Sectes mensonges et idéaux
1999.
Introduction
Les auteurs avancent que selon le rapport Vivien sur les sectes effectué en 1982 il y avait quelque 500 000 personnes directement ou indirectement touchées par le phénomène sectaire en France.
Les RG eux parlent pour la même année de 150 000. En 1995 ils estiment ceux-ci à 160 000 le nombre dadeptes au moins occasionnels et à 100 000 le nombre de sympathisants. De plus selon que lon inclut ou exclut les Témoins de Jévohah qui représentent selon les sources des RG à la base du rapport parlementaire français de 1995, 130 000 sur les 160 000 répertoriés dans lensemble des sectes en France lon arrive au chiffre de 30 000 membres directement concernés par le phénomène sectaire .
Ce résultat peut sembler très bas notent Luca et Lenoir mais ne diminuent en rien le fait que certains parmi eux puissent être à lorigine de désastres qui par leur côté parfois spectaculaire en font des objets médiatiques souvent lucratifs tout en emplissant de frayeur la collectivité.
Certains sociologues estiment à une vingtaine de mille le nombre des groupes dans le monde précisent les auteurs. Mais ils sont composés dun nombre limité dadeptes pour la plupart. Alain Bouchard, sociologue québéquois, considère que 95% des groupes comptabilisés nexcèdent pas les 15 à 20 membres . Néanmoins estiment Luca et Lenoir, et ce daprès Danièle Coin, secrétaire au Conseil de lEurope, chargée des affaires juridiques pour le nouveau rapport parlementaire sur les sectes à léchelon européenne , le nombre des adeptes en France na cessé daugmenter entre 1982 et 1996 . Mais Danièle coin précise que la plupart des groupes auxquels ils adhèrent ne sont pas dangereux.
Le pourcentage ne dépasse pas 1 à 2% de la population sagissant par exemple de la Belgique, du Québec, de la Suisse, de la France.
Selon le rapport Gest et Guyard il semble que 80% des mouvements regroupent moins de 500 adeptes tandis que près de 60 sectes comptent même moins de 50 adeptes. Cependant il nen reste pas moins selon le même rapport que sil existe une concentration du phénomène sectaire sur une quarantaine de mouvements certains dentre-eux sont précisément ceux qui répondent le plus souvent à un grand nombre de critères de dangerosité .
Lorsque lon arrive maintenant au coeur de lexplication du phénomène, Nathalie Luca et Frédéric Lenoir ont tenté de montrer avec brio quau moment même où daucuns dans les années 60-70 pensaient que l'on en avait fini avec la question du religieux dans le monde moderne le phénomène sectaire a émergé, du moins pour une part, comme symptôme dune recherche de points de repère symboliques dont la secte en est comme lexigence extrême, quoique pour une grande part manipulée puisque le but majeur cest largent recueilli à lexception de certains groupes dont les Témoins de Jéhovah. Seulement les adeptes ne sen aperçoivent pas vraiment. De même dailleurs que certains sociologues qui souvent se bornent à étudier les documents officiels ou la propagande de base et se contentent dobserver ce qui se passe à la périphérie .
Or Luca et Lenoir ont remarqué, et cest là le point fort de leur ouvrage, que les adeptes trouvent en quelque sorte leur compte à la périphérie de la secte toujours très alléchante à ce stade.
Celle-ci emploie en effet à profusion diverses techniques-marketing de séduction éprouvées allant de la conférence ésotérique et de méditation transcendentale plus ou moins exotique, syncrétique, mêlant par exemple tous les bons côtés des religions, à la relaxation multiforme si agréable en passant par des sortes de confession, dabréaction ou de carthasis ,-avec gadget électronique multicolor inclu-, doublées de prises en charge affectives effectuées parfois par de très gentilles et jolies membres...
Cependant, et cest précisément là où le bât blesse, lorsque certains adeptes, les plus mordus, avancent vers le centre ( alors que la plupart ne restent pas plus dun à deux ans notent Luca et Lenoir ) plus ladepte saperçoit sinon de la dangerosité du moins de la nécessité dadhérer fortement et aveuglement au noyau, doù le clash en cas de volonté de revenir en arrière...
