A propos d'une réaction sur "l'affaire" Cohn-Bendit

Ainsi Régis Debray, Jean-Claude Guillebaud, Paul Thibaud, ont écrit une tribune dans la page "Horizons-débats" du Monde (27/02/2001) pour combattre une "chasse à l'homme" qui serait en train de s'opérer à l'encontre de Daniel Cohn Bendit et aussi de Joshka Fischer.

Notre propos ici ne consistera pas à emboîter le pas à cette dite chasse. Car nous aurions plutôt envie de rejoindre le camp des défenseurs. Sauf qu'il nous semble impossible de le faire sans dire un mot. Ce qui implique déjà d'examiner la stratégie des trois auteurs ci-dessus cités.

Or, après lecture de la tribune, on peut se demander si, au fond, ces supposés défenseurs ne participent pas, également, à cette chasse à l'homme, tout en prétendant en être cependant les plus impérieux dénonciateurs. Car il semble bien qu'ils ajoutent à la suite de "chasse à l'homme" le terme libéral. C'est en tout cas ce qu'ils reprochent, explicitement, à Fischer et Cohn Bendit et ce dans le même élan où ils s'empressent de les défendre. Nos trois mousquetaires sont alors partants pour transformer plutôt leur étreinte salvatrice en un étouffement sans recours.

Certes, au départ, nos trois vertueux redresseurs de torses s'inquiètent, sur le ton grand seigneur de l'indignation, que l'on s'en prenne à Fischer et à Cohn-Bendit en leur rappelant leur passé ou leurs écrits. Mais nos saints défenseurs informent tout aussitôt que le premier, Fischer, "passe de l'autre côté du cheval, côté empire et marché ", tandis que le second, Cohn-bendit, serait sur des positions " dites libérales libertaires ou radical-chic", ce qui ne sied évidemment pas non plus à nos généreux pourfendeurs de dragons libéraux et chics.

On en arrive alors à ce que nos trois valeureux chevaliers étalent donc l'immensité de leur magnanimité en stipulant, lourdement, que même s'ils ne sont pas d'accord avec les victimes, ils les défendent becs et ongles. Ce qui semble louable. Sauf que cette étreinte s'apparente plus au baiser de la mort. Surtout à l'encontre de Fischer.

En effet si Fischer voit bien son passé gauchiste rappelé par ses adversaires, nos trois puristes s'empressent de lui coller également, et bien en vue, l'étiquette de traître puisqu'il n'y a qu'un traître, ou quelqu'un de cet acabit, qui "passe de l'autre côté ". Quel côté ? eh bien "côté empire " voyons !(clin d'oeil à Tony Negri) et côté "marché " ( dont la présence, sèche, fait tout de suite penser à la "société de marché" dénoncé par Jospin...). Fischer est donc un traître. Mais il sera défendu. Par principe. Cohn Bendit a plus de chance. Il n'est pas traité ainsi. Sans doute est-il récupérable puisqu'il se voit seulement regardé de haut pour ses positions "dites libérales libertaires ou radical chic " ,ce qui semble certes implicitement contradictoire pour nos trois sauveurs. Mais Cohn Bendit n'est pas accusé d'être "passé de l'autre côté ".

Serait-il alors nécessaire de rappeler, sur le fond de l'accusation, que la notion d'"empire" ne correspond, en rien, aux USA ? Ceux-ci profitent, certes, -comme l'a d'ailleurs enseigné Machiavel, du fait d'être devenus la puissance qui compte. Sauf que cette puissance est aussi démocratique, malgré les atermoiements électoraux en Floride ou la fascination envers la peine de mort au Texas. Et le rôle de l'Europe, de l'Onu, serait justement de faire en sorte qu'ils ne l'oublient pas.

Faut-il également souligner qu'il n'existe pas de "société de marché" parce que le contrat a besoin de la loi, et donc de l'Etat, comme référent ultime et gardien ? Les errements à ce sujet en Californie ou à Londres n'empêchent pas cet état de fait.

Le pompon de la diatribe de nos trois grands penseurs se perçoit alors par ces quelques mots :

" Ce n'est pas seulement dans les affaires sexuelles ou de moeurs que notre bonne société a joyeusement erré et continue de le faire. Pourquoi, puisqu'on y est, ne pas évoquer non seulement le brouillage des générations, mais aussi le rejet sardonique de l'Etat, du principe d'égalité, de l'institution, de la règle collective par tant de plumes et de voiex autorisées ? Ne fut-il pas autrement ou non moins pervers dans ses retombées que l'éloge convenu du touche-pipi ? Ou veut-on, là encore, fuir l'observation des causes dans la quête de l'effet. Et si c'était le même conformisme qui criait hier " vive le trouble fête" et aujourd'hui "sus au pédophile" ? Daniel Cohn-Bendit, tes opposants aussi veulent le débat loyal." (Fin).

Mais Fischer, lui, semble irrécupérable puiqu'il n'en est même plus du tout mention à la fin, pas même comme opposant. Quant à l'analogie entre, d'un côté, le "non moins pervers" supposé du dit "rejet" de "l'Etat", de "l'égalité", de la "règle collective", de "l'institution", sans oublier le "brouillage des générations", (excusez du peu!), et, de l'autre côté, " l'éloge convenu du touche-pipi", on voit bien que celui-ci apparaît fort dérisoire pour nos trois grands savants de la chose publique.

Sauf que l'on ne voit pas qui, en France, prône un tel "rejet", à part quelques extrêmes s'appuyant sur des expériences excessives ou maladroites en matière de privatisation. A moins de croire qu'établir de nouvelles régulations c'est seulement "déréglementer" au sens restrictif du terme. Ou que vouloir une Europe plus efficace et plus humaine, une agriculture, un enseignement de qualité, une meilleure formation pour tous, c'est remettre en cause le principe d'égalité alors que l'on veut en fait réformer pour un mieux d'Etat.

Quant au "brouillage des générations", il semble bien que cela soit précisément en opérant encore et toujours dans l'amalgame, le raccourci, le simplisme, l'accusation de trahison, qu'en effet on dégoûte un peu plus la jeunesse du débat intellectuel et politique.

LSO.

Février 2001.