein de ces régimes militaro-mafieux ainsi aidés, une base sociale parmi les catégories pauvres et moyennes que celles-ci sont non seulement ainsi volées mais également non préparées relationnellement pour accepter le monde techno-urbain et ce qu’il en coûte en mutations économiques, sociales, mentales.
Or au lieu que l’argent prêté puis donné aident ces populations à trouver leurs propres marques dans ce monde, ces sommes se trouvent toujours accaparées par les gangs militaro-mafieux au pouvoir, soutenus en sous-main par les dirigeants des puissances du Nord peu intéressés eux aussi de voir un Sud se développer et donc concurrencer ceux qui les élisent. Ce qui ne fait qu’alimenter les réseaux totalitaires heureux de démontrer que la gabegie des gangs locaux au pouvoir illustre la civilisation moderne elle-même.
Les puissance du Nord n’en ont cure, persistent et signent à soutenir des pouvoirs honnis et ultra corrompus, puis s’indignent lorsque le totalitarisme trouve les recrues nécessaires pour les blesser durement...
Le fait par exemple que l’opposition démocratique algérienne, aussi infime fut-elle, n’ait jamais été reconnue et donc reçue, pas plus que le feu Commandant Massoud, par les instances exécutives des Républiques françaises et américaines, en dit long sur le refus quasi doctrinal des puissances du Nord à préférer l’extension de la démocratie à l’extension de leurs intérêts économico-financiers en termes de marchés publics et/ou de concessions pétrolières et gazières.
Cette situation implique alors ceci pour les amis du développement durable (ADDD) :
Le meilleur moyen d’aider le plus efficacement le Sud serait d’appeler au boycott des Etats non démocratiques.
Car la démocratie, au sens des valeurs universelles propres à la civilisation moderne, ne se réduit pas au bulletin de vote, mais comprend dans son fondement constitutif les libertés de penser et d’entreprendre indispensables pour amorcer un réel développement durable.
Ce boycott peut se traduire en limitant l’achat de leur pétrole et de leur gaz sans une telle contrepartie démocratique.
La situation dans la péninsule arabique incite d’autant plus à cette décision, qu’elle placerait les Etats soutenant en sous-main le totalitarisme devant leurs propres contradictions.
Nous pourrions alors profiter de cette contrainte pour développer enfin le moteur à hydrogène, la pile à combustible, la co-génération, et un nucléaire propre puisqu’il en existe bien un, à base de thorium, contrairement aux rumeurs de ceux-là mêmes qui n’ont aucune autre solution que de stopper le nucléaire et d’introduire uniquement des sources d’énergie bien insuffisantes pour alimenter nos villes. A moins de réduire notre confort et de basculer dans un monde frugal rêvé par quelques néo-bergers...
Pendant ce temps, dans le Sud dominé par les dictatures mafieuses la famine chronique est permanente et l’absence de moyens minimum de vie devient monnaie courante. Surtout lorsque l’on habite à quinze dans une pièce de 10 m 2, que l’on se relaye pour dormir, que l’on mange à peine pour survivre, sans travail et sans instruction, sans autre distraction qu’un peu de foot, de dominos, et de bavardages au café avant de mourir égorgé comme on le voit en Algérie.
Mais de cette réalité, au quotidien, certains soit disant « amis » du Sud n’en n’ont cure. Puisqu’ils profitent largement du capitalisme dont la dynamique même ne vient pas, encore une fois, d’un « pillage du Sud » comme parmi eux de doctes illettrés le proclament, -on ne voit d’ailleurs pas comment la hi-tech par exemple en serait le résultat-, mais des libertés, durement conquises, du penser et de l’action.
Certes les capacités pour agir de la sorte sont inégalement acquises et dépendent pour une large part du degré de compétence possédé. Il n’en reste pas moins qu’elles sont les fondamentaux mêmes de la démocratie en acte qui ne se résume pas , je le répète, au bulletin de vote toujours trafiqué ou idéologiquement corrompu comme il a été vu avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, élu très démocratiquement, sans aucune rumeur de fraude, semble-t-il....
Aider donc le Sud, c’est lui permettre d’ acquérir la capacité de déployer son propre génie pour dominer l’ère techno-urbaine, et non pas de le cantonner dans le champ de l’utopie négativiste qui fait parfaitement le jeu des puissances hostiles à son développement, même durable.



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Serai-je alors technomaniaque à phraser ainsi ? Rien de tel qu’un petit auto-portrait, que j’espère léger, pour le déceler ( avant de plonger dans la démonstration, plus ardue je le crains, des propos précédents ) :
Suis-je au fond une technovictime ? Sans le soleil du Sud, le confort du Nord, et sa consommation effrénée, son gaspillage, me sentirais-je mal façon Woddy Allen ? J’avoue que sans la dernière version de quoique ce soit il est vrai que, parfois, je me sens un peu vieux jeu, mais je résiste. Car s’il me faut l’exhiber pour espérer être reconnu, je sais que le syndrome du technosolo n’est pas loin avec la télécommande et la pizza quotidienne à domicile, hot sauces, compagnes fidèles certes mais ô combien frustrantes ! A trop tirer sur la corde de la compensation par l’imaginaire, même numérique, attention ! je risque le court-circuit des circuits courts, où j’y disjoncterai.
Par contre je me vois bien en techno esthète.
Les innovations entrecroisant technologie et design derniers cris attisent si fort mon émerveillement et symbolisent si parfaitement les prouesses de l’ère techno-urbaine que les sensations deviennent divines : il paraît que la dernière Mercedes SL ( coupé et cabriolet en même temps) relève de cet acabit, bijou électronique, si fragile aussi, inabordable également, luxe de toujours.
Cela me rappelle d’ailleurs cette phrase de Françoise Sagan : il existe deux gauches, celle exigeant que tout le monde marche à pied, celle proposant que tout le monde roule en Rolls.
Le réaliste techno esthète que je suis exigerait plutôt que la qualité d’une Rolls soit perceptible peu à peu dans la voiture en série et surtout dans les bus et les métros au lieu de rêver à sa suppression inutile et même détestable puisque l’inégalité de fortune existera toujours et n’est pas uniquement le produit de l’héritage social mais aussi de sa capacité à s’intégrer dans la division des compétences.
Le problème est donc le suivant : comment faire en sorte que le plus grand nombre soit suffisamment à même d’être bien préparé pour faire valoir compétences et aptitudes ? N’est-ce pas aussi là le défi même d’un principe d’humanité cher à Jean-Claude Guillebaud ?

L’émerveillement techno esthète m’habitera toujours lorsque je vois un satellite tournant dans l’espace, et lorsque je manipule un CD Rom, un site, aux mille clics qui bifurquent : toutes les capacités et les beautés du genre y sont poussées, à fond, malgré le risque du bug. Mental.
Je m’en immunise en virevoltant dans mon corps extérieur, celui de la ville. J’y déploie totalement mon côté techno fun qui m’aidera à glisser sur le flot des lumières des mécaniques et des mouvements charnels. A leur contact je me régénère. La vision des Lara Croft sur leurs rollers téléphonant en traversant la Seine, le soleil couchant illuminant la scène m’attire. Celle des Conan chevauchant leurs puissants cm 3 une oreillette en bandoulière ne me laisse pas indifférent. Car la vie pour moi est faite, aussi, de flashs et de mixages haletants interpellant l’animal et l’humain en même temps : délice des sensations de vitesse et de puissance, défi au monde, à la ville, à l’Histoire lorsque je croise ses monuments et ses espoirs.
Je me sens alors techno groove rêvant de la « perfect party », la musique est une seconde peau, un drapeau, un sol interne et secret, même si ma drogue reste cependant l’envoûtement onirique, historique, (ah ! Venise…) m’imbibant de l’ambiance de la Ville venant des ombres dormantes du halo des pierres, laissant de plus en plus à la technologie les tâches répétitives pour que ce confort atteint puisse me permettre de (dé)rouler faste dans les espaces-temps des nervures urbaines.
La Ville est mon œil. Palpitant. Ses signaux : affiches, flux divers, déhanchements, regards, foule des magasins, sont des vaisseaux en route vers ma pupille. Blanche ? Pas seulement. Française ? Pas seulement. Ma pupille est aussi Kabyle, chrétienne, terrestre et galactique. Je suis gorgé d’étoiles, naturelles et humaines : toutes ces stars cosmiques technologiques et culturelles, là où mes atomes physiques et mentaux vont se ressourcer pour me maintenir dense. C’est cela la gravité symbolique à l’ère techno-urbaine : je suis à la fois en extension dans l’ Univers, unique vers, et je rebondis de galaxie lactées en galaxie de sens, de monument en rue, dans un devenir boomerang accélérant ici l’Histoire par un mot tranchant, la ralentissant là dans une méditation. Ce va et vient est mon souffle ; l’air singulier des contrées et des âmes mon vent ; le tout est le là de mon sol solaire voyageant à 300.000 km seconde, énergie étale si je pouvais voir le soleil à une telle vitesse, et pourtant si rond, si dense, si chaud, orange sanguine aussi qui s’enfonce dans la mer, retirant notre lumière, nous plongeant dans le sommeil pour aller éclairer l’autre côté de la Terre .
Ecarte toi de mon soleil... disait Diogène à Platon. Ce qui me semble-t-il voulait dire : ne sois pas une seconde Caverne qui m’empêcherait de voir dans toutes les directions.
Il n’y aucune raison que ce genre de réflexion cesse, même si nous sommes dans une ère très technique et très urbaine.
Notre soleil, interne, sera ce que nous voudrons qu’il soit.
Je me sens donc techno romantique jusqu’au bout des ondes.
Et pour le parfaire la vie à la campagne, au bord de la mer, serait idoine pour moi.
Du moins si le travail et l’école à distance étaient possibles.
Quoi en effet de plus hi-tech que d’articuler confort, design, et zéro pollution, sans le techno stress et ses bulles multiformes ? Une Venise permanente : entre ciel et terre, immobile dans le mouvement, comme la flèche de Zénon, la tortue aussi. Et où seuls les lapins en haut de forme savent donner l’heure : pour détaler du tumulte s’étaler entre le passé et le futur, entre la console et la table de chêne : vivre sous les peupliers, s’enivrer au rire cristallin des enfants rebondissant sur le murmure des cascades et des doigts qui avancent sur le clavier du portable ; l’océan au loin m’appelle, il (me) gronde, je succombe à son appel.
Je ne serai donc jamais techno « workaholics ».
C’est le profil de Keanu Reeves dans Sweet November: le robotiquement vôtre, multi moi sans toi ni loi, un audimat dans la tête chaque personne croisée est punaisée en médiatisé, « médiatisable », impair et passe, les caméras sont peut-être ses yeux, sûrement les miens, techno solo n’est pas loin, technovictime guette.
J’évite aussi l’entomologie urbaine permanente plongeant dans la foule pour m’y défouler. Et je sais que si je n’y prends pas garde, si je lui permets de percevoir quand elle le veut l’écrin de mon corps élevé par elle et par moi au rang de seul écran la foule me foulera à ses pieds.
Technodémocrate tout de même ? Oui.
Je pense, comme beaucoup d’autres, que le vote électronique ressourcera nos démocraties essoufflées par trop peu de réformes. Il permettrait au Citoyen de mieux s’approprier l’ère techno-urbaine . Internet peut en effet aider à connecter autrement ceux qui sont toujours aiguillés dans les mêmes couloirs de communication. Je soutiens l’ordinateur à l’école qui (ré)apprend la lecture aux plus défavorisés.
Bref, je l’avoue, je suis de la tribu « Hi-techer » ( qui se prononce aussi hi take care ).
Elle est mondiale, locale, singulière, particulière, universelle. Elle articule beauté, efficacité, et « développement durable » : la technologie soulagerait l’effort du plus grand nombre, elle serait si belle à regarder et respecterait l’environnement.
Vaste programme !
C’est ce que je vais oser développer devant vous pourtant (III).
Mais avant (I et II) il faudra planter le décor, repérer les pièges et les impasses, observer le jeu de rôles des supposés gentils qui, à trop faire l’ange, dévoilent la Bête supposée être toujours et seulement dans cet autrui nommé propriété marché capitalisme chair désir liberté…




***


I

L’épreuve (des faits)

Un combat semble émerger dans l’opinion mondiale entre d’un côté un hybride politiquement modifié issu de divers courants politiques et religieux pourtant historiquement en perte de vitesse. Cet alliage composite et instable déploie trois têtes agressives, antidémocratique,antiprogressiste, nihiliste (AAN).
Il est composé, dans le Nord, par ce que j’ai appelé plus haut les néo petits blancs.
Ce sont les frustrés de l’ère techno urbaine qui se voient concurrencés par les catégories sociales montantes des médias, du show-business, du sport, de l’ingénierie et des organismes internationaux.
Dans le Sud ce nouveau totalitarisme est composé de résidus léninistes, ce « nihilisme légal« et d’intégristes payés grassement par des sociétés secrètes issus d’Etats comme l’Iran et l’Arabie Saoudite et dont l’objectif est de créer, déjà au Proche Orient puis en Afrique, enfin dans le monde entier, une société strictement inégalitaire, raciste, basée sur la guerre permanente et qui existe d’ors et déjà puisque dans certains endroits les droits imprescriptibles et universels de la personne sont strictement interprétés pour empêcher le libre développement, tandis que les étrangers se doivent d’abjurer leur foi et leur culture pour être à peine tolérés.
L’objectif politique d’ensemble, au Nord et au Sud, de cet alliage AAN est donc de noircir, à dessein, les contradictions et les manques du monde libre, du monde tout court, depuis la faillite du « socialisme réel », en en détruisant ou en combattant les ouvertures économico-politiques et l’évolution des moeurs et des arts. Je montrerai comment (II).
De l’autre côté, les amis du développement durable (ADDD), dont je suis, tentent de conjurer le pire et de construire le meilleur.
Ils sont certes bien conscients que la globalisation économique, surtout lorsqu’elle renforce la volonté de puissance des plus forts, et se trouve démunie devant les immenses possibilités de tricherie, ne peut résoudre, à elle seule, la mondialisation des problèmes et en particulier le choc inter-sociétés que l’ère techno-urbaine accélère et en même temps révolutionne pour le meilleur et pour le pire.
Mais ils sont soucieux de choisir plutôt la voie de l’extension de la démocratie et du progrès par la régulation politique, seul bouclier durable. Il y va de l’avenir de milliards d’êtres humains qui, tous, aspirent à la prospérité et ne veulent pas être mis au rebus, même après soixante ans.
Les ADDD, sont également inspirés par la question fondamentale permanente que se posait Hamlet, après les Grecs il est vrai : être ou ne pas être en y ajoutant : comment ?
Comment faire en sorte qu’autrui ne pâtisse pas de mon désir (parfois bestial au sens inhumain du terme) de croissance ? Comment dans ce cas ne pas désespérer de l’Humanité concrête ?
En demandant l’impossible : l’intégration du Sud dans l’ère techno-urbaine d’un côté, l’aide à la reconversion des populations, au Nord et au Sud, touchées par les évolutions et les mutations, de l’autre.
Sans oublier la constitution d’un fonds international d’entre aide financé par des déductions fiscales afin de lutter mondialement contre l’effet de serre et plus globalement contre les inégalités des chances entre le Nord et le Sud.
Loin de ces réflexions l’hybride AAN préfère, lui, se nourrir du non être permanent du monde, de son imperfection récurrente, quand bien même celle-ci serait sans cesse et de mieux en mieux combattue par des réformes toujours nécessaires. En France, un énoncé connu du genre " peu importe la couleur du chat du moment qu'il attrape des souris " sera pris pour du chinois et donc mal vu.
Car l’AAN ne cherche pas à réformer mais veut détruire le réel connu pour édifier un autre réel si uniforme qu’il s’imposerait à tous comme seule conscience possible sous peine d’excommunion-expropriation et de massacres aveugles, au Sud comme au Nord. L’attentat anti-américain du 11 Septembre 2001, cet attentat anti-Sud au fond, en a sonné le glas. Le tout hypocritement voilé du nom de Dieu .
C’est que pour les AAN, surtout ceux issus d’un léninisme dégénéré (je le détaillerai en II), l’existence, libre, inégale, du groupe, est inexcusable.
Son appropriation privée encore plus. Observons dans ce cas brièvement celle-ci puisqu’elle semble devenu la bête noire principale des casseurs à Gènes et ailleurs .
Il semble bien pourtant que la cause même de l’inégalité ne s’avère être ni le groupe ni la propriété comme le croyait Rousseau qui fut toujours la justification théorique de tous ceux qui pensaient ainsi.
Car l’inégalité est plutôt le résultat d’une rencontre, à un moment du temps historique, entre l’état donné d’un processus social demandeur de x compétences d’une part, et, d’autre part des lignées d’individus ayant plus ou moins accumulées un héritage donné qui accentue ou amoindrit leur capacité de développement.
Ceci ne veut pas dire que la société ne doit pas corriger, malgré l’ égoïsme, et dans la mesure de son possible et des luttes politiques, cette inégalité d’insertion dans la gravitation historique donnée du temps social considéré. Mais cette solidarité ne veut non plus pas dire que son existence serait la preuve que l’inégalité est injuste par essence. Ou que l’injustice serait à la base même de la société. Cela veut seulement dire que le groupe prend peu à peu conscience qu’il ne peut laisser au hasard le soin de réguler l’inégalité des chances, même si celle-ci est un résultat historique de facteurs combinés qui échappe pour une part aux décisions individuelles des acteurs.
Quant à l’origine de la propriété, celle-ci a au moins deux racines, l’une psychosociologique, l’autre historique.
La dimension psychosociologique de la propriété vient de ce que l’homme projette son propre besoin de développement dans des formes externes mobiles et immobiles qui viennent en renforcer le processus. Ainsi des représentations du monde et de soi en son sein s’actualisent en un propre, qui vient se prolonger dans une appropriation d’ attitudes, de besoins, d’ objets .
Tout cet ensemble est alors l’expression de demandes en polémique perpétuelle tant elles sont tissées de blocs contradictoires d’émotions et de sentiments, à la recherche interne et externe de compensation et de raffinement pour rassasier leur volonté d’être et paradoxalement parfois la peur d’y arriver. Car l’auto-développement peut n’avoir pas été au rendez-vous par suite de blessures symboliques et d’environnement hostile, il exige alors compensation oscillant entre l’ostentation et la consommation sans fin. J’en reparlerai lorsque j’aborderai en III la question de l’identité à l’ère de la consommation.
Quant à la dimension historique de la propriété, elle a toujours existée, même si elle n’a pas eu au paléolithique ce caractère privé que nous lui connaissons et qui s’explique par la sédentarisation issue du tribalisme, lui-même produit principalement par l’accroissement démographique qui nécessite de borner l’aire d’influence dans son limes.
Puis la division sociale du travail, la technique et la ville, articulées à la systématisation progressive du besoin d’entreprendre, ont renforcé cette extension de la démocratie que devint le capitalisme , au-delà des inégalités des égoïsmes et des abus de puissance dont il n’est pas la cause puisqu’il est seulement un instrument : celui du droit à offrir des réponses marchandes aux demandes des besoins exprimant le développement humain dans ce qu’ils ont de nécessaire, de compensatoire, d’ostentatoire.
Le besoin d’objets, que l’on ne produit pas soi-même, a ainsi des racines profondes qui ne peuvent être réduites à la pression sociale et à la mode du temps.
Et le capitalisme, en tant que cette liberté d’offrir des biens sans en passer par les fourches caudines des autorisations claniques, politiques, et religieuses, est d’autant plus devenu peu à peu le meilleur outil de la propriété que celle-ci reste le meilleur moyen de produire de manière décentralisée et diversifiée.
Elle est la plus efficace des motivations pour le faire.
La paysannerie russe a été détruite, massacrée, dans un génocide précurseur inouï, justement parce qu’elle ne voulait pas y renoncer.
Il ne faut donc pas confondre le désir d’appropriation et les linéaments pris par sa forme historique en sein de propriétés juridiquement diverses, avec l’appétit de puissance qui est coextensif à l’humain et qui peut être fautif des excès pour compenser divers manques à être et autres blessures symboliques.
Il faut enfin ne pas oublier que la propriété sous sa forme capitaliste a permis aux non aristocrates et aux non prêtres de se hisser vers la conquête en propre du temps, de son libre arbitre personnifié.
La propriété marchande et spécialement commerciale est en effet devenue à ce moment là un mobile parce que le mouvement de plus en plus rationnel de son accroissement a permis aux serfs fuyant le joug seigneurial de compenser les immenses pouvoirs visibles et invisibles du guerrier et du prêtre en devenant ces artisans et commerçants ouverts au monde et au devenir, bâtisseurs de cathédrales et créateurs d’étoffes soyeuses, en attendant que l’industrie systématise les biens au profit, aussi, du plus grand nombre.
Ce mouvement d’appropriation et de curiosité, d’inventivité permanente en se technicisant est devenu un système ouvert de minimisation des contraintes, il a incarné peu à peu le monde du techno-urbain aujourd’hui arrivé mondialement à émergence.
Certes les plus démunis en tout souffrent toujours.
Mais ils souffriraient encore plus et seraient bien plus nombreux dans une économie centralisée fonctionnant au seul bénéfice d’une poignée de despotes comme nous l’avons vu à l’Est et toujours en Chine, à Cuba, en Algérie...Même si ces deux devantures que sont l’éducation et la santé, permettaient de laisser croire à leur efficacité (du moins un temps) alors que le savoir acquis ne servait à rien et la santé était sans cesse compromise par la sous alimentation chronique organisée sciemment pour raisonner uniquement sur son ventre vide et ne pas s’en prendre au pouvoir puisqu’il donne l’éducation : il ne peut être que bon, ce n’est donc pas lui le fautif .
En fait il s’avère que l’acte même de produire, d’organiser la production, est rendu plus efficace s’il est fait selon les motivations plutôt que sous la domination uniformisante et encore plus inégalitaire puisque sans limites, sans Droit, sans aucun contre-pouvoir : « le » Parti, « l’Exécutif », sait tout, prétend être le bien public et se l’accapare en sourdine.
Or la gabegie et la corruption généralisées dans ces pays sont le résultat même de la volonté de puissance lorsqu’elle est laissée sans limites et inculte, et non pas le résidu d’habitudes coloniales incorporées comme tentent de le faire croire par exemple les têtes d’affiche AAN toujours à la recherche de la paille dans l’oeil d’autrui et refusant de voir la poutre qui est dans le leur : l’enfer c’est toujours et uniquement l’autre...
La forme capitaliste ne peut cependant exister qu’en acceptant que la technique évolue, la façon de produire change, et cela ne va pas sans crises. Surtout lorsqu’elles sont mutationnelles. Car malgré les souffrances engendrées, elles permettent aux humains de changer certains éléments de leurs besoins et des réponses que le marché propose.
Ce n’est pas l’avis des théoriciens ayant l’anticapitalisme comme fond de commerce. Pour eux la demande et son besoin aux oscillations parfois surcompensatrices de blessures diverses, n’est pas intrinsèque à la condition humaine mais uniquement au capitalisme, à la propriété, à la ville, c’est-à-dire la division sociale du travail aujourd’hui mondiale. C’est la théorie des « faux besoins ».
Détruisez le capitalisme, la propriété, l’homme nouveau deviendra désintéressé clament alors ses ténors issus du léninisme.
Mais ce ne sera pas suffisant prônent les plus radicaux d’entre eux en France qui, après la mort de Sartre, ont supplanté les léninistes dans les moeurs et les arts et les concurrencent aujourd’hui au niveau politique en s’alliant en sous-main avec les nouveaux totalitaires du Sud utilisant et souillant le nom de Dieu. Ce n’est pas assez car le virus est déjà installé dans la raison : l’idée même de projet, de concept, de sens, de limite, de plaisir sans sordidité, par exemple.
Détruisez plutôt ceux-ci en priorité et vous liquiderez en même temps la figure de l’humain concentrée, unie, autour d’un but de développement, cette fin anthropocentrique, source de domination et de violence symbolique. Eparpillez son énergie, cette volonté bourgeoise d’être du monde et souverain de soi-même, jetez-là dans l’errance permanente, ou la guerre. Vous créerez ainsi toutes sortes de variétés d’humains vivant leur désir dans des jeux où s’estomperont la différence entre le réel et l’imaginaire, entre leur souhait et celui des autres, où leur estimation des valeurs sera la seule Idée qu’ils reconnaîtront, n’est-ce pas mieux ?... Non, parce que cet effacement favorise les attitudes voyant dans toute contrainte une oppression, toute civilité une violence, et qui loin de réfléchir aux conséquences du développement humain réduit celui-ci à une simple croissance de désirs transformant tout ce qui n’est pas lui en matériaux manipulables : la Bête nihiliste est née.
Et elle aimerait bien détruire la société moderne. Pour la remplacer, là, par un ordre chaotique, ici par un ordre frugal et/ou purifié : c’est ce qu’exigent les autres Bêtes construites dans l’horizon du retour originaire au Sud. Et ce sont, tous, des « élus », ceux d’un nouveau « peuple », qui régiront la vie et diront à chacun ce qu’il faut penser, consommer : les joies du corps étant définitivement exclues dans le Sud ou alors uniquement envisagées sous l’horizon pervers, dé(cons)truit dans le Nord : ou le démantèlement comme oeuvre d’art.
Dans cette double optique de destruction généralisée le stade capitaliste n’est plus alors un acquis de l’Histoire, acquis qu’il s’agirait de dépasser au sens fort du terme, de faire donc évoluer.
Pour ce néo-prémarxisme et cette néo-barbarie pré-monothéiste, nouveaux adeptes de Baal en fait, le capitalisme devient en effet le symbole d’une société honnie puisque sa liberté est un absolu aux formes multiples, ce qui n’est pas supportable pour ceux qui se veulent unique, au-dessus de tout, (overall / über alles), membres d’une seule ligne politique, d’une seule lignée en fait.
Et comme le capitalisme ou plutôt les capitalismes sont antinomiques avec l’uniforme pour tous, avec ce fait qu’une seule forme de réalité soit identiquement vécue, les doctrines composant AAN ne peuvent en accepter l’acquis puisqu’elles sont plutôt à la recherche d’un absolu de type totalitaire, c’est-à-dire n’ayant aucunement besoin de la réalité pour s’exprimer : elles sont la réalité.
Insistons là-dessus, car il ne s’agit pas seulement d’enfoncer le même clou mais de tenter de comprendre ce type, là, d’entêtement totalitaire : elles se prétendent en effet la seule réalité possible qu’il suffit d’entendre pendant des heures sur les places publiques de la Havane, dans les rencontres ritualisées de l’anti-libéralisme, dans les grottes et autres caves salafistes et wahhabistes.
Si l’on s’en tient aux racines léninistes du faisceau AAN du Nord cette suppression du réel n’est pas nouvelle puisqu’elle a été le seul aspect du feu communisme à avoir été accompli, l’éducation et la santé n’étant que des outils de propagande et de dépendance psychologique.
Trotski a par exemple soutenu Staline pour faire cravacher des millions d’hommes dans le cadre de la « militarisation du travail« . C’est qu’il fallait agir de telle sorte qu’à partir d’un certain stade les usines tournent toutes seules pendant que l’homme s’en irait discourir et créer selon son désir , ou, plutôt, entendre discourir et regarder créer ceux qui sont plus ego que les autres, tel fut du moins l’état de fait du communisme réel.
Sauf qu’il ne fut nullement pensé par lui que ces usines doivent être sans cesse transformées parce que les formes exprimant les besoins des hommes changent et que les humains s’aiment et se haïssent précisément par cette capacité d’apporter un plus de réel dans la manière même de produire, d’échanger, de re-présenter, que la doctrine voulait ainsi totalement confié aux machines . Tout en pensant les besoins uniquement sous leur aspect spirituel et objectal et non pas également en terme de reconnaissance psychique et sociale.
Or, répétons-le encore, chaque homme veut se déployer réellement, spécifiquement, infiniment et le manifester en tant que tel. Du moins tant qu’une limite interne ou externe ne l’arrête pas . Et l’homme apprend, dans le conflit puis dans la guerre, qu’il ne peut être le seul à vouloir.
De plus si chaque humain est capable de se retirer du déroulement de la nature et de s’y poser spécifiquement , il sait contractuellement devenir un dans le groupe lorsqu’il s’agit de subvenir à certaines tâches de plus en plus divisées du fait des besoins de la technique et de la ville.
Limiter, penser ce phénomène ne veut alors pas dire qu’il faille revenir à l’époque pré-industrielle. Ou créer de toutes pièces l’univers de la frugalité et de l’ennui tout en l’imposant à tous dans une espèce de vie cryptomonacale mais inversée puisque toute recherche de confort, de luxe, d’affinement corporel et spirituel aux formes libres seraient taxés de naïveté réactionnaire et/ou occidentales et donc châtiées au profit de recherches souffreteuses tueuses du plaisir d’être, ne laissant que le désir d’aller encore plus loin dans la destruction survivre comme le clament certains groupes issus du nihilisme et de l’intégrisme totalitaire et animant le faisceau AAN comme je le montrerai (en II).