Et lorsque Luca et Lenoir entrent quelque peu dans le détail lon saperçoit avec étonnement que contrairement à lopinion courante le niveau social de ladepte moyen nest pas nécessairement ou uniquement celui de désespérés ou d incultes....
En effet il savère que hors Témoins de Jéhovah regoupant, eux, des gens très modestes et qui en plus ne sont pas exactement une secte à but lucratif, les autres adeptes font parties de ces catégories sociales supérieures et spécialement dailleurs de certains milieux juridiques, médicaux, techniciens qui sont certes tous dôtés dune certaine forme de savoir pragmatique et d un niveau élevé déducation et dinstruction, sauf quil apparaît bien que les adeptes qui en sont issues semblent, eux, avoir fait limpasse sur la nécessité tout de même de se constituer aussi une structure symbolique comme le disent Luca et Lenoir.A savoir une espèce de bouclier et de filtre mental qui serait à même de les aider à se repérer et à agir avec plus de cohérence dans leur propre vie.
Mais leur naïveté en la matière, surtout dans le cadre dune culture techniciste, multiforme, qui par exemple se moque de tout discours nincluant pas, au moins, une courbe statistique, ou une pensée sulfureuse, fait que certains consomment le moindre produit spirituel bien quil en ait pourtant seulement lapparence. Dautant que celle-ci peut être des plus séduisantes et sophistiquées...
Nicole Luca et Stéphane Lenoir mettent alors à mal lidée reçue avançant qu un lavage de cerveau expliquerait, systématiquement, ladhésion. Même si en effet une pression non négligeable peut être décelable et plutôt dans telle secte que dans tel autre et surtout à un certain stade ( centre ) et beaucoup moins à un autre ( périphérie ).
Aussi malgré toute lanti-publicité effectuée par les associations anti-sectes en mettant par exemple en avant de très sérieux mécontements danciens adeptes sans parler des suicides individuels ou collectifs, des détournements dargent et bien entendu des crimes qui ont défrayé la chronique, le tout appuyé par divers procès spectaculaires qui ont souligné le caractère dangereux du phénomène impliquant comme on le voit actuellement certaines effractions et autres agressions pour éliminer les preuves et intimider les observateurs, il savère, malgré cela, que les adeptes, en majorité, nont pas été découragés à adhérer, du moins jusquà présent....
Il semble donc bien que la solution ne se trouve pas essentiellement dans laccentuation dune dénonciation de lavage de cerveau difficile à prouver dailleurs telle quelle. Ni même dune répression aveugle qui en fait pourrait leur donner le seul aspect qui leur manque : celui du martyr propre à toute nouvelle église attaquée par les anciennes voulant garder le monopole du supermarché du religieux comme le disent Nicole Luca et Stéphane Lenoir ...
Lune des solutions consisterait plutôt selon ces derniers à éduquer au discernement et à lesprit critique spécialement à lécole.
Notamment par la connaissance des phénomènes religieux qui pourrait aller jusquà étendre les cours dhistoire des religions, dans une perspective laïque, au lycée comme le propose certains universitaires comme le sociologue Jean-Paul Willaime.
Pour Luca et Lenoir il sagirait à la fois de limiter le phénomène et den combattre vigoureusement les débordements comme le réclame les associations anti-secte sans négliger en même temps le fait de comprendre en quoi il est cependant comme le symptôme extrême dun certain mal-être. Celui-ci est selon eux lié pour une part à la multiplicité de points de repères et à linsuffisance de leur discernement dans le cadre de notre société toute tournée vers le seul quantitatif ou la performance pour elle-même que lon peut même dailleurs percevoir également dans une certaine forme
de raisonnement tordu ou destructeur qui à la recherche de la dernière performance à la mode peut par exemple faire passer telle ou telle expérience pour le nec le plus ultra, y compris celui du chic pseudo subversif, surtout lorsque lon est assez fleur bleue ou désireux dêtre affranchi sous peine dêtre catalogué de ringard voire de réac ou encore de provincial, ce qui en France est pis que tout....
