Pour qui se prend José Bové ?

Ainsi Bové légitime son action de destruction par la prise de la Bastille. On croit rêver. Comment est-il possible de comparer le soulèvement de tout un peuple méprisé et une action commando qui profite de l'inquiétude des populations face aux excès de l'hyperproductivisme, et de la technique associée à l'industrie mais sans régulation suffisante et surtout efficace ?

Bové tente en fait d'instrumentaliser le problème du progrès technique mal contrôlé et de l'engrenage étatico-financier qui ont fait produire de la vache à outrance pour toucher les subventions de l'Europe agricole. Et en parlant de la prise de la Bastille il manipule des symboles qui expriment bien en effet qu'une action peut à un moment donné poser sa légitimité en contradiction avec la légalité du moment. Sauf que l'action commando "bovéenne" ne correspond en rien à cette définition puisque la légitimité se construit de manière majoritaire et surtout doit s'articuler avec un idéal émancipateur.

Qui le dit ? l'Histoire jusqu'à présent. Car à l'évidence il ne suffit pas d'être majoritaire pour s'adouber "émancipateur" . Il faut également oeuvrer dans le sens d'une philosophie politique qui pose déjà la liberté de l'esprit et de l'action comme éléments coextensifs à la définition même du mot "humain". Donc qui ne s'effectue pas au détriment d'autrui.

Ce legs de l'Histoire, et spécialement de l'Antiquité enrichi par le christianisme et les Lumières, est aujourd'hui compatible avec une approche scientifique du développement. Elle atteind une dimension non seulement universelle mais objective au sens intrinsèque du terme.

Dans ces conditions il est nul et non avenu de considérer qu'une action destructrice de moyens techniques inédits d'amélioration ne mérite même pas examen et doit être d'emblée acceptée comme acte émancipateur.

Bové le prétend. Il devrait pourtant, du moins, de temps en temps, écouter son père, chercheur en biologie, qui souligne bien que le problème n'est pas tant dans le fait de modifier un organisme, même génétiquement, -(l'Histoire de la sédentarité depuis le Néolithique s'explique aussi par une transformation, radicale, de la nature en agriculture et en élevage, ces greffes multiformes...), le problème consiste en ce que cette modification ne tombe pas entre des mains peu scrupuleuses et surtout pas assez contrôlées, et ce de manière totalement indépendante, par la collectivité.

Tout le débat est là et pas ailleurs. C'est en réfléchissant à la manière de réguler l'appropriation des découvertes et la dépendance aux grandes firmes bio-alimentaires, que l'on pourra prendre de nouvelles Bastilles. Et non en propageant tout autre chose par la bande comme le fait Bové en appelant à fermer les frontières par le refus de l'exportation ou en empêchant que l'on rende plus résistantes certaines graines dans les pays où les insectes sont plus pernicieux qu'ailleurs et les pesticides énormément nocifs pour les nappes phréatiques.

De plus Bové semble bien être de connivence avec divers courants de type khmer vert qui font froid dans le dos tant ils développent une idéologie du retour à la campagne et à la production strictement artisanale ou coopérative. Le tout sous-tendu par une certaine conception de la frugalité comme mode de vie qu'ils peuvent fort bien suivre si bon leur semble en l'écrivant même noir sur blanc dans certains numéros du Courrier de l'Unesco mais en aucun cas l'imposer.

Or ceux qui pensent que Bové et consorts se mobilisent seulement pour lutter contre les excès d'un système de production pas assez surveillé localement et mondialement se trompent lourdement. Autrement ses amis auraient laissé les réunions de l'OMC s'effectuer sans coup férir alors qu'ils ont tout fait pour les empêcher et non pas seulement pour manifester devant.

Car Leur prétention n'est pas de réguler le système mais le détruire.

Cela va donc bien plus loin qu'un problème d'OGM et s'apparente plutôt à une espèce de néo-totalitarisme "vert" qui recrute peu à peu ses révolutionnaires professionnels parmi les franges petites-bourgeoises déboussolées, illettrées, esseulées, de l'ère techno-urbaine, et attendant l'occasion propice.

Que cherche en effet José Bové et toute la mouvance anti-mondialisation avec lui ? Ils profitent pour le moment des méfaits, permanents, de la vie en société, surtout démocratique, et accélérés par les énormes possibilités de l'ère techno-urbaine arrivée sauvagement à stance mondialement, pour faire croire, une nouvelle fois, qu'il suffirait de détruire son supposé mal :le commerce mondial, l'économie, (entendez la propriété, le "privé" y compris dans la vie du même nom comme il a été vécu à l'Est et encore en Chine, à Cuba, à Téhéran, à Kaboul...) pour atteindre, et définitivement, l'éternel Age d'or sans conflit, sans inégalités, sans appât du gain, où l'amour régnera, éperdument.

Sauf que ce monde est celui des sectes. Rassemblé autour du Chef. Et de son faisceau, sa phalange.

Il est alors pitoyable de constater, une nouvelle fois, qu'une frange non négligeable de petits clercs, demi-mondains et autres petits-bourgeois urbains, plus ou moins jacobins, bonapartistes déchus, archéoléninistes au chômage, tous avides de leur quart d'heure de gloire et envieux des puissants, lui emboîtent le pas pour manipuler la frayeur de populations en effet peu aidées en la matière par une classe politico-intellectuelle de plus en plus à côté de la plaque.

Comment se fait-il que ces bovéistes n'aient rien appris ? Par exemple que l'on ne combat pas les inégalités en supprimant les "riches" mais en les obligeant à respecter autrui et que l'on y arrive justement par le peuple pour le peuple et certainement pas contre lui tout en agitant son nom !

Ne s'agit-il pas alors plutôt de concevoir que tous ces gens emplis de suffisance et ennuyeux malgré l'éventuelle sympathie qu'ils peuvent susciter, savent pertinemment ce qu'ils font ? Et que pour se faire un nom dans le supposé panthéon des sauveurs du genre humain il soit nécessaire de s'emparer des excès, des défauts, puis de les tisser pour s'en faire une massue qu'ils abattent ensuite sur les cibles soigneusement choisies tant elles cristallisent les interrogations contradictoires du temps ?

Il nous faudra ici étudier soigneusement ce chaos à fort potentiel nihiliste qui bascule, de plus en plus, dans un obscurantisme dangereux, malgré la part de vrai qu'il agite, toujours, en guise de patte blanche.

Le 17 février 2001.

LSO