*

Mais qui sont au fond ces redresseurs de torses ? Que veulent-ils ? Comment se fait-il qu’ils aient ces temps-ci un certain écho ? Comment se fait-il que depuis quelques années cet AAN hausse de plus en plus le ton, prétend même donner le là théorique et pratique ?
Commençons par ce dernier point. Je traiterai du premier en II.
Je me contenterai pour l’instant de traiter essentiellement ce que je connais le mieux, à savoir la mouvance issue du léninisme, celle qui est nommée ces temps-ci « la gauche de la gauche » puisque c’est elle qui anime les courants antimondialisation et antidémocratique tout en étant de plus en plus liée théoriquement avec la mouvance nihiliste intellectuelle comme je le développerai en II.
Je vois tout d’abord au moins cinq raisons essentielles à son succès, relatif, actuel, du moins en France :
1. L’aspect quasi-religieux du débat politique en France où la gauche et la droite semblent ne pas respirer le même air, n’être pas fait de la même chair, alors que les contraintes objectives ne sont ni de droite ni de gauche, même si les réponses peuvent l’être. Or lorsqu’une réponse, majeure, semble subsumer les distinctions politiques, mais qu’elle est issue de la droite, elle se trouvera automatiquement rejetée ; idem pour une solution venue de gauche. Ce climat favorise alors plutôt la classification partisane que l’analyse objective des enjeux et des contraintes, surtout en cette période présente qui exige , semble-t-il, des réponses probantes sur le rôle de l’Etat et des services publics. Dans ces conditions ce qui importe est plus l’affirmation de la césure et du caractère sacral entourant certains mots que l’édification de solutions crédibles. Certains vont alors s’autoproclamer gardiens du Dogme et il faudra leur donner des gages en radicalité pour recevoir l’ adoubement censé être nécessaire dans cette course du purisme idéologique.
2. La montée en puissance de « la gauche de la gauche « vient sans doute aussi de l’ erreur, congénitale sans doute, de la droite française à faire autre chose que du dirigisme : en 1995 par exemple, après plusieurs années de mitterrandisme, Chirac et Juppé avait l’occasion inespérée d’attirer vers eux ou du moins d’intéresser les couches moyennes supérieures déçues par le socialisme. Or au lieu par exemple d’obliger les cheminots à retarder leur départ à la retraite, il aurait été préférable de négocier avec eux un maintien des acquis en échange d’une ouverture du capital de la SNCF, à l’instar de France Télécom et d’Air France afin d’une part d’améliorer le trafic et en particulier le couplage rail-poids lourds, rail-auto, et, d’autre part, atteindre le stade des bénéfices permettant de payer des impôts indispensables au budget de l’Etat pour améliorer l’éducation, la santé, la protection sociale et civile. Ce donnant-donnant aurait coupé l’herbe sous les pieds des principaux théoriciens AAN comme Bourdieu. Car c’est à cet instant que la fenêtre ouverte par les efforts de la seconde gauche autour de Rocard et autour de Montand pour réintégrer la pensée économique dans la stratégie politique de la gauche française se referma, aidé en ce sens par l’affaire du » smic jeune » de Sarkosy croyant qu’il suffisait de placer le pied dans l’entrebâillement de l’éducation à la française pour ouvrir la porte idéologique bien gardée par les chiens de garde AAN.
3. Cette erreur stratégique fondamentale explique alors d’une part la schizophrénie en la matière de la gauche française faisant du libéralisme sans le dire et surtout sans le faire bien (le cas par exemple de l’épargne salariée ). Et d’autre part le peu d’écho de pensées politiques fortes, qui existent, ( celle de Jean Baechler par exemple ) et même permettraient de répondre aux défis théoriques du temps par des synthèses transcendantales telles qu’elles dépasseraient le conflit des intérêts vers ce qui les subsume : l’observation objective du jeu complexe entre les contraintes et les enjeux de développement. Mais les savants et les hommes politiques sérieux concernés préfèrent les premiers discuter à l’Institut ou dans leurs laboratoires, ou s’expatrier aux USA, au Québec ; les seconds au Parlement Européen ou se réfugiant dans le silence et autres droits de réserve.
4. Les dérives politico-économiques à base de volonté de puissance débridée et de corruption généralisée rendues possibles par l’absence ou le balbutiement d’un système de régulation internationale indépendant alimentent les totalitarismes, toujours à la recherche de vrai pour constituer leur faux.
5. J’ajouterai aussi et je le développerai maintenant plus fondamentalement l’aspect suivant : cet AAN confortablement installé dans les pays riches plaît à ce que je nommerai la petite-bourgeoisie étatico-urbaine composée sociologiquement, en France et plus généralement au Nord, de « néo petits blancs » issus, comme je l’ai signalé plus haut, de catégories sociales économiquement et politiquement dépassés et ayant un prestige en perte de vitesse. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne conservent pas de la puissance ou qu’il faille les confondre avec la petite bourgeoisie au sens traditionnel du terme.
J’entends en fait par petite-bourgeoisie étatico-urbaine une attitude existentielle transcatégorielle sociologiquement, de même que transpolitique en ce sens qu’elle recrute autant à gauche qu’à droite pour combattre tout ce qui dans la mondialisation, mais aussi la technique, les médias, la met en danger.
Elle est essentiellement urbaine, et se confectionne, pour la part venue de droite, dans des raidissements sur les formes supposées éternelles des valeurs, tandis que l’autre part venue de gauche s’emplit de replis cyniques sur la dérision et le nihilisme au niveau de la pensée et des mœurs.
L’ensemble se nourrit des réelles dysfonctionnements de l’ère techno-urbaine et des nouvelles difficultés introduites dans les moeurs, les rapports homme/femme , l’individualisation des valeurs, l’influence des médias, la nouvelle perception du service public dans laquelle le premier terme désormais prévaut.
Pour y pallier cette nouvelle petite bourgeoisie se réfugie d’une part dans la compensation statutaire pratique en s’accaparant l’idée de l’Etat et l’idée de Nation supposées toutes deux inamovibles et à leur unique service. D’autre part en affichant bruyamment leur recherche d’une compensation théorique après la faillite du communisme et plus généralement du progressisme étatique en surdimensionnant les problèmes de la mondialisation et surtout en projetant sur le Sud l’image du « bon sauvage » qu’il faudrait préserver dans son environnement néolithique.
Ces deux aspects peuvent s’expliquer en dégageant une corrélation causale de facteurs allant de l’économique au culturel. L’indice d’influence du facteur économique expliquerait par exemple que dans un système de production touchant à tous les aspects de la vie humaine et s’étendant à l’échelle mondiale, seuls les éléments capables de s’internationaliser et d’oeuvrer dans les métiers où la valeur ajoutée est la plus forte peuvent se targuer d’être réellement membres de l’élite mondiale et de donner le là qui compte.
Dans ces conditions les couches sociales incapables de se hisser à la hauteur d’un tel défi perdent immanquablement pouvoir richesses et prestige, si l’on s’en tient à ces trois catégories weberiennes reprises et approfondies par Baechler .
Ainsi le fait d’avoir un grand appartement, même rue de l’Université (ou dans la 5ème Avenue), et quelques revenus, substantiels, dans les métiers, classiques, du Droit, de la Médecine, de la Banque, de l’Architecture, de l’Enseignement, de l’Education, de l’Edition, de l’Art et de la Pensée académique, des hautes sphères de l’Etat, ne suffit plus d’une part à contrebalancer la montée en puissance parachevée des catégories liées à l’industrie et aux nouveaux métiers de la finance, de l’ingénierie, des médias, du sport, et du show business.
D’autre part, la seule conservation de puissance n’est plus à même de contrebalancer l’affaiblissement symbolique de leur manière d’être dans le monde qui a indubitablement jaunie, même si elle s’accroche désespérément au Titanic qu’est devenu l’Etat en France et compte irrationnellement sur lui pour retrouver sa gloire, celle débutant à la seconde moitié du 19ème siècle et finissant aux alentours des années 60 du 20ème siècle.
Dans ces conditions le seul moyen de compenser leur double affaiblissement objectif de leur prestige dans la direction de l’esprit et dans leur rôle politico-économique implique pour certains d’entre eux d’augmenter d’une part leur appropriation multiforme de l’Etat, en particulier de ses subventions. Tout en le maquillant officiellement d’autre part par la captation idéologique et politique de l’espoir d’émancipation auréolant la lutte permanente pour la liberté qui a façonné par exemple en France l’esprit même du service public.
Par ailleurs il lui faut officieusement imiter en quelque sorte l’aristocratie dans la vie privée au quotidien lorsque celle-ci, par exemple sous Louis XV, en devenant de plus en plus parasitaire et incapable de gagner les guerres décisives contre l’Angleterre en Inde et aux Amériques -( et les demandes désespérés de Montcalm et Dupleix pour recevoir des renforts sont toujours là comme épines douloureuses, en tout cas pour moi )-, n’avait que l’austérité de la luxure pour laisser accroire qu’elle maîtrisait les apparences.
Aujourd’hui il s’agira d’afficher des comportements désastreux dans le grand appartement aux dorures napoléoniennes inutiles, pour se donner encore l’impression de pouvoir au moins encore être intégré dans le carré de l’élite qui compte encore dans la politique, les arts et les lettres, afin de provoquer les bourgeois de Province au catholicisme encore constipé, mais aussi de participer quand même à la montée en puissance des catégories sociales marquées de plus en plus par la fabrication industrielle de l’imaginaire et la gestion internationale des affects.
Car ce carré n’est pas quelconque en France. Parce que de part sa position dans la production de la représentation il se trouve que bien qu’étant dépassé comme milieu social donnant le là à toute l’élite il n’en reste pas moins qu’il continue à influencer sa zone d’origine en bénéficiant des évolutions techno-urbaines qui ont permis la montée en puissance de l’image et du son.
Dans ces conditions il continue d’influencer les coulisses et autres sas de la presse, de l’université, du cinéma, de la musique, de la télévision, tout en étant dominé en son sein par les courants politico-idéologiques issus de l’édition et du politique.
Ce dernier point est capital parce qu’il permet ainsi de comprendre pourquoi les AAN sont fortement représentés en son sein, même s’ils y sont là aussi en perte de vitesse parce que la culture de destruction atteint ses limites et que les jeunes générations peuvent vouloir s’en émanciper. Mais les AAN ont tout intérêt à s’y accrocher -alors que politiquement et sociologiquement ils sont en perte de vitesse car ce carré, de part cette puissance inespérée donnée par la technique du média, est le point référentiel ultime des attitudes à adopter pour paraître à l’échelle nationale et internationale. En fait ce carré devient la seule intersection entre les anciennes catégories ayant dominées l’univers symbolique de la nation et les nouvelles montant à l’assaut de l’imaginaire médiatisant les comportements techno-urbains .
Les AAN s’y accrochent également parce que la frange qui compte vraiment de l’élite de l’édition du politique et de l’université a déserté ce carré et dorénavant se tait ou pense ailleurs.
Dans ces conditions il ne reste plus, dans ce carré vidé de sa substance réelle, que la classe politique et intellectuelle à peine banale ou désuète ou encore aux ordres des puissants du jour. Et elle se trouve à mille lieux le plus souvent des réalités du temps techno-urbain devenu mondial, hormis le minimum de gestion et de rectification des dysfonctionnements les plus criants ; le tout essaimé bien entendu le menton haut le passe droit et la subtilité juridique ad hoc pour le couvrir, tandis que le temps de la réforme est de plus en plus retardé voire évincé dans de multiples commissions Théodule.
Or dans un tel vide, certes tant de fois décrié, et depuis au moins deux siècles, le néo-conformisme réactionnaire au fond qu’est devenu ce courant antidémocratique et nihiliste recyclé dans l’antimondialisation « néolibérale » et fort de sa domination sociologique dans le carré stratégique qui influence la production et la reproduction de la représentation médiatisée pense que son heure de survie est de plus en plus à portée de main alors qu’il serait plutôt loisible de penser le contraire puisqu’il n’est plus l’alpha et l’oméga de l’élite devenue mondialisée, technologique et financière.
La contradiction est ici évidente. Comment ce pôle AAN pourrait-il survivre alors que sa base sociologique est des plus ténue, même si son actuelle présence dans le carré magique dominé de plus en plus par l’apparaître des médias le maintient encore à flot ?
Parce qu’il calcule que la partie la plus conservatrice de la structure étatico-intellectuelle de la gauche française ne peut que dériver vers son orbe de destruction. Ou du moins l’utiliser pour justifier son actuelle errance et clientélisme.
Le champ théorique à gauche est de plus en plus libre pour ce type de nihilisme transpolitique et spécialement pour sa direction issue du gauchisme puisque celle issue du nationalisme et du catholicisme extrême non seulement peine à se façonner un masque misérabiliste et égalitariste nécessaire pour se donner bonne conscience, mais surtout n’a pas tirée les leçons de la faillite aristocrate française et se complaît dans un ethno-étatisme illusoire .
De plus certains de ses théoriciens ont basculé vers le nihilisme dominé par le léninisme dégénéré par haine du capitalisme et de la démocratie. Par exemple un Drieu la Rochelle admirateur de Staline. Mais aussi un Maurice Blanchot, disciple de Maurras, (voir II) dont la théorisation principale fut de considérer que ce qui compte c’est l’absolu de mort comme survie absorbant tout, communisme et nazisme , au profit d’une posture privilégiant la négation pour elle-même.
La direction politique issue du gauchisme est alors d’autant plus à même d’être la direction de ce bloc du refus qu’elle se pare de son ancien adoubement par défaut en 68 qui l’aide à faire croire à sa capacité, non feinte cependant, de se parer de l’air du temps et de vendre sa compréhension de l’époque.
Car bien que le gauchisme, dont la direction actuelle AAN, au Nord, est issue, fût sonné durant les années 80-90 par la chute du « socialisme réel », -car sa critique à son encontre ne pouvait pas aller au fond et a prétendu seulement que de socialisme il n’en fut pas question dans ces contrées, ce qui est faux-, il s’avère qu’actuellement son discours aux multiples entrées et autres cache-sexe permet précisément de surgir sournoisement sous les traits des amis du développement durable. Où de l’émancipation des moeurs. Et de leur différence. D’où la difficulté parfois de les démasquer. Alors qu’ils n’ont que faire de tout ceci, simples outils pour asseoir leur orbe comme je le montrerai plus loin (II). C’est-à-dire de construire une nouvelle scène politico-médiatique, semblable aux années 60, s’opposant totalement à l’intermède no futur des années 70 débouchant sur l’arrivisme des années 80-90, tout en renouant avec la furie des années 20 lorsque 17 irradiait.
Pour ce faire la direction, néogauchiste donc, de l’AAN utilise, au Nord, les armes confortables de la protestation violente et initiatique, voyant dans chaque dysfonctionnement la volonté ourdie des élites, et saisissant dans chaque hésitation de celles-ci à organiser les instances de régulation internationale le moyen opportun d’entraver l’évolution actuelle de l’esprit du temps vers un dimensionnel mondial des solutions.
Pourtant le temps qui s’élève mondialement ne veut plus, semble-t-il, de cette explication si étroite, si haineuse, envieuse, barbare, du monde, malgré la peur et la nostalgie qui se nourrissent de plus en plus cependant de la misère actuelle de ce penser technocratique réduisant tout aux statistiques de la croissance quantitative.
Cette instrumentalisation de la technique et de la science opérée par certains puissants peu soucieux de développement durable et préférant le profit à court terme devient alors le prétexte conceptuel majeur du discours AAN.
De plus celui-ci a changé formellement depuis sa première mouture léniniste. Des nuances sont concevables, la « pluralité » y est bien vue, du moins aujourd’hui, ( le temps de « l’hitléro-trotskisme » est donc révolu…) mais cela s’arrête là. Puisque ceux d’en face apparaissent tous sous le même masque grimaçant, sans aucune différence doctrinale, pantins, voire automates aux mains voraces d’une seule et même entité démoniaque : le « libéralisme » à qui l’on ajoute le vocable « néo » pour faire moderne.
Et celui-ci serait alors solidement unifié autour des Etats-Unis, personnifiant un « empire » n’ayant comme seul but que l’asservissement du monde, ce qui en fait plutôt une tyrannie d’ailleurs, et surtout évite de comprendre l’esprit du capitalisme dans ce qu’il a précisément d’antinomique avec l’idée même d’Empire dont la raison d’être est la puissance politique et non l’économie .
Cette façon de penser ne peut alors qu’alimenter en justifications les nihilistes intégristes du Sud, s’ils avaient encore le moindre doute sur le caractère nocif de l’Occident et la nécessité de le détruire. Et l’on peut comprendre pourquoi leurs chefs de file au Nord condamnent la riposte mondiale contre le totalitarisme islamiste puisqu’ils partagent avec lui tous ses objectifs de destruction, au-delà des différences idéologiques noyées de toute manière dans un culturalisme et un relativisme généralisés.

Voilà, brièvement, pour l’AAN du Nord, aile directrice au niveau idéologique de l’AAN mondial puisque ceux du Sud s’en nourrissent théoriquement. J’en reparlerai plus loin lorsqu’il s’agira de mettre des noms sur ses racines intellectuelles que je viens juste d’esquisser. Mais je me concentrerai uniquement sur la France.

S’agissant maintenant du Sud, j’avancerai que l’ AAN est issu des résidus claniques laissés intacts par la colonisation et des insurrections anti-coloniales dévoyées par l’ex-camp soviétique. Ce galimatias est financé par la rente pétrolière et vire dans l’absolutisme mafieux et cryptoreligieux. Il trouve un écho dans les couches sociales moyennes et supérieures qui ont intérêt à le servir pour en ramasser les miettes tant, d’une part, leurs structures économico-politiques et symboliques sont frappées de plein fouet par les méandres de l’ère techno-urbaine devenue mondiale. Et que d’autre part aucune autre fenêtre politique et culturelle ne leur est offerte que la surenchère purificatrice et originaire, ou la consommation caricaturale et ostentatoire, à base de gabegie éhontée.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant d’observer que les catégories techniciennes et juridico-militaro-bureaucrates, par exemple en Iran, en Egypte mais aussi en Algérie, au Pakistan, en Inde, voire en Amérique du Sud, en Indonésie, en Afrique, formées dans le plus pur scientisme considérant que l’éthique n’est que chose obscurantiste et que le mode de vie techno-urbain à l’occidentale se résume à l’ostentation de grosses voitures et de fausses blondes, il n’est pas étonnant de les voir ensuite basculer vers la trentaine dans l’excès inverse mêlant religiosité et nationalisme, purisme idéologique et religieux, puisqu’il faut bien organiser le maintenant, et, pour les plus riches et/ou cultivés, préserver ses privilèges de castes en combattant le développement sous toutes ses formes surtout lorsqu’il s’accompagne de l’émancipation féminine et de la liberté d’entreprendre.
Par ailleurs l’existence de courants idéologico-religieux à la recherche du temps perdu ont pu renaître en particulier en Arabie au début du 20ème siècle lorsque la vente du pétrole permettait de construire une assise financière pour alimenter des désirs de recouvrement de puissance drainant le tout de l’énergie vitale dans une reconquête civilisationnelle, croyant, comme le nazisme, qu’il suffirait de restaurer « l’originaire » pour atteindre à nouveau les sommets de l’Histoire. Il en est de même dans ces contrées d’Amérique du Sud et d’Afrique où les guérillas et/ou les affrontements tribaux mêlent politique banditisme lié à la drogue recherche des origines et religion.
La rencontre circonstancielle entre l’impréparation à absorber le choc culturel de l’ère techno-urbaine et la résurgence de courants spirituels tournés vers la sécession permanente ont permis la mise sur pied des puissants réseaux actuels qui alimentent d’un côté l’internationale de la drogue et de l’autre l’internationale islamiste, les deux s’entrecroisant par exemple en Afghanistan.
Dans un tel contexte ce n’est donc pas un hasard de constater par exemple les dérives de l’OLP qui condense ces deux aspects mafieux et cryptoreligieux, et préfère faire la guerre au lieu d’entamer la politique des petits pas en forçant Israël à l’équité déjà économique comme cela commençait à se poser à la suite des accords d’Oslo.
Certes l’illusion nationaliste d’Israël à se développer comme si rien ne s’était passé depuis deux mille ans n’aide pas beaucoup et parfois alimente elle-même l’extrémisme comme ce fut le cas avec l’assassinat de Rabin, opéré par un Juif, dont la calotte ne lui fut même pas retiré alors qu’il avait osé prendre la vie d’un autre Juif.
Mais l’OLP n’aide pas non plus les choses en niant le caractère juif de Jérusalem, y compris Jérusalem Ouest, au grand dam d’Elie Wiesel, en niant l’origine du fait israélien tel qu’il est aujourd’hui en tant que fruit des histoires européennes et arabes comme le rappelle Robert Badinter . Arafat cherche en fait à préserver une situation permanente de chaos pour mieux parasiter l’aide internationale sans autre but que l’attente du soulèvement des « masses arabes ». Ce qui n’est pas nécessairement pour demain...et favorise plutôt les visées totalitaires du nihilisme salafiste et wahhahbite à la recherche de la guerre permanente. J’en reparlerai plus loin (en III).

L’AAN du Nord et l’AAN du Sud ne sont bien entendu pas regroupés sous une seule dimension idéologique, mais celle du Nord alimente théoriquement celle du Sud, par exemple lorsque cette dernière veut justifier sa volonté de destruction et lorsque la première a du mal à « réprimer un sentiment de satisfaction « comme l’a écrit le Vert Alain Lipietz lors de l’attentat du 11 septembre 2001 . Certes leurs diverses tendances peuvent chercher à s’éliminer pour croître. Il n’en reste pas moins qu’au-delà des différences formelles, l’ennemi est le même : la société ouverte de l’ère techno-urbaine qu’il s’agit de détruire dans toutes ses dimensions.