En résumé selon Luca et Lenoir le rôle de lEtat au lieu de viser la seule répression serait plutôt de veiller à trouver un juste équilibre entre la vigilance et la nécessité de répondre institutionnellement à un besoin fort de sens que seuls des individus éduqués au discernement seront à même de porter.
Entretien : "Sectes mensonges et idéaux"
Vous dites que le combat anti-secte semble être devenu marginal en Amérique du Nord alors quil devient le principal angle dattaque en France à lencontre de ces nouveaux produits du supermarché religieux comme vous lécrivez dans sectes mensonges et idéaux. Mais quel pourrait être leur label adéquat ? Sont-ils de nouveaux mouvements religieux ou des produits dangereux ?...
Nicole Luca :
- On ne peut justement pas généraliser...Et la raison pour laquelle nous navons pas voulu employer le terme de nouveaux mouvements religieux cest précisément parce que ces groupes font partie dun supermarché gigantesque et celui-ci nest pas seulement religieux...De même que ces groupes...Nous avons alors préféré employer le terme secte parce que nous voulons parler dune catégorie extrêmement précise de groupes qui ont dérivé dans le passé ou aujourdhui. Néanmoins, il est vrai que les termes sectes et nouveaux mouvements religieux permettent aussi de caractériser lensemble de ce supermarché du spirituel dans lequel il ny a pas que des choses dangereuses, de même qu il ny a pas que des choses bonnes ...
Mais pour en revenir au fait quaujourdhui le combat anti-secte soit plutôt marginal en Amérique du Nord, est-ce que cela ne voudrait tout de même pas dire que là-bas ces groupes sont plutôt considérés maintenant et en règle générale comme de nouveaux mouvements religieux, ce qui évacue tout aspect éventuellement dangereux ?
Frédéric Lenoir :
-Il y a des raisons culturelles spécifiques à ce fait. Les Etats-Unis ont été fondés par des gens qui faisaient parties de groupes que lon appellerait aujourdhui des sectes si vous voulez. Elles étaient souvent persécutées par les églises catholiques ou protestantes.
Le Mayflower était composé de puritains anglais qui étaient persécutés. Et, depuis le début, les Etats-Unis, -dont la Constitution est fondée sur la Bible-, ont un très grand sens des minorités religieuses, de leur respect, et nont quune peur cest quune majorités opprime des minorités. De ce fait tous les petits groupes religieux qui apparaissent en marge des églises officielles sont plutôt regardés avec bienveillance. Et il y a plutôt demblée une méfiance envers ceux qui tendraient à se dire que dès qu il sagit d un groupe auparavant inconnu alors cela pourrait être dangereux...Tandis quen France lon est plutôt dans une tradition catholique qui a dominée de façon majeure. Et puis nous sommes dans une république qui nest pas fondée sur la Bible et qui a plutôt une méfiance vis à vis du religieux...
Ces différences culturelles expliquent que les nouveaux groupes qui apparaissent sont plutôt regardés avec suspicion en France, avec bienveillance aux Etats-Unis. Il y aussi une autre raison. Dans les années 70 beaucoup de procès se sont déroulés aux USA, notamment contre la secte Moon, mais ils ont tous été perdus par les associations anti-secte. Pourquoi? Parce que celles-ci considéraient que la manipulation mentale était un délit car lorsquun adulte entrait dans une secte elles estimaient quil ne le faisait pas de son propre gré, il avait subi un lavage de cerveau ...
Or tous les tribunaux ont considéré que cela navait pas de valeur juridique et donc que les notions de manipulation mentale et de lavage de cerveau ne voulaient rien dire...Au fond les tribunaux considéraient que les gens entraient librement dans ces groupes et non pas par la contrainte. Et du coup cela a quasiment rendu caduc le mouvement anti-secte...Alors quen France la notion de manipulation mentale, même si elle nest pas reconnue par les tribunaux en tant que telle, il nempêche que dans les médias et pour les pouvoirs publics elle a une consistance, une plus grande crédibilité...
Vous dites quen France il y a plus de suspicion...Est-ce que cela explique aussi pourquoi les associations anti-secte ont du mal à débattre ? Vous dites par exemple que lorsquon les invite à des émissions elles ne viennent pas ou quelles ont du mal à entendre les sociologues des religions...
