A quand la tronçonneuse pour les rixes entre bandes rivales ?

Le SNES demande à Jospin d'organiser un colloque sur la violence à l'école. Le Monde daté du 10 février relate sa banalisation quotidienne et le sentiment d'impuissance de certains profs et autres responsables scolaires. Des bandes se sont banalement affrontées le 8 février mais l'un de ses membres avaient un marteau (semblable sans doute à ces masses tant prisées au Moyen-Age. Et popularisées par les films hollywoodiens des années 80 comme Mad Max). Quelle relation entre ces informations ?

Peut-être ceci : Le SNES est sans doute obligé de constater qu'il ne suffit déjà pas de désigner "la" cause de la violence actuelle pour que celle-ci stoppe d'emblée. Surtout lorsqu'elle est plutôt le résultat d'une interaction à chaque fois spécifique entre des individus donnés et un contexte également donné. Ce qui implique d'étudier, de manière singulière, à la fois les individus concernés et le type de contexte avec lequel ils interagissent. Or, d'habitude,l'analyse dominante semble exempter les individus de toute responsabilité pour les transformer en simples jouets d'un contexte donné.

Ainsi lorsque le conducteur de bus est insulté, qu'on lui crache dessus, que la jeune prof est molestée, le vieux prof battu, d'après l'analyse dominante ce n'est pas vraiment la faute de l'ado à l'origine de ces exactions physiques et psychologiques. C'est, pour elle, d'abord, surtout, voire uniquement, celle du "capitalisme", de la "société bourgeoise" et, aujourd'hui, de la "globalisation", c'est-à-dire, bien sûr, du "néo-libéralisme". Supprimez ce dernier, la violence, madame, s'éteindra d'elle-même...

Sans, ici, polémiquer outre mesure observons cependant que le problème est, semble-t-il, le suivant : quand bien même "la" cause serait à trouver du côté du "néolibéralisme" voire de l'appât du gain, il n'est pas sûr que demain sonne leur fin définitive.

Que faire en attendant ?

Quelques pistes possibles que nous tenterons ici et là de développer :

- Comme nous l'avons indiqué dans l'article "Bush et l'école" il existe aujourd'hui de nombreuses études sérieuses (comme "L'axiomatique de l'inégalité des chances " éditions l'Harmattan, coll Logiques sociales ) qui expliquent bien comment il est nécessaire de tout recentrer sur la qualité de l'enseignement, la mixité entre bon élèves et moins bons, l'aide financière conséquente aux plus démunis,le rétablissement du redoublement ( l'élève pourrait faire appel). Mais aussi la suppression de la division entre lycées professionnels et lycées généralistes. A l'ère bio-électronique cette séparation est d'ailleurs une gageure. L'augmentation de la paye des profs en permettant aux lycées de louer leurs locaux, de travailler en synergie avec des petites et moyennes entreprises pour des stages et des petits travaux etc...

- Par ailleurs, et s'agissant de la méthode pédagogique, il semble bien que pour les franges en difficulté l'apprentissage sur écran soit une bonne chose. Surtout s'agissant de la génération fascinée par les médias. Et pour contrebalancer le poids énorme de ceux-ci, il faut vraiment articuler un partenariat multiforme et sans complexe entre stars, élèves, profs,le tout dans le cadre de concours et de rencontres internationales.

L'intérêt serait alors de motiver dans l'immédiat l'élève en rupture de ban en lui démontrant qu'il ne suffit pas d'être star. Puisque celle-ci cherche elle-même à apprendre, à s'éduquer, malgré sa notoriété.

Qu'est-ce que maintenant les affrontements, voire le simple tag, peuvent nous apprendre pour éclairer cet angle éducatif ? Que l'errance dans la ville anonyme et ses énigmes lumineuses n'est évidemment pas suffisante pour se forger un caractère, un itinéraire, voire pallier au manque d'initiation, d'élection par des pairs.

Certes les phénomènes néo-tribaux peuvent souvent expliquer les affrontements entre bandes, surtout lorsqu'elles sont composées en majorité d'ados d'origine africaine. Mais ce n'est pas tout. Il y a surtout la présence de l'urbain et ses consonances magiques qu'il s'agit de dompter, d'absorber, sous peine d'avoir l'impression d'être réduit à l'état d'insignifiance animale assignée à la seule maintenance vitale.

Dans cette frayeur en demande frissonnante de reconnaissance et aussi de bornes, qui se caractérise d'ailleurs souvent par une parole hurlée et un regard cisailleur, l'appropriation d'espaces symboliques au coeur même de la matrice des cités, surtout lorsque l'apparence architecturale de cet espace, son décor, exprime le monde envié, comme les Tours de la Défense, ce petit New York, cette appropriation devient un enjeu vital pour les bandes sevrées de culture rythmant, mal, les temps qui viennent et le bouillonnement de leurs artères. Car c'est en effet toujours dans le décor froid et inhumain de la modernité technique érigée en lanciers métalliques qu'elles viennent s'affronter. Comme les super vilains le font en traquant les bons super héros : Superman ou les X-Men.

C'est donc toute cette dimension fantasmatique, nécessaire pour s'approprier un destin personnel dans l'univers humain, et prouvant la raison de son existence, qui est détournée, énervée, mais que la locution "perte de repères" édulcore.

Sa déchirure actuelle se perçoit dans la déliquescence de certains jeunes à la recherche éperdue d'une intégration dans un monde plus complexe que celui de leurs pères. Et ils ne sont pas tous des défavorisés. De plus cette jeunesse, certes sensible au tumulte et au tourbillon du temps, refuse de frustrer ses malaises. C'est alors l'existence d'une contradiction entre le désir, barbare, de vouloir tout tout de suite et le désir, civilisé, de respecter les rythmes d'appropriation -tout en exigeant cependant son dû, qui rongent certains jeunes, mais que certaines analyses ne saisissent pas.