Face à ces errances et infamies multiformes se trouvent les amis du développement durable. J’en dirai juste un mot maintenant puisque je développerai plus loin (III) ce qui pourrait être un programme d’action alternatif à la fois aux AAN et aux dérives du technocratisme.
Les ADDD sont au fond les réels héritiers de l’après seconde guerre mondiale en ce sens qu’ils se reconnaissent par leur volonté de préférer l’être à l’avoir, la qualité du développement personnel à la consommation compensatrice et ostentatoire. Mais ils veulent une vie confortable et des institutions efficaces. Tout en faisant en sorte que le Sud se développe avec le Nord pour y accroître ensemble le bien-être pour tous malgré les inégalités de formation et d’héritage qu’il s’agit de compenser en permanence par un meilleur service public au service réellement de tous.
En ce sens les ADDD ne sont pas conformistes. Ils n’acceptent pas le monde tel qu’il est parce qu’ils préfèrent le transformer au lieu de le subir ou de le détruire, comme les ANN, qui, d’ailleurs en jouissent secrètement tout en le haïssant, bien entendu, en public.
Les ADDD refusent ainsi de passer sous les fourches caudines du quantitativisme positiviste et scientiste, ce faux progressisme affirmant depuis le 19ème siècle qu’il suffirait de s’emparer de l’appareil d’Etat ou de laisser faire le progrès économique et scientifique pour voir les choses s’arranger : le conflit, la souffrance, disparaîtraient, définitivement, sur Terre, ce qui fut, partout, démenti et de manière cinglante tout au long du 20ème siècle de notre ère.
Composés de femmes et d’hommes qui ne sont pas tous des blancs issus du Nord ils sont certes en majorité membres des élites mais aussi des classes moyennes supérieures et populaires, du moins celles que la méritocratie a poussé au plus haut, et sont passionnés par des métiers tournés vers l’inconnu et le risque : la recherche, la création, l’invention, multiforme, l’enseignement aux pédagogies nouvelles, la logistique, l’aide au développement et l’institutionnalisation progressive d’une régulation mondiale.
Le peuple partage de plus en plus largement leurs thèmes de prédilection. Cela voit dans les sondages.
Mais les ADDD ne sont pas au pouvoir ou si peu. Ils sont par ailleurs mal organisés, encore disséminés un peu partout sur l’échiquier politique ; plutôt au centre gauche, au centre droit, qu’au sein de la gauche et de la droite en majorité étatiste, du moins en France. Et ils sont plutôt écologistes d’instinct que par doctrine. Ils sont en fait anonymes, toujours sur le terrain, quoique jamais sur celui où il leur est dit de faire.
Ils sont donc bien loin de ritualiser leur engagement comme les AAN sur le mode hooligan à Gênes and Co pour se faire coopter dans les circuits de production et de reproduction du prestige tout en tentant de faire passer leur propre violence comme simple reflet alors qu’il s’agit souvent de rictus envieux utilisant les failles permanents du monde comme filons, outils de cooptation dans ces Loft Story ou néophalanstères que sont à leur façon les réseaux AAN.
Mais pour l’instant il faut bien admettre que l’AAN au Nord hurle, casse, tout en se réclamant aussi du développement durable, ce qui rassure ses éléments les plus naïfs trouvant ainsi des « raisons » pour justifier le glissement progressif de certains des leurs vers l’hooliganisme politique comme en Italie et en France. Tandis qu’au Sud elle tue de plus en plus massivement pour ses éléments les plus totalitaires comme il a été vu le 11 septembre à New York, et, qu’on l’apprend continuellement en Algérie et en Israël.
Il serait temps que les ADDD aident les naïfs à faire le tri et leur montrent enfin que malgré certains grands mots qui les opposent les principaux chefs de files AAN au Nord et au Sud veulent faire échouer les espoirs du développement global de la planète pour drainer celle-ci vers l’escarcelle du vide anarcho-léninisto-intégriste, faisceau hybride d’un pouvoir originellement sanguinaire que l’on croyait mort avec l’effondrement du mur de Berlin et de l’esprit colonial.
Mais que pourraient dire les ADDD pour convaincre les naïfs ? Ceci : les aspirations visant à l’amélioration de la condition humaine sont totalement aux antipodes des buts AAN et peuvent fort bien se résumer par un programme paradigmatique basé précisément sur la notion de développement.
Pour y arriver les préoccupations ADDD visent à orienter durablement la dynamique du capitalisme et ses modifications qui trament aujourd’hui l’ère techno-urbaine mondiale vers le qualitatif. Celui-ci pose alors la question du sens du développement. Ce qui dépasse la seule extension linéaire d’une croissance devenue mondiale.
Quel est ce programme ou du moins son esquisse ?
Il semble bien qu’il synthétise dans sa texture ce que j’ai lu et vu de mieux à gauche (lutter pour l’émancipation de tous dans le respect de soi et de chacun ou au fond le programme des Lumières ) et à droite (lutte pour la liberté d’entreprendre) et s’y ajoute la touche écologique indispensable (lutte pour un meilleur environnement au sens large) afin d’atteindre plus de confort, de prospérité, de responsabilité et de solidarité en France, en Europe dans le monde.
Comment ? Par au plusieurs forces majeures :
-Si l’on veut vraiment combattre les effets du CO 2 sur l’atmosphère cela veut dire donner une priorité progressive au moteur à hydrogène dans les transports en commun, à la pile à combustible et à la co-génération dans les immeubles d’habitation et les industries. Cela veut dire aussi favoriser toutes les énergies renouvelables et choisir un programme nucléaire propre en se basant sur les nouvelles pistes de recherche dont le thorium.
-Protéger la santé humaine cela veut dire également agir sur son environnement et donc accroître le transport sur rail, aider les transports locaux à se développer. Cela signifie aider également toutes les médecines en particulier celles qui travaillent sur le psychosomatique.
Mais rendre ainsi plus efficace le service public nécessite que ses entreprises puissent devenir suffisamment autonomes pour qu’elles s’allient au privé et rapportent de l’argent plutôt qu’elles n’en coûtent par les déficits chroniques. Ce qui implique de donner les moyens financiers à la SNCF en la transformant en société anonyme comme France Télécom et Air France.
-Avec des entrées d’argent supplémentaires dû à l’ouverture du capital public, mais aussi à une réforme de la fiscalité permettant d’encourager les entreprises, en particulier les petites et moyennes à produire plus et donc à payer plus d’impôt sur les bénéfices, l’Etat pourra protéger beaucoup plus ses citoyens car il investira des moyens supplémentaires dans la formation, l’éducation, dans la justice, la police, de proximité. Et aussi dans les instances de régulation. Il incitera à l’Internet haut débit pour renforcer le lien social et préparer le vote électronique de demain. Il proposera d’accroître la participation des salariés en permettant que leur épargne actionnariale soit de plus en plus reconnue.
-Car le meilleur moyen d'aider les salariés dans leurs droits est de leur permettre d'avoir plus de responsabilités dans l'entreprise, ce qui peut éviter les mauvaises surprises. Il faudra également leur donner le droit de choisir la sécurité sociale de leurs choix en permettant aux assurances d’y concourir selon un strict cahier des charges néanmoins. Le monopole en la matière n’est pas bon et alourdit la tâche des petites et moyennes entreprises. Il n'est d’ailleurs pas rare de voir un petit entrepreneur travailler 15 heures par jour pour 7000 F net parce que les charges sont trop lourdes. Ce qui l’incite à ne pas embaucher et surtout à travailler au noir. Cela réduit d’autant les entrées d’argent pour l’Etat alors qu’il y a temps à faire.
-L’organisation plus harmonieuse du monde est l’élément stable du développement durable. Il ne faut déjà plus confondre l’Etat et la Nation. L’Etat de la France, par exemple, s’articule aux autres Etats européens pour économiser les moyens et investir dans le confort du citoyen, la défense de sa langue et de sa culture, sa protection civile et militaire en empêchant les ennemis de la démocratie et de la liberté de nuire. Mais il lutterait tout autant pour réformer les instances internationales afin que la Terre entière puisse vivre au mieux les progrès techniques et démocratiques. En fait les Etats d’un côté et les Nations de l’autre s’organiseraient différemment : les premiers s’occuperaient plus d’économie-politique, les seconds d’identité culturelle, les deux s’auto-contrôlant par des mécanismes institutionnels spécifiques.
Ces divers points forment le cercle vertueux, champ de force, bouclier écologique au sens large, car ils se renforcent mutuellement : plus d’autonomie=plus d’initiative=plus d’argent=plus d’Etat=plus de justice d’éducation de régulation, de protection =plus de développement durable respectant la diversité culturelle et linguistique.
Je développerai quelques uns de ces points plus loin (en III). Disons pour le moment que c’est cela dépasser le stade actuel du capitalisme : le porter vers une assise supérieure.

Marx ne pouvait pas bien entendu concevoir un tel programme . Disons en deux mots pour bien comprendre en quoi le programme ADDD s’en distingue et pourquoi Marx est un obstacle pour la réforme et l’approfondissement démocratique de ce que signifie l’émancipation de tous.
Marx n’était pas en mesure de penser la réforme de la société moderne vers cette direction non pas parce que le savoir de son temps ne l’aidait pas mais surtout pour des raisons de fond, et c’est là sans doute son échec majeur : il n’admettait pas par exemple que le conflit entre les hommes, dans sa racine même, puisse ne pas naître de la propriété mais déjà du désir d’être reconnu puisque sa trace peut être repéré dans les sociétés premières encore aujourd’hui existantes , peu enclines à se quereller pour le peu de propriété privée que ses membres ont en leur possession.
L’Humain, nous le savons de mieux en mieux, cherche en permanence à prouver le sens de son existence en créant de la réalité, en étant « cause « dit Nuttin , en modifiant donc son environnement pour le meilleur et pour le pire.
En un mot « l’homme » universel existe en tant que réalité conative spécifique irréductible à n’importe quelle équation fut-elle biomathématique. Celle réalité là s’actualise par son insertion dans la division sociale du travail historiquement située et sculptée par les inégalités de potentialité mais aussi d’héritage et de culture que l’Etat, aujourd’hui, tente plus ou moins de compenser lorsqu’il le peut et veut.
La seconde erreur majeure de Marx et surtout de ses deux réalisateurs principaux, Lénine et Staline, fut de croire qu’il suffirait de centraliser la demande, sa production et sa vente pour atteindre la prospérité, pour en finir à terme avec la pauvreté l’inégalité voire le conflit.
Or l’expérience, grandeur nature, à l’Est montra, pendant tout de même plus de 70 ans, que cette centralisation était fausse dans son principe, ce qui ainsi évite l’argument du temps et surtout de la spatialisation stipulant que le communisme ne pourrait exister qu’en étant seul sur Terre, voire dans l’Univers....
La prospérité ne vient en effet pas de la centralisation en tant que telle mais au contraire de la diversité des initiatives qui savent d’autant mieux saisir les demandes qu’elles se meuvent par motivation, ce qui permet une meilleure empathie. Et ce dans un contexte politique et culturel qui en permet de plus en plus la possibilité comme ce fut le cas en Europe après l’an 1000 ( j’en reparlerai en III)
La centralisation existe au sein du marché capitaliste, et elle est d’ailleurs critiquée sous le vocable « globalisation » mais ses détracteurs oublient que celle-ci existe pour organiser les économies d’échelle et les perspectives d’investissement, et lorsqu’il s’agit de l’espace commun que l’on nomme l’Etat, la globalisation devient strictement politique lorsqu’il s’agit de réguler le conflit qui en résulte nécessairement, du moins lorsque c’est possible et que la corruption n’a pas gagné le coeur du pouvoir. C’est d’ailleurs pourquoi le conflit contre elle est sans fin et que de manière général le conflit reste permanent, sans dégénérer en guerre, puisqu’il se nourrit toujours des contradictions inhérentes permanentes aux sociétés ouvertes dont le mouvement résulte aussi d’une agrégation d’actions non programmées par les principaux acteurs, ce qui entraîne nécessairement des rencontres circonstancielles de lignes de force qui forment accidents et désordres. L’ère techno-urbaine arrivée aujourd’hui mondialement à maturité n’échappe pas à cette règle magistralement analysée par Jean Baechler dans son dernier ouvrage « Nature et Histoire ».

Le rôle des ADDD est alors redoutable. Celui de nous préparer à vivre une époque décisive qui montrera s’il est possible ou non de se hisser enfin à la hauteur de l’enjeu devenu mondial.
Car il est par nécessaire de penser de plus en plus mondialement un mode de développement qui se propulse presque aussi vite que les galaxies en pleine expansion dans l’infini du cosmos.
Cours, camarade, le capitalisme est aussi devant toi et non plus seulement derrière, puisqu’il est toi, ton intérêt prolongé et techniquement universalisé. Mais il faut le chevaucher, voir ce qu’il dévoile de notre nature profonde puisqu’il en est le miroir mais aussi le chaudron, mais aussi notre créature, même si elle est beaucoup plus celle des plus puissants d’entre-nous dont il s’agit non pas de limiter l’ardeur mais de lui signifier qu’elle serait d’autant plus forte si elle servait aussi le plus grand nombre.
Les ADDD se doivent de faire comprendre qu’il vaut mieux chevaucher la force, même lorsqu’elle s’emballe, que la détruire pour l’arrêter, ce qui est un remède bien pire que le mal induit par ses débordements.
Certes il faut maîtriser la force, surtout son côté obscur, et de telle sorte que la bride ne l’empêche pas de créer la route sur laquelle elle court au fur et à mesure, une route bâtie par les réponses que l’humanité apporte aux questions permanentes.
Qu’en-est-il par exemple de l’homme et de la femme dans un monde fait à partir de leur image ? Quels désirs de reconnaissance, d’immortalité, d’ artifice, les assaillent aujourd’hui ?
Pourquoi certains jeunes « moi » cherchent-t-ils leur point de voûte dans des émissions redoublant l’intimité de la vie quotidienne telle Loft Story ?
Sera-t-il possible de voir enfin un jour réaliser ce qui était inscrit dans nos livres d’Histoire de l’école primaire lorsque parler du progrès n’était pas passé de mode ? Et qu’en est-il de celui-ci lorsque l’on confond quantité et qualité, droit et désir, épanouissement et asservissement d’autrui ?
Et comment la prospérité peut-elle se déployer dans le cadre d’un développement durable ? Les pays du Sud vont-ils réellement émerger ? Quelle place pour une régulation mondiale ?
C’est ce que je tenterai d’esquisser dans la suite en tentant de cerner les fondements théoriques du code AAN en particulier celui du Nord (II), de balayer les fausses réponses sur un certain nombre de questions majeures avant d’esquisser quelques pistes pour l’action (III).

***

II

Les fondements théoriques du code AAN basé au Nord

Son anti démocratisme s’exprime par une violence permanente, son anti progressisme se dévoile par la destruction d’expérimentations scientifiques y compris publiques, son nihilisme s’affirme par la manipulation de la connaissance et des arts à des fins de destruction des systèmes de référence en vue de surgir comme artistes d’un genre nouveau basé non pas sur la fin de l’Histoire mais sa mise à mort, cet AAN est le soubassement théorique du mouvement intitulé « gauche de la gauche » et plus généralement « anti mondialisation néolibérale ».
Sans donner cependant directement des ordres stratégiques ou tactiques ce fondement AAN fait néanmoins fureur parmi ces éléments qui ritualisent et esthétisent leur assomption dans les réseaux médiatico-universitaires en faisant, pour les âgés, oeuvre de destruction avec tel livre, film, dit « sulfureux » et, pour les plus jeunes, oeuvre d’art en s’affrontant à Seattle, Prague, Nice, Göteborg, Gènes...
Entrons dans le détail.
Que peut-on tout d’abord entendre généralement par " nihilisme " ? Une systématique politique utilisant la destruction et donc le "rien" vers ce que Léo Strauss nomme la destruction de la civilisation moderne. C’est en quelque sorte le motif non nihiliste du nihilisme allemand qui a donné le nazisme et qui est aujourd’hui non seulement partagé par le nihilisme issu du léninisme dont je vais parler ici mais amplifié.
Il s’agit en effet de détruire non seulement la modernité mais l’idée même de civilisation et d’y surgir d’entre les décombres comme artiste d’un genre nouveau se servant de l’Histoire, du réel, de la connaissance, des arts, de la sexualité, comme matériaux. C’est ce que je vais démontrer maintenant.
Pour détruire ainsi et aussi profondément il faut tout d’abord une force que l’on peut forger en outil si l’on sait bien s’y prendre. Je l’ai décrite rapidement plus haut, elle regroupe toutes les catégories sociales en perte de vitesse devant la mondialisation des techniques et des échanges, mais elle influence aussi toute une jeunesse populaire et généreuse croyant que la radicalisation parfois violente peut faire améliorer le monde et l’aider à apprendre quelque chose en soi-même.
Il faut aussi une direction à cette force ainsi instrumentalisée : toute la mouvance intellectuelle issue du mouvement léniniste qui attendait l’effondrement du capitalisme après 29, puis, après la seconde guerre mondiale, qui espérait que le mouvement des années 60 en particulier dans le Tiers Monde puisse en être la mèche ultime, et qui a construit peu à peu la conclusion stipulant qu’au fond tout se vaut et que c’est l’idée même de civilisation, de société, de soi, de moi, d’unité, qu’il faut détruire puisque c’est l’organisation même qui sécrète à terme la volonté de développement dont le capitalisme est le terme.
La seule solution réside, dans ces conditions, à devenir l’artiste qui détruira tout cela et le maintiendra en éléments séparés afin que cela ne se reconstitue pas dans son épaisseur, tout en le dissimulant et en s’en préservant dans la mesure du possible.
Il faut dans ce cas une stratégie qui consistera à dynamiter, mais subtilement, tous les systèmes de référence dans la culture afin d’empêcher que les individus puissent alimenter avec leur volonté de développement.
Il faut également une tactique : celle d’utiliser le moindre conflit, tous les dysfonctionnements, comme preuves absolues de la corruption, de l’oppression, et/ou de l’absurdité du « système ».
Les auteurs que nous caractériserons ici de nihilistes comme Bataille, Blanchot, Foucault, Derrida, Deleuze, Lyotard, Baudrillard, Bourdieu, oeuvrent dans cette optique aux multiples facettes. Et leur écho n’est pas sans impact du fait que leurs pensées contrôlent certaines places fortes non quelconques comme l'Université plusieurs médias de renom, une partie de l’appareil d’Etat.
Il suffit d’ailleurs de lire nombre d'écrits et surtout d'études engageant l'avenir du pays en matière de pédagogie et de développement urbain pour saisir déjà l'ampleur du phénomène et observer comment ces auteurs deviennent des cadres de références détenant beaucoup plus d'autorité sur l'opinion que l'Académie des Sciences morales et politiques.
Je commencerai par l’étude d’impact avant d’étudier ces auteurs un par un.
Les discours ultracritiques ont certes toujours existé en France, et avant guerre elles étaient charriées par les puissants courants idéologico-religieux issus d’une part des monarchistes anticapitalistes et d’autre part du courant léniniste qui a absorbé en son sein diverses mouvances issues du babeuvisme et du purisme saintjustien venant de la Révolution française, tout en écartant de sa route l’anarcho-syndicalisme proudhonien, tout en se nourrissant des errements de l’élite dirigeante française sous Louis Philippe, Charles X, Napoléon III, et qui donna au bout du compte un Thiers en prise avec la Commune de paris et le massacre et autres déportations qui s’en suivirent. D’ailleurs la haine entre la gauche pour la droite en France vient de là, mélangeant allègrement libéraux et restaurateurs, obsédés par le bain de sang que fut la Commune et que put ramasser dans son escarcelle Lénine pour qui elle fut la référence ultime lorsqu’il luttait contre la socialdémocratie issue, elle, de l’anarchosyndicalisme, de la lutte pour la laïcité , et du christianisme social.
Tous les auteurs dont je parlerai ici sont issus de cette histoire là récupérée par le léninisme et qui donna le ton à partir de années 30 au fur et à mesure que l’illusion soviétique montait en puissance. Ils s’en distinguent cependant en ce sens qu’ils ne croient plus à la constitution d’une société nouvelle et d’un homme nouveau : mais à la destruction systématique non seulement de toute société mais du désir même d’en réformer ou d’en approfondir les structures.
Il faut néanmoins une forme d’apparaître pour ce faire : ce sera celle de l’artiste dandy qui se targuera également d’être l’héritier de cette gestuelle puriste issue du couple fameux Saint Just-Robespierre, toujours en manque de pureté ou d'impureté « radicale », c'est selon.
Un tel profil pourfendeur, sermonneur, les adoube alors d'emblée " mystiquement " comme le dirait François Bourricaud . L’esprit critique a toujours été le sésame nécessaire et suffisant pour que l'opinion concernée pense immédiatement que cette espèce de colère du juste, façon Pascal, participe , malgré ses excès, et de toute manière, à l'idée de « d’émancipation ». À savoir la construction espérée des conditions non pas d’une liberté absolue mais au moins d'une amélioration de la condition humaine.
Or c’est précisément là que cette vision engendre une première illusion pour les profanes ou les croyants invétérés en croyant que tous les auteurs ci-dessus que je caractérise de nihilistes, relèvent de cet esprit critique.
Ils n’ont en effet rien à voir avec. Ni même d’ailleurs avec toute problématique d’émancipation relative. Y compris du point de vue "la" gauche . Du moins si l'on admet que cette émancipation et cet esprit critique signifient le déploiement au mieux du potentiel d'action humain selon le vrai élevé au rang de certitude infiniment perfectible.
" La " gauche prétend inscrire pleinement sa téléologie dans cette perspective eschatologique. Or ces auteurs sont aux antipodes de ce genre de recherche malgré l'apparence du contraire. Déjà parce qu’ils nient tout le système des contraintes objectives édifié en société. Cette absurdité au départ anarchiste fut d’ailleurs ensuite amplifiée par Lénine , tandis que certains des auteurs étudiés ici ont non seulement soutenu becs et ongles ce genre de politique, comme Bataille et Blanchot, mais ensuite décrétés qu’il fallait aller encore plus loin que Lénine, par exemple Derrida , en considérant que c’est dans l’idée même de synthèse que se niche les idées de désignation, d’organisation, d’ordre, alors que le réel doit rester mystérieux pour éviter que le moi se sente souverain, veuille dominer, ce qui amène inéluctablement au capitalisme qu’il s’agit de détruire .
Mais comment y arriver, comment détruire sans que cela produise à nouveau de la domination comme il a été vu dans les pays de l’Est ? Il faut donc une stratégie qui fonctionne également comme tactique ou praxis.
Celle consistant à détruire tout système de référence permettant de se construire comme personne en propre, acteur politique, agent social.
Ainsi peut être dit praxis nihiliste tout contenu qui loin d'aider à l'analyse, y compris critique, empêche en fait d'y accéder .
Au départ pourtant il s’agit officiellement de dé(cons)truire les idées préconçues, les prénotions, suivant ainsi la méthode cartésienne affinée par Husserl afin de fonder durablement la certitude. Mais dans ce type de nihilisme issu du léninisme et visant la destruction de la notion même de hiérarchisation des sentiments et des jugements, bref, tout ordre, on s’empressera de nier la recherche d’un fond en décrétant qu’il n’en existe pas ou qu’il est impossible à atteindre.
Sauf que ce faisant ce nihilisme, là, s’établit lui-même comme fond puisqu’il pose déjà cette impossibilité d’atteindre le fond comme certitude...
Cette négation du fond permet précisément de voiler que ce nihilisme détruit et s’institue à la place de ce qu’il évince. Tout en le niant bien entendu.
Cette tactique amplifie le léninisme politique tout en le masquant remarquablement puisque la tension uniforme et unilatérale du discours classique du léninisme est écartée au profit d’une écriture multilatérale aux effets savants qui entoure l’adversaire comme au go par un maillage serré de doutes, d’interrogations, d’errances stylistiques.
Ce qui permet ensuite, lorsque l’hypnose a réussi, de saupoudrer à doses homéopathiques et persistances ici la folie comme sens de l’oeuvre, là la mort comme fondement de l’être proprement humain, là-bas le secret et la dissimulation comme désir, sans fin, de la simulation pour elle-même. Le tout étant maquillé par des remarques parfois judicieuses sur le cinéma, Alice au pays des merveilles, le souci de soi, tout un jeu de flûte transportant le troupeau des (jeunes) lecteurs vers la falaise où va se (dé)voiler que le questionnement reste en réalité sans fondement surtout lorsque l’on s’aperçoit, trop tard, que le sol s’est dérobé, à terme, sous les pas répétés.
Car durant tout le trajet du jet nihiliste son objet est resté, quoique maquillé, la destruction effective et méticuleuse de tout ordre permettant l’organisation interne du développement et sa sociabilité.
Tout ceci se démarque bien sûr de l'idéal de gauche. Puisque cela implique déjà de ne plus être en possibilité d'agir, y compris pour l'analyse critique alors que celle-ci, surtout lorsqu'elle est objective et multidimensionnelle, relève d'une nécessité primordiale pour le développement de chaque soi, individu, groupe, entreprise, institution.
Mais la tactique nihiliste à la française qui dénie l'objectivité et empêche même l'action critique de s'exercer est bien loin de ces préoccupations qui ne font que prolonger pour elle « le système » au lieu de le détruire. Sauf qu’elle en construit un quoiqu’elle dise : celui d'un nihilisme issu historiquement du communisme léniniste et absorbant aujourd’hui toutes les formes possibles de dénégation y compris les plus intégristes qui seront comprises comme variétés voguant vers le même but : l’assèchement de la puissance en tant que volonté qui en s’érigeant risque de dominer et ce faisant d’économiser son énergie sous forme de (faux) besoins.
Ce but de destruction doit être cependant sacralisé. Car il faut préserver, protéger, les adeptes adoubés au rang « d’amis » . Dans ces conditions il faut s’entourer d’un caractère crypto religieux qu’avait d’ailleurs le léninisme avec un dogme un canon une lithurgie des processus d’excommunication et de mise à mort dont le stalinisme fut l’apogée.
L’emploi de ce terme de crypto religieux nous est utile ici parce qu’il souligne que sous ses couverts ouverts ce type de nihilisme sait que pour continuer à manipuler les idéaux de gauche d’où il est issu, et pour se servir des paradoxes séculaires sur le sens de l'existence et la perception du réel comme outils tactiques, il doit stratégiquement s'appuyer, comme le léninisme et au fond toute pensée totalitaire, sur une politique systématique d'exclusion de toute discussion, tout en niant bien entendu ce fait.
En agissant ainsi, tout en le dissimulant ( il suffit de voir d’ailleurs la manière dont ils sont acceptés adulés par nombre de médias et autres institutions) ce nihilisme se construit non seulement comme autorité morale et même mentale mais aussi comme élite politique exclusive qui, en coulisses, écarte et met à l'index tout ce qui n'est pas adoubé par son idiome sacralisé. Ce qui est la moindre des choses lorsque l’on oeuvre dans la négation absolue sans aucune autre positivité que le fait d’en augmenter la nuisance et d’atteindre là en fait une croissance et donc de créer les bases suffisantes d’une puissance politique.
Observons-en maintenant le cheminement conceptuel singulier. J’esquisserai quelques réponses sur le sens de son succès en conclusion.
Commençons l'étude par Bataille, Blanchot et Foucault car ce sont les têtes de ponts essentielles. Deleuze Lyotard Derrida Baudrillard et Bourdieu viennent après.
Le nihilisme de Bataille se caractérise déjà dans ses écrits dits " érotiques". Alors qu'ils n'ont rien de tels. Non pas du fait qu'ils relèvent plutôt de la pornographie. Mais surtout à cause de cette volonté systématique de souiller, détruire, salir la sexualité . Semblable en ce sens à la pire des inquisitions religieuses toujours soucieuses d'articuler plaisir et saleté afin de mieux condamner celui-ci par celle-là. Or chez Bataille il ne s'agit pas seulement de parti pris esthétique ou de transgression comme le croît à tort Baudrillard .
Il s'agit d'un souci tactique de se servir de la sexualité comme arme de combat en vue de dissoudre par l'intérieur, par une " expérience intérieure", toute tentative d'organisation de la pensée et donc de la vie . Car l'organisation accumule et donc débouche sur la capitalisation. Or celle-ci est considérée comme la source même du maudit. Il faut donc la dépenser, la dissoudre. Empêcher son accumulation. Sa cohérence. Son appropriation individualisée. Interdire donc la propriété. Y compris intérieure. Par exemple dans les pensées réduites à ne recueillir que l'expérience empirique de l'instant. Et encore, car la réflexion pourrait se l'approprier. Aussi l'expérience prime sur la pensée, qui n'est plus qu'un moyen d'extraction, en devenant le seul sujet . Celui du "non savoir".
Comment Bataille en est-il arrivé là ?
En appliquant strictement le fait que la lutte des classes, ou, plutôt l'exclusion mutuelle et absolue -car c'est ainsi que Lénine voit le conflit , se déroule aussi dans la théorie et donc également dans l'art érotique et dans l'organisation interne du soi. Il faut donc aller vers une " extension du domaine de la lutte " pour paraphraser un écrivain français à la mode.
C'est que Bataille est foncièrement léniniste. Et il en intègre l'interprétation stalinienne sans souci dans son livre majeur intitulé " la part maudite " . Il y parle même de littérature historique sur le sacrifice humain et de l'excédent énergétique dans l'ordre cosmologique de l'univers, comme si ceux-ci lui permettent de justifier les massacres en cours qui précisément sacrifient les populations devenues inutiles et permettent la dépense de leur richesse accumulée.
Ainsi dans ce livre il imite tout d'abord les intrusions de Lénine et Staline en science par quelques réflexions anthropomorphiques sur l'énergie constamment en surplus qui se dépense aux confins du cosmos . Puis il cherche dans l'expérience historique une forme plus explicative. Outre celle des sacrifices humains, il introduit la notion de l'échange don basé sur la dépense du surplus. Il croit la déceler à tort dans l'analyse que fait Mauss sur les sociétés Maori et amérindiennes par le biais du concept de potlatch. Sauf que ce dernier n'a rien à voir avec le souci de contenir le niveau d'opulence, et plutôt dans celui d'édifier le sens social et de renforcer la présence permanente des ancêtres par la compétition qui voit les clans s'affronter en festins, danses, bijoux, jeux, interposés .
Mais de science Bataille n'en a que faire. Armé de son interprétation cosmologique et historique, affublée aussi de psychologie freudienne voyant l'effort de production et de consommation comme excrétions médiatrices , Bataille peut alors justifier l'expérience intérieure soviétique comme puissance contrebalançant celle des Etats-Unis .
En fait la terreur léniniste, encouragée par le trotskisme, freinée puis démultipliée par le stalinisme avec l'organisation programmée des massacres et de la militarisation du travail effectuée dans une société de plus en plus concentrationnaire, ce crime contre l'humanité n'est pas du tout analysé par Bataille comme une conséquence non voulue par la doctrine ou une déviation mais bel et bien comme ce qu'il y avait précisément à faire . Il ne s'agit donc pas pour lui « d'approximations conjoncturelles « comme le prétend Derrida .
Blanchot est exactement sur la même longueur d'ondes que Bataille.
Il a été disciple de Maurras, écrit Sartre dans une note . Il cite souvent Hegel, Nietzsche, Heidegger, Kafka. Mais il a beaucoup plus à voir avec Lénine ou Trotski pour l'essentiel. C'est-à-dire avec une approche directement politique visant à la destruction totale de l'idée d'unité. Il soutient en ce sens le coup de force léniniste . Les auteurs et les thèmes, y compris les mythes, ne sont alors que des outils politiques de mise à mort du réel au profit d'une idée de la souveraineté qui se veut totale .
Ainsi c'est la notion de négation qui est détournée de son sens et élevée au rang d'absolu puisqu'elle est visée en tant que telle , à la différence de Hegel , y compris celui de 1807 que Blanchot manipule sans vergogne. Tandis que dans la "Révolution d'Octobre", c'est l'idée de permanence dans l'ébullition, c'est l'absence d'unité, de profusion de chaos, que Blanchot retient dans son livre "l'Amitié " .
Et dans son aphorisme : "il ne faut pas peindre le meurtre de César, il faut être Brutus " (qui bégaie celui de Nietzsche sur le fait d'être au moins Lucrèce Borgia), Blanchot synthétise ce qu'il trouve de formidable dans l'Histoire et clairement mis en valeur par Marx : le fait que celle-ci soit une matière première au même titre que de la glaise ou du pigment. En attente de son peintre .
De même, dans le mythe d'Eurydice que manipule Blanchot, c'est plutôt le fait qu'Orphée se retourne qui est mis en valeur . Eurydice est ainsi une victime, c'est-à-dire une "œuvre" nécessaire qui permet à "l'artiste" façon Blanchot d'être ce Brutus tant désiré . Les victimes léninistes peuvent ainsi se consoler d'être la matière brute des Orphée "communistes" .
Foucault est également sur la même ligne. Sans se réclamer néanmoins de Lénine et encore moins de Staline, il se considère cependant comme communiste, mais à la façon de Bataille et de Blanchot . Ce qui implique également d'entrer en guerre. Mais exclusivement dans le domaine des idées et de l'organisation interne du soi. Ce n'est donc pas l'interprétation de l'Histoire jonchée de victimes expiatoires ou fondatrices qui l'intéresse. Mais celle de la Connaissance. Car c'est la destruction de celle-ci qu'il vise. Elle lui sert de matière première pour atteindre la dimension souveraine de l'artiste léniniste prôné par Blanchot.
Ainsi dans "Histoire de la folie", Foucault n'a de cesse de "peindre" à sa façon. Par exemple en opposant la démesure supposée incarner l'idée de souveraineté absolue, de totale liberté, au processus de rationalisation des émotions et de médicalisation de leur trouble que Foucault identifie à un enfermement du monde par la raison occidentale qui exclue par peur de son autre .
Il présente pour preuves plusieurs cas d'isolations qu'il extrait cependant de leur contexte historique et spécialement religieux. Il s'étonne par exemple d'un cas de possédés enchaînés près d'un troupeau de porcs, sans se demander si ce procédé n'a pas quelques liens avec le Nouveau Testament qui relate comment le Christ put libérer des déments en projetant leurs " démons " dans un troupeau de porcs qui passait par là. Ce genre de contresens fourmille dans l'ouvrage.
Ainsi le fait que les possédés soient de plus en plus considérés comme des malades est bien la preuve selon lui d'une peur qu'aurait la raison devant son propre double venant des tréfonds. Surtout lorsqu'il apparaît tel quel dans l'absolue violence que l'on peut appeler crime mais que l'on peut fort bien envisager comme œuvre. Celle déjà en action dans les écrits de Sade .
Foucault est littéralement fasciné par cette capacité de peindre une réalité tout à fait imaginaire mais se comportant à la façon d'un réel second, épousant même la complexité du réel premier, du réel externe, jusqu'au moindre détail. Afin de basculer en seul réel. Comme si la simulation pouvait remplacer, tel quel, le réel représenté pour rester le seul réel plausible. Tels ces crimes dont le déroulement colle si parfaitement au plan prévu comme Foucault l'avait remarqué en étudiant le cas de Rivière qu'il devient cette réalité abolie. Ainsi le mot devient la chose. Au sens fort.
Dans ce cas, lorsque Foucault se penche sur l'histoire des sciences, ce qu'il retient et se lit déjà dans son hommage à Borges dans la préface de son livre " les mots et les choses " à propos d'une fantaisiste classification opérée par un bibliothécaire de l'empire chinois , c'est cette capacité de retenir arbitrairement le tout du réel dans le creux des mots. Jusqu'à ce que ceux-ci deviennent encore plus réels que ce qu'ils sont censés représenter.
Et c'est cette espèce d'hyper réalité tout à fait arbitraire qui le fascine . Et qu'il projette, en Brutus blanchotien, sur le processus de classification scientifique en voulant démontrer comment le mot en Occident prétend enfermer la chose. De peur que celle-ci, tout comme la folie, dévoile sa démesure. Par exemple le mot homme qui est de plus en plus isolé de sa nature violente pour devenir un droit une norme psychique du langage objectif et au bout du compte un emboîtement de structures que l'Histoire, par couches concentriques successives multiformes (ou " épistémè"), tient politiquement ensemble .
Foucault prend alors en compte cette espèce de dissolution analytique de l'homme en complexe universel de systèmes dynamiques pour se demander s'il n'est pas possible dans ce cas de construire toutes sortes de jeux d'homme.
Et en ce sens ce qui l'intéresse chez les fous les prisonniers les dissidents, mais aussi et surtout chez les déviants sexuels et les criminels, c'est moins une espèce d'humanisme -comme il l'agitait cependant tactiquement lui-même devant les caméras et les stylos en compagnie d’un Sartre moribond bien utile en cette matière, qu'une curiosité d'artiste blanchotien à la recherche de sa matière première en vue d'œuvrer dans des variétés d’homme.
Ainsi c'est ce double processus de condamnation de la raison comme enfermement universel du monde et prise en compte néanmoins de son emprise sur celui-ci et sur les corps qui justifie selon Foucault le fait paradoxal d'incarner un tel mouvement tout en l'immolant. Par exemple en réduisant à néant les réalités historiques et scientifiques comme il le fait dans ses ouvrages. Tel le Brutus et l'Orphée de Blanchot préférant peindre et sculpter à même la matière et non pas seulement dans l'imaginaire comme le font justement un Borges et un Vélasquez.
Dans cette optique paradoxale, déjà présente également chez Sade comme le souligne à plusieurs reprises Foucault, ce dernier ne peut alors que soutenir toute forme de déviance puisque celle-ci est tout autant un système de vérité et donc d'organisation du corps au sens large que le système officiel dominant classifie en une identité fermée afin de bénéficier politiquement de cette clôture universelle.
De ce fait il n'y a pas de contradiction pour lui, comme il n’y en a pas chez Bataille ( ou Deleuze comme je le montrerai plus loin ), et c'est ce qui précisément forme la tactique de ce nihilisme, entre le fait de soutenir la dissidence anti-soviétique, de comprendre les pédophiles , d'articuler mort et plaisir , de classer le sadomasochisme comme jeu , et de comprendre les absolutistes religieux iraniens dans leur recherche d'articuler de manière sacrale le mot la chose et sa pratique . Puisque c'est le déroulement même de l'interprétation comme forme possible d’un réel indépendant de son contenu en sens qui forme pour Foucault matière, manière, souci à être dans la multiplicité formelle, infinie par définition.
Mais comment reconnaître dans cette pluralité ce qui sied au développement et ce qui lui nuit ? Pour Foucault, cette question n'a pas de sens puisque chaque forme atteinte détient sa propre vérité. Le soi, le moi, le je, tout ceci n'est que jeu de dont la combinaison est infinie.
Seulement c'est aussi cette manière de voir qui forme nihilisme à la manière de Bataille et de Blanchot puisqu'il n'est non seulement pas possible de prétendre que toute attitude puisse être comparable à une autre. Mais aussi et surtout de manipuler la matière historique et scientifique en vue d'y peindre et créer le réel sur mesure. C'est ceci précisément qui forme non pas œuvre mais stricte démesure. Non pas songe à l'ombre de la raison classique mais mensonge.