Nathalie Luca :
-La situation est en effet assez complexe. Il y a bien eu à un moment des liens entre ces associations et des sociologues, mais aussi entre des juristes des historiens. Ils se rencontraient par exemple dans le cadre du CESNUR ( Centre détudes sur les nouvelles religions ) ... Mais finalement ces relations ont été de moins en moins bonnes, du fait que le combat anti-secte est devenu de plus en plus unilatéral, et que le CESNUR a voulu quant à lui revendiquer le fait que tous les groupes nétaient pas dangereux...Ce qui fait quensuite les anti-sectes ont rétorqué le contraire, que tous les groupes étaient dangereux, tandis que le CESNUR persistait à prétendre quaucun ne létait et que dans tous les cas lorsque certains posaient des problèmes lon ne cherchait guère à voir pourquoi...Or à partir de là, avec cette double polarisation, il ny avait plus de possibilité de contact.
Et le CESNUR, doù vient-il ?...
Nathalie Luca :
-Il a été fondé en Italie et regroupe donc diverses parties mais il est très mal vu par les milieux anti-sectaires pour des raisons qui dailleurs peuvent également se comprendre.
En fait les torts sont un peu partagés dans la mesure où chacun a voulu dire que le mal était là en absolu, ou alors que le bien était là et ne pouvait pas être critiqué, alors que la vérité était quelque part entre les deux...
Frédéric Lenoir :
-Parmi les associations anti-secte il y a eu une certaine tendance, -bien qu'il faille nuancer car ce nest pas général, à faire un peu damalgame. Cest-à-dire à un peu trop considérer que les sectes étaient partout et que tous les groupes qui apparaissaient pouvaient être dangereux etc...Mais maintenant je pense que certaines font bien plus attention à discerner, à faire la part des choses. Mais le CESNUR a eu la tendance inverse...Il y a eu un peu une diabolisation excessive dun côté, et, de lautre, une positivisation elle aussi excessive...ce qui fait que le dialogue est devenu impossible.
Mais cet organisme, le CESNUR, a eu un impact en France ?
Frédéric Lenoir :
- Oui. Il a regroupé un certain nombre duniversitaires français importants travaillant sur la sociologie des religions et sur lésotérisme et qui ont considéré que le combat anti-secte dérivait était excessif et devenait finalement devenu dangereux.
Nathalie Luca :
- Lune des raisons pour lesquelles ils ont eu également ce parti pris rejoint la différence culturelle entre la France et les Etats-Unis. Beaucoup de sociologues, dhistoriens, américains, avaient plutôt lhabitude de traiter ce que lon nomme les sectes ou les nouveaux mouvements religieux par lintermédiaire du protestantisme et des sectes protestantes. Mais dans les années 60-70 il y a eu tout un nouveau phénomène qui a émergé et les sociologues nont pas vraiment eu le temps den approfondir les réelles différences qui pouvaient exister entre ce type de mouvement et ceux de lHistoire. Ce qui fait que leur parti pris pour dire attention les sectes ne sont pas forcément dangereuses regardez dans lHistoire regardez tous ces groupes qui ont évolué... était dû au fait quils avaient justement largement travaillé sur ces groupes historiques et non pas sur ces nouveaux mouvements ou du moins pas assez...
Vous dites dailleurs dans votre livre que les sociologues ont été un peu pris de court par ces nouveaux mouvements pourquoi? Vous soulignez aussi que certains pensaient que le religieux cétait quelque chose de fini dans lépoque daujourdhui...
Nathalie Luca :
-Oui je crois que nimporte qui, quasiment, pourrait le remarquer. Les grandes églises, les grandes institutions commençaient à perdre de leur influence. Déjà parce quil y avait eu la laïcité, la sécularisation de la société, qui a permis une certaine distance entre les individus et la religion en France. Et puis il y a eu la Contre-culture dans les années 60 qui a pris position contre les institutions.
Donc finalement cest vrai que les sociologues étaient en train de penser que la religion était en train de se casser la figure, quelle allait tomber . Ce nest pas quils nont pas vu quil y avait un phénomène qui émergeait à côté, mais ils ont pensé quil sagissait seulement dun aspect réactif au fait que la modernité présentait de petites lacunes et que cela allait seffacer au fur et à mesure que la modernité allait simposer.