Et pourtant ! On l'admet bien lorsqu'il s'agit des idéologies pour adultes. Même si l'on n'est pas d'accord, on accepte bien en effet qu'une dimension pour une part sinon irréelle du moins utopique s'empare dangereusement des consciences et veut s'imposer tout de suite comme le monde à venir nécessaire, obligatoire, qui résoudra tout, et définitivement.

De manière identique, pour certains jeunes, c'est cette dimension impérieuse de vivre immédiatement ce que l'on rêve, propre sans doute, lorsqu'elle est maîtrisée, à la conscience humaine, bâtisseuse de pyramides et de cathédrales, c'est cette dimension, créatrice d'orbe, d'univers intérieur, qui, cependant, laissée en friche, reste barbare, et déchire leur imaginaire, leurs rêves, brise et brûle tout réel qui rappelle l'écart entre le désir et sa réalisation effective.

Ce besoin de s'entendre vivre dans le pouls de la ville devient pour certains jeunes une réalité aussi dévoreuse de ses enfants que l'est la révolution. Surtout lorsqu'elle est alimentée et surmultipliée par les drogues,transformant ces jeunes en enragés fiévreux guerroyant contre tous, à commencer par tout ce qui est insaisissable dans "la" ville. C'est-à-dire l'éphémère, le réseau entrevu mais rendu invisible, éternelle matrice sans issue, malgré le tournant encourageant d'un visage au regard trop souvent vitrifié, hélas, par le désir séculaire de se réserver pour l'air, l'aire, rare, des puissants.

Aussi,dans un tel contexte contradictoire et un manque évident d'apprentissage de la maîtrise de soi, parler seulement d'incivilités lorsqu'il s'agit d'exactions, de dénégations féroces à la recherche seulement de ce qui lui résisterait, ne reviendrait qu'à édulcorer l'acte même de guerre en simple joute. Ou la soif d'être à travers la mort de l'autre en gentille rixe.

Dans ces conditions, séculaires, de reconnaissance coûte que coûte, que la ville accélère, surmultiplie, mais ne crée pas, il serait plus exact de parler plutôt d'agressivité négative, d'ivresse de la volonté de développement écervelée et seulement capable de trouver dans la destruction sa raison d'être, au lieu de se contenter d'analyse réductrice mettant seulement en cause la forme historique prise par la volonté de développement.

Il est alors curieux qu'une génération se vantant d'avoir lu Nietzsche s'en tienne seulement aux antiennes explications sociologiques, nécessaires, mais point suffisantes. Ou en appelle au renoncement, à la frugalité pour éviter les errements de la volonté. Alors qu'il s'agit d'un problème d'enseignement de la maîtrise, de mise au point d'initiations qu'autrefois les traditions et la guerre apportaient.

Les comportements dits "pathologiques" s'expliquent par exemple aussi par ce manque de maîtrise de la volonté de développement.

Ainsi quand tel gosse, livré à lui-même, cherche désespérément, toute la nuit, dans la masturbation hallucinée par les drogues et les musiques aux cadences rauques et saccadées, à entrer dans le film porno à la mode, le clip au même plastique, pour enfin croire toucher l'impossible alors que l'amour physique est sans issue disait Gainsbarre, comment lui parler à huit heures du mat de Rome, de géométrie ou d'Etat Républicain sans avoir le doigté qui sait le faire vibrer sur la même onde tout en lui donnant un autre contenu plus salvateur ?

Où est "le" réel pour ces mômes ? Et comment les amener d'autant plus à la raison alors que les officiels mentent et volent effrontément tout en se défendant façon Al Capone : niant tout, même qu'ils nient ? Comment leur parler de morale alors que ces gosses peuvent se faire en un soir ce que leur père gagnent au RMI où même à France Télécom pendant trois mois ? Sans parler du mépris des gosses envers leurs parents. Surtout lorsque ceux-ci ne savent pas parler français ou si peu...

J'ai été un jour frappé de voir un môme claquer au nez de son père et avec son pied, tout en s'esclaffant, la portière de l'Express de fonction du papa travaillant justement à France Télécom. L'enfant, gros lardon qui visiblement faisait la loi à la maison, riait comme une baleine d'avoir ainsi claqué la portière, quasiment, au visage de son père alors que celui-ci le raccompagnait. Le père a bougonné mais a accepté la sentence. Comme s'il culpabilisait de ne pas ramener son rejeton en limousine.

C'est ce télescopage entre plusieurs niveaux de réalité comme la honte de certains parents, la pression de la ville d'aujourd'hui, l'air du temps dévoilant tout au gré des démesures, l'emballement des tendances, le bruissement des modes, l'envie décuplée, le jeu effarant des images, la course sordide pour les rattraper, et devenir plus effrayant qu'elles, c'est tout ce mixage agissant sur le tréfonds de l'âme humaine, qui exacerbe la présence permanente d'un imaginaire barbare où chacun devient le Cyclope de l'autre en attente de voir son oeil interne s'éteindre ou s'affaisser dans le néant des néons, -surtout lorsque la volonté de développement ne se maîtrise pas de manière pérenne, c'est toute cette trame, ce cyclotron social, qu'il faudrait étudier, sérieusement. Et non se contenter de croire que seule la forme historique atteinte est cause fautive des comportements hostiles.

Nous en sommes encore loin, non ?

LSO.

Le 12 Février 2000