Deleuze, Lyotard, Derrida, Baudrillard, Bourdieu, se glissent dans la même optique au-delà de leur différence beaucoup plus formelle que foncièrement distincte. Car ces divers auteurs déploient en effet un nihilisme parallèle qui consiste, au-delà de leur spécificité formelle, à faire aussi œuvre. Par exemple en empêchant ce processus d'universalisation de la raison lorsqu'elle devient science pour faire du réel une connaissance de plus en plus certaine ; ou pour consolider la solidarité organique et son émancipation progressive des contraintes naturelles et des conditions défavorables. Le tout étant nullement contradictoire avec le fait de maintenir une vision sensible ou transcendantale des choses .
Or leur nihilisme poursuit le processus de dissolution de toute forme d'universalité, d'unité. Et ce jusque dans les interstices de la chair. Tout un processus largement entamé par Bataille Blanchot et Foucault afin de s'emparer de l'Histoire comme burin pour sculpter l'espace interne, mais aussi externe des corps.
Ainsi Bourdieu peut-il par exemple énoncer que ce ne sont pas l'existence de classes sociales qui compte, mais celle d'un espace social qu'il serait possible de malaxer pour en fabriquer les groupes désirés .
C'est d'ailleurs précisément ce qu'il tente de faire actuellement en tentant d'une part de rassembler les " dominés " contre les " dominants " tout en œuvrant d'autre part pour la dissolution de la distinction sexuelle réduite à de "l'androcentrisme" . Or cette double démarche exprime moins la reconnaissance de la misère du monde et des différences conatives spécifiques que le souci, à l'instar des Lénine, Blanchot et Foucault, d'œuvrer sur la matière historique. J’en reparlerai plus loin.
Passons à Deleuze. Celui-ci accentue la dissolution de l'identité et du sens, présente chez Bataille Blanchot et Foucault, en rendant lui aussi toutes les pratiques équivalentes. Il s'agit d'agiter politiquement la révolte permanente des sens contre la réforme graduée de la raison. Au sein même des corps. Dans ses interstices .
La passion de la sensation est réduite à de l'excitation qui prime elle-même sur le sentiment. Car il s'agit de chasser l'ordre -identifié au répressif - au cœur du plaisir d'être. Il faut expurger celui-ci exprimant par trop la volonté de vie en y visant la dissolution pour elle-même et en ne répétant rien d'autre qu'elle. Ou le désir sans plaisir. L'idée de contradiction, là aussi, n'a dans ce cas aucun sens . Puisque tous les sens sont possibles.
Deleuze forge ainsi sa propre notion de différence qui émerge en une sorte d'errance excluant toute contradiction puisqu'elle est" éternellement positive" . Et le corps est diffracté en autant d'instants discontinus . Ainsi par la manipulation des mathématiques intégrales , Deleuze va justifier cette diffraction sous le terme de "différentielle" qui n'aurait cependant plus aucun lien avec l'équation, la matrice, -le moi- de départ . C'est-à-dire sans aucune possibilité d'y réintégrer une identité . Même par parties. Puisque les métamorphoses deviennent leur propre genre. Telle des espèces de monades se déroulant à l'infini de l'espace car plus rien ne les empêche de toujours répéter le même point. Aveugle. Qui fait office de " je". Provisoire .
Lyotard en appelle lui à la destruction de toute critique , de l'art , du corps . De la logique . La seule issue serait donc le nihilisme . Car le socialisme ne fait pas mieux que le capitalisme et Auschwitz en est au fond la version extrême . Lyotard s’empare du concept de postmodernisme pour bien signifier que l'époque des grands récits à la façon du marxisme et du progressisme positiviste ne veulent plus rien dire et même débouchent sur leur contraire. Aussi s'agit-il pour lui d'accentuer toutes les formes de décomposition, du langage au désir, afin que la perte de sens soit le seul gain possible .
Derrida suit le sillon de Bataille puis surtout celui de Blanchot . Strictement. Car il lui faut aller plus loin que Lénine, et même que Bataille . Et Blanchot donne des conseils. Une méthode. Derrida avait commencé par manipuler lui aussi Hegel afin de créer cette "mort" conceptuelle tant décrite chez Blanchot, nous l'avons lu : un monde au-delà du monde . La souveraineté y est absolue , immédiate, mais seulement lorsqu’elle tue ; pour le reste elle vise l’impuissance de l’inertie, tel le pouvoir d'un dieu capable d'exiger tout et luttant pour son contraire . La victime y implore même d'être sacrifiée suivant ainsi les dernières recommandations de Blanchot dans lesquels Eurydice exige d’Orphée qu’il se retourne alors qu’auparavant ( 1955) seul Orphée recevait cette exigence. La victime non seulement accepte mais implore son devenir kamikaze en exigeant que l’artiste Brutus la sculpte en oeuvre historique. Mais Derrida sait rester tacticien . Et comme Foucault et Deleuze il se justifie en s'emparant de myriade d'auteurs et de concepts qu'il saupoudre également de notes érudites avant de les absorber ou de les agiter à la manière de machines bien utiles pour fabriquer du sens sans objet .
Baudrillard commence d'abord par une critique non quelconque de la signification et de la représentation des objets dans le monde moderne qui se caractérisent essentiellement pour lui par l'érotisation froide, technicienne, des formes. Elle annonce la mort de la distance entre le réel et la simulation des médias électroniques. Tandis que les supermarchés diffractent ce processus en irradiant de la marchandise et du sens à la façon de centrales nucléaires, la publicité y fonctionnant comme "féerie des signes" .
Puis Baudrillard abandonne ces rivages de la démonstration sociosémiologique pour un nihilisme posant en apriorité l'irresponsabilité totale tant de la volonté de puissance que de l'interdépendance globale des structures puisqu'elles sont toutes deux absolument modélisées par le processus sans précédent d'éradication du réel et de simulation généralisée . Dans ce cas plus rien ni personne ne compte ou est responsable encore moins coupable.
La seule possibilité qui reste pour Baudrillard c'est la tentative d'aggraver la précession de la gravitation du sens dans l'excès de vertige et le surcroît de tension. Par exemple en multipliant les apparences. Baudrillard peut dire, lui aussi, tout et son contraire, anti-humanisme et humanisme. Car si les apparences sont enfermées par le simulacre de manière de plus en plus irréversible, ce qui se maintient encore en creux, c'est le fait d'être réversible, en permanence (tout comme le système qui se métamorphose et absorbe tout, y compris le nihilisme).
Ainsi il s'agirait de simuler la simulation en se dissimulant dans une myriade d'apparences clones. Le nihilisme baudrillardien est certes bien moins virulent que les précédents issus du léninisme.
Mais il agit tout comme eux dans la déperdition du sens. Même s'il calfeutre l'hypertélie de ses apparences par des aphorismes se drapant dans la gestuelle du Cynique en attente vespérale de l'Apocalypse. Et de sa dissimulation.
Chez Bourdieu, le nihilisme est parmi ces auteurs le plus fidèle aux racines léninistes en ce qu’il se pare d’une part et sans autre forme de procès des armes de la science , par exemple ceux de la matière, plaquant ainsi sur la réalité humaine les concepts de la physique . Comme s'il était possible de réduire le champ social à un champ magnétique et l'individu à une particule programmable.
D’autre part son nihilisme veut s’accomplir tout comme celui de Lénine en " philosophie de l'action " non plus aux confins du signe et de la science critiquant celle-ci par celui-ci ou l’inverse mais en se posant comme étant toute représentation possible et donc à la fois la « Science » et le « réel » même. Dans ces conditions il faut, comme Lénine, exclure tous les concepts qui sont communément reconnus par la plupart des auteurs de sciences humaines comme étant à la fois des fonctions du réel et des outils permettant de le saisir, tels que motivation, raison, rôle, sujet .
C'est déjà par cette double négation du réel et des moyens de l’étudier qu'il caractérise et son nihilisme et sa fidélité à la praxis issue du léninisme. Car pourquoi les écarte-t-il si unilatéralement et de manière quasi obsessionnelle alors que ces concepts sont les outils par excellence de l’analyse objective ?
Mais s’agit-il pour lui d’empêcher que la connaissance puisse asseoir la volonté de développement comme on peut l’analyser chez les auteurs précédents et ce faisant surgir avec des monceaux de glaise historique et scientifique en guise de preuves de leur mort comme le ferait « l’artiste » Foucault suivant les voeux d’un Blanchot ?
Le problème n’est pas seulement là chez Bourdieu puisqu’il veut avec ces monceaux, là, créer des classes entières de Frankeinstein et non pas seulement détruire ou fabriquer quelques spécimens de salon aux confins du sadisme et du masochisme.
Bourdieu s’inscrit donc plus dans la continuité d’un Lénine qui exclut toute la pensée de son temps et applique son programme dans le réel que dans celle d’un Foucault ou d’un Deleuze qui prétendent plutôt attirer toute la représentation vers eux pour l’empêcher d’agir comme point d’appui dans le réel.
Mais, d’un autre côté, Bourdieu partage la même rage « artistique » qu’un Foucault pour faire en sorte que sa fabrication du réel corresponde exactement à la représentation qu’il a construit, semblable d’un côté à la classification fantaisiste du bibliothécaire chinois qui fascinait Foucault dans la préface ouvrant « les mots et des choses ». Et de l’autre enfonçant des portes ouvertes ou sursoulignant des évidences sans avancer d’un pouce dans l’analyse, bien au contraire.
Bourdieu prétend par exemple remplacer les concepts de motivation, raison, rôle, sujet par ceux de « conditions initiales » ou de "capital symbolique" et d'"habitus" ou sens du jeu. Afin de démontrer la primauté des conditions initiales favorables qu'il suffirait d'"incorporer" en quelques habitudes perceptives et autres anticipations d'attitudes pour produire de l'égalité des chances à profusion ( je reviendrai sur ce point en III ).
Bourdieu prend alors pour preuve la manière d'être basée sur l'honneur, qu'elle soit aristocrate ou kabyle. Et il prétend que l'action qui s'y déploie, par exemple l'action désintéressée, est moins le résultat d'un calcul rationnel que la réitération de conduites caractérisant le milieu considéré. Ainsi pour lui l'honneur et la générosité se déploient pour ainsi dire au corps défendant des acteurs.
Cette analogie lui permet d'introduire l'idée que l'action déclenchée incorpore et déploie seulement ce qui est déjà inclut dans la structure considérée. Il suffirait dans ce cas de placer n'importe quel individu dans de telles conditions initiales pour reproduire ce type d'imbibition. On le voit bien d'ailleurs ces temps-ci en France dans les tentatives pédagogiques de privilégier l'enseignement général. De discréditer le type d'évaluation en son sein . Ou de vouloir supprimer les grandes écoles.
Or le problème n'est pas tant de signifier que des conditions favorables en termes d'héritage culturel social voire biologique existent, nous le savons depuis fort longtemps et le principal axe du travail de Durkheim fut d'en comprendre les structures, mais qu'il suffirait de les réunir et de les faire varier pour constituer l'action. Car si l'aristocrate ou tout autre acteur dans le monde accomplit quelque chose, et a fortiori de désintéressé, ce n'est pas seulement pour reproduire le code social qui structure le moindre de ses gestes y compris internes. Mais parce que le déclenchement de cette action à un moment T détient un sens à ses yeux, comme le dit Weber , car elle correspond à des buts, à des motivations spécifiques , même si Bourdieu n'aime pas ce dernier terme.
Pourquoi ne l'aime-t-il pas d'ailleurs ? Parce qu’il symbolise le fait qu’au sein même d’un calcul rationnel collectif il puisse exister un calcul rationnel individuel spécifique . Or ce dernier point est d’autant plus probant qu'avoir le sens de l'honneur, ou faire preuve de générosité et l'accomplir confirme à l'acteur non seulement son appartenance sociale, mais aussi sa fidélité à une image qu'il s'est construite.
Mais il peut ne pas y souscrire.
Autrement cela voudrait dire que l'acteur serait dans l'impossibilité mentale d'aller à l'encontre des structures symboliques dominantes du milieu considéré. Ce qui est absurde ou reviendrait à penser qu’une force extérieure, le milieu, non seulement pense en l’acteur mais est la seule à l’organiser et à lui donner ses buts. L'Histoire nous montre pourtant et à profusion les manques à l'honneur, à la générosité, les trahisons, qui vont à l’encontre des idées structurant le groupe considéré, et qui sont tout de même décidé malgré la sanction qui exclut celles et ceux qui les affichent.
Et comment expliquer qu'il puisse exister dans certaines situations, dominées pourtant par l'arbitraire et la guerre de tous contre tous, quelque chose comme de la résistance à l'injustice et à l'autocratie ? A moins d’expliquer que la « prise de conscience » illumine soudain. Mais d’où viendrait-elle et comment pourrait-elle se propager si tout le milieu est structuré par des idées et des intérêts contraires ?
Loin de ces considérations objectives, le nihilisme de Bourdieu consiste en fait à falsifier la saisie du réel en projetant, suivant ainsi la démarche de Lénine, une vision simplificatrice, mécaniste, de l'origine et de la fonction des inégalités issues de la stratification sociale puisque celle-ci ne serait que la résultante de conditions initiales favorables.
Son emploi de la statistique ne vient par exemple que corroborer ce qu'il veut démontrer. Ou plutôt asséner. Alors qu'il ne suffit pas de corréler des résultats de variables pour édifier des fréquences concordantes de signification. Car il faut également expliquer la fonction spécifique du graphe de chaque variable . Ainsi, par exemple, corréler quantitativement élite et clavecin bien tempéré, élite et peinture, ne préjuge en rien du contenu qualitatif des corrélations entre peuple et variétés, peuple et cinéma. Comme s'il suffisait d'écouter de la musique classique pour être membre de l'élite. Tandis que l'appartenance au peuple se caractériserait par l'écoute de musiques mineures .
En fait, il semblerait que chez Bourdieu l'appartenance au peuple soit une tare. Car chez lui la connexion objective entre stratification et compétence dans la structure de la division sociale du travail est réduite à la seule variable de l'héritage favorable. Dans ces conditions l'appartenance à l'élite devient paradoxalement la seule issue de vie. Ce qui correspond parfaitement au résultat atteint par l'expérimentation léniniste. Celle-ci a en effet montré que les supposés constructeurs de conditions initiales favorables pour tous se sont eux-mêmes structurés en élite absolue. En ce sens que sa légitimité n'avait plus rien avoir avec sa compétence. Mais plutôt avec son héritage uniquement tissé en passe droit. Et basé sur des conditions défavorables pour l'ensemble du peuple.