Ils ont donc plus focalisé leur attention sur la chute des grandes institutions. Ils navaient nécessairement tort. Cest vrai que les grandes institutions religieuses nont plus le même impact quhier, mais, finalement, ils nont pas regardé ce qui se passait de lautre côté. Cest-à-dire le fait que ces nouveaux groupes non seulement allaient avoir une existence indépendante mais en plus, pour certains, ils allaient pouvoir influencer les grandes institutions.
En même temps vous signifiez aussi que lorsque lon regarde les chiffres ce nest pas extraordinaire...
Natahalie Luca :
- Ce que lon signifie surtout, ce sont deux choses : le fait que ce sont les sectes elles-mêmes qui ne sont pas extraordinaires et quil faut faire une distinction. Nous avons seulement voulu parler dans ce livre des sectes qui avaient déviées. On a voulu ainsi montrer que même si ce phénomène représente un réel danger, il nest pas majoritaire. Il ne faut donc pas lexagérer, le surdimensionner parce que cette espèce de tort que lon lui assène comme cela est tout sauf capable de le réduire.
Vous pensez quil peut se déployer dans lavenir ou pas ?
Frédéric Lenoir :
- Je crois que le phénomène sectaire, si on lobserve bien, est à peu près stable depuis une quinzaine dannées. Il y a beaucoup de groupes qui naissent mais il y en a beaucoup qui disparaissent. Donc si vous faites le bilan vous voyez que cest à peu près stable. Il y a eu une explosion dans les années 60-70 et puis finalement cela se stabilise. Et je crois que cela va continuer. Il y en aura toujours parce que lon est dans un éclatement du religieux où la religion est de plus en plus individualiste. Vous avez donc des gens qui vont créer de plus en plus leur petite religion, leur petite chapelle, et agréger autour deux des adeptes. Cela va forcément continuer. Cest un processus dindividualisation et déclatement du religieux qui va se poursuivre. Par contre je ne crois pas du tout quil va y avoir une sorte de prolifération des sectes qui vont envahir la société. Je crois cest plus un fantasme quune réalité.
Vous faites remarquer que cela touche plutôt les catégories supérieures et pas tant que cela les désespérés ou les déséquilibrés...
Frédéric Lenoir :
-Cest vrai. Et il ny a pas deux sectes pareilles. Chaque groupe répond à des besoins et à des publics différents. Prenons par exemple les Témoins de Jéhovah qui est un groupe avec des traits sectaires par ses côtés rejet de la société, critique du monde etc, mais cest un groupe qui touche des milieux très populaires, très simples. Vous avez au contraire un groupe comme la Scientologie ou comme les groupes thérapeutiques, qui touchent des milieux très aisés, plutôt des professions libérales et des gens qui ont un niveau socio-culturel assez élevé. Donc finalement selon ce que le groupe propose, il va toucher un public très différent. Mais là où vous avez aussi raison, cest que dune manière générale lon a un cliché sur les sectes ne regroupant que des gens paumés. Ce nest pas vrai du tout. Les sectes peuvent toucher des gens qui sont en manque de repères, cherchent un sens à leur vie, veulent trouver des réponses face à la solitude le deuil la mort lamour, qui ne trouvent plus ces réponses dans les grandes églises et finalement vont les chercher dans certains groupes.
Pourquoi à votre avis ils ne trouvent plus de réponse dans les grandes églises ?
Frédéric Lenoir :
- Il y a plusieurs explications. Dune part parce que les grandes églises se sont dune certaine manière un peu refroidies, il y a moins de chaleur...
Doù le mouvement charismatique par exemple dans léglise catholique ?...
Frédéric Lenoir :
-Oui. Avec des groupes très chaleureux, très fervents. Car la société est de plus en plus froide. La convivialité est exsangue... Or il y a des gens qui recherchent des lieux de solidarité de chaleur; et ce que lon constate dans un certain nombre de paroisses, surtout les plus vieillissantes, cest que finalement lon ny trouve plus la satisfaction de ce besoin là. Donc ces gens vont le chercher dans des petits groupes plus fervents plus chaleureux. Cela peut être à lintérieur déglises du renouveau charismatique. Et aussi à lextérieur dont les sectes...
