Décalage horaire, Pour un Garçon, Meurs un autre jour,Harry Potter, Le seigneur des anneaux.

Décalage horaire n'a pas la prétention de faire du cinéma, juste du film. Il irradie pourtant d'un seul tenant, au détour des trois fois rien composant les vibrations insupportables et indispensables de la ville.

Sa chair urbaine de tous les jours n'a certes pas la prétention du cinéma français d'auteur actuel s'autodévorant au détour "queer" des errances sans retour et des vaudevilles remixés au goût du jour.

Elle palpite pourtant ardemment dans ce "décalage horaire" par le crépitement et le heurt saccadé des souffles de vie entrecroisant, à l'instar des bretelles d'autoroute, le treillis haletant des regards parfois hagards, scrutateurs toujours, souvent pillards, à l'orée neutre des escalators et des bars, lorsque la solitude est telle qu'un désir putrifié s'empare des âmes apeurées, tandis que l'immondice ambiante montre ses trous malgré le déluge des lumières s'auréolant d'apparences fluides et parfaites.

L'aéroport, espace dans lequel se joue le film, échappe cependant à cette poignante vision parce qu'il symbolise toujours l'espoir d'un changement. Le film se transforme en cinéma à l'occasion.

Ses grandes baies vitrées montrent ainsi les monstres en action défiant la gravitation, transportant, au-delà de leur espace de vie, les proues humaines à cheval sur un rêve de gloire, de richesses, ou de repos.

Une esthéticienne symbolise jusqu'à l'innocence benoîte cette trépidante ambivalence, cette suprématie sournoise de l'apparence lorsque, dans le regard, en ville, et, au fond, dans toute première rencontre, l'appréhension de la présence d'autrui veut donner l'impression qu'elle se fait essentiellement dans le jeu de la première jauge. C'est banal. Mais essentiel.

Cette femme maquillée comme un arbre de Noël américain -la chair disparaît sous les couleurs et les fards- vit donc l'amour cru des magazines, amour-haine des projections de petite fille aussi, principalement peut-être, du moins à certains moments, puisqu'on la voit rechercher et fuir, en la présence d'un petit voyou, l'image du père fouettard, sudimensionnée dans un esthéticisme de boudoir, fasciné par le pli ultime qui ferait chavirer l'illusion vers ce qu'elle ne peut pas être: un conte de fées. Qui se termine toujours à minuit.

Un homme d'affaires croise cette histoire somme toute banale au détour de la sienne, lorsque, brusquement, le temps individuel se trouve brutalement interrompu par un autre espace, l'espace social, celui d'une grève. Cet homme -un cuisinier réputé- semble dépassé, énervé, à cheval entre plusieurs mondes, langues, souvenirs, cuisines.

Il semble symboliser cet aspect intime, routinier, exacerbé jusqu'au vertige, littéral, de l'homme d'affaires aux prises avec différentes réalités et désespéré de voir le peu de compréhension du monde détenu par ses contemporains.

L'intérêt de leur rencontre réside dans son impossibilité hors du temps suspendu, hors de l'accident de cette grève. Comme si Thomson (la réalisatrice) voulait signifier que les vies modernes sont réglées de telle façon que l'échange entre les êtres se nourrit heureusement des confrontations fructueuses émergeant comme fruits du hasard donnant le point de vue extérieur indispensable à des vies bien trop millimétrées. Cela ne dit pas plus, mais ce plus pèse lourd.

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Pour un garçon est de la même veine. Juste un petit film, mais si juste lorsqu'il dépeint les méandres de modes de vie qui ne se développent plus sous l'opprobe du quand dira-t-on. Ici le trop plein de solitude et de désarroi se télescope entre une errance faste et une dépression. L'intérêt réside dans l'entêtement d'un gosse à vivre au lieu de se contenter d'en parler.

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Harry Potter version deux est un cru exceptionnel pour les esprits encore capables de voir à travers la réalité les forces invisibles permanentes déployés par les puissants aux sourires chiffrés. C'est une splendide allégorie renouant avec l'atmosphère des contes et légendes qui ont nourri l'imaginaire de centaines de générations, lorsque la science et l'art n'étaient pas mis en opposition.

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Le Seigneur des anneaux montre bien que le pouvoir, lorsqu'il est absolu, suscite le désir sans fin d'aller plus loin encore dans l'attrait de la mort. Parce que l'absence de limites incite à en trouver une, tout de même, sauf que celle-ci est définitive. Ainsi le faux trouve dans la faux de la mort sa vérité ultime: celle de revenir au rien.
Mais il y a plus et c'est prémonitoire: le fait que des manipulations génétiques puissent créer des monstres à sa dévotion pour asservir le monde...

Ou comment la réalité se sert de la fiction, bien plus que le contraire...


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