En résumé, il s'agit peu ou prou pour tous ces auteurs de fracasser l'objectivité, de la diffracter et l'effacer encore plus qu'est supposé l'accomplir le système dit dominant. Ce qui implique de détruire toute forme d'unité, susceptible d'accroître la formation des jugements et donc de favoriser un développement du soi conforme aux idéaux basés sur la recherche d'un possible objectif pour tous. Car chacun des auteurs caractérisés ici de nihiliste combat l'accès aux formes dialectiques de l'objectivité sous le prétexte que celle-ci renforce l'ordre social et moral établis par quelques-uns. Mais en agissant de la sorte, ils ne font rien d'autre que de poursuivre le nihilisme léniniste qui consiste à se mettre à la place de ce qui est dénoncé. Tout en dirigeant le développement de chaque soi vers le rien absolu puisque leurs propositions consistent précisément à en nier ou à en freiner le déploiement objectif. À l'exception du leur.
Tentons d'esquisser maintenant les conditions à la fois socio-historiques et cognitives qui font que toute cette prose, malgré son nihilisme et sa volonté de puissance absolutiste, trouve audience.
J’avancerai l'hypothèse suivante.
Pour plaire de manière massive ce type de nihilisme ne peut sans s'isoler utiliser uniquement les bases léninistes, même esthétisées par l'horizon nietzschéen de l'ivresse dionysiaque lorsque l'on devient Zarathoustra .
Il doit s'affubler également d'apparences mondaines toutes tournées vers une sacralisation du présent. Celle-ci se caractérise par exemple dans le fait de rompre de plus en plus la relation établie pendant la Renaissance entre la transcendance la raison et l'émotion. Elle s'exprime encore dans le premier romantisme allemand . Celui d'un Goethe.
Mais au fur et à mesure que s'établit cette rupture, elle démantèle l'instant de vie en y réduisant dans son diapason les consonances cosmologiques et transcendantales. Celui-ci se rétracte alors et seulement sur son intensité de sensations ballottée par l'émotion du moment.
Or dans une telle rupture entre transcendance et immanence, le présent peut être seulement perçu dans son émergence inédite. Ce qui devient désirable c'est alors le vertige qu'il procure puisque passé et futur, traditions et projets, semblent pouvoir être abolis au profit d'une infinité d'autres choix. Les notions de continuité, de durée, mais aussi de croyance et même de promesse n'ont plus grand sens dans cette optique puisque le présent semble devenir un présent : une offre infinie de réels.
Cette armature symbolique posant une telle excitation autour de l'instant comme seule réalité de vie trouva un fort écho dans le romantisme post goethien à la recherche de l'émotion pure. Telle la passion amoureuse chez un Dumas fils dans « la dame aux Camélias ».
Cette suprématie de la sensation immédiate sur sa continuité temporelle la réduit à elle-même. Surtout depuis le recul de la transcendance religieuse et l'absorption du sentiment dans son observation réaliste. Cette suprématie du présent se prolongea jusque dans le surréalisme, le dadaïsme et surtout l'existentialisme heideggerien et sartrien.
Le nihilisme étudié ici put alors parfaitement articuler sa problématique de l'errance, de la diffraction du sens, et de la brisure de toute synthèse visant une continuité. Une durée. Et il put même devenir une justification radicale pour la recherche snob de contorsions pulsionnelles qu'il faut "libérer" de leurs entraves individuelles et collectives, sous peine d' "aliénation", ou encore qu’il faut concevoir comme seule issue d’avenir puisque le système social en s’internationalisant exige une organisation supérieure du développement de soi qu’il s’agit de récuser en s’auto-sabordant lorsque l’on n’est pas à mesure sociologiquement d’en accepter les modifications.
Et lorsque l’on fait tactiquement partie des nouveaux secteurs du show bizzeness et de la représentation médiatisée et qui ne peuvent vivre qu’en mettant en scène la décomposition de soi, à l’instar d’une décalcomanie superposée des états de conscience, il est nécessaire de cultiver jusqu’au paroxysme l’évangélisation de l’instant posé d’autant plus comme nouvel horizon indépassable de l’existence que l’alternative politique s’effondre à l’Est et peine à émerger dans le Sud malgré Cuba et l’Algérie.
Tout cela naît dans les années 20, s’affiche puissamment en 50, atteignit son apogée, comme on le vit, en 1968. Et il se répandit dans le monde entier tout le long des années 70. Parce que ce désir d'accomplir immédiatement ses souhaits dans le seul horizon de l'instant était, en même temps, au fondement même de la société de consommation .
Ainsi ni l'individu posant le présent comme seule issue, ni la marchandise visant à la consommation rapide ne peuvent se satisfaire d'une espérance de durabilité.
La prose nihiliste des auteurs étudiés ici répond à toutes ces demandes contradictoires en accentuant l’errance et la destruction soit comme fuite et suicide de catégories sociales dépassées, soit comme précis de décomposition permettant aux modes de vie tributaires de leur mise en spectacle médiatisée d’avoir leur justification théorique à-portée-de-main.
Et cette ambivalence a (eu) d'autant plus d'impact sur certaines individualités à fleur de peau, que celles-ci peuvent être également subjuguées ou effrayées par les énormes possibilités de production de simulacres et d'extension de rationalisation marchande à l'infini du monde externe et interne. Nos auteurs sont alors propulsés dans l'opinion comme cadres de références de plus en plus « incontournables » car nombre de leurs écrits s'appuient aussi sur ce genre de prospective et même amorcent toujours leurs propos par des considérations apocalyptiques ou soupçonneuses sur le temps présent.
Sauf que leurs propos agissent en fait à la façon de cadeaux empoisonnés puisque loin de protéger et d'expliquer par l'arme de la critique, ils s'en tinrent à la seule critique des armes. Et même à leur destruction. Ce qui d’un côté est tout à fait conforme à leur projet nihiliste d’empêcher tout projet y compris celui de la critique. Tandis que de l’autre côté cette incertitude érigée en stratégie fatale leur permet de parader en écrivains maudits et d’être le point d’ancrage pour la génération des nouveaux provocateurs qui savent bien de toute façon qu' il n’est pas possible de faire carrière mondaine si l'on ne sent pas le soufre, même ridicule , et vieilli , issu des récurrences triviales du sophisme et du cynisme séculaire remises au goût du jour, pour obtenir son quart, d'heure ou de siècle, glorieux, dans des dénonciations sans appel . Sens unique.
Regardons-y de plus près encore, passons au commerce de détail, du moins principalement en France .
Cet AAN, je l’ai montré, est copieusement encensé dans les divers ouvrages d’auteurs comme Jacques Derrida, Pierre Bourdieu, mais aussi chez certains détaillants qui, certes, se situent à un étage inférieur dans la hiérarchie nihiliste, mais n’en sont pas moins pernicieux.
Par exemple chez les Philippe Sollers Régis Debray Serge Halimi, Daniel Bensaïd, de même que, quoiqu’à un étage encore plus inférieur, les auteurs de livres du genre « les aventures sexuelles de Catherine M », ou « Plateforme », ou de films, tels «la pianiste » ce qui importe pour leur nihilisme, au-delà de la dextérité des acteurs et même du sujet choisi, consiste précisément à s’emparer de problèmes cruciaux, -au niveau social l’inégalité, au niveau mondial, la globalisation, au niveau artistique les méandres psychologiques du développement meurtri- pour s’en servir de moyens de destruction, d’outils incitant moins à la réflexion par leur incessant touillage dans les parties douloureuses du moi qu’à l’implosion sans rémission de son unité .
Mais cette dernière observation claque précisément comme argument contraire : s’ils étaient vraiment aussi emphatiquement nihilistes, pourquoi (se) vendent-ils si bien ? Pourquoi paradent-ils, tous, à l’étranger, et au faîte des médias en France, cinéma compris ?
Parce qu’ il semble bien qu’ils s’intègrent comme éléments d’ambiance dans l’effet miroir que produit tout média, voire toute réflexion, et jouent plus un rôle symbolique de représentation condensant ce que l’on a envie d’y projeter comme vérités sur le monde, qu’une réelle fonction d’analyse des rapports implicites structurant l’esprit du temps, d’une part.
D’autre part, le phénomène médiatique donne l’illusion que les personnages en vue cherchent le bonheur des voyeurs lorsqu’ils se confient intimement par quelques biais dans les livres qu’ils daignent bien assembler.
Ainsi deux principaux miroirs semblent structurer aujourd’hui le marché de l’opinion en France. En particulier le sous-secteur de l’idéologie bon marché qui domine le débat genre Café du Commerce.
D’abord le miroir condensant dans ses tains la somme d’idées reçues sur la misère du monde et les moyens, définitifs, de la résoudre, et d’en finir avec le conflit entre les hommes, afin de goûter à la paix mondiale éternelle. Une Arlette Laguillier, un Pierre Bourdieu et un Albert Jacquard sont par exemple parfaits dans ce rôle.
Ensuite il existe ce miroir incantatoire qui magnifie les langages intimistes, sulfureux, torturés et vindicatifs car ils sont supposés être les seuls à dire la vérité ultime, cachée, des choses à ces catégories avides d’oublier la dureté de leur déclassement et/ou soucieuses d’afficher les comportements médiatiquement adéquats au code dominant.
Et cela marche.
Approchons encore un peu plus du tableau et entrons dans quelque uns de ses détails. Prenons un produit « mode » : Sollers.
Il (a) dit quantité de bêtises, et dès son époque « mao », mais a su, remarquablement, se recycler dans le sexe alambiqué pour ex-féministes et militants contrits, soucieux de rattraper la libido perdue dans les délires peu platoniques du gauchisme des années 70 par « le baiser de charité ».
Il se maintient actuellement en gardien de l’érection au goût du jour, dénonçant le moisi le jour, vantant, vendant, la nuit, Sade ou le sexe primesautier, capable certes de séduire les jouvencelles, mais bien loin tout de même du Casanova réel et ses amours de femmes altières.
Dernièrement l’Oméga a eu certes un peu peur avec l’affaire Renaud Camus dont l’antisémitisme pouvait lui ravir le titre d’enfant maudit qu’il pense détenir à vie comme je l’ai dit plus haut. Une petite pétition signée avec Saint Derrida et diverses photocopies avides de voir leur nom parader dans Le Monde, et hop ! Orgasme 1er peut encore pavaner et ricaner, à longueur de colonnes du journal du même nom (entre autres), -en profitant de surcroît ces temps-ci de l’aubaine apportée par les attaques grossières du passé sulfureux d’un Cohn Bendit gouailleur et toujours à la dernière mode idéologique, pour affirmer haut fort un non-conformisme « cool », produit industriel de l’urbanité techno-communicationnelle made in Jet Set new-yorkaise, londonienne, berlinoise et parisienne.
Ah ! Parisss ! Qui fait ainsi la folle, déborde intégralement de suffisance, en adorant quelques artistes néo-maudits pendant que la Province fait la somme des bêtises et surnage tant bien que mal.
Il n’est pas étonnant que dans ses cocons d’aucuns préfèrent plutôt avoir tort avec Sartre que raison avec Aron comme le disait BHL dévoilant ainsi en quoi il était piètre philosophe (mais aujourd’hui bon journaliste-reporter).
Et puis il y a toute la symbolique d'être l'auteur aimé et craint du moment, surtout en France. Certains n'ont de cesse, d'être non seulement le nouveau Marx mais aussi Voltaire, Sade, Chateaubriand, Hugo, Rimbaud…Rousseau...
Il est alors impératif de se parer d'une ambiance qui force, forge, l'admiration ou la haine, en attendant le sacre d'un prix et son couronnement dans une émission célèbre..
Prenez par exemple le produit Debray.
Qui s’est autant trompé que lui ? À part Sollers s’entend ? Et qui ne regrette rien ou si peu et juste ce qu’il faut dans quelques mémoires écrites pour le Landerneau médiatique ayant remplacé la Galerie des Glaces par le miroir des émissions obligées ?
Il donne même maintenant ses doctes leçons à l’Université.
Disséquons par exemple l’un de ses derniers ouvrages sur l’intellectuel terminal. De quel ordinateur parle-t-il, quelle génération ?
Celle des nouveaux philosophes. Car il lui faut balayer tout d’abord la scène, éliminer donc BHL, Gluksmann, Bruckner, Finkielkraut, avant de s’installer du haut d’une pseudo-science, la « médiologie », discipline de grenouille gonflée par hormones pédantes et inutiles dont l’on retrouvera sans doute les pesants tomes prétentieux au fil des brocantes et des greniers.
Encore un effort et il finira bien au Collège de France.
Debray n’a par exemple pas de mot assez dur contre l’intellectuel qui pétitionne, postillonne aux quatre coins du globe, oubliant de penser à force de panser etc.… Mais qu’a-t-il lui à penser de si exceptionnel ? Et puis, ne convient-il pas mieux, au moins, et depuis que le communisme a démontré son inanité (en attendant l’antimondialisme), de panser le monde lorsque celui-ci crie sa souffrance et qu’il n’y a rien à faire d’autre puisque la réforme au sein de tant de pays est bloquée ?
Debray tente de construire une scène sur mesure, un pied à l’Université, une autre dans l’opinion, rêvant à une transmission bénéfique et transformatrice entre le savant et le profane à la terrasse d’une pizza serbe. Mais il continue plutôt à induire de l’erreur, ou la déduire, selon la grille de lecture. Il cite par exemple dans cet ouvrage saint Derrida. Or celui-ci est tout sauf l’instrument critique de notre temps. C’est plutôt le nihiliste par excellence tout en prétendant le contraire bien sûr, je l’ai montré plus haut.
Comment Debray peut-il être pris enfin au sérieux alors qu’il s’appuie sur quelqu’un dont le seul objectif avoué est de détruire, littéralement, tout ce qui permet de penser et d’entreprendre, y compris l’esprit critique, -bien qu’il ne soit pas le seul dans ce cas ? Debray serait-il devenu en fin de course nihiliste à défaut de rester révolutionnaire ?
Par contre, il n’est guère étonnant qu’un Daniel Bensaïd, adepte féru de Lénine et de ses révolutionnaires professionnels, -entendez nouvelle caste totalitaire- sculpte une effigie à Saint Derrida. Cela se comprend, puisqu’ils sont, tous deux, les adeptes de « l’artiste » Blanchot et suivent le même objectif aristo-petit-bourgeois : détruire non seulement la mesure capitaliste, libérale, social-démocrate, mais technique, urbaine, rêvant à une errance d’ermite prophétique néo-renonçant, qu’ils veulent cependant imposer à tous, voilà le hic.
Car c’est de cela dont il s’agit. Revenir, tous, et obligatoirement, à une société pré-industrielle. Pré-démocratique. Absolutiste. Cela ne vous dit rien ?
Debray est si borgne qu’il ne s’aperçoit pas que Saint Derrida rêve, à la gauche de la gauche, d’une société néo-religieuse, il en écrit même les évangiles et va jusqu’à les déclamer à Pékin.
Derrida, Bourdieu, Debray, Bensaïd, Sollers, mais aussi Baudrillard, jouent au fond aux néo-prédicateurs pointant les péchés du monde, dénonçant sa corruption (tout en y survivant), alors que leur propos sont moins perçus dans ce qu’ils énoncent, dénoncent, que dans ce qu’ils signifient comme Crédo sacral et mise à l’Index, codes d’accès aux portes d’entrée du Carré de la Représentation au stade de sa reproduction industrielle .

Face à cette fuite en avant dans le sauve qui peut nihiliste, comment ne pas entrer dans sa sphère d’influence et savoir raison garder pour être en mesure de continuer à critiquer le monde, c’est-à-dire aussi le construire en mieux ?
C’est l’un des projets majeurs d’un programme fort pour le développement durable que je vais aborder maintenant.


III

Quelques problèmes de la techno-urbanité et autres moyens pour les conjurer


A De l'Enseignement

Il est considéré en France que l'école devrait alléger ses programmes, et les fasse identiques pour tous afin d'éviter de creuser l'écart.
Or il se trouve, d'après certaines études, qu'il n'en soit rien . Le fait d'alléger et de rendre identique les programmes non seulement ne réduit pas les inégalités, mais les aggrave. En effet, l'enfant ayant un bagage et un milieu socioculturel peu favorable ne trouvera plus à l'école la compensation indispensable. Dans ces conditions au lieu d'aider l'enfant défavorisé par une bourse et un tutorat conséquents afin qu'il se hisse au niveau d'une meilleure réussite scolaire, comme le conseillent les auteurs de ces études peu connues , les différentes réformes ont préféré rogner celle-ci pour la rendre plus accessible.
Ceci a eu pour résultat, au dire même des documents officiels, d'augmenter en fait les inégalités, alors que ces réformes étaient censées les réduire, puisque les enfants favorisés ont toujours leur milieu socioculturel pour compenser l'appauvrissement en contenu de l'enseignement. Abaisser le niveau de l'enseignement n'aidera donc pas les enfants défavorisés, car ils n'ont parfois que l'école comme milieu d'apprentissage.

Le problème n'est alors pas tant d'ouvrir plus largement l'entrée aux grandes écoles ou de multiplier les visites au musée (pourquoi pas ?) que de faire croire qu'il suffit d'agir ainsi pour élever le niveau de conscience comme l'on disait avant.
Il faut cesser d'appliquer sur les enfants des théories non suffisamment démontrées et qui tiennent plus de l'idéologie que de la démonstration savante. Surtout lorsque de telles analyses ne s'appuient sur aucune psychologie cognitive solide du développement de l'enfant qui spécifie pourtant bien que chaque enfant a besoin de se sentir acteur et qu'il est spécifique, quand bien même auraient-ils tous le même milieu social .
Mais cette spécificité ne veut pas dire qu'il faille obligatoirement perpétuer cette séparation entre lycées généralistes, techniques et professionnels. Surtout aujourd'hui. Ainsi il est aussi nécessaire de comprendre un contenu que de maîtriser les supports informatiques permettant de le mettre en forme et de le distribuer en ligne.
De même il n'est pas sûr que le mépris contre les métiers manuels doive être perpétué. Savoir cuisiner, réparer une fuite d'eau, faire de l'électricité, apprendre l'astronomie, mais aussi tenir une caméra, un micro, savoir mixer, ne sont pas incompatibles avec des études plus généralistes. Tout dépend au fond comme on enseigne la plomberie. Le montage. Ou les Lettres.
Il est tout de même étonnant que ceux-là mêmes qui prétendent lutter contre la reproduction à l'identique des éléments sociaux de la division du travail s'intéressent beaucoup plus à appauvrir les programmes et à les orienter idéologiquement que de chercher à éduquer toute une classe d'âge dans le désir d'apprendre et d'édifier les choses.
Les partisans de l'inné et de l'acquis continuent à s'affronter alors que le débat ne se situe plus là depuis des lustres. Il n'était pas besoin d'attendre le résultat du décryptage du génome pour s'en rendre compte. Il ne s'agit plus d'énoncer que l'intelligence vient uniquement des gènes. Ou qu'elle vient seulement du milieu. Et qu'il n'en existe qu'une seule sorte. De plus les scientifiques nous disent que l'intelligence est une capacité à saisir singulièrement des relations multiformes. Mais qui est cependant obstruée ou avivée selon le milieu. Ce qui nécessite une acquisition dynamique de l'apprentissage et des méthodes d'appréhension et d'action sur le réel.
Toute une réorganisation du système d'enseignement devrait être pensée dans cette optique. Un référendum pourrait sans aucun doute poser les enjeux et forcer les acteurs à en parler puisque les majorités parlementaires et présidentielles ne suffisent pas pour les concaincre à choisir le camp de la réforme.




***


B De la techno-urbanité

La mondialisation existe depuis l’Antiquité, et la découverte de l’Amérique n’a fait qu’en accélérer les termes.
La globalisation existe aussi depuis des lustres puisqu’elle exprime une vision précisément globale du développement choisi. Ce qui implique une intégration, une cohérence, et donc une économie d’échelle. Et comme le propre de la volonté humaine consiste à se déployer jusqu’à ce qu’une limite interne et/ou externe l’en empêche, il n’est pas étonnant de voir des globalisations se renforcer tant que rien vienne l’en empêcher. Aussi faut-il circonstancier les problèmes.
Si, en effet, il est nécessaire d’établir des régulations, ce qui est d’ailleurs la fonction même de l’espace public, il convient tout de même de ne pas sombrer dans l’illusion infantile consistant à croire qu’un jour il ne sera plus besoin de lutter pour réguler car les hommes seront devenus définitivement bons puisque le milieu sera pur et parfait, illusion partagée à la fois par les marxistes et les libertariens.
Il est en fait curieux d’observer qu’une telle hypothèse d’école proposée uniquement de manière heuristique en science devienne l’alpha et oméga de groupes soucieux de se servir de la générosité et de la nervosité juvénile comme armes contre le vaste mouvement actuel d’organisation, nécessairement conflictuel, de la division international du travail.
De même il est étonnant de percevoir que les mouvements anti-industriels, anti-scientifiques, anti-progressistes, et plus globalement, anti-urbains, nés dans les années 60, reviennent avec force, en Occident du moins, car dans les pays du Sud ils ne rencontreraient qu’incompréhension et méfiance et je mets au défi quiconque de me montrer des mouvements de masse puissants visant non à améliorer leurs droits ce qui est normal mais à rejeter la mondialisation elle-même.
En effet, bien qu’il faille distinguer les mouvements anti-mondialisation et anti-globalisation, les premiers étant plutôt réactionnaires et nationalistes, les seconds radicalement anti-capitalistes, il s’avère que tous se retrouvent dans le même rejet de la société industrielle alors que dans le Sud tout le monde en rêve.
C’est l’un des paradoxes de la crise actuelle du politique à l’échelle mondiale. Car autant on peut comprendre que des mouvements s’organisent pour lutter contre les excès et les manipulations en tout genre afin de doter la planète d’instances mondiales de régulation conséquentes, autant la révolte ultra violente actuelle d’une frange choyée de la jeunesse urbaine occidentale apparaît bien plus comme les soubresauts aigris des petits-bourgeois urbains anxieux de découvrir qu’ils ne sont plus seuls au monde à définir l’avenir de la planète.
Cette révolte, par ailleurs excellent défouloir psychologique des irascibles et des frustrés sur bien des aspects, est, bien entendu, à différencier des combats inquiets de salariés soucieux de préserver leurs emplois et leurs acquis.
Mais on peut fort bien faire remarquer néanmoins que ces salariés sont aussi et même principalement réduits à l’impuissance par la faute même de toute la caste politico-intellectuelle qui les a toujours empêchés de devenir des actionnaires à part entière, à même dans ce cas de peser sur les choix stratégiques.
Lorsque par exemple un syndicat comme la CGT refuse toute forme d’actionnariat salarié, il ne faut pas s’étonner de voir ensuite ceux-là être mis devant le fait accompli.
Que l’Etat fasse son possible pour éviter celui-là, c’est une chose. Mais il ne peut pas se mettre à la place des acteurs. Or il se trouve que la caste politico-intellectuelle française, mais aussi issue de la gauche radicale américaine, baignent dans l’illusion folle de penser que croissance et progrès sont des facteurs linéaires uniquement perturbés par des éléments extérieurs, fortuits, ou malveillants.
De même il est étonnant d’observer que toute une génération soucieuse de ne pas « consommer idiot » dévie de cette attitude en se recroquevillant dans un anti-nucléaire, pourtant à même de combattre l’effet de serre, ou une lutte anti-automobile qui pourrait fort bien être résolu si l’on adoptait la pile à combustible et le moteur à hydrogène comme il commence à se faire dans certaines villes européennes.
De manière plus générale, et plus profonde sans doute, on voit se conjuguer à l’échelle mondiale, des courants petits-bourgeois violemment anticapitalistes et soucieux de préserver leur parasitisme de la fonction publique, et des courants fortement féodaux, tenant de préserver le reste de prestige d’une Histoire en déroute plutôt que se lancer dans l’aventure mondiale avec du sang neuf comme le font tant de vieux pays.
Les palestiniens d’Arafat sont dans ce cas. Mais certains sionistes également. Sans parler des partisans du Califat, et de la grande Chine.
J’aborde ainsi par la bande les relations internationales, ce qui pourrait sembler hors sujet dans le cadre d’un développement sur l’économie politique. Je suggère cependant que l’on ne peut pas isoler ces problèmes du reste des soubresauts secouant fortement la planète à l’ère techno-urbaine arrivée à maturité. Surtout lorsque l’on considère que le non développement du Sud est aujourd’hui l’une des causes du ralentissement de la croissance mondiale avec un Nord aux marchés saturés et qui ne pouvaient décemment construire le marché Internet en aussi peu de temps.
Aussi les relations internationales sont un des facteurs puissants de l’économie politique et c’est que je vais aborder maintenant.



***



C Des relations internationales

Commençons par la Palestine. Ce qui s’y joue dans le camp arabo-palestinien c’est aussi le refus de la vie urbaine moderne et donc de ses vecteurs structurants que sont les libertés de penser de vivre et d’entreprendre. C’est le refus d’envisager le désir d’Etat comme facteur suscitant prospérité et confort pour le plus grand nombre. Et non pas la seule conservation de l’énergie pour la guerre contre les « Croisés » comme le veulent ceux qui prônent un retour au Califat du 11ème siècle.
Le fait par exemple qu’Arafat ait refusé le compromis que lui proposait Barack sur 95% des territoires occupés, puis énoncé, au grand dam d’Elie Wiesel, le caractère non-juif de Jérusalem, et, enfin, exigé que les trois millions d’exilés palestiniens reviennent et tout de suite en Israël même, revenait d’une part à renoncer aux étapes nécessaires de toute diplomatie. D’autre part, et plus profondément sans doute, cela démontrait son refus de transformer la Palestine en démocratie urbaine en marche, même conflictuelle, vers une prospérité toujours en péril, mais néanmoins ascendante.
Il y avait moyen à terme de faire de la Palestine une petite Union Européenne. Ce qui aurait également empêché certains sionistes de faire comme s’il était possible de revenir au temps de la Bible, et donc de ne pas se soucier des peuples rencontrés, réduit dans ce cas au rang d’animaux hostiles. Ce qui, là, dénote d’une volonté de puissance à l’idéalisme sans retenue, impossible à admettre aujourd’hui.
Voilà pourquoi nous assistons conjointement aujourd’hui à l'enfer de l'intégrisme politico-mafieux de l'OLP et à la cécité israélienne. Observons par exemple ce qui est nommé la seconde intifada.
L' OLP voulait faire comme le Hezbollah libanais : récupérer les territoires non plus par la négociation mais les armes, ce qui évite de trop lâcher. Il s’agissait alors de faire pression sur Israël par les armes de la puissance médiatique internationale pour que celui-ci quitte les territoires occupés. Mais le Liban n'est pas la Palestine.
Les Juifs ne peuvent pas céder ainsi car se seraient pour eux renier 5000 ans d'Histoire et cracher sur les tombes de toute la Diaspora. Cela Arafat ne le comprend pas, pas plus que certains histrions français à la mode comme Bové qui amalgame en bon démagogue des situations tout à fait différentes. Tous ne veulent pas comprendre qu’Israël a aussi bénéficié en 1948 de la situation sociologique de l’époque qui permettait d’acheter du terrain au chef de tribu, au cheick, celui-ci se souciant peu de vendre en même temps les parcelles de ses métayers et paysans. Or c’est à ce moment là qu’il aurait fallu négocier. Au lieu de cela les guerres successivement déclenchées contre Israël ont permis à celui-ci de s’agrandir, ce qui est de bonne guerre lorsque l’on vit dans un mouchoir de poche.
Arafat aurait pu donc joué une autre carte, et ce depuis longtemps, celle de la politique des petits pas. Par exemple en se battant pour que Israël accepte d’ors et déjà un réel partenariat économique au lieu de surtaxer les produits palestiniens et de favoriser unilatéralement les nouvelles implantations mais guère les arabes israéliens. Arafat aurait montré à la face du monde que son combat n’est pas anti-juif, que l'Etat palestinien se veut viable économiquement et qu'il lui faut des frontières sûres et reconnues. Espérons néanmoins que son actuel tentative visant à se distinguer des totalitaires islamistes puisse enfin l’encourager à tenter autre chose que la seule confrontation.
Une autre carte peut en effet aussi être jouée s'agissant plus spécifiquement cette fois des implantations nouvelles. Pourquoi ne pas négocier le fait que celles-ci passent sous juridiction fiscale palestinienne à 50% ?
L'idéal serait d'ailleurs que les juridictions judiciaires passent sous contrôle mutuel. Car le principe, idéal je le répète, serait le suivant, du moins uniquement aux niveaux judiciaires et fiscales puisque le niveau politique doit rester distinct : juifs et palestiniens, peuvent s'installer où ils le veulent, en Israël y compris, à partir du moment où les niveaux juridiques fiscaux et politiques ne se confondent pas et sont sous juridiction à la fois distincte sur certaines questions et conjointe sur d'autres.
Ainsi un palestinien pourrait même s'installer à Tel Aviv, du moins dans la mesure où il répondrait uniquement pour sa protection sociale et son caractère de citoyen du système palestinien, tandis que du point de vue judiciaire, policier, il répondrait du contrôle israélien. Et vice versa. Cela ne se ferait pas en un jour ni même en mille, mais l'idée que Palestine-Israël devienne à terme une micro Union Européenne n'était pas si chimérique que cela malgré quelques rechutes à l'irlandaise, à la basque, toujours possible ( j’en reparlerai plus loin ).
Enfin la question de Jérusalem pourrait se solutionner comme suit : deux capitales se font face avec une neutralité pour les Lieux Saints. Ou alors Jérusalem n'est pas une capitale politique mais uniquement religieuse et culturelle. Ce qui implique que cela soit Tel Aviv qui le devienne pour les Israéliens et une capitale à inventer pour les palestiniens, capitale construite par de grands architectes mondiaux et financés par le fond international d’entre aide.
Cette dernière position demanderait certes un gros sacrifice pour les juifs israéliens. Mais en même temps indiquerait qu'ils ne rêvent pas à la Palestine de la Bible mais celle d'aujourd'hui, ce qui éviterait les dérives extrémistes des faux adorateurs de Dieu.
Le panislamisme actuel dérive lui aussi dans cette direction. Car ce qu’il faut lire par exemple dans ces attentats qui ont eu lieu contre une discothèque à Tel Aviv et les tours du World Trade Center à New York c’est moins l’acte que la cible : aucun mode de vie urbain moderne basé sur le libre commerce d’objets non estampillés par une interprétation tronquée du regard religieux ne seraient tolérés en cas de victoire d’un tel totalitarisme.
C’est d’ailleurs l’enjeu de ce qui secoue à l’heure actuelle les pays à domination politique arabo-militaro-islamique. Le mode de vie urbain moderne est réservée à la caste au pouvoir qui manipule la religion et un « anti-impérialisme » de façade pour tenir la population à l’écart, en quasi-apartheid, tout en agitant un nationalisme verbal afin de faire taire les objections internationales. Tout en « s’éclatant « dans des lieux super protégés ou à l’étranger, cassettes pornos à profusion dans les valises des riches saoudiens donnant ensuite leur obole aux organismes intégristes.
Cette situation alimente les réseaux passéistes. Et il n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard que les documents fondateurs de tels réseaux en appellent à la lutte contre « les Croisés ». Ce qui est là moins la désignation d’une cible que la volonté démesurée de revenir précisément à cette époque, de nier ainsi le déclin de l’empire arabo-musulman et aussi les causes comme la domination progressive du religieux sur le politique.
Ces gens imaginent que l’Histoire est uniquement le résultat tel quel et réversible de la volonté d’être. Israël y a cru dans l’effort sioniste et est bien obligé d’admettre maintenant que le « retour » tel quel n’est pas possible. Mais Israël n’en défie pas pour autant le reste du monde en l’obligeant à vivre sous son joug sous peine de mourir.
Le fait que le Nord, spécialement les USA et le Quai d’Orsay en France ( véritable Etat dans l’Etat) , soutiennent certains régimes arabo-islamistes dont la nature foncièrement antidémocratique et anti-moderne alimentent, financièrement surtout, l’ultra-intégrisme totalitaire à la Ben Laden, en dit long sur sa cécité ou alors sur la volonté de certains de leurs dirigeants d’empêcher que le Sud se libère enfin de telles dictatures.
Leur soutien aux dirigeants chinois actuels en est également un exemple criant.
Ainsi il se trouve que dans leur actuelle reconstitution sous le manteau d’une dynastie impériale ces ex-mao prétendent non seulement bénéficier ad vitam eternam d’une légitimité alors que la situation n’est plus du tout la même qu’en 1949, mais ils ont aussi le toupet de vouloir incarner « la » Chine alors qu’ils en sont les plus vils spoliateurs.
Leur nationalisme de façade n’est en fait qu’un pur paravent pour leur totalitarisme qui s’est par exemple moins emparé du Tibet pour l’annexer territorialement que pour empêcher qu’il devienne une alternative spirituelle à terme. On ne comprendrait pas autrement leur acharnement à éliminer tout mouvement à caractère religieux à l’intérieur même de la Chine. Ou leur volonté d’annexer Taïwan. Il s’agit moins d’impérialisme territorial et plus de totalitarisme idéologique maquillé en nationalisme.
Il est donc regrettable que l’admission de la Chine à l’OMC se soit réalisée sans que des comptes politiques ne lui aient été demandés. Il est quand même incroyable qu’un pays qui connaît des milliers de condamnés à mort par mois et dont les dirigeants exigent que les familles de ces derniers remboursent la balle qui les a achevés, ne voit pas de tels criminels inquiétés. C’est précisément en opérant ce genre de soutien misérable que l’on alimente la haine envers les instances internationales.