Nathalie Luca :
-Lon peut ajouter aussi que justement aujourdhui les jeunes ont besoin dune quête de sens personnel et de se réapproprier leur propre culture. Cest un besoin de la jeunesse. A savoir que lon n'hérite pas de la culture de ses parents mais que lon fonde, lon crée, sa propre culture. Donc à partir de ce moment là, et même s'il s'agit de revenir plus tard dans les religions traditionnelles, il faut quils fassent un parcours qui leur semblent personnel et dans lequel ils peuvent dire et revendiquer dêtre eux-mêmes fondateurs et créateurs de leur parcours religieux. Cest quelque chose qui nexistait pas avant et qui est devenu important. Et dans cette formation religieuse, qui est pour une grande part autodidacte, il peut y avoir des personnes qui vont profiter de ces jeunes et essayer de les emmener ailleurs .
Frédéric Lenoir :
-Effectivement, la secte par définition convertit un groupe alors que dans la religion lon hérite. Vous êtes né catholique, juif...On naît dans une religion, alors que lon naît pas dans une secte dune certaine manière. La plupart des générations élevées dans des sectes transmettent très peu. La majorité des enfants de gens qui sont dans les sectes nappartiennent pas à la secte ensuite. Notamment les Témoins de Jéhovah. Cela fait un siècle quils existent. Eh bien la plupart de leurs enfants ne deviennent pas Témoins de Jéhovah...Alors que dans les grandes religions cela se transmet par lhéritage familial.
Vous dites aussi que ceux qui sont le plus à même de décoder le discours des sectes sont ceux qui ont une structure symbolique forte quest-ce que vous entendez par là ?
Frédéric Lenoir :
- Ce sont des gens qui ont une connaissance des mécanismes religieux ou qui ont des convictions existentielles enracinées soit de manière athée ou de manière croyante. Ils ont un code de décryptage de la symbolique religieuse assez fort, quils soient pour ou contre. Tandis que les gens plutôt flottants, cest-à-dire qui nont pas de culture religieuse ou qui ne sont pas déterminés sur ces questions là peuvent être très facilement vulnérables à un discours un peu syncrétique qui va leur parler de symboles existentiels, spiritualistiques. Seulement ces gens ne vont pas décoder tout le "baratin", le côté frelaté quil peut y avoir dans ce discours. Ils vont être seulement sensibles au charisme dun guru à laspect émotionnel, sans avoir les outils intellectuels pour décrypter ce qui relève d'un discours profond structuré cohérent et dun discours complètement illuminé.
Et pourquoi cela marche mieux en Amérique du Nord quen France ?
Nathalie Luca :
-Ce qui marche le mieux en Amérique du Nord cest que nombre de petits groupes peuvent se développer sans avoir de problèmes. Mais est-ce que ce sont, parmi eux,les sectes qui marchent beaucoup mieux en Amérique du Nord quailleurs, cela reste à démontrer.
La Scientologie est quand même importante aux Etats-Unis, elle regroupe des millions dadeptes, vous la caractérisez comment dans ce cas ?
Nathalie Luca :
-On la caractérise comme une secte intramondaine...
Frédéric Lenoir :
-Cest-à-dire qui cherche à sinfiltrer dans la société...
Daccord, mais comment se fait-il quelle marche mieux aux USA quen France ? Ce nest pas parce quelle nest pas nommée secte aux USA quelle marche mieux tout de même...
Frédéric Lenoir :
-Non et il y a plusieurs raisons. Il faut remarquer dabord quelle est née là-bas. Son fondateur, Hubbard, a écrit des centaines douvrages qui ont été très lus aux USA, alors que cela na pas du tout marché en France. Donc si vous voulez il y a déjà tout un substrat qui fait que la Scientologie est connue depuis longtemps aux USA...
Est-ce que cela voudrait dire quils sont plus religieux plus spirituels aux USA quen France?...
Nathalie Luca :
-Non. Cela veut dire déjà qu aux USA vous avez beaucoup de groupes qui ont des visées commerciales et donc apprennent à faire marcher leur vente par une démarche de type psychologique. Cest cela également la Scientologie. Ce nest pas une démarche tellement spirituelle.
Frédéric Lenoir :
-Et si cela marche mieux aux USA cest que cest très américain. Lon paye cher des services qui sont sensés vous rendre plus performants. Cela cest très américain. En France lorsque lon vous dit quune pseudo-religion va vous demander des dizaines et des centaines de milliers de francs pour être plus performant lon rétorque que cest complètement dingue car la religion cela doit être désintéressée...Aux USA pas du tout. Il ny a absolument aucun problème de payer cher pour avoir des services qui vous rendent plus performants. Cest beaucoup plus dans la culture américaine.
Est-ce que la caractérisation que vous faites entre secte et nouveau mouvement religieux ainsi quentre secte extramondaine et intramondaine a une prétention scientifique, par exemple le fait d être valable pour tous les groupes de la planète ?
Frédéric Lenoir :
-Je crois que notre typologie a une ambition scientifique au moins en Occident car nous avons observé les sectes surtout là.
Cest-à-dire principalement Europe, Canada et USA. Sinon effectivement je crois quil y a des groupes sectaires très différents en Amérique du Sud, dans dautres pays du Tiers monde, nous navons pas étudié ces groupes.
Mais pour ce qui est de lOccident je crois que cest une logique qui fonctionne assez bien, à savoir que tous les groupes dits sectaires recherchent un monde parfait, critiquent le monde dans lequel on est, et ils vont chercher finalement à recréer une société parfaite de deux manières : soit dans le monde (intramondain) soit en se coupant du monde ( extramondain). Et ce que lon a essayé danalyser avec Nathalie ce sont les dérives possibles de ces deux types de groupe. On sest aperçu par exemple que pour les groupes intramondains cétait le désir de prendre le pouvoir et donc dinfiltrer la société, type la Scientologie etc, qui prévalait...Au contraire pour les groupes extramondains leur dérive consiste à se couper tellement du monde quils peuvent aller jusquau suicide...
Quels sont les groupes les plus dangereux ?
Frédéric Lenoir :
-Pour nous les plus dangereux sont les extramondains. Les dérives les plus extrêmes des extramondains cest le suicide, la mort. Donc il y a quelque chose de beaucoup plus radical. Alors que les dérives des groupes intramondains cest beaucoup plus linfiltration, la prise de pouvoir mais je dirai que la société peut sen protéger, donner des limites...
On a tout de même trouvé certains dentre-eux inflitrés très très loin...
Frédéric Lenoir :
-Absolument, mais pour moi ce qui est le plus grave consiste plutôt dans le fait qu'un individu se suicide plutôt quun scientologue que lon découvre passer des tracts à léducation nationale...je ne met pas cela sur le même plan...Même si, dans les deux cas, il faut être très vigilant et que par rapport aux groupes qui cherchent à infiltrer la société il faut avoir des mécanismes de défense.
Nathalie Luca :
-Par contre, en ce qui concerne le danger psychologique, il peut être similaire dans les deux cas.
Ainsi par exemple si quelquun va très très loin dans la scientologie, il aura peut être le même type de problème que quelquun qui va aller très loin dans une secte extramondaine. Dans les deux cas en effet pour le coup cela peut être dangereux pour lindividu.
Il y a eu au moins un cas de suicide en scientologie récemment où un individu a été jusquau bout... Car sil existe en fait une périphérie dans lequel le danger nest pas vraiment présent, lorsque lon sapproche du centre ce nest plus pareil. Dans ce cas le rapport périphérie- centre marche par rapport à une personnalité.
Ainsi autant les besoins intra et extra mondains sont totalement différents, sans oublier que dans la périphérie ils se présentent différemment, autant lorsque lon va jusquau bout, quand on va au coeur de la secte, les dangers sont tout de même identiques. A savoir quen effet la personne peut être complètement déboussolée même si elle ne va pas nécessairement y laisser sa peau.
Frédéric Lenoir :
-Cela dépend beaucoup de chaque personne. Vous avez des gens fragiles qui dans nimporte quel type de secte peuvent faire nimporte quoi. Il y a donc aussi une différence psychologique entre individus dont il faut tenir compte. Vous avez des gens moins fragiles qui peuvent être allés très loin et qui ne se sont pas suicidés.