Les mouvements dits nationalistes en Europe ne relèvent certes pas d’un tel déni de réalité. Surtout lorsqu’ils ont une base strictement régionale. Mais leurs ailes extrêmes adoptent la même courbure idéologique basée sur une volonté de créer des zones hors du temps et de l’histoire dans lesquelles règnerait l’utopie raciste de la purification ethnique.
La solution n’est est alors pas moins aussi européenne. On le voit bien en Irlande du Nord, comme au Pays Basque, en Corse. Mais la question ne peut pas être l’indépendance parce que dans ce cas l’Europe implose en myriades.
Il s’agirait plutôt de négocier une reconnaissance en tant que tel de ces particularismes par la création d’un Parlement européen des Nations dont la spécificité serait de discuter d’une part de leur mode d’appartenance à l’Union Européenne. D’autre part de la préservation et du développement de leurs identités culturelles.
Ce Parlement aurait un droit législatif sur les questions strictement linguistiques et culturelles, du moins dans le respect des prérogatives constitutionnelles du citoyen, ce qui implique par exemple de ne pas lui imposer le fait de ne plus apprendre ni parler la langue d’Etat.
Mais ce Parlement aurait un droit de veto à la manière du Sénat français sur les dispositions politico-économiques qu’adopterait dans leurs contrées les Etats de l’Union par le biais de leurs instances décisionnaires parce que ces dispositions relèvent de politiques plus globales soutenues par des votes transnationaux et qui ont le dernier mot. Ainsi l’installation de tel ou tel complexe ne relève pas seulement de décisions locales qui seraient, seules, souveraines.
Cette double organisation, à la fois nationale et transnationale, serait également à terme l’enjeu mondial des années qui viennent. Car on le voit bien. Dans le monde entier, qu’il s’agisse du Cachemire, de l’Indonésie, de la Mauritanie, des pays Slaves, du Kurdistan, du Québec même, enfin de la question berbère en Afrique du Nord, mais aussi des minorités religieuses de part le monde, il est question de défendre des particularités formelles historico-culturelles au sein d’Etats de droit en gestation ou aguerris tout en étant contextuellement intégré dans une planète qui devient de plus en plus compatible économiquement.
La cohérence plus grande au niveau institutionnel et économique ne veut pas donc dire que l’on soit tous obligé de parler la même langue et de se nourrir des mêmes choses physiquement et spirituellement, c’est l’évidence même.
Aussi une ONU, réformée, plus efficace, devrait se scinder en deux : il y aurait d’un côté une OEU : Organisation des Etats Unis dont l’objectif ne sera pas de venir un supra Etat doté d’un gouvernement mondial mais de coordonner les fondamentaux du développement durable. De l’autre côté une ONU nouvelle formule : Organisation des Nations Unis en ce sens qu’ elle regrouperait non plus les représentants des Etats, mais uniquement les représentants de chaque forme historico-culturelle désireuse de défendre et de faire prospérer son identité linguistique et culturelle, ils auraient donc compétence législative en ce domaine, du moins avec l’aval des Etats en dernier lieu.
Un des moyens pour renforcer l’identité, complexe, des nations est le développement démocratique des médias. C’est d’ailleurs ici une bonne introduction pour en parler plus spécifiquement.




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D Des médias

Il est donc clair que la nouvelle ONU devra légiférer sur des propositions de préservation et de développement des langues et des patrimoines culturels. Un bon moyen dans ce domaine est d’une part d’aider à la création de télévisions et de radios et d’autre part de développer l’Internet haut débit.
Les médias, ces tamtam modernes disait-on autrefois, sont les nouveaux creusets de la subjectivité permettant d’échanger des contenus et des états de conscience.
Il est nécessaire dans cette optique de concevoir que les médias ne peuvent pas être seulement des lieux de transmission de vérités mais aussi de représentations qui s'en réclament ou s’en détachent plus ou moins. Il s’agit donc de distinguer les médias directement attachés à une orientation didactique, pédagogique, culturelle des médias à vocation plus largement de divertissement et d’échange d’impressions sur la vie de chacun s’imprégnant du monde et le marquant en retour.
Le média, dans ces conditions, ne peut pas être l'instrument unique du savoir, qu’il soit religieux ou séculier, mais aussi de la rumeur, du fantasque et du fantasme. A l'instar des contes et ensuite de la feuille de chou d'autrefois. Du moins au fur et à mesure que s’installe la liberté d’impression, accompagnant l’expression se détachant de l’uniformité indexée.
Croire de toute façon qu'on pourrait uniquement utiliser le média pour répandre une bonne parole reviendrait à le réduire à un instrument de propagande que de toute façon personne ne regarderait.
Par contre y imposer des limites, comme cela se fait actuellement, mais aussi apprendre à les décrypter à l'école, et faire en sorte que l'idée de service public de l'information soit décentralisée jusqu'au niveau des mairies, tout en donnant la possibilité au citoyen d'avoir un accès illimité et abordable à Internet, sont autant d'éléments qui permettraient de combattre l'aspect non interactif des grands médias de masse.
Car le problème essentiel est d’abord le rapport au média lui-même, non le contenu qu’il transporte et qu’il est possible de distinguer en maintenant bien ce qui est de l’ordre de l’information vérifiée du divertissement et de l’échange inter subjectif.
Le média en tant que tel crée en effet un espace à part qui s’apparente moins à une bulle isolante incarcérant mentalement comme ses détracteurs ont coutume de le décrire, mais plutôt un écran entre soi et le monde. Cet écran peut devenir un écrin sécurisant ou une porte ouverte à tout vent si l’on cherche à y compenser des manques relationnels.
Le média est un écran de sécurité lorsqu’il rend visible un espace symbolique délimité physiquement par une fréquence et mentalement par un ton, une ambiance, représentatifs d’états et de contenus de conscience qui rassurent. Déjà avec la fresque murale, la peinture puis l’écriture et même la statue, la prolongation de ces états et contenus de conscience permet de creuser le lieu de la réflexion, une intimité de sensations et de sentiments qui n’échappent pas à l’examen de conscience comme à l’état onirique. Ils permettent tous deux de se rapprocher de soi ou de s’en éloigner.
C’est là l’avantage des sociétés d’écriture sur les sociétés orales.
Le média écrit, à la différence de l’oral, suspend en effet la fusion dans la vision commune du temps. Il crée de l’espace propre dans l’instant même, constitue des stries, permet que la diversité des visions ne succombe pas au charismatique de l’unicité visionnelle qu’apporte l’oral, du moins durant sa locution.
Il permet enfin aux sociétés de l’écrit d’accompagner une profonde autonomisation de la personne.
Il faudrait d’ailleurs remarquer que les grands régimes totalitaires ont toujours interdit les livres et les images, et imposé des grandes réunions pour que durant des heures une voix deviennent la voix et par là la parole même de tous médiatisée, y compris au dedans des consciences.
La messe, la prière, à la même heure, plusieurs fois par jour, ont (eu) elles aussi cette capacité formelle d’instaurer un ordre plus ou moins accepté au corps et aux pensées. Il ne s’agit donc pas de croire que seuls les médias de masse ont inventé cette captation uniforme des sens et de la voix intime. Au contraire ils semblent bien l’en avoir libéré, pour le meilleur et pour le pire, certes, mais ce n’est pas le problème ici puisqu’il s’agit de cerner le rôle du média comme élément renforçant la liberté de choisir le cadre de référence par lequel on justifiera la posture adoptée.
Je persiste par exemple à penser que c’est moins la radio qui a fait le charisme d’Hitler ( et certainement pas celui de Staline, piètre orateur paraît-il ) que ces énormes et monumentales réunions qui forçaient des millions d’individus à être rassemblés à un même point physique, à l’écoute d’une, -j’allais dire dans- une même pensée, fusionnant en corps mystique, devenant celui-ci enfin, envoyé à l’assaut de l’au delà du réel ainsi créé.
Dans une phénoménologie du pouvoir charismatique à venir, il ne sera pas inutile de montrer que celui-ci se crée par ondes concentriques : d’abord quelqu’un et/ou un groupe s’affirme par des propos dérangeants, puis ce groupe prend l’ascendant dans son environnement lorsque, en défiant la loi, et selon qu’il reste impuni, l’attraction qu’il exerce à ce moment là comme source alternative possible de pouvoir casse peu à peu les filiations amicales, sentimentales, puisque, en devenant un point d’ancrage, il s’érige en tiers, en organisateur crédible, du rapport au réel.
Je me rappelle un film américain dont j’ai oublié le titre sur la montée du nazisme dans un village allemand qui montrait bien comment une poignée de fanatiques peut devenir peu à peu le point d’attraction : en commençant par quelques propos vifs sur les Juifs et une action illégale effectuée par le leader contre une vitrine mais restée impunie pour des raisons souvent banales : la famille du provocateur ayant des relais puissants pense étouffer l’affaire alors qu’en fait elle aide à sa constitution symbolique.
A partir de là il devient de plus en plus difficile de contrer la montée en puissance des propos antisémites et des voies de fait de tel ou tel. Les opposants se voient peu à peu exclus. L’ère totalitaire peut d’autant plus commencer qu’elle suit en fait les chemins classiques de la médiatisation au sens sociologique du terme : un phénomène devient point d’attraction puis point de fixation et enfin tiers entre soi et le monde, enfin entre soi et soi, c’est-à-dire système de référence total autour duquel se constituera la manière d’être du monde.
Je vois un principe similaire de médiatisation, quoique moins virulent, dans les phénomènes transgressifs comme celui dit du « tag ». Il s’agit moins de signifier quelque chose avec que de souligner l’acte transgressif et la représentation qui le sous-tend comme acte viril d’affirmation de soi. Et cela n’a rien à voir avec une quelconque affaire d’environnement et de situation défavorisés.
Je connais par exemple un tagguer qui est tout à fait bien dans sa peau, il fait des études d’architecte, vit dans une banlieue pavillonnaire tranquille avec jardin et barbecue. Il m’a expliqué qu’en fait l’intérêt de l’histoire était précisément cet effet d’onde concentrique dont je parlais plus haut : il fait un tag dans un endroit un peu difficile et surtout interdit et ensuite va le montrer à ses amis, sa copine.
Puis au deuxième tag il n’a plus besoin de prévenir, tout son cercle sait, pense à lui, l’imagine. Les fonctions fantasmatique, onirique, peuvent agir à fond, en attendant que se constitue une légende au fur et à mesure que les risques pris s’amplifient. Un tournant symbolique est atteint, l’individu devient une marque, il devient média, la pub légale emploie le même stratagème avec des moyens légaux.
Le média est donc ce tiers qui crée un monde de représentation entre soi et le monde entre soi et soi : il participe à la constitution du rapport au monde et déjà de sa vision, et lorsqu’il devient absolu, lorsqu’il s’accapare le tout de la pensée du monde, il bascule en pensée unique.
Et s’il y a adhésion c’est précisément parce que la volonté d’être se combine avec un besoin de représentations dont certaines doivent devenir décisives pour agir efficacement dans le monde. D’où la nécessité pour l’humain de chercher des points de comparaison, voire des systèmes de référence complets comme les religions lorsqu’il préfère suivre des séries d’habitudes plutôt que d’en tester la pertinence une par une. Aujourd’hui il peut également se servir du travail des créateurs d’espaces symboliques que sont les penseurs et les artistes, s’il veut s’appuyer sur des approches basées sur des processus de vérification et d’histoire des formes .
Le besoin de média est donc double et cette situation est interactive : d’une part il sert de lien entre soi et le monde, soi et soi, d’autre part il constitue l’affinité informelle des groupes, leur aspérité symbolique : telle personne, tel groupe, deviennent média, c’est le phénomène charismatique systématisé aujourd’hui par ce que l’on nomme le star système.
Cette double interactivité n’est pas nouvelle. Prenons le cas du star système : ses supports et sa propagation sont certes nouveaux mais au Moyen age, le phénomène de déplacement de foules considérables vers la demeure de tel ou tel pieux personnage ou de saint(e) ressortait de cet acabit : la personne adulée représente, incarne, le lien aux valeurs permettant d’ atteindre l’existence souhaitée.

En conclusion et dans ces conditions, dans cette double fonction du média, à la fois lien interne et incarnation même, le propre de la puissance publique serait par exemple dans l’éducation de bien comprendre de tels phénomènes et ne pas juger selon une échelle inférieure/supérieure les formes médiatiques mais leur contenu.
Dans le reste de la société, il faudrait faire en sorte que les accès au Réseau internet soient rapides, peu élevés en coût et facilitent les échanges de services y compris non payants. C’est ainsi que l’on pourrait vectoriser la matrice de déploiement des nouveaux réseaux économiques. Et non en s’appuyant principalement sur une offre technique qui d’une part fait fi de la concurrence comme ce fut le cas du portable Wap en France bien peu à même d’être à la hauteur des services espérés, et d’autre part pense qu’il suffit de présenter le produit pour créer le tissu social susceptible de s’en servir.
Certes la diffusion foudroyante du téléphone portable a pu faire croire qu’il en serait de même pour son accès à Internet. Or il en est rien. Parce que le téléphone portable apparaît plus comme un moyen souple d’aller plus vite dans la communication qu’une nouvelle forme d’interaction et de perception comme c’est le cas pour Internet.
Celui-ci nécessite une approche tout à fait inédite qui s’appuie plus sur les demandes de sociabilité et de reconnaissance que sur les surenchères technologiques s’apparentant plus à la frivolité du gadget qu’à l’esprit hi-tech.
De ce fait promouvoir la constitution effective de médias dans les lycées, promouvoir avec eux et aussi les mairies des concours qui pourraient être relayés par Internet, participerait de cet effort à percevoir le média lui-même comme message constitutif du lien social dont les formes et le contenu diffèrent selon l’esprit du temps.




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E De l'identité

J’ai abordé plus haut sans m’y arrêter vraiment le problème de l’identité, politique, culturelle, médiatique. J’aimerais maintenant l’aborder de front.
Qu’est-ce que l’identité ? Du moins dans l’esprit actuel du temps ? Sans phraser outre mesure dans ce qui n’est ici une vaste esquisse de ce que j’aimerais approfondir dans un prochain ouvrage consacré à l’élaboration d’une échelle générale d’évaluation du développement, je dirais que l’identité actuelle semble être au plus près de sa liberté d’être : ou comment devenir ce que l’on veut et souvent ce que l’on croit vouloir devenir. Mais cela a des conséquences, j’en parlerai par exemple à propos du Pacs.
Partons tout d’abord du fait que l’identité humaine a besoin de s’auto-développer . Les soucis du rapport au monde, du rapport à autrui, ne sont donc pas en permanence le résultat d’un manque d’être qu’il s’agirait de combler mais celui d’un désir de déploiement.
Certes le besoin de se nourrir, le besoin de s’accoupler, d’être aimé, peuvent sembler signifier que puisqu’un tel manque congénital existe au cœur de la matrice d’identité, il en serait de même pour les besoins plus sociaux comme le fait d’être reconnu, de créer, d’avoir du plaisir à être cause . C’est très réducteur .
D’un autre côté il est également faux de croire qu’il existerait un être humain ayant besoin de tout d’une part, et où chaque milieu traversé transformerait si profondément son identité qu’il serait seulement un autre à chaque fois, d’autre part.
Je reviendrai là dessus plus loin. Après en avoir esquissé l’aspect historique suivant :
L’Histoire du Nord montre qu’avec le surgissement de la ville et surtout de la division du travail l’individualisation de l’espace et de la tâche permet de construire la personnalité non plus vers la seule personnification des valeurs du groupe comme ce fut le cas avec les figures du héros et du maître, -personnification néanmoins inscrite dans un canon commun des formes admises, mais aussi vers la personnification des valeurs se traduisant par l’appropriation en propre des libertés de penser et de créer des formes indépendantes des canons religieux et politiques.
Lorsque l’on ne réduit pas l’époque moderne à la première Révolution industrielle, il est trivial de rappeler qu’elle ne surgit pas au croisement du 18ème et du 19ème siècle mais au 16ème siècle avec la Renaissance Italienne et la découverte de Christophe Colomb. Car cette époque marque d’une part la redécouverte de la multiplicité des formes spirituelles et religieuses vécues durant l’Antiquité, et, d’autre part, montre par la découverte d’autres espèces animales, végétales, et d’autres civilisations, la multiplicité historique. Ces deux aspects nourrissent alors d’un côté la création personnelle de formes et par là permettent à l’individu de se distinguer du groupe. Tandis que de l’autre ils alimentent le complexe de supériorité de Nord qui en fait ne trouve comme preuve suprême de distinction que le superlatif de puissance raciale car au Nord l’unité du fond et de la forme, unité religieuse, n’arrivait pas à assumer ce qui est pourtant au fondement de l’ère moderne : la distinction du fond et de la forme tout en sachant que le fond est un et la forme multiple.
Qu’est-ce que le fond ? Car il y a un fond. Dire qu’il n’y a pas de fond est lui-même un fond. D’où tirerait-il sinon sa certitude ? D’un axiome dernier, d’un fond qui ne sera pas remis en cause précisément. Fond, fin, qui devient commencement, principe premier, optique que l’on peut sacraliser et donc interdire puisque le principe même de la spécificité humaine consiste à être libre formellement quant au fond, et même à créer d’autres fonds, toutes ces lois fondamentales qui régulent la vie humaine et son conflit.
Admettons alors que le lecteur ne trouve pas d’objection à ce que le fond de l’identité humaine soit d’une part morphologiquement composée d’un je singulier doté d’un côté par un caractère (aptitudes conatives) , un tempérament ( types émotionnels) spécifique, et de l’autre côté par un soi universel combinant une base animale, bio-organique et une base plus spécifiquement intelligente et libre c’est-à-dire l’humain mais plongé dans l’Histoire.
L’identité humaine serait autrement dit composée d’un soi bio-cognitif universel affirmant son je conatif et émotionnel singulier par un moi particulier sédimentant historiquement des attitudes selon les cultures et les lignées générationnelles et se déclinant d’un côté en acteur politique au sens large, c’est-à-dire agissant selon sa conception du monde, et de l’autre en agent social s’insérant selon ses compétences.
Admettons également que l’identité humaine ainsi définie ou ce soi-je-moi est aussi autre en constance puisque les changements d’attitudes et leur affinement positif influent sur l’organisation des émotions, de la perception et donc de la conduite.
Admettons cependant qu’ils ont moins d’effet sur la structure du caractère dans ses préférences conatives.
Admettons maintenant que le lecteur accepte cette incision limitative -que l’on peut également transcrire sociologiquement en je idiosyncrasique (soi), acteur politique et agent social (moi).
Il est alors possible d’avancer que du point de vue du meilleur, le développement durable de ce fond là se traduit toujours en moyenne d’une part par un effort continu de conservation positive se traduisant en diverses améliorations matérielles ( hors luxe) et, d’autre part, par un effort soutenu d’affinement positif souhaité par le plus grand nombre, mais atteint par une minorité.
Le premier effort, celui de la conservation positive, se perçoit plus ou moins aisément dans l’Histoire. Le second un peu moins, mais s’affiche tout de même dans la vie des saints, et de certaines personnalités politiques intellectuelles artistiques.
Le pire du développement, lui, en constance tourne la conservation de soi vers sa négation absolue, c’est-à-dire ne fait pas seulement que suspendre l’existence de l’autre pour s’élaborer en propre mais le nie complètement jusqu’à le supprimer réellement.
Ce qui implique de voir uniquement l’autre comme néant, « instrumentalisation » totale de l’autre selon ses besoins : cela concerne chacun d’entre-nous en permanence et non pas seulement historiquement qu’aurait tramé l’essence de la propriété dont le capitalisme serait la forme la plus achevée comme le pensait Marx.
Car le pire est aussi le propre de l’homme, en constance soulignait Hobbes, sa forme diffère selon le temps, le moment : il se focalise aussi dans le besoin, il se projette dans les formes abstraites et commercialisées.
Voilà pour le fond.
La forme, elle, évolue historiquement, c’est en fait l’Histoire même qui tisse les liens des regards et des attitudes : la forme c’est l’apparence comme fond remontant à la surface disait Hugo mais un fond plongé dans le mouvement et qui devient plus que la somme de ses parties.
La forme de l’Histoire viendrait donc de là : il existe un fond permanent mais qui ne reste pas là d’un côté en attente d’une interaction. Il est lui-même interaction, puisqu’il est constance cherchant en permanence à se conserver et à s’affiner lorsqu’il se sent en mesure de le faire, lorsqu’il le peut, et l’apprend aussi. Nous rentrons là dans des considérations locales ou microsociologiques dirait Baechler que j’aborderai dans un autre ouvrage.
Comment tout cela se traduit-il aujourd’hui ?
Il est tout d’abord trivial de signifier que le passage de l’individuation vers l’individualisation de la forme s’est accomplie au Nord par la sécularisation et la critique du canon religieux puis du canon politique et intellectuel qui n’a pas cependant encore atteint son apogée.
L’ère techno-urbaine étend de plus en plus son aire vers le Sud, dédouble, surmultiplie d’une part le réel par l’avènement du média par excellence qu’est la TV couleur, et, d’autre part, les systèmes de références artistiques et intellectuels qui influencent la consommation des biens et des attitudes.
Aujourd’hui le rapport au monde, -à soi-même comme monde également, se médiatise donc de manière beaucoup plus singulière, non plus en fonction seulement de son mode d’appartenance sociale et symbolique d’origine mais aussi de son propre choix.
En ce sens le cheminement vers l’objet, qu’il soit un bien ou une attitude, est bien plus liée aux décisions personnelles, -sous-entendu bien sûr que la notion de « personne » soit comprise comme je l’indiquais tout à l’heure en tant que combinaison synthétisant les interactions d’un soi universel, d’un je idiosyncrasique, d’un moi historique se distribuant culturellement en acteur politique et en agent social. Ce qui implique que le choix soit sous-tendu en permanence par la question du sens de telle ou telle consommation et surtout de son résultat en matière de développement.
Il n’empêche que la personne n’est pas le jouet des tensions à l’instar d’une particule. Elle est traversée bien entendu par ce qui habite l’esprit du temps mais décide en dernière instance ce qui lui sied, du moins en moyenne, lorsque les conditions psychosociologiques de son développement ne lui sont pas en constance défavorables.
La personne, surtout dans la société moderne, tend à saisir ses efforts au plus près de ses choix, à l’instar des élites dont l’éducation a toujours su accompagner le développement, même si elle l’ imprègne des considérations statutaires sociales et symboliques, par exemple la distinction entre sexes, catégories sociales.
Ce qui alors spécifie plus l’époque actuelle de celles qui les précédaient pour ce qui concerne l’identité peut se percevoir dans au moins deux éléments fondateurs : d’une part les médiations entre la personne et le monde, entre la personne et elle-même, passent de plus en plus par la marchandise mais aussi sa critique qui, néanmoins, se trouve relativisée du fait de la multiplication des systèmes de références.
D’autre part le désir de vivre pleinement sa vie sollicite des décisions qui poussent d’un côté à la solitude volontaire, et de l’autre à former un couple du même sexe, ce qui n’est pas sans conséquences.
Observons le premier point. Celui de la médiation marchande. Nous verrons les autres, en particulier celui du Pacs, ensuite.
Je partirai de l’hypothèse suivante que j’ai déjà abordée plus haut :
Le besoin du monde n’est pas un manque. Puisque être du monde désigne la particularité même du vivant, surtout humain.
Par contre le manque montre qu’un besoin du monde reste non satisfait.
Il n’y a donc pas de besoins artificiels, la problématique des faux besoins est une ineptie, d’origine crypto-religieuse. Car le besoin signifie toujours quelque chose de nécessaire en constance mais aussi dans l’instant.
Le besoin déploie une relation requise et en même temps une compensation lorsque cette relation n’est pas satisfaite : voilà l’essentiel : cette ambivalence entre le déploiement comme besoin et son manque se manifestant comme recherche de compensation.
Le besoin de se sentir exister, de voir par exemple sa représentation du monde, de voir le monde en elle, c’est-à-dire à partir d’elle, tissent la perception que l’on déplace de l’intérieur de soi vers les formes qui vont l’habiter. Comme par exemple la vue d’un tableau, d’une femme ou d’un homme qui passe, du mouvement d’un fleuve, d’un flot de voitures, la silhouette d’une toilette ou d’un costume : une projection de soi à ce moment là se coagule en quelque sorte dans une cohérence de lignes de force dont la pointe forme vision se stabilisant en tel support.
Imaginons maintenant que la vision s’altère en ce sens qu’une pensée devienne aigrie, un sentiment soit déçu, une émotion se sente émoussée ; nécessairement le manque pousse le besoin de conforter à se manifester : soit dans le besoin cognitif de la recherche d’une cause et des moyens d’y remédier ; soit dans le besoin de compenser immédiatement sans réfléchir par la consommation d’une forme susceptible d’adoucir la souffrance, le manque précisément.
Conclusion : l’acte de consommation est ambivalent : il peut tout aussi bien incarner une satisfaction que l’on redouble dans l’achat d’une représentation de sa personne médiatisée par un tableau, un vêtement, un livre, une préoccupation projetée d’une part, et, d’autre part, l’acte de consommation peut signifier la recherche d’une compensation. Peut-être que la distinction nette entre les deux est à observer dans l’ostentation et la répétition : le clinquant de tel achat, la boulimie de tel autre.
L’acte de consommation est donc d’abord un acte de projection, retenons cela pour le moment. Cet acte de projection touche absolument tout rapport ne serait-ce que la moindre interaction dont le monde et son moment s’immobilisent, perdurent, s’étiolent, selon précisément l’intention qui la meut, Husserl et Weber ont écrit des choses décisives là-dessus, je n’y reviendrais pas.
Par contre je voudrais m’arrêter un instant encore sur cet acte projectif du point de vue du manque avant d’aborder les autres aspects dont celui du Pacs.
Tout acte inclut un objet, et déjà un objectif. Il peut exprimer un besoin mais aussi son manque. Observons celui-ci. Il est trivial d’observer que ce dernier se perçoit dans la surconsommation d’objets divers et l’ostentation n’en est pas exclut, de même que le surendettement d’ailleurs. Mais cette surconsommation concerne aussi les attitudes, les choix relationnels.
Ainsi va-t-on dans tels endroits plutôt que dans tels autres selon l’humeur du moment pour rencontrer telles personnes précisément qui incarneront ce qui manque, ce qui presse, croyant qu’elles feront une impression qui suffira à exprimer ce qu’il faut comme compensation.
Prenons l’exemple d’un homme froissé dans son amour-propre : il peut fumer, boire, manger plus que de coutume. Il peut également chercher à se convaincre du contraire en tentant de se prouver qu’il existe encore par des tentatives de séduction, d’emprise.
Ainsi il peut vouloir chercher une protection, une affection, tenter d’amadouer un pouvoir, le pouvoir, celui qui précisément lui a manqué, lui manque encore et qui se personnifie par une sensation de perte de puissance qu’il peut alors chercher à compenser en la représentant comme perte de puissance phallique.
Seulement celle-ci ne veut pas dire qu’une tendance homosexuelle remonte et enfin s’affirme mais que la puissance d’être un homme est en jeu ou l’a été Et comme le sexe masculin incarne la puissance, il s’agira de vouloir le faire fonctionner à tout prix par l’emprise sur une personne autre que sa femme afin de se prouver qu’il existe encore.
De même la présence fantasmatique du phallus au moment d’un surcroît de puissance ne signifie pas non plus une tendance homosexuelle refoulée mais le fait que le succès désire être reconnu d’autant plus à tout prix qu’il a pu être rare : c’est le cri de triomphe à la recherche de son effet de manche.

Pour une femme, la puissance perdue ou en excès peut se symboliser par la boulimie, la fièvre acheteuse de toilettes symbolisant une silhouette compensatrice, elle peut aussi s’incarner dans une recherche de phallus matérialisée par des aventures à répétition, une frénésie du plaire, de fréquenter des hommes virils, d’assister à divers spectacles les montrant ; tout cela ne signifie pas pour autant qu’elle exprime des tendances nymphomanes.
Il se peut certes que l’ individu soit influencé dans ses lectures et ses écoutes par des propos qui lui affirment le contraire en le sommant de cesser son « refoulement ». Rétorquons que cette énonciation réduit la recherche ou le trouble d’identité à sa mesure fantasmatique qui ne veut pas dire littéralement ce qu’elle implique : la boulimie ne s’explique pas par la volonté de manger sans fin.
De même la propension à fantasmer subitement sur des femmes faciles ou s’activant à satisfaire le moindre besoin phallique par la consommation érotique ou pornographique ne signifie pas non plus que seul le rapport sans sentiment est visé, mais qu’un besoin d’être reconnu se manifeste et va se projeter dans une représentation dont le support sera telle image ou telle personne en chair et en os.
Il en est de même pour les femmes qui se fantasment attachées ou battues : elles peuvent signifier par là leur désir de tenir mieux leurs souhaits, leur vie et s’en veulent de ne pas y réussir.
L’acte de projection, je le répète, n’est pas à lire littéralement et ne s’épuise pas dans sa représentation ni dans sa consommation, même s’il y révèle des tendances permanentes et/ou des compensations momentanées. Sinon tout crime serait lui aussi réductible à l’acte et il n’y aurait plus besoin d’analyse des circonstances, or le crime est un résultat individuel déclenché dans une situation donnée ; il existe en lui-même mais la préméditation et l’acte émotionnel, passionnel, sont à distinguer comme le fait le droit moderne.
En résumé l’objet, le rapport, le comportement, la ville, sont donc autant de projections possibles de l’identité humaine pour incarner, reposer, une représentation de besoins à la recherche de sa manifestation, et aussi pour compenser des pertes de puissance et de sens.
Aujourd’hui ces deux types de projection, la projection qui conforte et la projection qui compense, sont et seront de plus en plus pris en charge par la marchandise mais aussi par sa critique néanmoins noyée dans la multiplication des systèmes de référence.
Ainsi le désir de voir le monde, de voir sa représentation dans le monde, mais aussi d’être à l’écoute pour modifier sans cesse son appartenance afin d’en avoir une définition plus exacte, au sens photographique et donc au sens apparent y compris, impliquent une recherche plus importante de l’autre, de sa façon d’être, de se comporter. Cela se caractérise par les voyages. Mais aussi la consommation d’émissions radio et TV, de livres, périodiques, d’expos, concerts, tout un ensemble de représentations qui portent précisément le présent dans sa présence autre incarnant une façon différente de vivre ses sentiments et ses émotions, de réagir et d’agir aux interactions, aux nécessités statutaires diverses.
Peut-on dire alors que cette multiplication à la fois objectale, comportementale, signifie un éclatement de l’identité que symboliserait par ailleurs la diversité des systèmes de référence ? Non. Ou du moins pas plus qu’auparavant.
Ce que je persiste à développer depuis quelques lignes prétend précisément le contraire : la personne, en moyenne, saisit aujourd’hui au plus près son individualité dans une projection certes à la fois réconfortante et compensatrice multiforme mais ceci dévoile en fait la complexité du développement humain.
Aujourd’hui cette complexité n’est plus l’apanage des classes aisées et cultivées.
Avec le déploiement massif de l’enseignement et des médias, toute la population est de plus en plus à même de prolonger cette complexité comme elle l’entend. C’est ce que je vais montrer maintenant en abordant le second aspect concernant la solitude volontaire. J’aborderai le Pacs après.
Auparavant les mauvais choix en terme d’appartenance et de création de groupe semblaient irrécusables, indélébiles : changer de pays, de ville, de métier, de milieu, et surtout de religion, d’opinion littéraire, politique, le fait de divorcer, semblaient impossibles, du moins dans les couches populaires.
Aujourd’hui le quand dira-t-on, si fort dans les classes d’âge nées avant guerre, s’est estompé, du moins sur ces points-là puisque sur le reste et spécialement la tendance à se comparer à autrui, à le jalouser voire à l’envier, rien ne change.
Il est possible d’avancer et en fait de rappeler rapidement, tant ceci est devenu trivial, que l’après-guerre et qu’ensuite les années 60 en mettant en suspens l’avenir du fait de la guerre froide, en donnant accès à la consommation de masse, en permettant à la jeunesse de se constituer comme classe culturelle spécifique avec des groupes musicaux atteignant la taille mondiale et influençant les attitudes y compris les plus intimes, tout cet ensemble corrélé aux phénomène urbains allant de l’exode à la multiplication des systèmes de référence, a permis de conforter une saisie comparative spécifique de son rapport au monde et de sa personne comme monde.
Dans ces conditions les individus peuvent suspendre leur appartenance à telle ou telle filiation.
C’est que l’on peut appeler la révolution culturelle des années 60 et sa propagation sur la construction personnelle du rapport au monde. Ces effets se sont illustrés par exemple en France avec le concert donné à la Bastille en 1963 par Johnny Hallyday et d’autres et qui a réuni près de 200 000 personnes .
Il peut être également noté que la marchandise supplée à ces modifications d’attachement au monde et de projections en multipliant les propositions d’accompagnement en terme d’émissions, de livres, de presse. On peut dire aussi que la consommation de tranquillisants et autres neuroleptiques n’est pas étrangère à ce phénomène.
Le désir de vivre sa propre vie y compris malgré la solitude reste néanmoins le plus fort.
Les femmes par exemple sont plus enclines à demander le divorce, mais elles ont plus de mal à reformer une famille, surtout lorsqu’elles ont déjà des enfants.
Peut-on dire pour autant que ce processus de distanciation, et ce au moment même où une fausse familiarité s’y superpose par médias interposés, serait à la base d’une « narcissisation » des relations en ce sens que par exemple la distanciation, le divorce, signifieraient que le moindre conflit n’est plus supporté et que la duplication perceptive, autrement dit le fait isotropique de préférer voir et vivre au sein de sa seule représentation du monde, serait la tendance dominante du pli actuel pris par le temps du monde élevé planétairement à la dimension techno-urbaine ?
En un mot celle-ci serait-elle cause de l’effet techno-bulle pour résumer drastiquement nombre de pensées contemporaines ?
Il n’est pas possible de répondre massivement et uniquement par un oui ou par un non semble-t-il, sauf par effet de style. Car cela dépend déjà des acteurs et des circonstances sans doute. Néanmoins il ne serait pas quelconque de regrouper quelques corrélations en congruences heuristiques utiles pour la réflexion :
Je crois qu’il vaut mieux tabler fondamentalement sur le fait que cette distanciation a toujours été là, cela se voit dans l’histoire des élites, cela se démocratise maintenant. Le divorce, le mariage, les liaisons multiples, les jeux de masques et des occultations, des effacements à la façon de l’encre sympathique, ont toujours été l’apanage des milieux dirigeants et privilégiés.
Aujourd’hui ce processus se démocratise pour le meilleur et pour le pire et s’affirme dans des dimensions nouvelles telles que les phénomènes de procréation artificielle permettant de combler l’absence de l’autre, voire de conforter sa propre perception comme image. Nos corps refuseraient la marque de l’Histoire et de son enfantement. On ne voudrait plus vieillir, plus souffrir : les enfants se feraient ailleurs, leur éducation aussi, ou du moins autrement.
Un dilemme apparaît cependant. D’une part l’accroissement de la solitude volontaire entraîne l’affaiblissement des opportunités de fécondation. Mais d’autre part ceci ne se résoudra pas par une immigration massive puisqu’ il n’est pas dit que les métissages peuvent se faire aussi facilement et surtout si rapidement que cela du fait des écarts culturels, et aussi de la puissance symbolique à admirer celui ou celle que l’on choisit : surtout pour les femmes ; or celles-ci sont en surnombre maintenant dans certaines classes d’âge ( quatre femmes pour un homme paraît-il ).
Certes l’ébullition du temps et de la ville masquent mieux les ruptures et les changements de milieux. Mais l’admiration réciproque entre deux êtres ne se fait pas un jour.
La solitude volontaire ne signifie cependant pas l’absence de toute relation, sauf lorsqu’elle devient pathologique. Elle est souvent provisoire, coure sur quelques années, le temps de ressaisir son identité, d’en faire le tri, et de décider si l’on veut fonder une famille ou juste vivre en couple.
C’est ce dernier point que je vais maintenant aborder plus spécifiquement en partant d’un exemple, celui du Pacs.
Le débat autour du Pacs a bien eu lieu mais, semble-t-il, a été mal engagé par ceux qui le contestaient aussi bien que par ceux qui le défendaient. J'ai mis beaucoup de temps à y voir clair. Maintenant je crois qu’il est possible d’en venir à bout, du moins si l'on accepte d’assumer la déconnexion entre couple et famille afin de protéger l’enfant.
Si j'ai bien compris, le Pacs permet de rafraîchir le concubinage en lui donnant une forme légale plus large que naguère permettant à la notion de couple de surgir en tant que telle.
Une première difficulté a surgi lorsque certains ont cru que puisqu’il s’agissait principalement de couples homosexuels qui militaient en sa faveur, cela signifiait que c'était une reconnaissance non seulement sociale mais institutionnelle du fait homosexuel perçu non pas comme différence à prendre en compte mais comme choix de vie offert à tout un chacun.
Ainsi la société, institutionnellement, non seulement accepterait mais proposerait, implicitement certes mais effectivement cependant, des choix de vie mis en équivalence : il serait alors dorénavant possible de se dire qu'homosexualité et hétérosexualité sont des possibilités offertes à tous.
Sauf que cette lecture, minoritaire, ne fut pas adoptée parce que le problème n’était pas là. Il n’était en effet guère crédible de convaincre les homosexuels d’être aussi hétérosexuels alors qu’ils se sont précisément battus pour être reconnus en tant que tels. De même penser que les hétérosexuels se doivent d’être aussi homosexuels sous peine de paraître refoulés dénotait déjà un aspect idéologique dans l’insistance.
La vraie difficulté résida et réside encore plutôt dans le fait que le Pacs n’arrive pas à bien découpler la notion de couple de celle de famille. Il les confond même toutes les deux.
Partons de la racine : en basant dorénavant la relation à deux sur la seule notion de couple, et seulement elle, le fondement change. Quel fondement ? Celui tout simple de la connexion entre couple et famille qui assurait la reproduction des générations.
Mais admettons pourtant que ce changement était nécessaire pour bien embrasser l’ensemble des différences et profils de vie : Le couple donc d’un côté. Tous les couples. C’est le Pacs. La famille de l’autre. C’est le mariage. Mais aussi le Pacs... D’où la confusion...
En effet si l’on peut bien admettre que l’on peut être un couple sans être une famille, celle-ci n’est cependant pas seulement un couple. Et là les difficultés commencent. Pourquoi ?
Parce que certains couples veulent être considérés comme une famille, or, celle-ci, implique l’enfant.
Et celui-ci, en retour, a le droit d’avoir une mère et un père.
C'est ce qui, -surtout aujourd'hui à l'ère de la psychologie de l'enfant, fonde le sens d'une famille. Non plus la propriété, le clan, la gens. Mais ce triumvirat objectivement nécessaire composé de l'enfant, son père et sa mère.
Certains couples homosexuels ne peuvent répondre à cette exigence , de fait.
Néanmoins il se trouve que certains partisans inconditionnels et en fait très idéologiques du Pacs –ceux-là mêmes qui considèrent le choix sexuel uniquement déterminé par une décision culturelle, en exigeant que tout couple soit reconnu automatiquement comme étant aussi une famille ont semé la confusion entre ces deux notions nouvellement découplées.
D'ors et déjà certains homosexuels ultra militants tentent d'ailleurs de revenir à la charge en France en posant par exemple la question de savoir si l’on peut passer outre aux droits de l’enfant d’avoir une mère et un père en avançant que ce qui compte c’est plutôt un référent homme et femme.
Sauf que le problème n’est pas dans ce genre de sophistique.
Il est plutôt dans le fait que, du point de vue des droits de l’enfant, et de tout ce que l'on a pu apprendre sur la psychologie de l'enfant, il ne soit pas possible de jouer ainsi sur les mots.
Il s'avère en effet sur ce dernier point que la mère et le père ne sont pas seulement des supports normatifs au sens contraignant du terme comme on le croyait avec Freud. Ils sont essentiellement des cadres de références imprégnatifs qui structurent l'appartenance au monde : ils montrent en effet comment apprendre à se comporter en tant qu'adulte, homme et femme, avec ce quelque chose en plus que la seule identité sociale, ethnique, ne peut circonscrire et qui ne peut pas, par ailleurs, se satisfaire seulement de présence référentielle, surtout à l’occasion, lorsqu'il s'agit de faux pères et mères .
A moins, sinon, de prendre comme exemple les familles "hétéro" déchirées et dans lesquelles en effet les enfants sont laissés à l’abandon.
Il suffit pourtant d’écouter la souffrance d’enfants divorcés pour comprendre que le fait de voir par intermittence, surtout en bas âge, l’un de ses parents s’avère à terme traumatisant.
Dans ces conditions, rétorquer qu’une sorte de vie communautaire entre par exemple deux hommes et deux femmes pourrait néanmoins pallier au fait n’enlève rien, d'une part, à la nécessité d’être à l’écoute et en permanence.
D'autre part, il semble bien que les homosexuels désireux d'avoir un enfant doivent dans ce cas admettre que le désir familial moderne ne peut se comparer à n’importe quel désir puisqu’il s’agit de l’avenir d’un être humain et non pas d’un chien, d'un titre de propriété, d'un caprice.
Certes, l'on peut rétorquer que cette impossibilité ne doit pas être vécu comme une contrainte : c'est aussi cela la modernité.
De même, et depuis la nuit des temps, on ne demande pas à un couple hétéro s'il a les moyens de fonder une famille.
Néanmoins les conditions modernes obligent de s'assurer que ceux-ci ne soient pas des donneurs ou des mères porteuses implicites. Pourquoi en serait-il différent pour des parents gays ?
Car autrement cela renverrait peu à peu, semble-t-il, à toute cette problématique qui en voulant refuser l'impondérable pousse toujours plus loin le refus d'accepter le réel tel qu'il ne peut pas ne pas être et débouche à terme sur une vaste préparation idéologique à l'acceptation, peu à peu d'un eugénisme non dit.
Bien entendu toutes ces objections qui mériteraient la discussion peuvent être balayées d'un revers de main. Pour laisser venir au fond l'enfant prêt à porter gay rejoindre ces espèces d’enfant-confort, enfant-miroir, hétéros certes, mais qui ne sont que les précurseurs des prothèses symboliques à venir, alors que tant d’enfants déjà agés désireraient tant être adoptés.
Savoir faire la part des choses et admettre cette contrainte qu’est le respect devenu universel du droit de l’enfant ne veut cependant pas dire que l’on doit se sentir exclu de la vie sociale mais seulement "différent" en effet... Les couples gay désireux de fonder une famille ne peuvent pas faire comme si ce problème n'existait pas.
Je vois même deux solutions possibles pour eux.
D’une part l'adoption d'enfants d'un certain âge. D'autre part le fait avéré et juridiquement vérifiable que les mères et pères effectifs se comportent réellement de la sorte et ne soient pas seulement des portes gènes.
C'est ce débat qu'il faut avoir. Il vient heureusement devant nous. Et il démontrera que l’identité aujourd’hui n’est pas synonyme d’errance qui ne se ressourcerait que dans l’abandon à la force des attractions. La personne humaine n’est pas une copie du milieu ou son imitation. Elle est elle-même milieu et transformation, elle y prolonge son regard, et cette auto-projection ne sert pas seulement à conserver le niveau de puissance atteint mais aussi à l’affiner vers le meilleur et non uniquement vers le pire.
Mais comment penser, représenter, tout cela, aujourd’hui, c’est ce que je vais aborder maintenant.


F De la pensée et de l’art.

Il nous faut de plus en plus des représentations théoriques et esthétiques suffisamment fortes et affinées à la fois pour nous permettre de creuser encore plus loin les secrets de la matière animée et du penser lui-même, tout en sachant en exprimer les craintes, les espoirs et leurs limites internes et externes.
Comment en effet penser, imaginer, (dans) le monde tel qu’il est, comment le représenter lorsqu’il vient autrement, échappe à la tradition, se trouve fabriqué, programmé, par plus puissants que nous ?
Je dirai qu’il faut de plus en plus articuler la connaissance et les arts parce que leurs divers angles, tout en s’opposant parfois, s’avèrent nécessaires ensemble pour bien saisir la complexité du réel.
L’art a besoin de la connaissance pour ne pas être dévasté par son objet, pour y établir un recul. La connaissance a besoin de l’art pour ne pas isoler l’objet de tout ce qu’il signifie et ce qu’il déclenche.
Ce que j’entends par « pensée » c’est une architectonique. Elle articule la connaissance et les arts, ce qui fait force, c’est-à-dire forme vision. Sur laquelle le développement peut s’appuyer.
Et le développement qui importe pour l’humain est celui de la vie. Celui-ci se veut durable par définition même. La vie est composée de quatre angles majeurs qui interagissent en permanence : le physique, l’organique, le cognitif, l’histoire : ils forment les stades successifs de la vie et en même temps ses éléments dynamiques permanents.
Dans ces conditions la pensée a besoin, du point de vue de la connaissance, de savoir d’une part le rôle spécifique des angles, c’est-à-dire la connaissance exacte du jeu des angles physiques organiques cognitifs historiques au sein de l’objet étudié, de son développement, et aussi au sein de toute interaction avec lui, bref ce qu’il en est réellement de sa vie.
C’est le rôle des sciences de la matière inanimée et animée.
D’autre part, c’est aussi la connaissance vraie de ces angles qui importe. C’est-à-dire non plus seulement leur composition apportée par la connaissance exacte mais aussi leur sens, sa signification, autrement dit en quoi les interactions entre les angles physiques, organiques, cognitives, historiques, au sein de chaque objet sont porteuses d’enseignements du point de vue du développement humain.
C’est le rôle des sciences humaines.
Ces deux aspects, exact et vrai, sont ainsi pris en charge par la connaissance et de manière distincte.
Le rôle de la connaissance moderne consiste toujours à articuler exact et vrai, malgré les impressions du contraire ( j’en parlerai plus loin ).
Mais ce travail concerne aussi l’art.
L’art déploie certes un travail spécifique saisissant l’impression du monde sur la conscience et les sens avec deux outils : l’imaginaire, c’est-à-dire le travail sur la combinatoire des éléments perçus et spéculés. Puis le support qui en permet la représentation, avec des matériaux si possible nouveaux.
Mais l’art en combinant et en spéculant l’effectue à partir d’une représentation du monde qui a aussi besoin de s’appuyer sur la connaissance de l’ exact et du vrai pour pouvoir pousser plus loin encore l’introspection de l’impression et se diriger précisément en amont, dans l’interaction même, là où la connaissance s’arrête tant les hypothèses deviennent plus nombreuses que les certitudes.
Ainsi l’art agit proprement en avant garde et accroît sa spécificité en traduisant ce qu’il y recueille, et aussi son recueillement, par l’édification de supports nouveaux.
J’insiste sur ce dernier point car il me semble qu’avec le travail spéculatif de l’imaginaire, l’emploi de nouveaux matériaux définit la fonction sociale de l’artiste.
Je proposerai alors la définition suivante ( j’aborderai la connaissance proprement dite plus loin ) :
Serait considéré comme artiste créateur de l’ère techno-urbain celui ou celle qui manie de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques en vue de représenter le réel et non pas celui ou celle qui les manie pour eux-mêmes, car ce serait là seulement un artiste technicien.
Il en serait de même pour celui qui se met seulement en scène puisqu’il s’agirait uniquement d’un artiste comédien. Ou encore qui se contenterait des techniques et des matériaux anciens, car ce serait là un artiste artisan qui reproduit les formes anciennes avec des variantes certes mais dont la matrice est aisément reconnaissable et peut fort bien atteindre une dimension industrielle.
Que l’on m’entende bien : je n’ai aucunement la prétention ni l’intention de dicter ce que doit faire l’artiste créateur ou qu’il est « meilleur « artiste que l’artiste technicien, comédien, artisan. Je dis seulement que du point de vue de la fonction sociale de l’art, il est artiste créateur en ce qu’il crée une forme nouvelle à partir de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux. De ce fait il se distingue précisément de tous les autres artistes qui reproduisent les formes ou les restaurent.
Par exemple je dirai, un peu à la manière de Duchamp, que le créateur de prototype, de la première hélice d’avion, est un artiste créateur. Mais lorsque ce prototype bascule en industrie le créateur devient un développeur, il n’est plus artiste : c’est là la distinction ultime à maintenir, mais elle n’abolit pas les autres dimensions de l’art dans ses liens avec la comédie, la démultiplication, le jeu en soi de sa propre dimension.

Qu’en serait-il dans les autres sphères de l’art ?
S’agissant de l’écriture et spécialement des aspects proprement formels du récit basé sur la fiction, qu’elle soit narrative ou proprement imaginative, il va de soi que la tournure actuelle pris par la littérature française de se complaire dans un réalisme du sordide et/ou dans un réductionnisme de la chair à un corps c’est-à-dire un espace-temps d’excitations externes ou internes, ne peut être le tout de son effort de création.
J’esquisserai seulement que la force d’invention, d’intuition, du subjectivisme en tant que lieu par excellence du déclic des émotions, des sentiments, des jugements, lieu distinct du milieu et des motivations, cette force introspective qui sait aussi dépeindre des personnages comme volonté et représentation d’une époque n’a pas encore été décrite dans toute son amplitude.
Le travail d’un Proust, mais aussi d’un Musil, et dans une certaine mesure celles déjà ancienne d’un Alphonse Daudet, d’un Maupassant, d’un Balzac, d’un Zola, ou, plus récente d’un Céline et d’un Green, dans ce qu’ils ont pu apporté dans cette double direction, mériterait d’être poursuivi et amplifié.
Certes la littérature actuelle, et heureusement, ne se réduit pas aux derniers soubresauts d’une écriture de l’errance sans fin ni commencement, sans queue ni tête malgré l’apparence du contraire. Toute une introspection sur les mécanismes de transfiguration des imprégnations qu’elles soient parentales, transculturelles, et plus particulièrement liées au monde des médias mérite toute notre attention comme c’est le cas chez certains auteurs.
Mais il manque, semble-t-il, aujourd’hui une littérature qui d’un côté poursuivrait l’étude du sens des émotions et de l’origine des sentiments comme jugement du ressenti, du motif, et du souhait par exemple. Tandis que de l’autre côté il y aurait l’affirmation de deux genres qui commencent à être considérés dans ce qu’ils apportent de majeur : la science fiction et le roman noir.
La première permet en effet de tester le futur de le prolonger dans le présent, ou l’inverse, pour créer le plus possible d’hypothèses plausibles permettant à ce que la pensée dans ses dimensions rationnelles multiples, et l’art dans ses divers angles, puissent s’en emparer.
Quant au roman noir, il semble bien, -surtout lorsque l’on voit l’engouement pour le polar qui en fait a permis à toute une génération post soixante-huitarde de renouer avec le réel ici et maintenant-, il semble bien que le roman noir permet de saisir les dysfonctionnements du moi lorsque dans son développement il choisit plutôt la négation de l’autre, non plus dans son moment logique lorsque l’on décide de l’analyser, mais lorsqu’un moi décide de supprimer, réellement, la liberté d’autrui, et de soi-même, se faisant.
C’est cette force de destruction interne à l’humain, au-delà du fait qu’elle soit structurée formellement par des circonstances historiques et atténuantes -du moins si l’on admet que tout intérêt, tout besoin, n’est pas le seul produit d’une influence extérieure, c’est cette incroyable capacité de l’humain à (se) faire mal qui pose question et que le roman noir dépeint si bien, du moins lorsqu’il ne se complaît pas dans le sordide.

En résumé, -et même si l’artiste n’envisage pas nécessairement sa fonction ainsi et y voit plutôt un désir en soi de créer des formes en tant que telles, l’art consiste en cette spéculation nécessaire pour créer de nouvelles hypothèses dans de nouveaux matériaux, et dont les effets spécifiques en entrechoquant l’exact le vrai et l’onirique, laissent surgir les étincelles de beau et d’étrange qui forment le sublime et le merveilleux.