Cest là quil faut faire attention et avoir du discernement. Ce nest pas parce que lon est dans une secte que lon va automatiquement faire tout ce que nous dit le guru etc...Vous avez deux types de gens, ceux qui vont être complètement dociles, parce quils besoin de lêtre aussi, et vous avez des gens qui quitteront la secte lorsque lon leur demandera de faire nimporte quoi. Donc là vous avez aussi une responsabilité individuelle et là-dessus je crois que lon mettra un bémol par rapport au discours que lon entend de la part de certaines associations anti-secte qui ont trop tendance, selon nous, à considérer que tous les individus vont être des victimes totalement aliénées. Non. Vous avez des gens qui le sont en effet, dautres qui ne le seront jamais.
Est-ce que lon pourrait étendre votre caractérisation entre secte inflitrant le monde et secte sy soustrayant dans dautres domaines par exemple le politique ? Dans les années 60-70 lon a pu dire que le parti communiste était une secte...et quaujourdhui le front national est une secte...de même certains qui interdisent toute critique de leur pensée...
Frédéric Lenoir :
-Vous posez là le problème du sectarisme. Celui-ci en effet nest pas propre aux sectes. Je dirai que cest une sorte de défaut de lesprit humain qui ne supporte pas la différence. Il a besoin de sappuyer sur une vérité dogmatique. Et qui au nom de celle-ci rejette lautre et rejette laltérité...Le sectarisme cest tout ceci plus la peur qui fait marcher le système. Ce qui conduit tout droit au totalitarisme dune certaine manière.
Le stalinisme a été en effet une machine sectaire extraordinaire qui a fait bien plus de morts que toutes les sectes réunis. Effectivement le sectarisme nest pas le propre des sectes.
Nathalie Luca :
-Il nous a dailleurs semblé intéressant de pouvoir parler des sectes également à partir de leur discours totalitaire en matière politique. Par exemple dans certaines sectes il y avait un discours dextrême droite ou encore un discours communiste visant obligatoirement à vivre en commun et à absolument tout partager etc, bref qui reprenait en effet des choses qui nétaient absolument pas religieuses pour le coup mais relèvent souvent de lextrémisme politique.
Vous dites par exemple quun des fondateurs de lOrdre du Temple Solaire avait été mao...
Frédéric Lenoir :
- Et puis il a dérivé vers lextrême droite...
Est-ce que cela ne veut pas dire que le phénomène sectaire cest aussi une dérive du mouvement idéologico-politique et pas seulement du mouvement religieux ?
Nathalie Luca :
- Pour certains groupes c est une dérive politique avant dêtre une dérive religieuse. Cest pour cela que lon n'aime pas le terme nouveaux mouvements religieux . Car ce n'est pas seulement le côté religieux qui fait marcher certains groupes, qui permet quils tiennent debout...
Dans ce cas, est-ce que lon ne pourrait pas dire que certains groupes ont besoin du label religieux non pas seulement pour des raisons fiscales mais aussi pour sacraliser leur dogme afin quil ne soit pas remis en cause ?...
Frédéric Lenoir :
-Il y a deux types de groupe. Pour certains la religion sert en effet de paravent. Mais ceci nest pas vrai pour tous. Vous avez des groupes pour qui la symbolique religieuse est au coeur du dispositif. Il ne faut pas faire de confusion.
Concernant les groupes à visée uniquement religieuse pensez-vous par exemple que les Témoins de Jéhovah commencent à se séculariser ?
Nathalie Luca :
- Se séculariser non mais sinstitutionnaliser oui. Cest très différent. Car c est une secte très religieuse.
Frédéric Lenoir :
- Et qui évolue. Cest dailleurs pour cela que nous sommes pas daccord avec des gens qui ont tendance de plus en plus à les diaboliser à un moment où précisément ils souvrent et font des compromis avec le monde. Il ne faudrait pas en faire des martyrs et les radicaliser parce que plus vous persécutez un groupe plus vous le radicalisez...
Entretien effectué par LSO
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