Quant à la connaissance, il est clair que son objet n’est pas d’imaginer les impressions mais de comprendre comment cela fonctionne : qu’il s’agisse des quatre angles de la vie et des deux aspects d’exactitude et de signification ; ou qu’il s’agisse de saisir comment l’impression elle-même intervient comme besoin de développement.
Ainsi la connaissance saisit ces quatre angles sous trois aspects principaux:
-Celui des fonctions proprement dites en chacun de angles, physiques, organiques, cognitifs, historiques, c’est-à-dire leur mode de fonctionnement, leur dynamique.
-Celui de leurs limites c’est-à-dire leurs domaines de définition et la distinction en leur sein entre l’exact organisationnel et le vrai significatif afin de permettre la constitution des rapports et la hiérarchisation des interactions.
-Enfin celui des techniques d’application puisqu’il faut à chaque fois évaluer ce que l’on sait, le construire, le classifier.
Le tout divisé en sciences et en disciplines.
La pensée peut enfin avancer sur deux jambes : l’art et la connaissance.
L’ensemble permet ainsi le mouvement de la pensée et par là du développement. Grâce à leur point commun. La clé de voûte. C’est cela l’architectonique : le jeu même entre l’exact et le vrai, c’est-à-dire l’étude objective de la fonction des quatre angles de la vie et le sens humain perçu en leur sein. Le tout grâce à au travail de vérification de la connaissance et au travail subjectif sur l’impression qu’effectue l’art.


Ce double travail qui permet à la pensée de comprendre le développement et de se développer elle-même doit être aussi saisi historiquement.
Car il instructif d’observer pourquoi et comment cette compréhension a cheminé dans le temps humain. Et il est aussi bon de contrecarrer les idées reçues, en particulier celle qui stipule que la science a enfermé peu à peu la raison, elle-même étant déjà une camisole pour la volonté.
Or il est possible, quoique certes osé, d’esquisser un cheminement bien plus sinueux et surtout pas du tout fini.
Je m’en tiendrai ici au chemin de la connaissance.

Rappelons brièvement quelques trivialités :
Pendant un temps un unique Récit a unifié mythe –ou la présence surhumaine-, religion –ou la compréhension de celle-ci en lien avec des forces ou entités-, poésie –ou l’impression intime du sentiment imbibé d’émotions-, et connaissances empiriques – ou la classification des minéraux végétaux animaux pour la médecine et leur emploi culturel.
Le réel y est alors perçu comme unité de signes, symboles emplis de révélation, projection, imaginaire, faisceaux de tensions tant ils entrecroisent exactitude et vérité, qu’il s’agit cependant de délimiter, car certaines interactions, certains contacts, regards, animaux, pierres, posent problème dans ce qu’ils enveloppent engagent comme jugements et comportements.

Puis, dans certaines contrées, ce récit historiquement se subdivise en ce que j’appellerai deux « limites » au sens large ou deux limes, c’est-à-dire deux sphères perceptives. Par exemple en Grèce. Je n’en chercherai pas la cause ici. Le limes poético-cosmologique s’établit d’un côté, c’est Homère, le limes théo-cosmologique s’en émancipe et s’organise de l’autre, c’est Thalès.
Ces deux limites ou limes s’éloignent l’une de l’autre, malgré un Empédocle, un Sophocle, tandis que la limite théo-cosmologique se trouve de plus en plus placé sous l’orbite de la science et spécialement celle du Bien, par exemple avec Socrate, c’est ce que lui a reproché Nietzsche, et elle s’affirme avec Platon, comme il l’a exposé dans son livre « La République » (505a).

Puis le théologique comme science spécifique du Bien se distingue de plus en plus, au sein de la philosophie, tandis que la science de l’exact prend son essor, c’est l’action d’Aristote.
Ensuite, avec le monothéisme chrétien dominant à Rome, puissance politique du moment, le théologique ou la science des derniers principes concernant le Bien et au fond le lien entre le vrai et l’exact, se renforce –tout se détachant du philosophique ou la science, mais celles-ci ne sont pas méprisées pour autant comme on le voit chez Augustin et chez Thomas d’Aquin.
Mais devant les progrès, dans la science, de l’exact des composés, des proportions et des mesures, -et spécialement lorsque, avec Françis Bacon, l’observation par l’expérimentation s’émancipe, il se trouve que la science du Bien ou théologie, représentée en Occident par l’Eglise romaine, réagit de façon hégémonique.
L’Eglise veut en effet préserver sa prééminence dans la direction non seulement de la connaissance mais de tout le Lien architectonique configurant la pensée. Plus strictement, le pouvoir ecclésiastique, et non « la » théologie en tant que telle, veut contrôler de la cosmologie jusqu’aux arts, c’est le temps de l’Inquisition et de l’Index, et tout ceci aboutit à de nombreuses condamnations dont celle de Galilée (1633).
C’est qu’il existe une scission au sein même du christianisme entre catholicisme et protestantisme (1521), qui durcit les positions dogmatiques du pouvoir ecclésiastique et le pousse à ordonner selon ses vues le lien de la pensée en son entier.
De plus il se trouve que les sciences du vrai comme la philosophie de l’entendement humain et les sciences de l’exact comme les sciences de la matière inanimée et animée s’affranchissent de plus en plus du théologique. Mais de différentes manières. Du moins dans le Nord, en particulier en Allemagne et en Hollande, ou l’on profite d’un état morcelé du politique ( c’est la thèse, très forte, de Baechler) qui favorise l’essor de la Ville, comme on le voit au sein de la Renaissance italienne, l’un des moteurs les plus puissants pour renouer avec la puissance spirituelle et artistique de l’Antiquité.
Cette autonomisation se traduit par le renforcement des deux sources nouvelles de la puissance d’être qui s’érigent de plus en plus aux côtés du politique et de l’ecclésiastique : le négoce exprimé avec éclat par Venise et le prestige naissant donné par le commerce des arts, des sciences et des lettres, la Hollande et l’Angleterre en deviennent les plaques tournantes essentielles.
Et, malgré les efforts impulsés par la Contre-Réforme d’en finir simultanément avec le protestantisme puis d’empêcher la philosophie et la science de singulariser peu à peu leur effort sur l’exact et le vrai, il semble bien que la science de l’exact proprement dite s’affirme de plus en plus avec Newton, Descartes, Leibniz, puis ensuite avec Linné, Buffon, Euler, Carnot (Sadi). Mais elle ne se prétend pas supérieure à la théologie. Descartes et Leibniz par exemple l’affirment haut et fort et sont en même temps parties prenant de la philosophie spécialisée dans l’étude du vrai comme sens de la signification et de la représentation. Le travail de Malebranche par exemple d’ inscrire la vision des idées « en Dieu » ( au grand dam d’Arnauld... et de Locke...) affirme le geste de Descartes lorsqu’il pose Dieu comme garantie de la « connaissance certaine » (Principes, 13 ).

Il n’y a donc pas eu durant ces siècles cruciaux entre le 15ème et le 18ème siècle un enfermement progressif de la pensée dans un ordre logique de plus en plus restrictif de la représentation mais une spécialisation de la pensée, -en butte avec les pouvoirs politiques et ecclésiastiques, en même temps qu’il existait une volonté de maintenir en un seul tenant l’étude des quatre angles physiques, organiques, cognitifs, historiques sous les deux aspects de l’exact et du vrai. Les systèmes de Kant au 18ème siècle et de Hegel au 19ème siècle, quand bien même ne furent-ils pas eux-mêmes savants de l’exact, en furent l’apogée.
Mais fasciné par les immenses découvertes dans la matière inanimée et animée aux contours de la fin du 19ème siècle et qui débouchèrent sur la relativité de l’espace-matière dans son électromagnétisme selon la quantité de temps et sur la découverte de la fonction chromosomique, il pouvait être alors tentant de penser que la volonté humaine était une donnée sinon extérieure du moins fractionnée, réduisant alors les jugements à des intérêts fabriqués par x milieux.
Tandis que les émotions semblaient n’être que des excitations, et le besoin psychique d’affectivité et de reconnaissance une carence physiologique d’énergie vitale et/ou une saturation d’énergie sexuelle corsetée par la famille et la société.
La prépondérance d’un tel mouvement –dit scientiste positiviste et ce à partir de Comte- détermina le permanent soit uniquement comme association momentanée d’éléments, soit
comme confinement et rétention d’énergie surdéterminant la dynamique du développement.
Néanmoins ce scientisme n’était cependant pas le tout de la science contrairement à ce qu’il fut prétendu.
Il se trouvait en effet qu’à la même époque la psychologie de la conduite d’un Pierre Janet, la sociologie du sens de l’action d’un Max Weber, la psychologie du développement d’un Jean Piaget, la phénoménologie d’Edmond Husserl, la théorie des ensembles de Hilbert, évitèrent de réduire la pratique humaine à la seule combinaison de ses composants internes et/ou externes et dégagèrent les notions d’effort, d’intention, d’intégration, de développement, d’ensemble distinct de ses éléments.
Bref, le tout fut à nouveau perçu en tant que tel, comme élément supérieure à la somme de ses parties, et dont la dynamique ne se lisait pas seulement par l’analyse élémentaire de ses éléments mais aussi par leurs interactions et le sens ordonnancé de celles-ci.
Certes, et ce depuis l’essor de la révolution industrielle et de la ville, la science de l’exact se subdivise de plus en plus entre science abstraite et science appliquée. Et cette dernière s’allie de plus en plus à l’industrie et à la technologie de la matière et du marché.
Mais il est faux de prétendre que les sciences de l’exact s’en tiennent à devenir une application liée uniquement aux sphères des pouvoirs politiques et économiques.
On ne comprendrait pas sinon le fait que la science abstraite a continué à interagir avec la philosophie, par le biais de l’épistémologie par exemple.
Par ailleurs il s’avère qu’au sein même de la connaissance les sciences humaines ne sont plus considérées comme un terrain encore en friche qu’un jour la science exacte annexera par le biais des sciences du langage et de la cognition comme on le crut dans les années 30. Car celles-ci ne peuvent exclure le rôle des motivations et des circonstances dans l’organisation de l’action humaine, rôle qui doit être saisi dans la sphère personnelle des vécus de développement et nonpas réduit à la statistique de leurs conditions de déploiement.

En fait la connaissance a pris conscience aujourd’hui dans son ensemble de cette complexité et s’ institutionnalise peu à peu sous nos yeux comme instance conseillant la prudence au politique puisque lorsqu’il s’agit d’appliquer l’exact la question du vrai émerge toujours. C’est-à-dire interroge le sens de cet exact pour le présent et l’avenir des humains.
Cela ne se fait pas sans mal il est vrai. Mais il n’empêche que par exemple nous voyons aujourd’hui que l’action du Comité national d’éthique concernant le clonage humain, ou comme ce fut le cas pour les mères porteuses, ne reste pas lettre morte. Il en est de même de la discussion internationale -balbutiante- sur le développement thérapeutique des cellules souches, et l’effet de serre.
Certes, cette alliance, nécessaire, entre les instances de la connaissance et du politique est fragile et bien insuffisante, surtout lorsqu’elle reste uniquement consultative. Mais il n’est pas possible de nier que la science appliquée, industrialisée, reste sous la surbordination théorique de la science abstraite et sous la subordination institutionnelle du politique, malgré les immenses attractions économiques en jeu et les diverses tricheries observées.
Nous en sommes là aujourd’hui.
Ce n’est, bien sûr pas du tout suffisant.
Car il est plus jamais nécessaire de renforcer d’une part l’indépendance de la recherche fondamentale et, d’autre part, la subordination de la recherche appliquée à la vérification publique.
Il est également indispensable que les grandes institutions de recherche publiques se réforment pour accentuer les interactions entre sciences de la matière, sciences du vivant, sciences de l’homme.
Et les sciences de la matière et de la vie ne peuvent plus avancer dans la connaissance de l’esprit humain sans prendre en compte les résultats des sciences de l’homme, en particulier ceux de la conduite et de l’action tels qu’ils sont actuellement poursuivis par des chercheurs comme Maurice Reuchlin, Raymond Boudon et Jean Baechler.
Ce qui implique que des Instituts interdisciplinaires, plutôt que des équipes du même vocable, devraient voir le jour. Car autant conduire une recherche à plusieurs semble improbable, du moins dans les sciences de l’homme, autant en partager les résultats paraît plus réaliste et surtout plus efficace puisque ce qui compte ce sont les principes dégagés et non point la manière d’y arriver.
Dans cette perspective les sciences de la matière et du vivant pourront de plus en plus collaborer avec les sciences de l’homme et, ensemble, elles peuvent indiquer aux arts les questions que pose l’exact dans son lien avec le vrai. En retour les arts peuvent indiquer à ces deux types de sciences ce qu’ils prospectent comme fond et forme, comme creuset heuristique vivifiant car il peut irriguer les diverses démarches hypothético-déductives de la science abstraite et appliquée.

Ainsi la pensée architectonique articule dans son intuition les apports de la connaissance et des arts afin d’aiguiser la cognition, les sentiments et les émotions. Tout en sachant que la cognition de l’exact, quoique autonome, reste au service de la recherche du vrai sur lequel s’appuie surtout les sentiments et les émotions .
Ce qui implique ceci :
Si toute connaissance scientifique est rationnelle, il ne s’ensuit pas que toute connaissance rationnelle ait besoin de la systématisation scientifique pour affirmer la nécessité de son angle de vue qui correspond à des interrogations que la science n’a pas à accepter ou à rejeter puisqu’elles ne font pas parties de son champ.
Ainsi lorsque Boudon -comme je l’ai déjà rappelé, énonce, en 1968, : “ Rien, ni dans la physique ni dans la poésie, ne permet de démontrer ni que le physicien comprenne mieux la physis que le poète, ni que le poète la comprenne mieux que le physicien “ cela signifie, semble-t-il, que la poésie interroge la « physis » de façon tout à fait spécifique et que les vérités qu’elles en tirent n’ont pas à être rendues équivalentes à des vérités scientifiques puisque le champ d’investigation, le domaine de définition, ne sont pas les mêmes.
Autant dans ce cas récuser l’idée de dieu comme le faisait Laplace alors que cette question est hors du champ de la science qui cherche, semble-t-il, plutôt des correspondances entre des représentations et des phénomènes tandis que la technique cherche à les unifier en machines et la politique tente d’en définir les applications.
Ce qui implique qu’il nous faut non pas revenir, mais poursuivre la route ouverte par la Renaissance italienne qui articulait au lieu de les opposer raison, émotions et sentiments et que l’on a vu à l’œuvre dans son optimum jusqu’au premier romantisme allemand celui de Goethe.

Le psychologue de la conduite Maurice Reuchlin a parlé récemment de « révolution » paradigmatique en psychologie afin d’articuler deux points de vue spécifiques quoique complémentaires qui sont souvent opposés de façon erronée. C’est-à-dire de manière non dialectique.
Or ces deux points de vue, et leur conflit, s’avèrent nécessaires.
Il s’agit d’une part du point de vue analytique qui étudie les éléments d’un tout à partir de leurs interactions et de leurs congruences se polarisant en fonctions à la fois formellement évolutives et structurellement permanentes quant à leur rôle statique et dynamique.
Et, d’autre part, il s’agit du point de vue synthétique qui analyse le tout en tant qu’élément distinct de la somme de ses parties . Ce qui implique d’étudier les rétroactions de l’ensemble sur chacune des interactions liant les éléments le composant. C’est ce que fait l’éthologie lorsqu’elle étudie l’animal dans son contexte de vie et non plus seulement en laboratoire.
Le chat vivant est bel et bien distinct du chat mort lorsqu’il n’est pas réduit à ses composants physico-chimiques. C’est ce que fait également l’histoire lorsqu’elle saisit l’impact des représentations symboliques en tant qu’impulsions complexes tramant le déclenchement des décisions humaines.
La « révolution » dans la pensée ne serait-elle pas dans ce cas l’application même du programme de recherche proposé par Marcel Mauss lorsqu’il parlait de «l’homme total » ? C’est-à-dire précisément le fait d’utiliser tous les outils cognitifs et artistiques qui permettent de saisir l’émergence du phénomène humain en tant que spécificité distincte autant de l’animal que de la machine ? La pensée serait dans ce cas une sorte d’architectonique qui articulerait l’ensemble des connaissances scientifiques, rationnelles, et les arts. Elle ouvrirait ainsi la voie à une recherche réellement multidisciplinaire.
À l’heure où les sciences de la nature et de la matière tendent à s’unifier de plus en plus dans le cadre de la technique appliquée, il est temps que les sciences humaines dialoguent de plus en plus avec celles-là et, dans ce dessein, s’articulent entre-elles.
Il faudrait également, vu l’importance de ces domaines dans la vie sociale qu’elles s’allient aux disciplines artistiques, comme l’art plastique, la musicologie, la cinématographie, les études littéraires, afin d’être mieux en mesure d’appréhender la société techno urbaine d’aujourd’hui arrivé mondialement à stance.

Ainsi nous sommes loin d’une finitude de la pensée évincée par la science manipulée et/ou écartelée entre la connaissance et les arts. Ceux-ci s’épaulent mutuellement quoique de façon conflictuelle dans un continuum de tensions maîtrisées formant la voûte de la pensée, son architectonique elle-même en sustentation permanente puisque la géodésie du monde bouge, avance.
La pensée a toujours créé l’espace du regard dans lequel la Terre des Hommes trame le temps et avance en époques.
Et il n’y a pas de raison que la pensée oublie d’où elle vient puisque son extension s’étire bien d’une origine vers un avenir tissant chaque instant comme Histoire. Aux mille bifurcations certes. Mais, à chaque fois, un seul est pris, et, pour l’instant, il s’avère que le calcul cumulé et résultat des actions et des interactions est, au bout du compte, encore positif pour le développement humain.
A nous de faire en sorte que cet héritage, là, ne soit pas dilapidé mais au contraire vivifié, amplifié, spécialement vers le Sud, et que les milliards d’années encore devant la Terre soient amorcées avec certitude et affinement permanent. Voeux pieux. Sans doute. Mais c’est le limes même qui nous meut. Qui « nous » ? Les humains de bonne volonté : les amis du développement durable (ADDD).






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Conclusion

J’ai tenté de montrer en premier lieu que le nihilisme n’est pas nécessairement le salut, malgré l’horreur humaine, et même s’il se pare d’une apparence religieuse et/ou politique censée nous sauver d’elle.
Ses partisans, en particulier les prétendus défenseurs du Sud, sont les pires fossoyeurs de la démocratie, de la liberté de penser et d’entreprendre, que l’on ait connu depuis Lénine et Hitler.
Persuadés d’avoir trouvé l’origine du Mal dans la propriété privée, dans la Raison, dans la liberté, dans la volonté d’être en un mot, ils véhiculent cette idée obscurantiste affirmant que l’humain est uniquement le produit ou le jouet de ce qui lui est insufflé comme conscience. Alors qu’il est cette stance qui entre en résistance contre tout ce qui la limite et, précisément, entre en polémique intérieure (polemos) lorsque les sédiments mêmes de sa propre volonté entravent son affinement par la peur non de la mort mais de la vie, lorsqu’il s’agit de s’ériger en être humain digne de ce nom comme l’avait si bien vu Shakespeare.

Les vrais radicaux du 21ème siècle, c’est-à-dire ceux qui tentent d’aller vraiment à la racine ultime de cette peur afin de la conjurer et la dépasser, sont ceux qui choisissent le parti d’une nouvelle Renaissance d’un brio tel qu’il permettrait à la planète entière de se sentir une malgré sa diversité nécessaire.
Pour ce faire il est nécessaire que sur le plan politique l’idée, moderne, de Service Public, traduisant celle, ancienne, de Bien Commun, soit non seulement préservée mais réformée afin d’accroître encore plus son efficacité. Y compris lorsque ce sont plutôt les mécanismes du marché qui y supplée, à sa demande, et agissent sous un contrôle a posteriori et indépendant.
Car il convient mieux que les caisses de l’Etat, cette synthèse citoyenne des aspirations individuelles et nationales, soient emplies par le versement de l’Impôt que vidées pour subvenir aux déficits chroniques du gaspillage chronique.
Si l’on veut, vraiment, que la Justice, l’Education, la Recherche, la Protection juridique et sociale, puissent continuer à croître, il apparaît en effet de plus en plus évident que l’argent ne saurait venir de l’augmentation des impôts sur les biens et les personnes mais de la bonne santé des entrepreneurs dont les taux raisonnables d’imposition permettraient précisément d’atteindre l’ensemble des cercles vertueux nécessaires pour le développement durable d’une économie vigoureuse et prospère au Nord comme au Sud.
Cette économie ne serait pas le résultat du jeu des gagnants et des perdants puisque, d’une part, le Nord aiderait réellement le Sud à décoller en lui permettant tout d’abord d’atteindre le stade démocratique nécessaire au développement des libertés de penser et d’entreprendre, clés suprêmes pour tout déploiement durable et prospère.
D’autre part, le Nord ferait en sorte d’aider au réel décollage de la dite Nouvelle Economie en donnant accès à faible prix au haut débit sur Internet, en mettant sur pied un financement public-privé d’une recherche mondiale sur l’animation à distance des machines industrielles et domestiques afin de se déployer dans ces deux marchés prometteurs que sont ceux du confort de vie, et de l’extension de la ville au sein des campagnes.
C’est en effet par le soulagement des tâches répétitives dans l’industrie et chez les ménages, au Nord comme au Sud, que se niche en priorité l’une des clés de la prospérité présente et à venir.
Il faut ainsi fonder les infrastructures mondiales de l’ère techno-urbaine pour en faciliter les interactions multiformes tout en évitant cependant les errements et les incohérences comme ce fut le cas par exemple au niveau architectural dans les années 60 et récemment dans la téléphonie mobile en Europe.
Il n’est en effet pas possible que l’ingénierie et la finance soient les seules instances décideuses alors que l’on ne construit pas un environnement vivable pour tous et des équipements performants sans être à l’écoute de la société et du marché.
La prétention de la technostructure à tout saisir dans ses modélisations statistiques est par exemple inouïe. Il est pourtant imprudent de croire qu’il suffit d’intégrer et de combiner -selon divers scénarios- des fréquences de variables, quand bien même seraient-elles dûment choisies par quotas et enquêtes, alors que leurs polarités sont toujours sujettes aux impondérables et surtout à la pression des constances souvent sous-estimées comme par exemple le design et l’efficacité réelle en comparaison avec d’autres services (l’échec du service wap en est le strict cas d’école ).
Il va dans ce cas de soi que doit s’ajouter des critères psychosociologiques et politiques, surtout lorsqu’il s’agit de choix qui entraîne l’avenir pour la société et pour l’humain.

De manière générale la tâche de la France au sein de l'Europe, consistera à donner l'exemple de l'articulation entre le défi du risque permanent s’inscrivant dans des choix audacieux, et le confort des acquis : ils ne sont pas systématiquement contradictoires.
En fait, la volonté de porter haut l'assise européenne comme exemple au monde, signifie d'un côté distinguer la notion de service public de son application qui peut être privée je l’ai esquissé.
De l'autre côté il s'agit également de distinguer les Nations et les Etats, les seconds étant au service des premières et de l’unité qui permet la prospérité de leur diversité.

Cette distinction implique par exemple l'existence d'un Parlement des Nations Européennes (PNE), prélude à un Parlement Mondial des Nations ( PMN), qui siègerait aux côtés des parlements nationaux, du Parlement Européen, de l’Organisation Mondiale des Etats ( OME) successeur de l’ONU.
Cette instance nouvelle pourrait déjà jouer au niveau européen le rôle d'un Sénat amendant les applications lorsque celles-ci ne sont pas conformes politiquement aux intérêts culturels des nations. Ce PENR serait ainsi consulté en cas de violation des droits régionaux par les parlements nationaux.
L'Irlande du Nord, par exemple, peut être fort bien représentée par une aile protestante et une aile catholique dans ces Parlements européen et mondial des nations.
Douce utopie sans doute...
Mais peut-être qu'en agissant ainsi les partisans d'en découdre à jamais tenteront de dépasser les conflits de prestige comme celui qui est à la base de la dérive identitaire des protestants d'Irlande du Nord.
Peut-être qu'en apportant une puissance symbolique supplémentaire, qui nourrit l'orgueil des nations, y aura-t-il enfin un déclic salvateur permettant d’accepter l’évolution sans pour autant se renier ?
Il en est de même en Afrique du Nord avec les Berbères. En Afrique Noire avec les myriades de peuples qui luttent pour leur survie. En Amérique du Sud. En Indonésie, au Népal...
Bien sûr il peut être rétorqué que des milliers de peuples ont déjà disparus et que c’est cela l’Histoire. Mais est-ce pour autant une raison suffisante alors que certains se battent pour sauvegarder des espèces animales en voie de disparition ? Pourquoi ne pas l’accomplir aussi pour les nations ?
Les Etats, eux, en tant que puissances politiques que se sont données certaines lignées, élargies en nations, pour perdurer garantiraient dans le cadre d’une nouvelle organisation à la fois trans-étatique et mondiale, la volonté des nations vivant en leur sein de persister tout en acceptant néanmoins la prérogative citoyenne permettant à chacun de leurs membres de choisir l’identité au lieu de la subir.
Ainsi l’Etat deviendrait l'outil synthétique développant le Bien commun nécessaire à toutes les identités, qu'elles soient nationales et individuelles.
Il ne peut y avoir dans ce cas un Etat Corse, Breton, Basque, parisien... mais un seul Etat qui conforte les droits des nations vivant en son sein, et cet Etat pour les nations ci-dessus, c'est la France, qui, lui-même, délègue une part de ses prérogatives dans un Etat synthétique plus fort: l'Union Européenne qui elle-même délègue une partie de ses prérogatives à l’Organisation Mondiale des Etats.

Ainsi L'Etat en général ne doit plus être vu comme une synthèse broyant les spécificités au profit d'une seule identité ; ce fut le cas dans l'Histoire. Nous ne sommes pas obligé de réduire le devenir de l'Etat à ce seul aspect. Une autre fondation est possible. Celle qui concilierait diversité et synthèse, protection des droits et des acquis. Mais aussi effort de réformes pour mieux servir le public.
Tel le serait le nouveau pari pour la France :
Faire en sorte que Marianne fasse le lien entre la notion de Nation et la notion d’Etat, entre l'acquis, la réforme et le risque, entre le droit et le devoir, entre l'universel le particulier et le singulier, en forgeant, en donnant au monde, les institutions que l'émancipation responsable et permanente du monde demande. Ou comment continuer à s'affranchir du joug de la souffrance contrainte, des inégalités d'origine : tel est le défi : perpétuel et à chaque fois idéal, unique, féerique, lorsque la promesse s'accomplit et tisse la nouvelle étoffe, invisible, mais palpable dans les coeurs, celle du, et, dorénavant, des, drapeau(x) diversité et unité dans et pour une seule planète : la Terre. Avant de s’élancer massivement vers l’Univers.


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PS : certaines notes consacrées aux divers auteurs nihilistes peuvent être trouvées dans le fichier " l'absolutisme nihiliste"....